Pour accompagner des vacances bien méritées, deux conseils de lecture
GARRISON FEWELL
De l’esprit dans la musique créative (Outside Music, Inside Voices)
Traduction de Magali Nguyen The
Edition Lenka Lente
Voilà un bouquin absolument étonnant de par la thématique choisie : aborder la pratique de l’improvisation et le quotidien de musiciens singuliers, ignorés du commun des mortels qui ne s’intéressent pas à la jazzosphère, par le filtre assurément opaque de la spiritualité ! Un sujet brûlant dans cette époque troublée, confuse, qui développe un chaos « fin de civilisation » plutôt qu’une émergence de nouveaux concepts.
Ce qui est particulièrement émouvant, c’est que l’auteur de ce livre, Garrison Fewell, compositeur et guitariste professionnel ( qui a joué notamment avec John Tchicai, Roy Campbell, Steve Swell, Cecil Mcbee ) a réuni patiemment les témoignages de musiciens américains pour la plupart, figures emblématiques du free jazz et de l’improvisation libre, en leur posant cette question : Comment les valeurs spirituelles guident-elles les musiciens improvisateurs dans leur art aussi bien que dans la vie ? Sujet qui le hantait d’autant plus que la maladie l’avait frappé, qu’il croyait en cette affirmation d’ Albert Ayler « Music is the healing force of the universe » et qu’il est mort depuis la parution de l’ouvrage.
Selon un dispositif précis, il interroge 25 musiciens de jazz sur leur pratique et rencontre avec la spiritualité. Sur la page de gauche, une photo pleine page de Luciano Rossetti qui ouvre sur l’entretien, qui porte toujours un titre éclairant.
Hormis les deux Européens (ce n’est peut être pas anodin), le batteur néerlandais Hans Bennink et la pianiste suisse Irène Schweitzer qui ne se reconnaissent pas dans une démarche empreinte de forte spiritualité, la plupart se tournent vers un ailleurs œcuménique, au-delà des religions traditionnelles, comprenant la pratique de l’improvisation dans un mouvement plus large qui oriente leur vie (« S'abandonner à cette force génératrice » pour Mathew Shipp, « être ouvert à l’imprévu »pour Myra Melford, savoir que le blues est à l’origine de tout (Oliver Lake), trouver une sortie (Henri Threadgill), atteindre l’infini par cette force mystérieuse et universelle ( Joe McPhee), "Improviser c’est composer" pour Joelle Léandre ) . Comme le souligne justement Ed Hazell dans la préface, le véritable esprit de la musique ne résiderait--il pas dans ce besoin vital de se connecter ?
On relèvera dans cette série d’entretiens que l’on peut lire à son gré, selon l’humeur et la prédilection envers certains musiciens, un florilège savoureux qui donne envie de rentrer dans le vif du sujet.
Ce livre s’adresse à tous les amateurs (convaincus) de jazz libre et aux néophytes tout simplement intéressés par l’influence du spirituel dans l’art...
Sophie Chambon