TRIO TASIS
Label Triton
Sortie le 7 février 2025
Carmela Delgado bandonéon
Emilie Aridon-Kociołek piano
Mathias Naon violon
Ce premier album du trio Tasis ne manque pas d’atouts et cela n’a pas échappé au directeur du Triton, le club de jazz des Lilas qui a accueilli le groupe. JP Vivante s’attache à faire connaître en effet des oeuvres originales qui pourraient demeurer méconnues, voire inouïes.
PORQUE SÍ ou la vision personnelle du tango, musique d'ancrage des trois virtuoses de ce trio chambriste à l’instrumentation atypique (bandonéon, piano, violon). Ils agrémentent leur musique d’emprunts ( leur formidable culture musicale le leur permet) de la musique classique du début du XXème ( Bartok, Stravinsky…) à la chanson avec ce Parce que d’Aznavour qui prend de nouvelles couleurs sous leurs doigts.
Radical, le trio l’est tout de même dans ce désir de trancher dans le vif, de ne pas séduire les seuls tangueros, amateurs de tangos de toutes sortes à condition qu’ils puissent danser sur ces airs. Ce qui s'avère difficile sur Porque sí, car la montée en puissance seulement instrumentale, parfois bruitiste, imprime une tension permanente à l’ensemble dont même les accalmies sont intenses.
On est quand même sur les terres du tango avec ce qu’il faut de mélancolie mais aussi de fureur. Des assauts aussi flamboyants, on en redemande sans être forcément un passionné du genre. D’où l’invitation à une écoute continue des onze titres jamais trop longs ni pesants d'un album conçu avec soin de l’initial El Andariego d’Alfredo Gobbi, l’un des maîtres argentins de ce style jusqu’au Revirado final de l’immense Piazzola qu’on ne présente plus, avec ces attaques caractéristiques du bandonéon.
Un hommage actualisé aux grands argentins du tango Osvaldo Fresedo, Anselmo Aieta, Virgilio Exposito et une chanson Lucia du seul Espagnol-en fait Catalan (nuance), surnommé la gauche divine où Carmela Delgado exprime la quintessence du bandonéon, bruit des soufflets compris.
Un petit accroc au contrat avec l’emprunt à Schönberg de son Farben (mélodies de timbres et accords sur cinq sons) pas vraiment écrit pour évoquer un tango, les autorise à arpenter avec brio d’autres terres avec un malin plaisir.
Toutes ces incartades, ces passages de frontières stylistiques ne rompent en rien la cohésion de la musique de nos trois amis qui se connaissent depuis longtemps. Fougueux, fort expérimentés, ces jeunes musiciens peuvent virevolter d’un style à l’autre sans vraiment laisser place à des sonorités planantes : grondements sourds du piano, vibrations des pédales qui rythment un ensemble ombrageux comme à l’approche de l’orage et encore un solo empruntant à Chopin sur la valse Palomita Bianca, jouée en son temps par un autre trio, celui de Mosalini/ Betelman/Caratini qui reprenait aussi la scie tanguera de la Comparsita.
"Facilité" que ne s’autorise pas notre trio dont on raffole des surgissements et jaillissements d'un bando qui tangue, de l’éclat lunaire et souvent déchirant du violon (l’archet étire certaines notes aigues) prenant parfois ses distances avec le continuo piano-bando.
Des solistes raffinés qui se risquent à corps perdu dans ces vibrations de tonalités, rythmes et tessitures. Leur musique dessine des contrées sauvages. Cette sombre beauté, raffinée dans l’écriture, si elle impressionne n’empêche jamais de plonger dans ce lyrisme à fleur de peau.
Et le jazz dans tout ça? Cette musique, lumineuse semble très écrite (trois compositions du violoniste) pour un collectif voué aux puissances féminines du piano-bandonéon orchestrées par un arrangeur aussi subtil que créatif.
Mathias Naon révèle en effet des dispositions d’arrangeur talentueux avec par exemple cette amusante mécanique du réveil (piano et bandoneon) sur Mi Viejo Reloj & Variaciones. Une adaptation de la musique si codée du tango où chacun utilise ce qui se joue et se crée dans l’instant dans un échange souvent fusionnel jusqu’aux silences et brusques ruptures qui cassent l’ondulation de la danse.
Cette entente plus que parfaite irrigue ces pièces purement instrumentales, un comble pour le tango qui a su utiliser les voix. Cela ne manque en aucun cas au trio Tasis d’une vitalité ébouriffante qui apporte de la sève à un genre dont la mécanique inusable pourrait parfois lasser. Purement réjouissant.
NB Le trio Tasis sera entre autre en concert au Festival de Radio France Montpellier du 15 au 18 juillet 2025…. et pour la sortie du disque le 12 Juin 2025 dans la salle 2 du Triton.
TRIO TASIS | Tango | Le Triton
Sophie Chambon