Abondance ne nuit pas ? C’est ce qu’il faut espérer si l’on en juge par le caractère très prolifique de l’actualité du jazz ces derniers mois. Dans un marché du disque en crise, la production de nouveautés n’a jamais été aussi importante. Il vous suffira de jeter un œil au sommaire des DNJ pour vous rendre compte du nombre de CDs que nous avons sélectionné ce mois-ci. Productions labellisées ou autoproductions ne désemplissent pas. Idem pour le livre de jazz. Comme chaque année l’excellent festival de Jazz à Saint-Germain-des-Prés (Esprit jazz) ouvre le bal de la saison festivalière avec un programme de grande qualité. Et lorsque l’on regarde la programmation qui nous attend cet été un peu partout en France elle est, sur le papier totalement bluffante avec son lot de stars américaines et de surprises étonnantes. Tiens, pas plus tard que ce soir la rencontre inédite de Bojan Z avec Petra Magoni en hommage au double blanc des Beatles promet de nous éblouir. Pas mal non ?
Sur les ondes aussi, le jazz est en forme. Tenez, France Musique par exemple qui, Samedi 17 mai se donne exceptionnellement le temps de programmer une nuit entière (de 23h à 7 h du matin !) consacrée à Chet Baker sous la houlette de Alex Dutilh, Philippe Carles et Franck Medioni. Assez exceptionnel pour avaler ses douze cafés et rester éveiller toute la nuit.
Oui visiblement le jazz se porte bien ces temps –ci.
Quant à la nouvelle génération du jazz, elle est plus talentueuse que jamais. Ceux qui ont eu la chance d’assister récemment à des tremplins de jeunes talents, ne manquent pas d’être sidérés par le niveau exceptionnel de ces jeunes issus de l’école de Didier Lockwood, du CNSM ou d’ailleurs et qui à 20 ans à peine possèdent déjà toute l’histoire du jazz au bout de leurs doigts de musiciens déjà plus en herbe.
Alors quoi, tout serait bien dans le meilleur des mondes du jazz ? Le jazz serait-il donc plus vivant que jamais et nous n’aurions que des raisons de nous réjouir ? Pas si sûr car cette abondance de talents et donc de productions nouvelles crée inévitablement un effet de goulet d’étranglement sur le marché pourtant bien étroit et bien encombré du jazz. Et qu’y aurait-il de pire pour le jazz en particulier et la musique en général qu’une banalisation du talent ? Comment alors naviguer et avec quelles balises ?
Il est alors urgent et nécessaire d’entendre la voix des vieux doctes qui, avec l’âge deviennent d’ailleurs plus jeunes et plus mutins que réellement sages, pour nous donner encore et toujours quelques repères essentiels. Martial Solal qui, pour les DNJ s’est confié à l’oreille attentive de Bruno Pfeiffer en est un, assurément. Car Solal a ce recul nécessaire et cette distance indispensable qui lui permet aujourd’hui à, plus de 81 ans, de revenir sur le devant de la scène plus libéré que jamais. Avec cette distance qu’il est urgent d’entendre. Indispensable pour tous ceux qui voudraient survivre dans cet océan de nouveaux talents. L’entendre enfin aujourd’hui est vital pour quiconque cherche à se donner des grilles de lecture du jazz actuel.