Introduction de Christophe Quillien
Le Mot et le Reste/ Attitudes
Autre lecture incontournable en cette fin d'été, même pas hors sujet pour les DNJ, le recueil de chroniques de Philippe Paringaux, l'une des têtes pensantes de Rock and Folk, " la NRF de la contre-culture ", entre 1968 et 1973. Pourquoi ? Parce que fort étonnamment, Paringaux comme Koechlin, les deux timoniers du Rock & Folk historique, étaient de vrais passionnés de jazz. Pour preuve, le premier numéro de la revue a paru en juillet 66, comme hors série de Jazz Hot.
Paringaux, voilà un type qui n'était pas sectaire, qui appréciait toute bonne musique, imprégnée de blues et qui pouvait écouter les Beatles à l'Olympia et Charlie Mingus à Wagram. Des types de cette génération qui entendirent sans préjugé aucun, jazz, pop et rock, croyez moi c'est rare... capable d'apprécier autant In A Silent Way que Led Zep II. Un véritable éclectisme, au sens le plus noble du mot et non une dispersion brouillonne. C'est un régal que de (re)découvrir les articles de PP qui témoignent du vrai désir d'écriture de celui qui a toujours manifesté un goût prononcé pour le roman et la littérature. Il aimait les mots, et écrire sur la musique relevait pour lui de l'exercice de style. Tout chroniqueur devrait en prendre de la graine. La critique rock lui doit une fière chandelle. "Jazz Magazine et les Cahiers du Cinéma possédaient une véritable écriture et une personnalité, ils étaient des " bibles " dans leur domaine respectif, et Rock and Folk s'est hissé à leur niveau, en écrivant sur le rock, considéré à l'époque comme une musique pauvre."
Il a formé malgré lui toute une génération de critiques qui ont su décrire, avec la plus grande liberté, la révolution musicale qu'ils avaient la chance de vivre, et développer les fondements d'une esthétique rock. Reportages, critiques sensibles, coups de cœur pas bidon ni trafiqués, Paringaux écrit sur Léo Ferré, Dylan, CSN&Y, le Buffalo Springfield, Montreux pop, Wight blues, Lou Reed, Larry Coryell, Zappa et The Mothers of Invention, Johnny Winter, Jeff Beck et John Mayall , Pink Floyd, the Tony Williams Lifetime, B.B King, Wayne Shorter, Tim Buckley, Charles Mingus , Sun Ra, The Who ... La liste n'est pas exhaustive tant cette période est bénie, favorisant l'éclosion de groupes talentueux. Il aime entourer les musiciens, et c'est ainsi qu'il approchera Miles en 1970 à l'île de Wight qui lui confiera même sa trompette rouge.
Il y a aussi ses fameuses Bricoles, de véritables textes d'auteur au ton neuf...où il donne des nouvelles du petit monde du rock, parle de tout et de rien mais avec grand talent. Le reste est à découvrir dans ce recueil absolument passionnant qui devrait figurer dans toute bibliothèque d'amateur de rock, pop, jazz ou d'amoureux de la musique tout simplement. Paringaux a arrêté d'écrire sur le rock depuis longtemps, devenu ermite sur une île atlantique, il n'en a pas moins contribué à éveiller, à faire danser de nouveaux (in)fidèles, prêts à écouter la musique plus que les experts. A en savoir moins, mais à se laisser guider par le plaisir et l'émotion, l'oreille et le coeur. Ce n'est donc pas une histoire du rock and roll, ni un cours magistral mais bien une série de portraits " chic et choc ", croqués au feeling, de figures élues parmi bien d'autres à venir ... Aujourd'hui, on relit l'histoire de cette musique, de ces années où le temps est comme aboli, sans perspective ni recul. Un bonheur de lecture rare.
Autre particularité de ce livre : si ce sont ses textes qui sont repris et son nom d'auteur qui figure sur la couverture, Paringaux appréciant la maison d'édition Le mot et le Reste et se faisant volontiers traducteur au besoin, il n'a pas souhaité se prêter à la sélection de ses textes, corpus gigantesque d'un écrivain de musique prolifique, d'autant qu'il lui est arrivé parfois de rédiger la majeure partie du mensuel.
Sophie Chambon