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6 août 2020 4 06 /08 /août /2020 08:11
MATHIEU FERYN    Where is the jazz?

 

MATHIEU FERYN

Where is the jazz?

Une approche communicationnelle des mondes du jazz (2000-2020)

EDITIONS L’HARMATTAN

Communication et civilisation

http://www.editions-harmattan.fr

La préface annonce la couleur: le jazz, devenu un objet d’étude à lire et à écouter, s’enseigne à l’université. Son étude est souvent abordée dans le champ des sciences humaines et sociales. Mathieu Feryn, jeune enseignant chercheur en S.I.C, à l’université d’Avignon et des pays du Vaucluse, s’engage à le prouver mais pas en tant que musicologue. Pour le néophyte, précisons que son domaine de recherche concerne les Sciences de l’information et de la communication qui diffèrent de la sociologie, à laquelle on pourrait cependant les rattacher.

A l’approche ontologique, plus traditionnelle “Qu’est ce que le jazz?, il préfère s’intéresser à la question Où est le jazz? en France depuis 20 ans, travaillant sur des concepts-clés définis au préalable, décrivant les caractères du jazz, son objet de recherche,  en s’appuyant sur des outils très solides.  Il étudie les acteurs (programmateurs, musiciens et musiciennes, publics), l’évolution fine des pratiques et s’interroge sur l’existence d’une communication spécialisée, voire institutionnalisée, propre au jazz, en analysant les discours des industries culturelles et des acteurs de l’opinion.

L’avant-propos éclaire les enjeux de la rédaction de cette thèse en décrivant le parcours personnel et professionnel de l’auteur. Cette réflexion auto-ethnographique, partie de sa pratique de l’accordéon aux recherches en SIC en passant par la radio et le journalisme, est du domaine de l’intime; elle pourrait passer pour une introspection quelque peu suspecte. Mais en fait, l’immersion de la sphère privée dans un travail universitaire strictement codé est original pour le lecteur et accrocheur. Analysant les expérimentations au travers de ses propres pratiques, se situant lui même au croisement de disciplines diverses entraîne une approche élargie, jouant avec les variations du couple Insider/Outsider.

Dire que cette thèse se lit comme un roman serait tromper le lecteur mais elle expose clairement, sans abuser du jargon universitaire, les dynamiques internes de circulation de l’information jazzistique, la valeur économique et les modalités de partage de celle-ci,  les pratiques de sortie des publics (clubs, festivals, lieux plus informels, tous les espaces potentiels de circulation du jazz jusque dans une logique événementielle).

Sa réflexion sur le temps et l’espace d’écoute du jazz insiste sur l’approche qualitative et quantitative des pratiques artistiques et culturelles selon les contextes, d’où l’observation d’une porosité croissante des catégories, entre par exemple, un jazz créatif et un jazz commercial, la position de leader/ sideman, pu celle d'auditeur/musicien amateur….Sans trop exagérer, il existe presqu’autant de tribus, de communautés de musiciens que de spectateurs!

S’appuyant sur des outils de mesure solides (une banque de données de 5000 récipiendaires de prix et diverses récompenses,  divers indices de notoriété, 300 instruments et familles d’instruments, 50 lieux de diffusion sur 15 ans), ce travail a demandé cinq années d’enquête ethnographiques : “a labour of love” mais un labeur colossal pour prouver l’importance du jazz qui ne se limite pas à une poignée d’étoiles, tant l'hétérogénéité de parcours des musiciens est grande. En dépit d’une certaine difficulté à communiquer sur le jazz comme expérience culturelle à part entière, il devient aussi une attitude, un art de vivre des publics intéressés, après une formation au long cours du goût et de l’écoute. On entre un peu dans le jazz par hasard, vu sa faible médiatisation, toujours biaisée, mais les sociabilités familiales et amicales vont renforcer la pratique d’écoutes et de sorties jusqu’à des “prescriptions quasi sentimentales”. L’ambiance revêt aussi un caractère parfois fondamental dans sa représentation, selon les époques de la vie. Il existe aussi un possible engagement dans cette musique, par l’expérience associative, bénévole, militante même, jusqu’à un investissement professionnel parfois, passant  ainsi de l’autre côté du miroir !

L’analyse est menée de façon comparative entre artistes et publics par des enquêtes dans  les divers espaces publics d’écoute du jazz, par des questionnaires administrés auprès des types de publics et une série d’entretiens auprès des musiciens, programmateurs, journalistes. 

Voilà un livre soigné des éditions reconnues et spécialisées L’Harmattan, de la belle ouvrage, avec une bibliographie largement ouverte de Max Weber à Pierre Bourdieu, Merleau Ponty au tandem Carles Comolli, sans oublier Walter Benjamin ou P.Veyne.

Cette étude aussi sérieuse que clairement exposée souligne l'intérêt de recherches sur le jazz, cette musique "savante" du XXème siècle, dont l’importance a  souvent été négligée par les media, ou du moins survolée. Un écosystème passionnant qui a sa vie propre, son organisation et sa fragilité ! Quand on s’intéresse au jazz, la lecture de cet opus copieux de 479 pages s’avère non seulement actuelle, mais instructive par cette démarche volontaire, qualitative et quantitative,  cette description de pratiques aussi bien artistiques que culturelles. Comment l’individu se dynamise-t-il et évolue-t-il au sein de ces dispositifs? Enfants, adolescents, adultes, que faisons-nous du jazz, avec le jazz? Que nous procure cette musique? Peut-elle changer notre vie? Voilà des interrogations qui ne peuvent ici nous laisser indifférents...

Sophie Chambon

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