Fantasy Concord 2012
Voilà bien de quoi faire taire une fois pour toute les grincheux qui ne voient dans la jeune bassiste qu’une sorte de poupée jolie, faiseuse de scène, une show woman qui serait bien mignonne mais sans talent. Combien de fois avons-nous entendu cette même et vieille histoire. Esperanza Spalding ne serait donc qu’un pur produit marketing ?
Songez pourtant que tous se pressent autour d’elle, soit pour jouer dans son dernier album (et la liste est longue : Jack de Johnette, Joe Lovano, Terry Line Carrington, Gretchen Parlato, Lionel Loueke, Lalah Hattaway – la fille de Donny, Jeff Lee Johnson…), soit juste pour venir en studio lui prodiguer des conseils (Wayne Shorter, ¨Prince, rien moins que ceux-là). En seraient-ils réduits à faire le pied de grue devant le phénomène du moment ?
Mais là n’est pas l’essentiel car si l’on ne dit que cela, on ne fait finalement que du name dropping, en oubliant l’essentiel.
Revenons à l’essentiel. Esperanza Spalding démontre ici avec ce nouvel album qu’elle est à elle seule un concentré de talents. Incroyable instrumentiste bien sûr ( une ligne de basse à tomber par terre comme sur Endangered species ou sur Crowned and kissed ou Let her) , une compositrice au talent fou ( Cinnamon trees, Radio songs, vague suspicions) où elle allie des chansons aux lignes mélodiques simples à une complexité harmonique qui tire tous les enseignements de Shorter. Ajoutez qu’elle est une chanteuse d’une joyeuse candeur, remarquable de fraîcheur et une arrangeuse qui, avec l’aide de Gil Godstein, fait de véritables prodiges en post prod. Mélangez tout ça, mettez-y un groove terrible dans une veine funky avec une pointe de revival 80’s et vous en faites un album au plaisir absolument délectable. Et tout cela sans jamais céder à la moindre facilité commerciale. Car si le plaisir est évident, la musique ne cède en effet jamais à la facilité d’un easy listening. Au contraire la musique d’Esperanza Spalding séduit aussi bien les amoureux du groove que ceux d’une musique exigeante. Rare opportunité, Wayne Shorter l’a même autorisée à mettre des paroles sur Endangered species tiré de l’album Atlantis ( ce qu’il refuse toujours par principe). Mais parfois, elle se limite à l’essentiel comme sur I can help it morceau chanté par Michael Jackson ( dans « The Wall ») et écrit par Stevie Wonder, où la bassiste choisit d’adopter finalement la version récente chantée par Gretchen Parlato avec l’accord (et même les voicing) de la chanteuse. Comment ne pas voir aussi les hommages qu’elle rend parfois à Herbie Hancok dans ces contours mouvants, déconcertante au point que parfois sa musique peut perdre en lisibilité pour les distraits, ceux qui n’ont qu’une oreille un peu zappeuse.
C’est groovy en diable, c’est foisonnant de milles richesses. Et dans ce parfum revival, c’est aussi terriblement moderne. Esperanza Spalding ré-enchante le funk !
Et voilà bien un album remarquable d’un optimisme décapant. Tous les musiciens qui l’accompagne se donnent à fond avec juste ce qu’il faut de savoir faire. Ensemble ils créent le « son ». A 28 ans la chanteuse de Portland, après avoir signé un album un peu décevant (Chamber Music Society) montre ici une autre facette de son talent, impose ses choix et sa vison du jazz d’aujourd’hui. À découvrir de toute urgence.
Jean-Marc Gelin
Attention quand même à ne pas se laisser abuser par ce clip de démo ridicule qui ferait plutôt penser à une pub américaine pour une compagnie d'assurance vie !
Ou comment détruire l'image d'une artiste avec une comm' inepte