Mathilde Hirsch et Florence Noiville. Editions Tallandier*.
Nina Simone (21 février 1933 - 21 avril 2003) aura été une formidable source d’inspiration, et pas seulement pour les chanteuses. Une abondante littérature est consacrée à cette voix majeure de la musique noire : aux côtés d’une autobiographie (‘I Put A Spell On You, The Autobiography of Nina Simone’ -Da Capo Press , 1991, avec Stephen Cleary. Version française, ‘Ne me quittez pas’. Editions de la Renaissance.1998), pas moins de trois biographies en langue anglaise et pour les ouvrages écrits en français, on relèvera notamment ‘Nina Simone, une vie’, (David Brun-Lambert. Flammarion 2005) et ‘Nina Simone’, roman, (Gilles Leroy. Mercure de France. 2013).
Pour cette nouvelle biographie, Florence Noiville (journaliste) et Mathilde Hirsch (réalisatrice), mère et fille dans la vie, ont recueilli de nombreux témoignages de personnes ayant connu l’artiste, comme sa fille, Lisa, (également chanteuse), Angela Davis, Toni Morrison, ou encore Raymond Gonzalez, un de ses managers.
L’ouvrage dresse un portrait vivant, détaillé d’une écorchée vive, engagée dans le combat pour les droits civiques, toujours prompte à clamer sa vérité sans s’embarrasser de diplomatie, habituée des éclats sur scène. Les exemples fourmillent dans cette chronique sans filtre relevant pour partie de la rubrique des faits divers et révélant une personnalité bipolaire- selon la terminologie d’aujourd’hui- et schizophrénique.
Quand Eunice devient Nina :
Les auteures reviennent évidemment sur cet événement majeur dans la carrière de Nina Simone, son échec au concours d’admission au Curtis Institute de Philadelphie le 7 avril 1951, qui ruinera son rêve de devenir pianiste concertiste classique. L’intéressée assurera toujours avoir été refusée en raison de sa couleur de peau. On n’en connaitra sans doute jamais les véritables raisons. Les archives de l’Institut dévoilent seulement que sur les 72 candidats présentant le concours de piano, seuls 3 furent admis. Cet échec conduira, chacun le sait, Eunice Kathleen Waymon à jouer dans les bars, à passer de Bach au blues, à se mettre au chant et à adopter le pseudonyme de Nina (la petite en espagnol, ainsi que l’appelait un petit ami hispanique) Simone (sans réelle explication même si bien plus tard, elle affirmera avoir voulu témoigner de son admiration pour Simone Signoret).
Mathilde Hirsch et Florence Noiville apportent également un éclairage sur un autre événement déterminant de ces premières années professionnelles de Nina Simone : l’enregistrement d’un album en décembre 1957 pour le label Bethlehem Records. Pour clore celui-ci, suggestion est faite de retenir ‘My Baby Just Cares For Me’, issue d’une comédie musicale de 1928, Whoopee !, de Walter Donaldson (musique) et Gus Kahn (paroles) (ndlr : celle-ci comprenait aussi 'Love Me ou Leave Me', futur autre grand succès de Nina). Nina juge cette chanson idiote et sans intérêt. Mais fatiguée, elle accepte. Elle ne se doute pas que c’est ce dernier morceau** qui retiendra le plus l’attention du public.
Sa carrière est lancée. Ses relations houleuses avec les maisons de disque aussi. Elle touche un chèque de 3.000 dollars pour le disque et signe à la va-vite un contrat renonçant à la propriété des bandes ! Elle s’en mordra les doigts des années durant, criera au vol … tout spécialement en 1987, quand Chanel reprendra le titre pour une publicité, relançant ainsi les ventes de ses albums.
Ainsi était Nina Simone, « celle qui nous a maintenus en vie » dans les années 60 dira le prix Nobel de littérature Toni Morrison, chanteuse au caractère bien trempé, voix et pianiste d’exception qui aura une revanche posthume : en mai 2003, le Curtis Institute lui décerne un diplôme Honoris Causa pour sa « contribution à la musique ».
Jean-Louis Lemarchand
*Mathilde Hirsch et Florence Noiville, “Nina Simone, Love Me or Leave Me”. Editions Tallandier. Mai 2019. ISBN : 1021029106.
**Ce titre ouvre la sélection réalisée par Lionel Eskenazi, Nina Simone, the jazz diva. Coffret de 2 CD. Wagram. 2018 ...