BEE 046
Sortie le 16 juin
BEEJAZZ/ ABEILLE Musique Distribution
Si « la valeur n’attend pas le nombre des années », dans le cas d’Antonin Tri Hoang, la formule semble se vérifier une fois encore.
Après des études de clarinette au conservatoire, le jeune homme découvre le jazz en écoutant Hubert Rostaing, Benny Goodman. Ce qui est en soi, déjà formidable. Il se met à l’alto, quand il découvre le bop et Charlie Parker. Entrant au CNSM, il est repéré à 20 ans par Daniel Yvinek, authentique « talent scout », directeur artistique d’un ONJ nouvelle formule, qui a choisi parmi la jeune scène française des musiciens pluri-instrumentistes, de cultures différentes.
Antonin a intégré l’histoire du jazz, en connaît ses pères et repères mais il a écouté autant Monk que Ligeti ou Sonic Youth.
La suite, on la connaît… Antonin est vite remarqué au sein de l’orchestre et comme il a envie de de voler de ses propres ailes, il se lancera dans une nouvelle aventure, galvanisé par l’audacieux Mohamed Gastli, directeur artistique de Bee jazz, toujours à l’affût de nouvelles aventures musicales.
Composant son premier album, Antonin souhaitait jouer en duo avec un pianiste … Ce sera Benoît Delbecq qu’il admire depuis la nébuleuse Hask, Kartet et évidemment le duo Ambitronix.
Ecoutons le saxophoniste exposer son projet, nul ne saurait mieux en évoquer les lignes directrices :
« Fabriquer des aéroplanes en papier c’est un peu ce que j’ai essayé de faire : composer des structures plus ou moins complètes auxquelles il manquait un angle et une impulsion pour voler. C’est en les jouant avec Benoît Delbecq qu’elles ont trouvé leur trajectoire, leur itinéraire.
Le résultat est un disque étonnant, épuré, de onze pièces, prétextes à une démonstration de sobriété et de finesse, pensées chacune comme une étude d’atmosphère précise, nettoyées de toute scorie. Une parfaite justesse de ton fait de chaque morceau un concentré d’univers musical.
Les deux complices mettent en avant la souplesse de ce jazz de chambre qui n’est jamais mieux servi que quand il est joué avec douceur. Donc une entrée sans fracas, prélude à l’envol qui suit, d’autant plus étonnant qu’on demeure ainsi, longtemps, en apesanteur, porté par de faux rebonds, des suspens harmoniques et rythmiques.
Quelle est la teneur de cette musique ? Délicate et fragile, sans effet virtuose apparent. Benoît Delbecq prépare toujours son piano, accompagne en filigrane, s’impose subtilement en arrière-plan, alors qu’Antonin Tri -Hoang fait entendre son fredon doucement, alternant avec bonheur saxophone alto et clarinette basse. Leur langage privilégie le discontinu, la césure, quand ce n’est pas le retrait, avec cependant des phrases peaufinées, comme polies, qui brillent d’un éclat renouvelé, à chaque intervention d’Antonin. Du coup, Benoit Delbecq se livre avec bonheur au jeu d’un texte ouvert.
C’est qu’à l’encontre du discours actuel, l’émotion seule n’envahit plus le champ musical, dans ce duo qui favorise la circulation du sens poétique : autant de signes qui ne répondent à aucune nostalgie malgré l’apparence du souvenir et une discrète mélancolie qui parcourt l’album.
Soulignons enfin tout l’intérêt de la maquette, des plus originales, dont le graphisme suivant les plis et replis de l’aéroplane fait penser au travail des origamistes. Des citations de Proust, de Gainsbourg (Marilou) et d‘Elena Andreiev, illustrant le titre « Aéroplanes », sont comme autant de prédelles précisant l’exposé narratif d’un tableau -dont on aperçoit d’ailleurs une reproduction de paysage flamand du seizième, masqué par un cache peint à l’aérosol ou à l’acrylique. De quoi emporter définitivement notre adhésion envers ce projet cohérent, esthétiquement réussi, éclectiquement de bon ton.
Hautement recommandé en ce début d’été pour survoler les plages.
Sophie Chambon