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7 mars 2025 5 07 /03 /mars /2025 10:59
HAÏM ISAACS          JONI MITCHELL IN JERUSALEM

HAÏM ISAACS    JONI MITCHELL IN JERUSALEM

 

Sortie le 7 mars Studio de l’Ermitage

Haïm Isaacs/ L’Autre Distribution

 

 

Joni Mitchell in Jerusalem – haimisaacs.com

 

Haïm Isaacs (voc) Frédéric Reynier (p, percussions), Jules Lefrançois (dms, tuba, backup vocals) Yann-LouBertrand (cb,trumpet, backupvocals), Matthieu Beaudin (electric accordion) et Michelle Pierre (cello)

 

Dans la longue série des hommages voilà un album vraiment original qui a attiré notre attention que l’on soit connaisseur ou non de l’oeuvre écrite de Joni Mitchell, l’une des grandes songwriters anglosaxonnes qui est remontée sur scène à près de 80 ans pour un concert exceptionnel le 24 juillet 2023 au Newport Folk Festival.

A l’heure où les projecteurs sont braqués sur le prix Nobel de 83 ans, le barde Bob Dylan dont le film A Perfect Unknown, au succès mérité, revient sur les premières années folk de 1961 à 1965. On le voit accompagner et inspirer l’autre grande égérie de l’époque, Joan Baez, ce qui rend d’autant plus intéressant le parallèle avec Joni Mitchell si on considère que la plus grande rivale de Baez à l’époque était la guitariste, autrice et compositrice canadienne. D'où l'intérêt avivé de la sortie de cet album longuement maturé sur le propre label de Haïm Isaacs, né à New York, grandi à Jérusalem, à Paris désormais, au parcours plus qu’original. Après une formation musicale classique, il vit en France depuis l’aventure initiatique du Roy Hart Theatre:

"J’ai découvert Joni Mitchell chez ma voisine de palier à 15 ans. Mon frère dit que je suis né ce jour là... arpentant les collines de Jérusalem, de Jéricho et de Bethlehem, j’ai chanté ses chansons comme des songlines aborigènes”.

La chanteuse canadienne fascina nombre d’artistes et de musiciens de style divers : elle démarra elle aussi d’une voix haut placée qui pouvait enjamber trois octaves chez les folk singers, connut d'ailleurs intimement certains des grands “protest songwriters” de Laurel Canyon (David Crosby, Graham Nash) mais elle prit un virage dès la fin des années soixante, se tournant alors vers le jazz avec Mingus, entre autre, qui lui écrivit quatre chansons pour “Mingus” (1979), l’un de ses albums studio les plus célèbres dont une version de Goodbye Pork Pie Hat, un hommage dans l’hommage au saxophoniste Lester Young. Dans le livret de l’album, Joni Mitchell avait expliqué ce tournant décisif : “J’avais l’impression de me trouver au bord d’une rivière, un doigt de pied dans l’eau, pour tester la température – puis Charlie est arrivé et m’a poussée –Coule ou mets-toi à nager’…”

Mingus certes mais la liste des très grands jazzmen qui l’accompagnèrent ou firent des "covers" est impressionnante, les guitaristes Larry Carlton et Pat Metheny, les saxophonistes Michael Brecker, Wayne Shorter, Herbie Hancock sans oublier Jaco Pastorius ni bien sûr  nombre chanteurs et chanteuses.

Si l’album “Mingus”est parmi les plus connus avec l’incontournable Both Sides Now que les jazzeux n’arrêtent pas de revisiter avec d' autres tubes…fort astucieusement Haïm Isaacs ne reprend pas, sur le CD du moins, les chansons les plus connues. Il se penche sur le répertoire aimé avec soin, choisissant finement ses “emprunts” pour la faire mieux (re)découvrir dès les premiers albums "Clouds" (1969) ou encore "Blue" (1971) avec par exemple  A case of Blue et All I want.

Ce qui est original est sa volonté de faire entrer la diva dans son univers très particulier, de la chanter au coeur de Jerusalem (aujourd’hui transplanté sur Seine) avec son quartet jazz et autres invités, où abondent les polyphonies vocales soulignées, des grondements des basses et de l’énergie des cuivres, chants appuyés par des rythmiques organiques. On se sent bien dès le premier titre Chelsea Morning de l’album "Clouds" de 1969 ou Blonde in the Bleachers dans “For the roses” en 1972 qui fait écho aux premiers émois et à nos souvenirs des irréelles harmonies vocales caractéristiques de cette époque à la CSN&Y.

Le CD propose une version “straight” émouvante et déjà impressionnante avec un livret épais dont les textes poétiques donnent une idée de la version performante que le concert intelligemment propose. Entre chaque titre, le chanteur raconte sa jeunesse à Jérusalem dans les années soixante-dix, proprement “envoûté” par Joni qui continue à l’inspirer. Car l’album créatif ne sonne jamais comme une redite et nous immerge dans une sensation quasi mystique, celle d’assister à un concert éminemment spirituel. Des reprises nuancées, enjouées, mélancoliques aussi selon les textes plus ou moins introspectifs ; des paysages sonores jamais arides se forment, s’enchaînent sous nos yeux à l’image des peintures de Joni.

Une véritable petite entreprise qui a pris deux jours pour enregistrer les instrumentistes, deux autres pour les back up vocaux et enfin les prises de sa voix dans ses différents états sur un intervalle plus large de deux mois. Au final onze titres et un final du chanteur qui ne dépare pas dans l’ensemble monté avec pertinence.

Une voix chaude, profonde et grave qui elle aussi connaît un bel ambitus, une élocution parfaite où chaque mot de Joni résonne sculpté comme dans le fascinant Little Green. Les chansons de Joni Mitchel ont trouvé un écrin à leur hauteur, une dramaturgie dans ce Marcie presque susurré, où Haïm Isaacs en véritable directeur artistique conduit sa réinterprétation avec des cordes ombrageuses, voire déchirantes mêlées au sifflement du vent.

On peut se laisser aller à en rester à la seule “présence” réincarnée aujourd’hui de ce Black Crow ou Cherokee Louise du  “Night Ride Home” de 1991. Si Haïm Isaacs et ses musiciens tout aussi inspirés nous invitent à une expérience hautement recommandable, on se laissera  peut être aller à la tentation de retourner à la source. Un grand moment assuré.

 

Sophie Chambon

 

Pour aller plus loin :

JONI MITCHELL, POUR L’AMOUR DU JAZZ - Jazz Magazine

Joni Mitchell, le tournant jazz (1975-1979) | France Inter

 

 

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