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31 mai 2011 2 31 /05 /mai /2011 07:12

Cam jazz 2011

John taylor (p), Julian Argüelles (ts, ss), Palle Danielsson (cb), Martin France (dm)

John-Taylor-Martin-France-Requiem-for-a-dreamer.jpg Avec son  trio de base auquel il rajoute le saxophoniste anglais Julian Argüelles, John Taylor signe un petit album très court consacré à l’écrivain Kurt Vonnegut (1922-2007) dont l’une des œuvres ( non éditée mais publiée dans le magazine In These Times) avait justement pour titre Requiem for a dreamer.

Et c’est sur cette base que John Taylor livre un matériau d’une belle finesse, tout empreint de cette belle rencontre entre le pianiste et le saxophoniste. Musique raffinée s’il en est, qui se donne le temps de déambuler, sans rêverie excessive mais avec légèreté. Le saxophoniste, très suave répond aux couleurs harmoniques données par le pianiste. Car s’il est des batteurs qui par leurs riffs parviennent à relancer les solistes, c’est pour John Taylor par son accompagnement que Julian Arguelles voit toujours ses discours relancés. Car , il ne faut pas s’y tromper, le maître de cérémonie est bien ici le pianiste dont la ligne esthéttique, le parti pris artistique est toujours bien cadré, remarquablement défini dans son écriture. John Taylor en a défini un cadre d’une superbe richesse musicale. Note particulière pour le saxophoniste, malheureusement trop absent de ce côté-ci de l’Atlantique.

Le format court est assez plaisant. Aucune lourdeur de style. Tout est en grâce sans toutefois jouer l’épure.

On aimerait cependant que les 4 protagonistes sortent parfois un peu de cette musique très intime, impose un point d’accroche. A défaut on aura pas trop de mal à se laisser séduire par ces quelques minutes de grâce.

Jean-Marc Gelin

 

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26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 08:04

Mario Canonge (p), Félipe Cabrera (cb), Obed Calvaire (dm), Linley Marthe (b), Chander Sardjoe (dm),

Mario-Canonge.jpg

Avec ses airs un peu ronchon, limite grognon, Mario Canonge risque de nous en vouloir un peu. On va longer les murs et se faire tout petits minuscules. Songez, avec 6 mois de retard, au moment où le père noël s’apprête à vous balancer dans la cheminée tous les cadeaux dont vous avez toujours rêvé, juste à ce moment-là nous découvrons le dernier album du pianiste martiniquais comme une sorte d’ultime pépite dans cette fin d’année morose. Et que l’on ne vienne ici pas nous parler de crise, de déprime généralisée et. Ah que non !

Car ce que nous entendons ici, c’est tout le contraire, c’est l’opulence, c’est la profusion, c’est la délectation à foison d’un pianiste aussi génial qu’hors pair. Chez Mario Canonge le piano semble s’allumer d’un feu jusque là éteint. Son sujet l’inspire. Qu’il s’agisse des poèmes d’Edouard Glissant, des textes de Chamoiseau ou d’Aimé Césaire en l’occurrence.

Prenez ce matériau de base, faîte appel à l’intelligence de son écriture et ce que vous trouverez ici c’est ici un de ces grands (immense) pianistes de jazz capable de vous emporter bien loin. Une présence qui irradie. Mario Canonge c’est la puissance d’un jeu très percussif alliée à une technique exceptionnelle ( ah cette sacrée main gauche capable de vous jouer des contre temps et de marteler des rythmes syncopés !). Avec toujours cet équilibre délicat entre le discret chaloupement et le swing « dur ». J’enrage de le voir mis dans certaines cases comme celle du «  jazz carribéen ». Foutaises. Bien sûr les racines sont présentes mais en filigrane plus ou moins visibles selon les thèmes. Mario Canonge ne renie rien. La créolité de la biguine au Gwo Ka. Noel filao est l’illustration la plus criante d’une créolité qui avance dans le temps, réinventée. Où l’on perçoit la qualité du travail d’arrangement du pianiste aussi à l’aise ici qu’un poisson de toutes les couleurs dans une eau bleue turquoise. Travail qui fait passer le thème par tous les reliefs possible, jamais linéaire et toujours brillant.

 

 

On jubile et en plus c’est de saison ! Et Mario Canonge de nous expliquer clairement que tout est aussi une question du son, de maîtriser ce fichu son qui pourrait se diluer dans le groove si on se laissait aller mais qui chez lui n’en est au contraire que l’expression de la force vive. Mario Canonge vient aussi du jazz et il faut absolument entendre ce très beau morceau, «  A fleur de terre » où la pianiste s’inscrit dans la lignée des grands pianistes de trio jazz actuel. Dans une forme jazz plus classique, Room 150 y affirme un swing à la classe suprême, où Canonge et Michel Zenino au sax se partagent les harmonies avec luxe de raffinement. Il y a là sous les doigts de Mario Canonge l’esprit de Bill Evans à fleur de peau.

Mais cet album va de surprises en surprises. Il y a de tout, dans un syncrétisme étonnant. Toujours nous laisse à l’affût. Manie même parfois une petite dose d’humour comme sur ce Ska du Scalp  (pour moi pas forcément le meilleur des morceaux). Va même jusqu’à embrasser la musique traditionnelle arménienne dans un geste qui trace un pont entre les cultures. Car finalement ce doit être un peu cela le jazz. Ce qui jette un pont entre des cultures où domine ce sens du rythme et du swing. Il faut être un très grand musicien pour en faire une démonstration si cohérente. Mario Canonge de toute évidence se range dans cette catégorie.

Jean-Marc Gelin

 

 

PS : que l’on me permette ici de rappeler toute l’affection que l’on porte au travail que Mario Canonge fait régulièrement avec Viviane Ginapé, cette magnifique chanteuse que nous ne saurions que vous encourager à aller voir lorsqu’elle se produit près de chez vous.

 

 

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26 mai 2011 4 26 /05 /mai /2011 06:44

 

Emarcy 2011

Gérald Clayton (p), Joe Sanders (cb), Justin Brown (dm)

 gerald-clayton-bond-the-paris-sessions.jpg

Et si la maturité n'avait strictement rien à voir avec l'âge ? C'est en tout cas une question que l'on est en droit de se poser en écoutant cet incroyable album du jeune pianiste néérlando-américain, Gerald Clayton. Avant de l'entendre on aurait pu croire que pour jouer comme ça, il fallait avoir beaucoup vécu, avoir mûri l'art du piano pour parvenir ainsi à en retenir l'essentiel. On le connaissait ancré dans une autre modernité aux côtés notamment du trompettiste Ambrose Akinmusire ou du saxophoniste Walter Smith. On lui devinait déjà ce genre de délicatesse. Et surtout on pensait qu'il n'existait plus depuis Jarrett et Meldhau d'autres voies pianistiques chez les jeunes pianistes et l'on se disait que les écoles d'Oscar Peterson, de Kenny Barron ou d'Ahmad Jamal risquaient d'être définitivement perdues.

Avec ce "power trio", Gerald Clayton montre qu'il n'en est rien et prouve au delà de ces prestigieuses références un héritage qu'il cultive à la manière des très grands pianistes. Joué  tout au long sur un registre moderato, Clayton se fait ici défricheur et explorateur d'harmonies faisant sonner le piano avec une très grande subtilité, maître en renversement d'accords savants dans une lecture qui est tout sauf linéaire. Les accords sonnent dans le grave. Ses couleurs sont en clair-obscur. Le pianiste a une façon exceptionnelle de remplir l'espace alternant le jeu serré et dense avec de vraies respirations (Sun Glimpse). Des moments d'émotions palpables surgissent avec des progressions harmoniques magnifiques. Le pianiste affiche ainsi une présence forte parce que son jeu jamais brutal est fait d'autorité et de délicatesse à la fois. Ici Clayton alterne les renversements harmoniques et les ruptures rythmiques, maître dans l'improvisation mais surtout dans la construction thématique.  

Et dans cet exercice où la notion d'équilibre est primordiale, Gerald Clayton peut s'appuyer sur une rythmique tout bonnement exceptionnelle avec notamment Justin Brown qui, à la batterie fait véritablement figure d'extra-terrestre dans le genre réincarnation d'Elvin Jones.  Un critique de Allabout jazz estimait que l'association de Joe Sanders et de Justin Brown était à la hauteur de la paire Jorge Rossy/ Larry Grenadier qui faisait il y a quelques temps le bonheur de Brad Meldhau.

Clayton passe de quelques standards ( If I Were a bell, All the things you are) à des compositions de pure beauté. S'offre même un morceau en solo digne des plus grands sur le bien nommé Nobody Else but me de Jérôme Kern absolument remarquable de maîtrise technique et de groove insufflé.

 

Il y a  là du jazz de très très haut niveau et la perpétuation d'un geste transmis et assimilé. Il est rarissime pour un pianiste d'à peine 27 ans d'atteindre de tels sommets. Ceux que le pianiste franchit ici nous emmènent très loin, au coeur même de l'essence du jazz et de l'histoire des grands trios.

Jean-Marc Gelin

 

 

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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 16:19

Tzadik 2011

 Cyro Batista (perc), Kenny Wollesen (vib)

Peter Evans (t), David Taylor (btb), Marcus Rojas (tuba)

 

 zorn-cerberus.jpg  Dans sa série des files cards compositions, John Zorn poursuit ici avec deux petits enregistrements enregistrés en en juillet 2010 sous sa direction. Deux petites pièces réunies : l’une « Vision of Dionysus » (26’33) en duo avec Cyro Baptista et Kenny Wollense et l’autre, « Cerberus » (10’34) en trio avec trompette, tuba et trombone basse.

2 ensembles de fiches pour dépeindre le grotesque dans son acception zornienne et sur l’agencement du compositeur New Yorkais. Derrière les cris et les rugissements, le prolifique compositeur crée une sorte de férie champêtre faite d’animaux, de chèvres et de moutons s’ébattant dans le pré, dans la pure vision mythologique du Satyre. Zorn comme à son habitude endosse le rôle d’un réalisateur de cinéma, créateur d’installations sonores provoquant comme à son habitude les sens et les émotions de l’auditeur comme dans cette dernière séquence de Visions of Dyonisus où tous les sont sollicités dans la caverne du satyre.

Ce bestiaire sied bien à John Zorn qui navigue comme toujours entre enfer et féérie.

Les fouets qui claquent y sont presque délicieux. C’est totalement pervers et pour tout dire un peu jouissf.

A (ne pas) mettre en toutes les mains.

Jean-Marc Gelin

 

Ps : comme toujours les illustrations et le livret signés des dessins d’Austin Osman Spare illustrateur et magicien ( 1886-1956)  en font un objet superbe.

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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 15:40

Ô Jazz 2011

Benoît Lavolée ( vib, mba), Nicolas Larmignat (dm), Baptiste Dubreuil ( p, fder)

 

Lavollee-Dubreuil-Larmignat-Le-Symptome.jpg

 

Entame d'album mortel avec ce son "énorme" du fender.  Ça n'hésite pas un seul instant : ça rentre dedans. Émotions fortes . Les trois en emphase parfaite pour une création captivante d'une sorte de jazz-pop lunaire. Une fusion des énergies. C'est le parti pris esthétique qui s'impose. Les trames sonores se superposent et forment des nappes de son entre ing Crimson et les sonorités d'un Larry Golding. Il y a un sens du jeu partagé qui crée cette atmosphère cosmique intéressante. Univers passionnant qui va de l'étirement des sons à une percussion rock affirmée. C'est un alliage subtil entre ces trois instruments qui tirent le meilleur parti de ce trio.  Le clavier de Baptiste Dubreuil  est  énorme: à la fois inventif et prolixe (Minuit) il dessine la toile de fond.  Dubreuil peut ainsi passer dans une même logique d'un clavier électrique au piano dans un même discours sombre et puissant.  La rondeur du son ne perd pas l'énergie, au contraire. Celle-ci est en fusion. Nicolas Larmignat quant à lui montre les incroyables facettes de son talent en démultipliant un jeu tout en bruitisime, en respirations, en pulse irrégulières ou en beat rock et pop.En écho des sonorités du fender, Benoît Lavolée alterne vibraphone et Marimba avec là encore un incroyable talent d'orfèvre, doux dans sa sonorité, évitant le jeu percussif pour au contraire venir arrondir les angles.

De l'électricité dans l'air, palpable qui pourrait bien dessiner les contours d'un jazz d'après pop. On pense à quelques groupes mythiques dont on imagine qu'ils ont dû influencer ces jeunes musiciens : Radiohead ou Bowie par exemple autant que Robert Fripp.  Et si l'on peut regretter que les compositions se perdent parfois dans quelques méandres planants, une atmosphère se dégage pourtant, à la fois envoûtante et hypnotique comme une sorte d'opiacée à effet calmant immédiat. Hallucinogène doucement.

Leur univers est d'une incroyable richesse musicale. Ce groupe distingué au Concours de la Defense en 2010 nous embarque dans une rêverie futuriste qui convoque tous les imaginaires possibles.

Jean-marc Gelin

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20 mai 2011 5 20 /05 /mai /2011 08:53
Soleart

  padoleocouv.jpg

Un nouvel album de Jean Marc Padovani  s’écoute toujours avec plaisir. C’est comme un ami qui reviendrait avec sa moisson de mélodies légères et graves, envolées lyriques et un sens indubitable de ce qui fait la musique, un modelage de la matière, avec ce « son » ferme et unique .

Le saxophoniste a multiplié les expériences artistiques, croisant cultures du monde et autres pratiques artistiques, théâtrales avec Enzo Cormann.

Il a su se détacher cependant de ces courants, et ici, voilà encore autre chose : tout est exquis dans cet album à deux voix qui se cherchent et se répondent en un savoureux échange. Frôlement et battements d’ailes, « musique des sphères » où piano et saxophones suffisent ; point besoin d‘un troisième larron pour s’immiscer dans cet accord parfait !

Jean Marc Padovani a trouvé le plus approprié des partenaires en  la personne de Philippe Léogé, pianiste aux effluves debussystes et à la fermeté d’un jazz ardent et swingant. A parité, chacun jouant son rôle dans cette petite entreprise !  Souffle poétique et toucher doux, soyeux et profond à la fois ! C’est le piano qui assure d’ailleurs la cohérence de cette bande-son dont il nous appartient de trouver les images. Les nuances et dynamiques apportées réalisent cette synthèse de musiques aimées, entre valse « valse tard », musiques du monde (« La vespre de la noça », un traditionnel occitan), musique classique (clin d’oeil gymnopédique à Satie, si proche du jazz), musique de film. Tous deux servent au mieux les compositions, selon le style voulu, la sonorité recherchée-élégance rauque au soprano et grain charnu au ténor.

Le plus beau compliment qu’on peut leur faire est de remarquer que toutes leurs compositions ressemblent, sonnent comme des standards. Les deux titres, l’un de Keith Jarrett « Spiral dance » et le standard « Angel Eyes » ne dénotent donc pas et s’intègrent  parfaitement en final, d’où la cohérence, essentielle à nos yeux, de cette suite de mélodies qui s’enchaînent sans à coup.

Un univers obsessionnel, souvent mélancolique avec des fulgurances, des ardeurs non restreintes « Soléart », une certaine poésie comme dans ce « Lucky loser », composition du bassiste belge Nicolas Thys. Le duo s’emploie à construire une musique d’un pays à la fois lointain et familier. En douceur la plupart du temps, en rythme aussi mais sans hâte, ils gardent une dimension humaine, avec des airs de charme et de caractère. Avis subjectif certes, mais ici, une histoire nous est contée dans un rapport impeccable entre forme et matière. Tout à fait à notre goût.

 

Sophie Chambon

 

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18 mai 2011 3 18 /05 /mai /2011 08:21

 

Marc Ducret (g, compos), Kasper Tranberg (tp), Mathias Malher (tb), Fred Gastard (sax basse), Peter Bruun (dm)

Ayler records 2011 - Dist Orhêstra

ducret.jpg 

Il s'agit tout d'abord d'une oeuvre supposée s'entendre comme une suite orchestrale. Cet opus constitue le premier volet d’un triptyque constitué autour du roman de Nobokov, «  Ada ou l’ardeur » qui devra être interprété par trois formations différentes.

Assez complexe dans son écriture, elle renvoie à des univers post free comme ceux que Braxton aime à composer. Les systèmes d'écriture s'imbriquent, entre codes et espaces improvisés, contre-chants et réponses rythmiques.

On est bien sur aux antipodes de toute accroche mélodique. Ducret abandonne ici un peu de son background rock-jazz tel qu'on le lui connaissait avec Tim Berne pour s'orienter plus résolument dans un jazz contemporain structuré et moderne. On peut s'y perdre mais on reste assez captivés par la fusion des énergies.

Chacune des pièces est longue et se montre très exigeante pour les musiciens à qui il est demandé une concentration de tous les instants. Et à l'auditeur aussi sans cesse relancé dans son écoute par l'émergence de propositions musicales nouvelles. Tout sauf linéaire.

Les cuivres sont éclatants, trublionesques et jouent en réponse les uns des autres.

Reste que dans ce rôle de catalyseur des énergies, de fédérateur du groupe, Ducret laisse un peu de coté sa volubilité sauf sur le dernier titre oú il fait a nouveau parler la poudre et déchaîne les éléments.

Malgré ce surcroît d'énergie qui ne faiblit jamais il y a néanmoins un coté austère et quasi monacal (presque Steve Colemanien) qui pourra en rebuter certains. Ceux qui feront l'effort de pénétrer cet espace musical en revanche s'émerveilleront de ses pépites et de ses trouvailles. Il y a quelque chose d'organique dans cette musique-là. Un corps en mouvement, l'adjonction de cellules qui donnent un tout biologique.

Ces Real Things ( 1 et 2) sont un peu Ducret in wonderland.

Jean-marc Gelin

 

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15 mai 2011 7 15 /05 /mai /2011 21:25

Concord 2011

Kurt Elling (voc), Laurence Hobgood (p), Bob Mintzer (sax), John Mc Lean (g), John Pattitucci (cb), Terron Gulley , Kobie Watkins (dm), Lenny Castro (perc)

 kurt-elling-the-gate-2011-cd-cover-fl  photos-2010-2011 0951Du grand, voire du très grand Kurt Elling ! La publication de son dernier album «  the Gate » pourrait bien être une vraie référence dans la carrière du chanteur de Chicago. Ceux qui, depuis « Man in the Air », pensaient l’avoir un peu perdu lors de ses dernières productions vont retrouver là un grand Kurt Elling. Un Kurt Elling qui délaisse les standards américains et qui s’attaque là à des thèmes sublimes de la pop, du jazz, de la soul et du funk. À la manière d’un Franck Sinatra qui pouvait donner l’impression que les standards de Broadway avaient été inventés pour lui seul, Kurt Elling s’approprie avec beaucoup de respect et un sens incroyable de l’interprétation quelques-uns de ces monuments. Même pas peur ! Certains de ces thèmes de l’album sont peu connus et même presque introuvables comme le Matte Kudasai  de King Crimson tiré de l’album « Discipline » de 1981 ou (moins rare) le Come Running to me de l’album « Sunlight » de Herbie Hancock. Chaque fois Kurt Elling se délecte de ces thèmes aux arrangements raffinés et aux orchestrations subtiles pour les emmener sur son propre terrain et en exhaler toutes les saveurs mélodiques. Avec une approche de vrai musicien, Kurt Elling parvient alors à donner à ces thèmes une autre existence musicale tout en restant au plus près de l’intention originale. Je ne peux m’empêcher de penser à Miles et à cette notion d’espace en musique que Kurt Elling fait sienne en donnant au temps et aux silences des couleurs bleutées. Son Kind of blue à lui.  Alors les vapeurs crimsoniennes restent là et la sensualité érotique de la soul et du funk aussi lorsqu’il s’agit de reprendre le thème de Herbie Hancock ou le After your love has gone de Earth Wind and fire génialement réarrangé, sans trahir d’une virgule l’intention initiale. Avec ses airs de crooner, Kurt Elling donne à ces thèmes un surcroît de sensualité à faire rougir un chœur de nones carmélites à l’heure vespérale. Normal avec un producteur qui y sait y faire comme Don Was aux manettes à qui l’on doit notamment les Stones, Elton John,  George Clinton et tant d’autres.

 

 

 

Quelques tubes émaillent l’album comme le Stepping out de Joe Jackson rendu à des airs jazzy ou Golden lady de Stevie Wonder ( le moins réussi des 9 titres) ou encore le Norvegian Wood des Beatles ( de l’album Rubber Soul de 1965). Mais Kurt Elling s’attaque aussi à des sommets infranchissables. Du jazz modal comme Blue in green ( tiens , « Kind of Blue » ….) mais encore des thèmes difficiles comme Samourai Cowboy thème tiré du Samourai Hee-Hawdu bassiste Marc Johnson et de son groupe mythique Bass Desires et sur lequel Kurt Elling a mis des paroles qui viennent illustrer parfaitement le thème. Et sur Nightown Lady Bright Kurt Elling met là encore des paroles sur le thème de Don Grolnick pianiste mythique du jazz rock west coast. En parlé-chanté, Kurt Elling nous transporte alors dans ses nuits, dans son univers où le bleu et le noir se confondent. Et le fantôme de Duke Ellington de passer rapidement dans les effluves de la voix du chanteur.

Le charme ne se rompt pas, il vous poursuit au-delà de la dernière note chantée. Alors que la mode est à le reprise des thèmes de la pop, Kurt Elling en fait bien autre chose que de simples reprises. Il les incarne et les fais revivre. Avec cet album-là, c’est sûr Kurt Elling n’atteint pas des sommets, il les dépasse.

Jean-Marc Gelin

  

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12 mai 2011 4 12 /05 /mai /2011 07:18

  

Zig Zag Territoires-Outhere

Distribution Harmonia Mundi

www.stephanekerecki.com

www.johntaylorjazz.com

www.outhere-music.com

 Stephane-Kerecki-Patience-CD-album_z.jpg

 

Cet album marque une rencontre inédite, des plus réussies, entre un pianiste (l’Anglais John Taylor) et un contrebassiste français (Stéphane Kerecki). « Entre ces deux là, l’osmose a été immédiate, évidente…de cette contrebasse vivace et de ce piano coloriste, naît une musique qui brûle d’un feu paisible ; une musique pour traverser la nuit ». Voilà bien un juste hommage de Guillaume de Chassy, un autre pianiste qui connaît bien le contrebassiste.

Variant les nuances, Stéphane Kerecki croise mystère, instantanés d’émotion, exigence d’un musicien accompli, pour faire entendre une basse puissante, résolue, souvent chantante comme dans « Kung Fu ».

L’intégration audacieuse du silence, l’appréhension d’un certain vide qui demeure musique ne lui fait pas peur, puisqu’il s’adosse au piano lyrique, tendre, mais aussi engagé de John Taylor « Manarola ». Le duo captive littéralement, nous immergeant dans ces pièces vibrantes, enlevées, rythmées : « La source », « Bad drummer », « Valse pour John »  se combinent à d’autres pièces, aux cadences moins rapides  comme « Patience », « Gary », « Luminescence » . Ainsi, tout le long de cet album d’échanges, leur conversation raconte presque toujours une histoire, installant une forme ouverte, laissant libre court à l’intuition, au sens inné de l’improvisation des deux musiciens.

Dès la pochette, le ton est donné :  l’ambiance mauve, propice à la rêverie introspective, à l’ouverture de l’espace sur l’imaginaire, est zébrée par des biffures de lumière traversant les nuages. Est ainsi restituée la belle couleur de l’album, intitulé « Patience », d’après une des compositions  de Stéphane Kerecki.

Les deux musiciens se partagent une fluidité mélancolique, que parcourt pourtant une énergie rythmique souterraine. Par ses harmoniques et couleurs, Patiencedistille une secrète nostalgie, intense, liée à un art et une pratique musicale poétiques, comme dans  « Gary ». Car, dans ce dialogue fervent, sont invitées les figures de Bill Evans, Paul Bley, Gary Peacock … en hommages fugitifs, brèves rencontres, échos délicats où le jazz revient, superbe comme dans la reprise de « Jade visions » du regretté Scott La Faro.
Les irisations de cette musique qui renvoient à de délicates impressions ne doivent pas faire oublier les ramifications, les sinuosités et cette douce violence qui envahit l’espace de jeu. 

Sensibilité romantique, engagement romanesque ? En assistant à cette rencontre vespérale, où l’imprévu s’impose souvent comme seule réalité, on se sent troublé. Délicieusement. 

Un album contrasté donc, intense :  l’échange vif, immédiatement complice  réussit à nous entraîner dans une aventure esthétique des plus réussies.

 

Sophie Chambon

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10 mai 2011 2 10 /05 /mai /2011 10:38

« Live at Birdland »

Lee Konitz (as), Brad Meldhau (p), Charlie Haden (cb), Paul Motian (dm)

 Lee-Konitz-Brad-Mehldau-Charlie-Haden-Paul-Motian-Live-At-B.jpg

Le Birdland a toujours été un de ces lieux magiques dans l’histoire du jazz. Il s’y est tenu des concerts mémorables. Petit club mythique s’il en est, le club après avoir été situé tout proche de la fameuse 52ème rue, a réouvert en 2008 dans la 44ème. Le club a toujours inspiré les plus grands et certains ont notamment en mémoire le légendaire Live at Birdland enregistré par Coltrane en 1963 ou encore les non moins légendaires sessions animées par Art Blakey e ses Messengers.

Et c’est dans ce temple sacré de la musique qu’ont été réunis ce soir de décembre 2009, 4 légendes absolues du jazz : Lee Konitz (84 ans), Charlie Haden (74 ans), Paul Motian (80 ans) et le tout petit dernier, Brad Meldhau (41 ans) pour une de ces rencontres au sommet dont on se dit qu’une telle brochette de all-stars, sans réel projet commun, (mais avec une même histoire en partage) peut donner leu au meilleur comme au pire. Peut aboutir à une rencontre sublimée ou à un simple gig.

Et c’est la première solution qui s’inscrit définitivement dans le marbre. Sur un matériau basique, celui des grands standards du real book, Konitz rencontre Meldhau et réciproquement. Tout y est certes très formaté, très, trop certainement. Les structures s’enchaînent  et chacun prend son chorus à tour de rôle montrant l’un après l’autre sa science incroyable de l’harmonie que le pianiste dispute à l’alto. Les thèmes sont issus d’un répertoire archi connu et rebattu. Et pourtant, la magie opère immanquablement. Dans cette forme, dans ce format dont on n’attend aucune révélation, la musique se révèle avec sa part d’inattendu, de surprise, affichant de la part des musiciens une inattendue et  fantastique liberté.

Au-dessus de tout Il y a (malgré parfois quelques défaillances de justesse) le « son » de Lee Konitz. Celui qui me fait passer en boucle depuis des années ce disque qu’il enregistrait en avec Warne Marsh. Lee Konitz : cette forme de clarté limpide, ce soyeux du verbe et cette maîtrise de l’harmonie qui depuis Tristano ne le quitte pas. Et Meldhau qui, justement, endosse à merveille ce rôle Tristanien qui lui était tendu comme sur un plateau d’argent et qui rejoint Lee Konitz exactement sur ce terrain-là où le thème reste le thème, la mélodie reste la mélodie alors que tout, autour, semble réinventé. Et c’est là où la magie de ces rencontres au sommet opère : dans cet art de la re-création qui devient pour l’auditeur celui de la révélation. Loverman sublimé, Lullbay of Birdland magnifié, I Fall in love too easily bouleversant, touché par la grâce ou encore un Solar qui au-delà de son exploration modale va chercher dans les moindres recoins harmoniques des atonalités surprenantes. C’est qu’il y a pour les 4 musiciens, dans ces thèmes-là matière à jeu, matière à réflexion, matière à communion.

Et dans cette rencontre, il y a aussi un événement dans l’événement : les retrouvailles émouvantes de Haden et Motian, là encore une question de « son » : deux sonorités qui ont marqué à jamais l’histoire de leur instrument, deux timbres exceptionnels qui se retrouvent.

Aux DNJ nous avons failli faire un débat autour de cet album-là qui ne parvenait pas à me convaincre à la première écoute. Nous avions le préjugé d’un album un peu trop marketé. Trop encadré dans sa forme. Le sentiment que parfois chacun joue pour lui-même. Et puis réécoute. Et puis non, pas possible de dire cela. C’est finalement tout le contraire qui se passe. L’art de chacun emporte l’ensemble dans ce formidable paradoxe du jazz qui place l’individu dans l’ensemble qu’il constitue ou qui LE constitue. Et c’est la définition même de l’osmose. A moins qu’il ne faille aller chercher, pour le comprendre, celle de l’empathie(*)

Jean-Marc Gelin

 

 

(*) (du grec ancien ν, dans, à l'intérieur et πάθoς, souffrance, ce qu'on éprouve), notion complexe désignant le mécanisme par lequel un individu  peut « comprendre » les sentiments et les émotions d'une autre personne voire, dans un sens plus général, ses états mentaux non-émotionnels.

 

 

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