Passionné sans exclusive, érudit sans suffisance, Philippe Carles, décédé ce week-end à 82 ans, aura brillamment défendu et illustré la cause du jazz pluriel pendant un bon demi-siècle dans ses formes écrites (Jazz Magazine dont il fut rédacteur en chef 35 ans, et plusieurs ouvrages de référence) et parlées (producteur à France Musique 37 ans durant).
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Né à Alger le 2 mars 1941, Philippe Carles avait découvert le jazz en écoutant la radio dans ses jeunes années. Arrivé en métropole, il entame des études de médecine à Paris vite interrompues (en 1963) pour se consacrer à sa passion. Entré à Jazz Magazine sur la recommandation de Jean-Louis Comolli, il contribue également à cette époque à différentes publications du groupe Filipacchi (y compris Mademoiselle Age Tendre, 20 ans, Union…) en tant que secrétaire de rédaction.
Nommé rédacteur en chef du mensuel en 1971- succédant à Jean-Louis Ginibre dont il était l’adjoint- il tiendra ce poste jusqu’en 2006 et prêtera son concours au magazine encore de nombreuses années par des chroniques et la relecture du journal avant impression, figurant à l’ours sous le titre de Best Man (témoin, garçon d’honneur) dont il s’amusait (« mon ancienneté jazzmagazineuse m’oblige surtout à me considérer comme un témoin des avatars successifs de cette publication pendant un demi-siècle »).
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Grand connaisseur du Free Jazz dès son origine, Philippe Carles lui consacra en 1971, écrit à 4 mains avec Jean-Louis Comolli, un ouvrage devenu une référence « FREE JAZZ, BLACK POWER » (Éditions Champ Libre). Réédité par deux fois en version poche (la dernière en 2020 chez Folio/Gallimard) le livre « reconsidère l’histoire du jazz dans son articulation avec l’histoire sociale et politique des Noirs américains ».
Philippe Carles n’avait jamais délaissé le free jazz et en 2019, il conseillait chaudement à l’auteur de ces lignes l’écoute d’un album de la saxophoniste allemande Ingrid Laubrock au titre évocateur (« Contemporary Chaos Practices. Two works for orchestra with soloists », Intakt Records).
Fan de free jazz, Philippe Carles était aussi –et surtout- un passionné sans œillères. Ses goûts le portaient aussi bien sur Jimmy Giuffre, une de ses idoles, dont il vanta les mérites dans un article devenu culte titré « Jimmy joue free » et qu’il interviewera dans un double album sorti en 1992, une rareté (Jimmy Giuffre Talks and Plays, CELP) que sur Fletcher Henderson ou encore Anita O’Day qu’il défendit face aux « siffleurs » d’un concert parisien en 1970.
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Cette ouverture d’esprit le conduisit en 1985, toujours avec Jean-Louis Comolli, à proposer à Guy Schoeller, inventeur de la collection Bouquins chez Robert Laffont, l’écriture d’un Dictionnaire du Jazz. Engagée à deux puis à trois, avec l’arrivée d’André Clergeat, l’aventure menée avec l’appui de 67 contributeurs-experts, se concrétisa en 1988. La troisième et dernière édition, sortie en 2011, comprend 3300 articles dont 400 nouvelles entrées sur les artistes, courants musicaux... Cet ouvrage de près de 1500 pages en format poche constitue une encyclopédie œcuménique même si Philippe Carles reconnaissait des « oublis possibles et inévitables », citant George Bernard Shaw : « Un dictionnaire est comme une montre, indispensable mais jamais à l’heure ».
Homme de convictions, Philippe Carles faisait partager ses passions à ses auditeurs à France Musique notamment lors d’une émission (Jazz à Contre Courant, lors de sa dernière saison 2007-2008) programmée le samedi aux alentours de minuit. Il était non seulement une plume mais une voix. Il n’abusait pas pour autant de son érudition, comme peuvent en témoigner ses collègues de l’Académie du Jazz notamment lors des travaux de la commission Livres.
« Le jazz a l’avantage et l’inconvénient d’être une musique vivante », aimait à dire Philippe Carles. Une citation qui pourrait résumer la personnalité d’un héraut du jazz pleuré aujourd’hui par l’ensemble de la jazzosphère.
On conseillera l'écoute de ce témoignage de Philippe Carles et son entretien avec Aldo ROMANO dans le disque INTERVISTA, sorti en 1997 chez Verve.
Jean-Louis Lemarchand.
La cérémonie des adieux à Philippe aura lieu le mercredi 25 octobre à 11h30 au crématorium du Père Lachaise (75011).