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2 août 2011 2 02 /08 /août /2011 23:11

pochette Conflicts Conclusions

Daniel Erdmann, Hasse Poulsen, Edward Perraud
Conflicts & Conclusions
Das Kapital plays Hanns Eisler
Das Kapital Records/ L’autre distribution

 
« Seul celui qui comprend son temps peut s’en libérer », lit on dans les notes de pochette du second opus de Das Kapital plays Hanns Eisler. On avait laissé le trio à Ballads and Barricades, aux prises avec un projet qu’ils revendiquaient fortement, celui de rendre compte de l’engagement social encore plus que musical de Hanns Eisler, compositeur allemand ballotté dans la  tourmente des années de guerre…
Aussi nos trois compères replongent sans hésiter dans le passé et la musique de l’époque, conscients plus que jamais que l’art est la grande centrifugeuse de l’histoire.
Mais qui était donc Hanns Eisler ?
Né en 1898 à Leipzig, mort en 1962 à  Berlin Est, il fuit le régime nazi en 1933 pour se réfugier à Paris, puis à Londres avant de s’exiler aux USA , sur la côte ouest. Alors qu’il contribue à l’industrie cinématographique en écrivant des musiques de films dont le très intéressant Scandal in Paris, une variation très libre sur la vie d’Eugène François Vidocq, de Douglas Sirk [auteur de mélos flamboyants], il est rattrappé par le Maccarthysme et les hommes de l’infâme Edgar.J.Hoover. Accusé d’être le ‘Karl Marx de la musique’, il  est obligé de fuir à nouveau alors que son frère est emprisonné. Hanns Eisler  finira sa vie en RDA, où il composa d’ailleurs l’hymne national Auferstanden aus Ruinen.
Comment relire aujourd’hui quelques-unes des compositions de cet artiste atypique du XX e siècle, élève de Schönberg, compositeur de  musique de chambre d’avant-garde avant de rencontrer Kurt Weill et Bertold Brecht, écrivant des musiques de film avant de revenir à des airs populaires de l’ex RDA ?
Voilà en quatorze pièces, un disque simplement harmonieux si ce n‘est franchement révolutionnaire, très cohérent  dans son propos, politique,  résolument engagé et joyeusement libre.
Il est vrai que le trio européen ( un Français Edward Perraud, un Danois Hasse Poulsen, un Allemand  Daniel Erdmann), a su s’approprier cette musique avec l’incandescence qu’on lui connaît par ailleurs. C’est à dire que s’il ne l’a pas tout à fait « inventé » cette musique, faite de mélodies essentiellement populaires, elles sont  jouées ici allègrement à la Kapital way, avec un kapital « K ».
On écoute donc le doux «Wiener lied», «Coal for Mike» aux accents coltraniens, la somptueuse ballade « Misguided love » presque sussurrée à nos oreilles.
Quoi ? Pas de frissons de free ? Juste la guitare d’Hasse Poulsen, pas préparée ici,  plutôt son «seventies » : dans « Peace song » , cela commence « yéyé » pour virer hard rock,  tout un esprit d’époque revisité, alors que sur « All or nothing », le rythme flirte résolument avec le mambo, autre danse prisée avant et  après guerre. Quant à l’hymne de la RDA sans être assimilé à une bluette, il est joué avec un certain entrain, peu compatible avec une antienne nationale, si on le compare à l’emphase de la Marseillaise par exemple .
Ces musiciens sont tous préoccupés  par l’histoire, obnubilés par elle même : ils s’efforcent de souligner constamment ce qui nous rattache à ce passé proche. Comme on les comprend et pourtant nulle nostalgie, la période qui les inspire est loin d’être radieuse…
Batteur et percussionniste, coloriste et rythmicien, Edward Perraud que l’on ne peut imaginer sans avoir en tête la photo de Bruce Milpied *, raconte une histoire avec des changements de rythme, des ruptures franches qui collent à une alternance de pièces vives et douces : parfois cela commence comme un doux murmure et se termine par un fracas d’électricité contrôlée, vraiment peu statique !
Quant à Daniel Erdmann, que l’on a gardé pour la fin, à chaque fois, c’est la même séduction, immédiate, à l’ écoute de ce saxophoniste inouï, vibrant, tout en souffle, impressionniste ou fougueux…Ah l’effet Erdmann !
Il est manifeste que cette musique reconstruite à trois est structurée, parfaitement élaborée, continuant l’histoire sans oublier les (re)pères , en marchant dans les pas des aînés  « To those who came before” suivi de « To those who came after ».
Attentifs, délicats et terriblement lyriques, sans fébrilité excessive : paradoxalement, ce bel album finit sur une élégie américaine double, hollywoodienne, musclée mais comme le disait Faulkner, qui avait cependant fini par en prendre son parti, qu’il était dur de travailler « dans les mines de sel de Hollywood » !
 
Sophie Chambon
 
    •    Allez vite découvrir le site de ce merveilleux photographe dont on vous reparlera : http://brucemilpied.fr
    •     Remarquez la très intéressante pochette avec un livret très documenté et une belle photo de couverture travaillée par Edward Perraud justement !

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1 août 2011 1 01 /08 /août /2011 14:12

Petit Label 2011

 Verona_solitude_du_roi_w.jpg

L’envoûtement est immédiat avec «La solitude du roi», dès les premières notes, évoquant instantanément de fugitives visions, des aplats de couleurs, papiers découpés de Matisse dans «La tristesse du roi», l’ivresse de vapeurs volatiles dans «La part des anges»… François Chesnel, le pianiste du groupe a écrit la plupart des titres, suite de compositions-comme un livre d’images- qui s’ouvre et se referme sur une variation de « Ugly beauty » de Monk, titre oxymorique à la mélancolie insidieuse.

Si Barney Wilen disait que le jazz  pouvait (nous) garder de sombres pulsions, il n’est pas sûr, à l’écoute de cette musique envoûtante, que l’on n’ait pas la tentation de s’abandonner à elles, par instant seulement -nous ne voulons pas troubler nos lecteurs en cette fin d’été proprement asphyxiante- pour aller voir de l’autre côté du miroir…

Plongeons dans la musique de cet ensemble qui répond au joli nom de VERONA : des morceaux doux alternent avec d’autres plus enlevés comme ce «Thrill»  surprenant, proprement excitant qui suit le cri final de « 4D ». Comme si chaque tentative d’évasion ramenait au point de départ, le sens échappant sans cesse.

 
Présentons donc ce groupe qui s’inscrit dans le travail magnifiquement jazz du collectif PETIT LABEL : dans cette famille unie qui niche à côté de Caen (Calvados-Basse Normandie), on connaissait le pianiste  François Chesnel (Kurt Weil Project, Renza Bô), le saxophoniste Yoann Loustalot (Grand Six-De la Jungle
,  Kurt Weil Project), le trompettiste Pierre Millet (Renza Bô) …

Vous l’aurez compris, tous ces musiciens jouent dans d’innombrables groupes - c’est une obligation pour survivre aujourd’hui - formant une nébuleuse dont on ne se lasse pas… de découvrir les nouvelles étoiles.  Car nous sommes loin d’avoir épuisé tout le potentiel du Petit Label.

Mais dans ce quartet au titre « poisson » ou « cité vénète », on découvre un saxophoniste inspiré Rémy Garçon, qui s’appuie sur une rythmique subtile, irréprochable,  jouant l’imprévu (Bernard Cochin à la contrebasse, et Ariel Mamane à la batterie).

Après un démarrage impressionnnant du saxophoniste, c’est le contrebassiste sur GG en particulier qui prend le relais, avant que le saxophoniste ne reprenne son envol sur 4 D, exhalant sa plainte. Jouage efficace, interaction active, ils sont quatre et cela suffit à notre bonheur.

Un thème de Paul Motian, « Once around the park », repris en forme de complainte  un rien désabusée, parfume le « mood » d’un climat de roman noir : « chaque silence est une musique à l’état de gestation ». S’entendent inquiétudes et désirs dans ces phrases, le poème d’une certaine solitude, alors que résonne le dialogue d’un saxo éploré et d’un piano vigoureux, à vif.

Inventif et crépusculaire, cette Solitude du roi ouvre des pistes innombrables, réveille des souvenirs, captive… et surprend aussi comme dans la relecture finale d’ «Ugly beauty ».

Comme si la traversée de l’album par ce quartet avait aboli le temps-espace, apportant force et vigueur nouvelles, régénérant notre mémoire, stimulant notre imagination. Le final enchanté, enchanteur, échappant au jeu des figures obligées et des passages imposés, ouvre sur un espace de liberté. Ainsi, ce Cd captive de bout en bout, pourvu que l’on accepte de suivre Vérona en eau profonde !

 

Précisons que le disque, publié à cent exemplaires a une pochette imprimée par les soins d’un autre atelier de sérigraphie coopératif, l’encrage. On aime vraiment cet OBJET DISQUE particulièment attachant, qui pourrait bien devenir « collector ». Et en plus, la série des « Petit label » aura une place de choix dans une discothèque… NON virtuelle…

 

Sophie Chambon
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22 juillet 2011 5 22 /07 /juillet /2011 08:48


binney_barefoot.jpg
Criss Cross 2011
David Binney: alto saxophone, voice; Ambrose Akinmusire: trumpet; Mark Turner: tenor saxophone; David Virelles; piano; Eivind Opsvik: bass; Dan Weiss: drums.
 
Il y a chez David Binney quelque chose qui relève de l'art des modestes. De ceux qui ne cherchent pas la lumière à tout prix mais qui l'attirent quoiqu'ils fassent parce que tout simplement ils semblent plus  inspirés que d'autres. Il y a l'extrême raffinement et l'élégance du jeu du saxophoniste. Un jeu  classieux comme sur les traces d'un Charlie Parker moderne. Quelque chose qui relève de la grâce.
Le jeune saxophoniste de Floride est depuis quelques temps considéré comme l'un des tout meilleurs représentants de la scène New-yorkaise. Son phrasé est empreint d'une fluidité incisive , au tranchant légèrement émoussé. L'élève de Phil Woods, connu pour ses participations aux orchestres de Gil Evans ou de Maria Schneider ( où il côtoya une autre prodige, Donny Mc Caslin) donne, dans son jeu, le sentiment d'un incroyable maitrise mais aussi d'un feu animé d'une douce passion. Pas besoin chez lui d'emphase et de lyrisme exagéré. Son jeu est tout autre. Avec une part de féminité et de douceur qui en fait un saxophoniste terriblement attachant. Parmi les albums ce très prolifique saxophoniste on se souvient encore du bel album qu'il avait signé en 2008 ( "Out of Airplanes" sur son propre label Mythology) ou encore et surtout de "Welcome to life" qui l'avait précédé d'un an. Cette année le saxophoniste, outre cet album aura aussi publié sur son propre label "Graylen epicentre" en compagnie de Chris Potter.
Avec un réel sens du partage, David Binney offre ici à ses camarades de jeu et notamment à Ambrose Akinmusire et au ténor Mark Turner, la matière même d'une réelle complicité. Un climat en quelque sorte. Et un solide ancrage dans ce jazz moderne de New-york qui se prêche dans les clubs de la mégapole. Il y a aussi dans l'écriture de David Binney une vraie recherche du contre-chant à la manière des grands classiques. Car Dave Kinney est un musicien d'une autre époque que l'on aurait bien vu naitre à la renaissance ou aux heures monastiques du chant grégorien. "Savant" dans l'agencement des chants, "sachant" dans tous les ressors harmoniques. La montée en puissance sur le titre éponyme et sur cet ostinato du pianiste en illustre aussi toute le potentiel dramatique avec ces voix qui s'élèvent dans le ciel et créent après l'expression de passions exacerbées une esthétique d'un calme presque monacal et mystique.
Même si l'on a pas le sentiment de renverser ici les montagnes ( aucune révolution ici) il n'empêche que cet album est réellement séduisant. On aime chacune des interventions du jeune trompettiste d'Oakland. Et la complémentarité de David Binney et de Mark Turner ( qui joue beaucoup plus sur la continuité du discours plutôt que sur les contrastes) est une des belles découvertes de cet album bien honnête et carrément attendrissant.
Jean-marc Gelin

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15 juillet 2011 5 15 /07 /juillet /2011 22:33

STEFON HARRIS, DAVID SANCHEZ, CHRISTIAN SCOTT : «  Ninety Miles »

CD + DVD Concor Jazz 2011

Stefon Harris: vibraphone; David Sánchez: tenor saxophone; Christian Scott: trumpet (1-3, 5-8); Rember Duharte: piano (1, 6 8), voice (6); Osmar Salazar: electric bass (1, 6, 8); Eduardo Barroetabena: drums (1, 6, 8); Jean Roberto San Miguel: batá, congas, percussion (1, 6, 8); Harold López-Nussa: piano (2-3, 5, 7, 9); Yandy Martinez Gonzalez: bass (2-3, 5, 7, 9); Ruy Adrian López-Nussa: drums (2-3, 5, 7, 9); Edgar Martinez Ochoa: congas, djembe, percussion (2-3, 5, 7, 9), batá (4).

stefon-harris-ninety-miles.jpg Les chanceux qui étaient en mai au Duc des Lombards n’en ont pas perdu une miette. Tous en sont revenus des étincelles dans les yeux et des pépites dans les oreilles. Je me souviens avoir rencontré ce soir-là un copain qui arrivait au concert de Kurt Elling et qui me dit : «  bon je reste  quelques minutes mais ensuite je file au 2ème set de Stefon Harris » et de rajouter «  c’est une tuerie ! ».

Alors tant pis pour ceux qui n’étaient pas à  ce concert, ils pourront toujours se consoler en se retrouvant la vibraphoniste dans cet enregistrement en studio qui n’est certes pas de la même veine mais assez hautement énergétique pour s’en donner un aperçu fidèle.

C’est au départ un projet un peu iconoclaste que de réunir ces trois musiciens avec en toile de fond un quartet cubain de la Havane pour assurer une rythmique pétillante. Mais en réunissant ces trois musiciens aux univers assez éloignés, le label Concord a plutôt bien réussi son coup. Car c’est un jazz ici de très haute volée, fait pour le studio mais avant tout et surtout pour la scène comme en témoigne ce bouillant City Sunrise où Sanchez et Scott rivalisent pour faire monter une température que l’on imagine bien en version « live-jusqu’au-bout-de-la-nuit ».

Chacun des trois héros de cette session endosse alors à tour de rôle son habit de lumière dans des chorus à haute température.

David Sanchez s’inscrit parfaitement dans la lignée de ces saxophonistes porto-ricians vivant à new York, flamboyant et magnifique, référence certainement majeure du sax à New York aux côtés de son compatriote Miguel Zenon ( dont au passage, le prochain album qui sortira en octobre est – j’ai eu la chance de l’entendre en prime- un petit chef d’œuvre). The Forgotten Ones donne à Sanchez l’occasion d’exprimer un doux feeling saisissant sur des motifs ultra simples. Son entente avec le trompettiste est tout au long de l’album une totale évidence.

Christian Scott, justement, moins frimeur qu’à l’accoutumée s’impose ici par la puissance de son « son » et par l’énergie fulgurante qui transperce tout. Celui qui nous avait épaté dans son rôle de «  Miles » dans l’hommage de Marcus Miller à « Tutu » endosse ici un tout autre rôle (E’cha ou Congo) celui du trompettiste mordant son embouchure comme un mort de faim ( Black Action Figure)

Mais la palme, la révélation, le nirvana revient certainement à un Stefon Harris qui sous ses mailloches semble réinventer l’instrument. Pas besoin de grand chose, pas besoin de beaucoup d’espace pour tout simplement s’imposer et imposer son discours. Stefon Harris moins percussif qu’agile, à la manière d’un chat patte de velours distille avec classe et élégance un groove souple et irrésistible ( Black Action figure ou Brown bell blues). Tout au long de l’album qu’il soit soliste ou qu’il assure la rythmique, Stefon Harris est omniprésent. On entendrait presque que lui, véritable star de cet album.

Autre petit « bonbon » à déguster sans modération, petite cerise sur le cadeau, les interventions du pianiste Harold Lopez Nussa sur 5 titres auquel l’autre pianiste Rember Duarte donne une bien belle réplique. Sur les autres titres.

Il y a dans cet album-là un mix entre une musique latina caliente et un jazz post bop plus hardore et fusionnel qui fait monter une sauce qui prend à tous les coups. A la fois sombre et brillante, cette musique-là peut vous entraîner loin.

Jean-Marc Gelin

 

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12 juillet 2011 2 12 /07 /juillet /2011 20:34

JOSHUA-REDMAN-James-Farm.jpgJoshua Redman (ts, ss), Aaron Park (p), Matt Penman (cb), Eric Harland (dm)
Nonesuch 2011


Le distributeur ne nous ayant pas fait parvenir cet album, c'est donc à l'aveugle et sans dossier de presse que nous nous lançons dans la chronique de ce bel opus réalisé par un formidable quartet américain inédit. 
L'autre jour à un concert, un voisin me disait  "l'inconvénient avec tout ces jeunes sax américains c'est qu'ils se ressemblent tous. A l'époque du hard bop au moins on faisait la différence entre Mobley, Coltrane ou Dexter". Celui là ne devait certainement pas inclure Joshua Redman dans ses litanies.  Car il est évident dès les premières notes jouées par le saxophoniste de Berkeley que l'on reconnait sa marque de fabrique, la puissance de son jeu, le lyrisme et le groove omniprésent de ce son qui tranche dans le vif clair comme une lame de sabre et ciselé au fleuret. Et chez le saxophoniste cette marque, si séduisante de l'époque de l'Elastic Band. Celle d'un saxophoniste déjà légendaire qui a lui seul illustre le syncrétisme entre le jazz des origines ( quelle façon de jouer le blues ! Formidable lenteur sur Star Crossed), celui qui lui vient de son père ( le regretté Dewey) et ce funk moderne qui traine ses guêtres dans les clubs de big apple et qui l'ancre dans une réjouissante modernité incandescente du jazz (Polliwog é pour faire un tube).
Mais au delà du simple talent de Joshua Redman, il y a dans cet album cette art de rendre à nouveau le jazz populaire, de le moderniser, de l'amener à un public large sans renier d'un pouce sur l'exigence de la qualité du jeu et des compositions. Certes d'aucun pourront critiquer le côté un peu formaté de ces dernières qui semblent entrer dans un moule assez consensuel. Sauf qu'il y a dans ce jazz là autant d'exigence de que fluidité dans l'écoute. De refus de tout easy listening tout en restant accessible. Parce que ces musiciens expriment que le jazz est aussi une façon d'animer, d'insuffler de la  vie, brute avec cette pointe de sauvagerie ici domptée et maîtrisée.
Et l'ensemble devient assez rapidement prenant, entraînés que l'on est par cette façon de délivrer un jazz toujours alerte, parfois "heureux" (1981), parfois sombre ( comme sur Star crossedoù une réelle intensité dramatique s'installe), voire même une légère pointe d'orientalisme( Coax) et toujours ce sens du groove terrible que le quartet insuffle avec des allures de mauvais garçons  comme sur I-10où Joshua Redman qui semble jouer loin du micro donne un son métallique moins policé, plus râpeux à son ténor. Même si ce n'est pas son instrument de prédilection, Redman livre aussi un beau thème au soprano sur Low fivesoù la puissance de son jeu se met au service d'un discours plus mélancolique.
Le quartet sans toutefois que l'on s'autorise pour autant à parler de "grand disque" joue la carte de l'efficacité. Les thèmes y fonctionnent à merveille avec une énergie qui circule et un quartet formidablement fusionnel. L'association magique du moment est celle du duo très demandé Matt Penman et Eric Harland ( de cette association qui nous fait penser a celle de Brian Blade et Jeff Balard) . Et Aaron Park quant à lui impressionne par sa présence et s'impose en leader de la section rythmique avec puissance et une précision diabolique.


Jean-marc Gelin

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5 juillet 2011 2 05 /07 /juillet /2011 08:41

Kind of Blue 2011

Samuel Blaser (tb), Russ Lossing (p), Thomas Morgan (cb), Paul Motian (dm)

 BlaserSamuel_ConsortInMotion_w-2.jpg

Il y a des albums dont on pourrait parler comme de véritables ouvrages.  Ou comme des études presque littéraires. De ces albums qui portent véritablement en eux un vrai propos. C'est exactement le cas de cet album fourmillant d'intelligence que le tromboniste suisse consacre pour une grande partie a la relecture de pièces de Monteverdi. A une approche jazz de la musique de la renaissance et baroque.

Samuel Blaser qui vit entre New-york et Berlin, deux haut lieux de création s'il en est livre en effet une passionnante exploration personnelle de cette musique, matériau précieux et base de digressions abstraites, de libres improvisations à partir d'un support sur la base mélodique au plus proche de l'original et qui évoque bien sur les arias de celui qui fut l'inventeur de l'Opéra.

Samuel Blaser qui s'apprête a publier tout prochainement un album en compagnie de Marc Ducret et de Gerald Cleaver, est un musicien rare. Pas seulement l'instrumentiste exceptionnel qui libère le trombone de tous ses carcans pour lui donner ici une expressivité sublimée, mais aussi un musicien qui propose, un musicien qui invente, qui crée et qui donne vie à ce qu'il crée. Un musicien en mouvement en quelque sorte.  Maitre en animation, en "renaissance" en quelque sorte, au sens littéral de redonner vie à ce qui n'est plus. Travail d'orfèvre aussi.

De cette musique-là on entend bien la respiration intérieure. Elle ouvre des espaces d'improvisations très libres autour de ce que l'on pourrait appeler des variations. L'esprit "free" (au pied de la lettre) peut s'y retrouver quant à la liberté que les musiciens s'y accordent. Liberté formidablement encadrée par les talents d'arrangeurs de Samuel Blaser. C'est bien là l'esprit de ce mouvement historique (La Renaissance) : la liberté de création encadrée dans des canons académiques et formels.

A ses côtés, Paul Motian est ici le coloriste de l'ensemble, au pinceau fin et subtil. Ses effleurements de peau donnent le frisson. Quant à l'entente avec le pianiste helvétique Russ Lossing, elle éclate ici, là où chacun propose sa propre lecture, sans que l'on sache vraiment si l'on est dans le domaine de l'improvisation ou de l'écrit.

Et il faut absolument venir et revenir sans cesse à cet album qui recèle de vraies merveilles cachées.  Découvrir le jeu fascinant de Samuel Blaser dont le discours captive et fascine. Aucun développement linéaire mais des reliefs et des sons, des sons râpeux au grain épais, des glissandos plaintifs, des growls qui arrachent des bouts de terre et de ciel,  des évocations comme des récitatifs magnifiquement incarnés. Y revenir toujours. Et découvrir ces digressions sur Frescobaldi ou encore sur cet émouvant Ritornello de Monteverdi. Il y a cette approche de la musique où celle-ci est si expressive qu'elle semble presque nous parler et discourir avec nous.

Et dans cet album aux milles contours l'émotion qui effleure toujours avec légèreté pour ceux qui y prêterons l'oreille.

Grand disque

Jean-marc Gelin 

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4 juillet 2011 1 04 /07 /juillet /2011 13:35

POST SCRIPTUM

Sortie le 4 juillet 2011

ECM

wolfert.jpeg

Voilà encore un album ECM, saisissant de «force tranquille», apaisant et intense. Dire qu’on reste en famille est une évidence : le leader est un pianiste hollandais -inconnu de nous jusqu’alors- dont le premier disque, Currents,déjà chez ECM, avec la  même formation, remonte à 2008. Il avait cependant participé à quelques uns des enregistrements ECM de la chanteuse suisse Suzanne Abbuehl, entre autre, le splendide April, en 2001. 

Le pianiste a trouvé un compagnon idéal pour une aventure musicale de cette teneur, en Claudio Puntin, clarinettiste suisse, qui, avec son phrasé aéré et sa manière de faire respirer la musique, apporte fraîcheur et sentiment à cet intrigant Post Scriptum. Quatorze pièces plutôt courtes s’emboîtent dans le puzzle de ce tableau musical, autant d’images sonores d’une forme souvent expérimentale.

Cérébrale et sensible dès le premier titre «Meander», que peut bien évoquer cette musique ? Une ville, une couleur, les méditations d’une journée, d’un mois, voire une saison ? On n’en saura guère plus mais les compositions coulent, ponctuées d’affirmations mesurées le plus souvent, avec cependant quelques ruptures ou emballements toujours inattendus. La jouissance du son le dispute à la pertinence du propos, constituant une invitation à la liberté d’écoute, de jeu, de sens. Une très belle circulation de timbres fondée sur une palette instrumentale douce et insistante, dans une atmoshère classique. Mais si on ne pense pas au jazz, il finit par revenir de lui même !

Cristallin et profond, le piano se joint aux coulées de la clarinette dans la confidence de ce «Silver cloud» dont les variations illustrent la pochette d’un bleu métallique. Dans l’élégiaque « Angelico », il ne parvient pas à troubler la quiétude de la ballade, les graves de la contrebasse et de l’arco de Matts Eilertsen, agissant au contraire de façon apaisante, en contrepoint de la délicate clarinette.

De concert, sans concertation apparente, puisque l’improvisé est joué avec aisance, voilà une leçon d’équilibre qui parvient à cette forme d’intensité par la maîtrise du silence, l’audace du manque.

La sobriété de chacun, les interventions subtiles et veloutées, la batterie raffinée de Samuel Rohrer, font de cet album un ensemble étrangement intemporel, qui dégage une émotion douce mais peu banale, sans sensiblerie, ni effets trop appuyés. Une musique qui ne coule pas de source mais d’évidence possède une énergie fluide. Un pari réussi, forme et fond en adéquation, jamais dans l’abrupt et les stridences.

Décidément les Nordiques ont une façon passionnante de faire de la musique,de concilier classique et jazz,qui résiste à toute tentation, tentative de facilité. Que ce Post scriptum soit suivi d’une longue suite, c’est ce que l’on peut souhaiter à ce groupe prometteur.

Sophie Chambon  

 

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3 juillet 2011 7 03 /07 /juillet /2011 11:22

www.bigfourquartet.com

2011

Julien Soro (as, ts), Stephan Caracci (vb), Fabien Debellefontaine (tuba), Rafaël Koerner (dm)

big-four-quartet.jpg

Deuxième album du très remarquable et très remarqué Big Four quartet. Remarquable assurément autant par la somme des talents qu’il agrège que par l’instrumentum très original qu’il réunit. En effet en associant un vibraphone et un tuba en lieu et place d’un couple piano-batterie, Julien Soro, pierre angulaire de ce projet contribue à la création d’une matière sonore originale.

Alors c'est mutin. C'est le lieu où l'énergie et la puissance deviennent ludiques. Dans leur musique l'influence d'un Tim Berne d’un Steve Coleman ou d’un Henri Threadgill. Celle d'une musique aux confins du jazz, du rock et de la musique contemporaine (même si ce raccourci réducteur n’aurait en soi rien de très original), se jouant des métriques et des grilles harmoniques.

Big Four tourne beaucoup autour du son de l’incroyable saxophoniste leader, Julien Soro dont la simple puissance évocatrice du jeu dynamite tout. Depuis plusieurs années déjà on a repéré Julien Soro comme l'un des plus talentueux de sa génération. Après avoir littéralement porté son groupe Gaïa sur plusieurs tremplin de jazz, puis être passé dans le quatuor des saxophones aux côtés de Chautemps, Jeanneau et Jean-Charles Richard, Julien Soro s'impose aujourd’hui avec Big Four comme l'un des saxophonistes de référence en France. La puissance et surtout la densité de son discours sonne comme un fleuve irrépressible, massif, avec cette épaisseur qui donne du poids au discours. Entendre par exemple son introduction sur Bientôt l'heure ou Svp pris d'assaut par Julien Soro alors que la rythmique rivalise de dynamisme insufflé.

Mais ce sont 4 « sons unis » et il y a des associations dans ce groupe. Le tuba ( qui remplace la basse traditionnelle) et la batterie. Le sax et les nappes souples du vibra de Stephan Caracci (vibraphoniste que l'on entend entre autre chez Raphaël Imbert) et qui imprime magnifiquement sa science de l'harmonie, son sens de l'accompagnement et des sonorités presque électriques et parfois lunaires. Et toujours cette belle empathie du groupe comme sur la Septième parole où l’on est impressionnés par le soin partagé à façonner l’ouvrage. C’est un peu comme si l’on voyait sous nos yeux une mécanique interactive se mettre en branle comme sur cet Automne a trois temps où l'on visualise presque les rouages et engrenage d'un collectif qui "tourne" ensemble. Et il y a le sens du détail et du compagnonnage. Pas étonnant que presque tous les membres de ce quartet se retrouvent tous dans le Ping Machine de Fred Maurin, autre belle et formidable mécanique.

Les compositions, toutes signées de Julien Soro et révèlent une écriture de grande qualité formelle. Sans trop forcément rechercher les espaces, Soro parvient à créer une musique exigeante qui laisse place au jeu collectif et remplace les contre-chants par des mécanismes de questions-réponses cachés derrière le soliste. Remarquablement efficaces ces compositions nous bousculent parfois et nous sortent de toute tentation d’easy listening. Cet album se découvre pour ceux qui en feront l’effort.

Mais, revers de la médaille, ces compositions manquent parfois de direction claire. Ainsi par exemple cette relance sur Nos Sons Unis alors que l’on aurait peut être souhaité une coda plus « attendue » ou encore une prise alternative de Boule de neige qui aurait pu aussi être évitée.

Reste la force de cette musique passionnante et créative en diable et la puissance de son leader qui passe et emporte, comme dans cet Automne à trois tempsoù le jeu passionné de Soro s’impose comme l’un des moments forts de cet album.

photos-2010-2011 0951Jean-Marc Gelin

 

Big Four Quartet sera en concert au Parc Floral dimanche 3 juillet

La sortie officielle de l’album est prévue pour le 8 septembre au Sunset à Paris

 

 

 

 

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1 juillet 2011 5 01 /07 /juillet /2011 09:24

Naïve 2011

Elie Dalibert (as), Manuel Adnot (g), Arthur Narcy (dm)

 Sidony_box_Pink_Paradise.jpeg

Ce jeune groupe retenu par Jazz Migration l’an dernier et vainqueur du trophée jazz à Vienne fait à nouveau sensation pour  son (déjà) deuxième album. Ce jeune groupe qui fonctionne sur une base, on ne peut plus simple (sax, guitare, batterie) semble réinventer et moderniser l’art du trio. Composant presque tous leurs morceaux collectivement ils manient en effet l’art de la dramaturgie musicale avec brio. Avec trois instruments et des nappes électriques qui viennent souligner le trait ou étirer les sons, ils créent des atmosphères de polar, des sentiments d’angoisse, ils créent de l’espace, de l’émotion brute. Cette émotion vient du rock c’est sûr (j’ai même pensé, aller savoir pourquoi, à Jeff Buckley allant jusqu’à oublier qu’aucun ne chante ni ne vocalise). Les trois musiciens soulignent légèrement un  propos mélodique comme une sorte d’argument, de prétexte à leurs développements (au sens littéral de ce qui précède le texte). Ici joue l’alternance d’une prédominance « jazz » soulignée par le sax d’Eie Dalibert et « rock » portée par la guitare de Manuel Adnot avec dans le rôle de l’entremetteur créateur de reliefs, Arthur Narcy à la batterie. Et cette alternance et aussi une alternance de jeu dans le jeu lui-même (l’improvisation) et le non-jeu ( les étirances sonores). Car il s’agit moins ici de se lancer dans des développements lyriques que de contribuer à la création collective d’un son et d’un poétique.

La musique est construite sur des émergences, comme celle d’un ostinoto rock (Tatooine), sur l’apparition de sons saturés ( Wilson) ou au contraire dépouillé à l’extrême ( comme sur ce Léman qui étire la note sur près de 10 mn, créant des résonances poignantes comme à la vue d’une toile minimaliste. Des montées paroxystiques mais jamais chaotiques laissent place à des descentes planantes comme sur ce titre éponyme, Pink Paradise où la musique dit plus que la musique elle même.

Tout est fait pour raviver l’intérêt de l’auditeur en faisant ainsi se succéder des moments forts, des moments de vie à la fois denses et palpitants.

Au final Ultimate Pop song vient clôturer de manière encore une fois bouleversante cet album qui ne peut laisser indifférent. Sidony Box s’impose alors définitivement comme l’un des groupes les plus intéressants du moment sur la trace de ses grands frères au titre desquels on rangerait volontiers Limousine.

En explosant les frontières musicales avec une cohérence remarquable, en suscitant un imaginaire artistique, Sidony Box intègre et assimile avec une modernité captivante l’art universel du trio.

Jean-Marc Gelin

 photos-2010-2011 0951

Sidony Box fait partie d’un colelctif d’artiste passionant 1Name4Acrew : voir le site http://www.1name4acrew.com/site/

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18 juin 2011 6 18 /06 /juin /2011 08:57

Label Cristal records/ Harmonia mundi

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Voilà un disque éminemment réjouissant qu’il convient de déguster simplement : un jazz classique, lisible, et bien vivant  dès la pochette où les cuivres s’offrent à nous, resplendissant en un bouquet final … à Nice, reine de la Côte d’Azur, l’une des capitales historiques du jazz . Ainsi se présente le NJO (Nice Jazz Orchestra), orchestre rutilant créé en 2008 par des enfants du pays, à l’initiative du saxophoniste Pierre Bertrand, du contrebassiste Christian Pachiaudi et du batteur Alain Asplanato, avec les meilleurs solistes de la région.

Dans cet album sorti sur le label Cristal, le Nice Jazz Orchestra, composé de 17 musiciens, fait son festival justement. A sa tête, l’un des spécialistes de la direction d’orchestre, un as de l’arrangement, un maître de la composition, Pierre Bertrand. Ce sudiste n’en est pas à son coup d‘essai puisqu’il a créé avec son compère, le Toulonnais d’adoption Nicolas Folmer, cet autre grand format, le Paris Jazz Big Band. Il invite d’ailleurs ce dernier ainsi que le clarinettiste mentonnais Stéphane Chausse, l’accordéoniste Frédéric Viale, les chanteurs du Sashird Lao ..

De quoi créer une multicolor feeling fanfare qui tire le big band vers un marching band sur des thèmes chantants comme la « Grande parade boogaloo », hommage au premier festival de jazz de Nice.

L’album s’ouvre par un délicat « My funny Valentine » en hommage au regretté François Chassagnite, trompettiste du NJO (ce fut son dernier solo), mort le 8 avril dernier. Le répertoire est composé de standards comme ce « Caravan » où s’illustre au soprano un Jean Marc Baccarini survolté. Personne dans la formation ne rechigne à jouer des standards, les musiciens du NJO, « guests » inclus. Ces standards sont peut-être à dépoussiérer (encore que…) mais surtout à reconquérir, selon la formule de Jean Pierre Como. En liberté, comme ce «Night in Tunisia» qui méritait, cette année plus que jamais,  un vibrant hommage de l’autre rive de la Méditerranée. 

Ces thèmes, au cœur de la musique jazz, d’où partent tant d’autres directions actuelles, sont en perpétuel devenir. Certains ont été rendus célèbres par Nougaro que Pierre Bertrand accompagna en concerts, arrangeant en 2000 pour le Palais des Congrès « Work Song » de Nat Adderley et « The Cat » du pianiste Lalo Schiffrin.

Mais on retrouve aussi des compositions plus personnelles de Pierre Bertrand ou des pianistes Jean Pierre Como (l’un des fondateurs de Sixun), du délicieux Zool Fleischer (« Air comme René »), ou encore de Lalo Zanelli ( musicien argentin de Gotan project). « Paris chaviré » est un thème de Julien Lourau, période Groove gang, qui est transformé en rap slammé aux accents du percussionniste Minino Garay et de Sashird Lao. Difficile ici de citer tous les instrumentistes qui jouent vraiment collectif, servant d’écrin aux envolées toujours appréciées des solistes Stéphane Chausse, Frédéric d’Oelnitz au piano, Fred Luzignant au trombone, Amaury Filliard à la guitare. Quant à Pierre Bertrand, sur deux de ses compositions inspirées de folklores du monde, il prend un solo de flûte aux accents flamenco sur «Haut de Cagnes» et joue à la klezmer, au soprano, en hommage à Jochen Kreuzer sur « For JK ».

 

Tout un festival de couleurs et de timbres rendus par cette formation méditerranéenne, lyrique et tendre, puissante et effervescente qui se présente dans tout son éclat.

Un album roboratif à conseiller en ouverture de l’été qui sera « caliente » !

Sophie Chambon
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