
« Stéphane aura été l'exemple du musicien qui fait de la musique jusqu'au dernier souffle. » nous confiait en 2000 Didier Lockwood à la sortie d’un album-hommage (chez Dreyfus Music) à celui qu’il considérait comme son maître, Stéphane Grappelli. Un propos admiratif que l’on peut reprendre aujourd’hui pour le violoniste, virtuose généreux et éclectique, disparu le 19 février à Paris à 62 ans, victime d’une crise cardiaque. La veille au soir, il régalait le public du club parisien Le Bal Blomet (75015) dans un duo avec un autre as du violon (Sanya Kroitor) lors d’un programme intitulé « Du klezmer au jazz ».
Infatigable artiste, Didier Lockwood préparait un nouvel album où le jazz rencontrait la musique classique en compagnie de la chanteuse lyrique Patricia Petibon, son épouse depuis 2015. Fin janvier, il avait présenté au Duc des Lombards son tout dernier disque « Open Doors » (Okeh-Sony Music) où il renouait avec le jazz dans toute sa splendeur , avec un trio formé d’Antoine Farao (piano), Daryl Hall (contrebasse) et André Ceccarelli (batterie).
Il était comme cela, Didier Lockwood, n’aimant rien que les échappées libres, refusant les classifications, quitte à brusquer et choquer les puristes. Un trait de caractère qui remonte à sa jeunesse. Né à Calais le 12 février 1956 dans une famille de musiciens (un père professeur de conservatoire), il n’a pas 17 ans quand, jeune Premier prix de violon du conservatoire de Calais, il fonde un groupe de jazz-rock avec Francis, son frère aîné pianiste. Dès lors le jeune violoniste, interprète brillant, va témoigner d’un éclectisme rare, naviguant entre le jazz le plus classique, le jazz-fusion (au sein du groupe Magma), le style manouche, la musique symphonique (compositeur d’un concerto, «Les Mouettes», en 1996 avec l’Orchestre National de Lille) et n’hésitant pas à « croiser le fer » avec d’autres musiques du monde comme dans le spectacle Omkara (2001) en compagnie du danseur indien Raghunath Manet et du percussionniste Ri Murugan .
« Globe Trotter », pour reprendre le titre d’un de ses disques (2003), Didier Lockwood éprouvait un réel plaisir à improviser : il avait d’ailleurs intitulé l’un de ses spectacles, one man show grand public, « L’improvisible » (2014), où, sans partition aucune, il passait du jazz au classique (un pot-pourri de Mozart) et aux musiques du monde (Brésil, Europe centrale aux accents tziganes…).
Homme de scène, auteur également de musiques de films (Abus de faiblesse de Catherine Breillat en 2012, Victor Young Perez de Jacques Ouaniche en 2013), Didier Lockwood nourrissait une autre forte passion, l’enseignement. Il avait fondé en 2000 un centre de musique, le CIMDL (Centre international des musiques improvisées Didier Lockwood) à Dammarie-les-Lys (Seine et Marne), commune dont il fut adjoint à la culture. Mais la musique ne devait pas à ses yeux être réservée aux seuls musiciens. Dans un rapport au gouvernement en 2016, il défendait un apprentissage de la musique par plus d’oralité et moins de solfège. « La connaissance artistique, confiait-il, doit faire partie intégrante des savoirs fondamentaux au même titre que la lecture ou l'écriture. » Ses préconisations seront-elles entendues post mortem ? Toujours est-il que dans son hommage, la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a salué l’«immense violoniste de jazz français», qui «s’est investi avec passion dans la promotion de l’éducation artistique et culturelle.».
Virtuose et généreux, sensible (cf son livre Questions d’âme, Ed Blow & Bow.2014), Didier Lockwood n’avait pas son pareil pour séduire le public, tous les publics (plus de 4000 concerts en 45 ans de carrière). Elégant, éclectique, enchanteur, il exprimait avec légèreté cette classe qui est la marque des véritables artistes. Une quarantaine de disques en atteste.
Jean-Louis Lemarchand