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4 avril 2025 5 04 /04 /avril /2025 17:41
YVES BROUQUI                MEAN WHAT YOU SAY

YVES BROUQUI             MEAN WHAT YOU SAY

 

 

Label Steeple Chase /Socadisc

Sortie le 4 AVRIL

YVES BROUQUI

 

 

C’est son premier album sur le prestigieux label Steeple Chase et pourtant le guitariste Yves Brouqui  a une belle et déjà longue carrière depuis 1986 : respectueux d’une certaine tradition,  il s'inscrit dans la lignée des grands de l’instrument, les Grant Green, Wes Montgomery, Kenny Burrell...ce qui n'est pas pour nous déplaire. 

Il a su s’entourer de complices aussi doués que lui et le quartet qu’il forme avec son ami le pianiste Spike Wilner est une splendide  jazz machine. Ce pianiste avec lequel il a beaucoup joué en club dans ses années new yorkaises, en particulier au Smalls que possède à présent Wilner est son alter ego. L’un finit à peine sa partie que l’autre le relaie tout aussi étourdissant quand il entre dans la danse. Les deux échangent avec une énergie déconcertante et pourtant décontractée, une inventivité permanente adaptée à la fluidité de la musique. Le pianiste est « venu » avec son trio, une rythmique superlative (Paul Gill à la contrebasse et Anthony Pinciotti hélas disparu dernièrement) qui sait installer un swing généreux et robuste, propice aux envolées délicates du guitariste.

Neuf compositions qui prennent le temps de se déployer et développer des passages improvisés avec goût, parmi lesquelles un arrangement  inventif et réussi de Magali (traditionnel folk) par ce guitariste limpide et trois compositions de son cru qui apportent une touche plus lyrique voire sentimentale  comme dans l'exquise ballade Elsa Rosa . Le quartet reprend cinq standards dont deux de pianistes le Turquoise Twice de Cedar Walton peu revisité depuis sa sortie en 1967 sur lequel le contrebassiste joue  un solo à l’archet impressionnant par sa clarté d’articulation et Mean What You Say de Thad Jones, titre éponyme de l’album, une ballade medium tempo avec une intervention musclée de Wilner. 

Mais c’est à la mitan du CD avec une version du pourtant ressassé Besamo Mucho ( 1932)  jouée plus de cinq cents fois depuis 1943 que le quartet s’envole faisant retrouver à ce classique une fraîcheur surprenante. Contre toute attente la chanson de Consuelo Valasquez est revivifiée sur un tempo en 5/4 ce qui change quelque peu la donne. La rengaine swingue d’un coup et le guitariste soyeux trace sa ligne claire avec élégance. Out of The Town de Cole Porter moins connu peut être que ses « tubes » éternels est interprété sur un rythme plus nonchalant, latin qui bizarrement souligne combien  cette mélodie mélancolique est inspirante. Tout à fait dans l’esprit de Cole Porter avec encore un solo à l’archet de Paul Gill. Quant à For John L, cette autre composition de Brouqui m’a fait revenir aux grandes heures d’un jazz  post bop qui n’existe plus guère aujourd’hui, en France du moins, une pulse chaleureuse irrésistible, pas du tout hypnotique mais euphorisante.

Le quartet termine en beauté « tranquillement » avec la valeur sûre qu’est Caravan. Enfin pas si quiètement puisqu’ils finissent sur un up tempo très impressionnant. Un épilogue énergique et emballant. C’est la musicalité et la cohésion de ce groupe que l’on retient d’un bout à l’autre de cet album lumineux qui s’écoute d’une traite et donne une furieuse envie de se retrouver en club entre amis ou sur une piste de danse. Voilà une musique que ne décalquera pas cette sacrée Mademoiselle I.A.

 

Sophie Chambon

 

 

 

YVES BROUQUI                MEAN WHAT YOU SAY
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27 mars 2025 4 27 /03 /mars /2025 18:09
Matteo  Pastorino     Lightside

MATTEO PASTORINO LIGHTSIDE

 

Matteo Pastorino - Jazz Clarinet - Official Web Site

 

Matteo Pastorino (clarinette basse & compositions) 

Domenico Sanna (piano)

Dario Deidda (contrebasse) 

Armando Luongo (batterie)

 

Label A. MA Records / Distribution I RD

Sortie le 21 mars 2025 

Concerts : 17 avril au Sunside, 

                  18 avril 2025 à la Jazz Station (Bruxelles).

  

Teaser : Matteo Pastorino - Lightside

 

Bien qu’il vive à Paris depuis 2008, qu’il y ait étudié, qu’il ait aussi fait ses classes à New York, le Sarde Matteo Pastorini n’a jamais pu oublier d’où il vient. Adoubé par son compaesano le trompettiste bugliste Paolo Fresu qui lui a montré la voie, il revient souvent dans son île et y a fondé lui aussi un festival à San Teodoro en 2016. “Une île n’est une île que si elle devient le point de départ pour mieux y revenir” écrit Fresu dans un texte introductif.

Ce Lightside dont le clarinettiste signe les neuf compositions est son troisième album en leader avec son quartet italien. Du jazz instrumental à fleur de vent, un rêve éveillé que poursuit le soliste en se laissant dériver au fil des mélodies. C’est en somme un concept album autour du thème de l’exil, empreint de nostalgie, du besoin impérieux de retrouver ses racines après les remous de la vie. Un sentiment que connaissent nombre d’Italiens du Sud mais aussi les migrants de toutes origines. Aussi loin d’un revival folklorique sarde, le quartet explore les liens entre tous les immigrés méditerranéens par le jazz. Mais ce sujet des plus actuels est abordé ici avec sérénité, voire un groove certain dans ce Coming back enlevé, thème de (l’éternel) retour où brille la section rythmique.

S’il commence à Gorée, lieu éminemment symbolique de toutes les servitudes et départs obligés, Matteo Pastorino  a choisi de ne jouer que de la clarinette basse qui sait être une basse discrète, d’une extrême douceur dans les nuances. Il recherche la lumière, celle de la Méditerranée, évoque le cycle de la vie avec un titre tendre dédié à sa fille Elvira et finit sur une ballade sensuelle plutôt élégiaque au printemps (Marzo) après une pirouette, esquisse malicieuse d’auto-portrait (Scarabucchio qui peut signifier “gribouillage” mais aussi “barbu”). Les titres et la musique s’offrent comme la matière même de cette réflexion que le texte  de Fresu encourage. Pour sortir Lightside, commande de 2021 du Festival Time in Jazz du trompettiste, Matteo Pastorino a pris du temps, attendu le moment propice. Une énergie positive se dégage du travail collectif où tous dans cette osmose au long cours semblent plus libres de laisser aller les compositions à leur rythme, donnant chair et vie au projet.

La musique du clarinettiste suit unchant intérieur quasi ininterrompu, nourri de toutes les influences puisées au coeur de ses voyages, dilatant le temps et l’espace. Plongeant dans de sobres vertiges de mélodies limpides et accrocheuses, le quartet tisse une toile intimiste, souvent mélancolique, aux textures douces mais insistantes. Entre rêveries liquides et réminiscences douces, le jazz demeure, fidèle : ce Lightside où tout est léger et grave mérite qu’on s’ y attarde.

 

Sophie Chambon

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24 mars 2025 1 24 /03 /mars /2025 10:50

Claudia Solal (voix, textes & composition), Benjamin Moussay (piano, piano électrique, synthétiseur & composition)

Malakoff, 19 novembre - 1er décembre 2023

Jazzdor Series 22 / l‘autre distribution


 

Retour d’un duo qui nous enchante depuis plus de deux décennies. Duo très singulier, qui rassemble un pianiste de jazz (mais pas que….) et une chanteuse de jazz…. et d’ailleurs. L’anglais pour les textes, comme toujours, car Claudia entretient une relation privilégiée avec cette langue, émaillant ses disques précédents de poésies britanniques et anglo-américaines. Un goût et une connaissance de cette langue qui lui viennent de sa grand-mère maternelle, qui était écossaise. En parfaite complicité musicale, le pianiste et la chanteuse ont conçu un objet musical tissé d’étrangeté foncière & de liberté fantasque. Les textes, d’une très forte charge émotionnelle, sont à savourer (le livret nous les délivre intégralement), non seulement pour leur qualité d’écriture mais aussi pour leur absolue adéquation à la musique. Très belle production sonore exploitant toutes les ressources du studio pour construire une esthétique imparable. On pourrait parler à ce propos d’une sorte de pop très sophistiquée, mais ce serait décidément réducteur. De la musique avec voix, liée à la voix d’une manière fusionnelle : de la grande musique ; bref de l’Art musical.

Xavier Prévost

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Le duo sera en concert le mercredi 26 mars à Budapest, et à Paris le jeudi 27 mars, à l’Atelier du Plateau

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Un avant-ouïr sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=I1EqwUkeTYY

https://www.youtube.com/watch?v=-N-2lV9PhOc

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19 mars 2025 3 19 /03 /mars /2025 16:39

 

Géraldine Laurent (saxophone alto), Jean-Marc Larché (saxophones soprano & sopranino), Jean-Charles Richard (saxophones baryton & soprano), Clément Janinet (violon), Christophe Marguet (batterie), Yves Rousseau (contrebasse, composition)

Coutances, 24-26 septembre 2024

Alla Luna AL300725 / l’autre distribution

 

L’enregistrement d’un programme donné plusieurs fois en concert depuis sa création en 2022. Dix ans après la parution du CD «Akasha», en quartette, qui s’articulait sur les quatre éléments augmenté de l’éther, le contrebassiste-compositeur revient avec ce disque à l’inspiration ayurvédique, tournée cette fois vers le son. Mais au-delà de l’intention programmatique et des références à l’Inde antique et au sanskrit, nous plongeons avec délices dans une sorte de suite, finement orchestrée, composée de thèmes déjà joués ou conçus pour cette circonstance. Car l’auditeur que je suis perçoit l’ensemble comme une grande forme, très orchestrée (on jurerait souvent qu’ils sont plus de six à jouer), qui se déploie avec évidence de l’ouverture introductive jusqu’au titre conclusif. Des envolées lyriques pleines de souvenances, qui se jouent en écriture autant qu’en improvisation : c’est un orchestre de solistes où tous les protagonistes trouvent leur espace d’expression, conduisant par là à une forme d’élaboration collective. Très très belle réussite, à la hauteur d’ambitions artistiques et musicales pleinement accomplies, et qui nous rappelle que le ‘jazz augmenté’ est un terrain de jeu formidable pour les artistes qui connaissent les règles, autant que les espaces de liberté transgressive. Chapeau bas !

Xavier Prévost

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https://vimeo.com/1046341664

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https://www.youtube.com/watch?v=fBEvg5JuRw0

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18 mars 2025 2 18 /03 /mars /2025 18:42

John Taylor (piano), Palle Danielsson (contrebasse), Martin France (batterie)

Ludwigsburg, octobre 2006

CAM Jazz / l’autre distribution

 

Beaucoup (dont je fais partie) se souviennent de John Taylor : sous son nom, et dans le trio ‘Azimuth’ (avec Norma Winstone & Kenny Wheeler) ; avec Charlie Haden (mais aussi avec Stéphane Kerecki), et même en trio de pianos avec Martial Solal et Franco D’Andrea, au Festival de Jazz de Paris en 1983…. Pris d’un malaise sur la scène d’un festival français en 2015, il mourut dans les heures qui suivirent.. Des inédits ont déjà paru (notamment un concert avec Norma Winstone en 1988, publié voici 3 ou 4 ans). Nous le retrouvons en trio avec des partenaires qui lui étaient familiers, dans cet enregistrement exhumé par CAM Jazz, label qui l’a publié durant les dix dernières années de sa vie.

Des compositions du pianiste, sauf une empruntée à Kenny Wheeler. Et une musique d’une belle intensité, d’une plage à l’autre, entre nuance, sophistication harmonique et liberté d’improvisation, le tout avec de soudains éclats d’expressivité. Et une interaction avec ses partenaires qui fait de cette musique, que l’on croirait paisible, un bouillonnement de passion(s) musicale(s). Palle Danielsson et Martin France sont morts l’un et l’autre en 2024, et cette très belle publication nous rappelle un trio que l’on peut qualifier, sans exagération, d’exceptionnel.

Xavier Prévost

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16 mars 2025 7 16 /03 /mars /2025 14:32


Enregistré au domicile de Meredith d’Ambrosio, Duxbury (Massachusetts) les 9 et 10 avril 2024.
©peinture Meredith d’Ambrosio (couverture).
Sunnnyside Records – SSC 1721 / Socadisc.
Paru le 14 mars 2025.

       C’est l’histoire d’une rencontre transatlantique ayant débuté sur internet entre deux artistes de la note bleue ayant en commun une amitié avec un producteur de jazz et pianiste passionné de Duke Ellington, Claude CARRIÈRE.
 

      Le guitariste parisien Frédéric LOISEAU annonça à la chanteuse américaine la disparition (en 2021) de l’homme de radio qui l’avait conviée à jouer à Paris au milieu des années 80, notamment lors de son émission hebdomadaire avec Jean DELMAS, JAZZ CLUB (le concert donné au Petit Journal Montparnasse le 12 novembre 1987 est disponible sur le site de l’émission Les légendes du jazz de France Musique).


    S’ensuivirent des échanges par courriels qui allaient convaincre Meredith d’Ambrosio à sortir de sa retraite phonographique à plus de 80 printemps.


       Frédéric Loiseau contacte François ZALACAIN, le producteur français établi à New York depuis 1982, qui avait déjà publié 17 albums avec la chanteuse sous son label Sunnyside. L’affaire est bouclée. L’enregistrement se déroule au printemps 2024 dans la maison de la chanteuse proche de Boston et les dix titres mis en boîte en 48 heures.


       La spontanéité est au rendez-vous (uniquement des premières prises) pour ces séances entre trois interprètes, Meredith d’Ambrosio ayant choisi de céder sa place habituelle au piano à un ami, Paul McWilliams.

 

       « MIDNIGHT MOOD », titre de l’album, reprenant une composition de Joe Zawinul enrichi de paroles de Meredith d’Ambrosio, « raconte la beauté, la fragilité de la vie, de l’amour », confie Frédéric Loiseau. Le guitariste y déploie son sens de la nuance, sa délicatesse de jeu initiés lors d’un enseignement auprès de Joe Pass, sur la même longueur d’ondes que Meredith d’Ambrosio, « une musicienne qui chante » selon Fred HERSCH, qui eut l’occasion de l’accompagner au piano. « J’ai retenu des chansons que j’aime depuis des décennies », précise la chanteuse dans le texte de pochette.

 

        On y retrouve des airs du grand répertoire américain signés Irving Berlin, Richard Rodgers, Bill Evans… et bien entendu une composition de Duke Ellington (« Prelude to a Kiss »). On prêtera l’oreille à une œuvre à quatre mains, « Beaucoup Kisses », morceau instrumental de Frédéric Loiseau (d'abord intitulé « Song For Meredith ») sur lequel Meredith a posé des paroles romantiques à souhait.

 

       « Le charme latent de Meredith d’Ambrosio provient de ce qu’elle diffuse constamment une musicalité que l’on pouvait croire perdue depuis Anita O’Day et Helen Merrill, en la suggérant sous la pudeur de la nonchalance et l’élégance de la litote, ayant compris comme peu d’autres, que seul le moins peut dire le plus », écrivait Jean-Pierre MOUSSARON dans le Dictionnaire du Jazz (Robert Laffont, 3ème édition 2011).
 


       Une bonne dizaine d’années plus tard, « Midnight Mood » vient illustrer cette élégance dans la sobriété et la fluidité qui place Meredith d’Ambrosio dans ce petit cercle des voix intimes (sans pathos) de la jazzosphère. Une quarantaine de minutes sous le charme qui nous laissent dans un état d’apesanteur. Un grand disque.

 

Jean-Louis Lemarchand.
 


Frédéric Loiseau sera au Sunset (75001) le 13 avril lors d’une soirée-hommage à la chanteuse Laura Littardi, le 10 mai au Baiser Salé.

 

On peut retrouver Claude Carrière au piano avec Frédéric Loiseau (guitare) dans « LOOKING BACK » (Black & Blue 2011) aux côtés de Rebecca Cavanaugh (voix) et Marie-Christine Dacqui (contrebasse).


 

 

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11 mars 2025 2 11 /03 /mars /2025 18:21

 

Joachim Kühn (piano solo)

Ibiza, 17 mars, 18 & 22 avril 2023 ; 13-14 décembre 2023

Intakt CD 431 / Orkhêstra International

https://intaktrec.bandcamp.com/album/chapp-e-24bit-hi-res-96khz

 

Autant le dire d’entrée de jeu : c’est un très très beau disque ; de piano, solo ; de jazz bien sûr, mais pas que….  de musique, tout simplement. Quelques mois avant son quatre-vingtième anniversaire, et avant ses adieux à la scène, Joachim Kühn s’est offert, sur l’île d’Ibiza où il réside depuis plusieurs décennies, un condensé de son art d’improvisateur-compositeur. Sur un instrument d’une très belle qualité, il nous délivre la quintessence de ce qui nous a réjouis depuis la fin années 60 : pas en tant que style pratiqué, ou d’adhésion esthétique aux courants successifs. Nous sommes ici au cœur de la musique, sans distinction d’école, d’obédience, que sais-je…. Des escapades fougueuses bien évidemment, mais aussi des trésors de nuances, d’expressivité, de lyrisme et d’audace. Des aventures sur le clavier qui se tiennent toujours au plus près de l’exigence musicale. Avec aussi un très bel hommage à son frère, le clarinettiste Rolf Kühn, mort l’année qui précéda ces enregistrements. Pas d’ostentation, rien que la profonde sincérité d’un Maître de musique. Chef d’œuvre, tout simplement !

Xavier Prévost

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7 mars 2025 5 07 /03 /mars /2025 10:59
HAÏM ISAACS          JONI MITCHELL IN JERUSALEM

HAÏM ISAACS    JONI MITCHELL IN JERUSALEM

 

Sortie le 7 mars Studio de l’Ermitage

Haïm Isaacs/ L’Autre Distribution

 

 

Joni Mitchell in Jerusalem – haimisaacs.com

 

Haïm Isaacs (voc) Frédéric Reynier (p, percussions), Jules Lefrançois (dms, tuba, backup vocals) Yann-LouBertrand (cb,trumpet, backupvocals), Matthieu Beaudin (electric accordion) et Michelle Pierre (cello)

 

Dans la longue série des hommages voilà un album vraiment original qui a attiré notre attention que l’on soit connaisseur ou non de l’oeuvre écrite de Joni Mitchell, l’une des grandes songwriters anglosaxonnes qui est remontée sur scène à près de 80 ans pour un concert exceptionnel le 24 juillet 2023 au Newport Folk Festival.

A l’heure où les projecteurs sont braqués sur le prix Nobel de 83 ans, le barde Bob Dylan dont le film A Perfect Unknown, au succès mérité, revient sur les premières années folk de 1961 à 1965. On le voit accompagner et inspirer l’autre grande égérie de l’époque, Joan Baez, ce qui rend d’autant plus intéressant le parallèle avec Joni Mitchell si on considère que la plus grande rivale de Baez à l’époque était la guitariste, autrice et compositrice canadienne. D'où l'intérêt avivé de la sortie de cet album longuement maturé sur le propre label de Haïm Isaacs, né à New York, grandi à Jérusalem, à Paris désormais, au parcours plus qu’original. Après une formation musicale classique, il vit en France depuis l’aventure initiatique du Roy Hart Theatre:

"J’ai découvert Joni Mitchell chez ma voisine de palier à 15 ans. Mon frère dit que je suis né ce jour là... arpentant les collines de Jérusalem, de Jéricho et de Bethlehem, j’ai chanté ses chansons comme des songlines aborigènes”.

La chanteuse canadienne fascina nombre d’artistes et de musiciens de style divers : elle démarra elle aussi d’une voix haut placée qui pouvait enjamber trois octaves chez les folk singers, connut d'ailleurs intimement certains des grands “protest songwriters” de Laurel Canyon (David Crosby, Graham Nash) mais elle prit un virage dès la fin des années soixante, se tournant alors vers le jazz avec Mingus, entre autre, qui lui écrivit quatre chansons pour “Mingus” (1979), l’un de ses albums studio les plus célèbres dont une version de Goodbye Pork Pie Hat, un hommage dans l’hommage au saxophoniste Lester Young. Dans le livret de l’album, Joni Mitchell avait expliqué ce tournant décisif : “J’avais l’impression de me trouver au bord d’une rivière, un doigt de pied dans l’eau, pour tester la température – puis Charlie est arrivé et m’a poussée –Coule ou mets-toi à nager’…”

Mingus certes mais la liste des très grands jazzmen qui l’accompagnèrent ou firent des "covers" est impressionnante, les guitaristes Larry Carlton et Pat Metheny, les saxophonistes Michael Brecker, Wayne Shorter, Herbie Hancock sans oublier Jaco Pastorius ni bien sûr  nombre chanteurs et chanteuses.

Si l’album “Mingus”est parmi les plus connus avec l’incontournable Both Sides Now que les jazzeux n’arrêtent pas de revisiter avec d' autres tubes…fort astucieusement Haïm Isaacs ne reprend pas, sur le CD du moins, les chansons les plus connues. Il se penche sur le répertoire aimé avec soin, choisissant finement ses “emprunts” pour la faire mieux (re)découvrir dès les premiers albums "Clouds" (1969) ou encore "Blue" (1971) avec par exemple  A case of Blue et All I want.

Ce qui est original est sa volonté de faire entrer la diva dans son univers très particulier, de la chanter au coeur de Jerusalem (aujourd’hui transplanté sur Seine) avec son quartet jazz et autres invités, où abondent les polyphonies vocales soulignées, des grondements des basses et de l’énergie des cuivres, chants appuyés par des rythmiques organiques. On se sent bien dès le premier titre Chelsea Morning de l’album "Clouds" de 1969 ou Blonde in the Bleachers dans “For the roses” en 1972 qui fait écho aux premiers émois et à nos souvenirs des irréelles harmonies vocales caractéristiques de cette époque à la CSN&Y.

Le CD propose une version “straight” émouvante et déjà impressionnante avec un livret épais dont les textes poétiques donnent une idée de la version performante que le concert intelligemment propose. Entre chaque titre, le chanteur raconte sa jeunesse à Jérusalem dans les années soixante-dix, proprement “envoûté” par Joni qui continue à l’inspirer. Car l’album créatif ne sonne jamais comme une redite et nous immerge dans une sensation quasi mystique, celle d’assister à un concert éminemment spirituel. Des reprises nuancées, enjouées, mélancoliques aussi selon les textes plus ou moins introspectifs ; des paysages sonores jamais arides se forment, s’enchaînent sous nos yeux à l’image des peintures de Joni.

Une véritable petite entreprise qui a pris deux jours pour enregistrer les instrumentistes, deux autres pour les back up vocaux et enfin les prises de sa voix dans ses différents états sur un intervalle plus large de deux mois. Au final onze titres et un final du chanteur qui ne dépare pas dans l’ensemble monté avec pertinence.

Une voix chaude, profonde et grave qui elle aussi connaît un bel ambitus, une élocution parfaite où chaque mot de Joni résonne sculpté comme dans le fascinant Little Green. Les chansons de Joni Mitchel ont trouvé un écrin à leur hauteur, une dramaturgie dans ce Marcie presque susurré, où Haïm Isaacs en véritable directeur artistique conduit sa réinterprétation avec des cordes ombrageuses, voire déchirantes mêlées au sifflement du vent.

On peut se laisser aller à en rester à la seule “présence” réincarnée aujourd’hui de ce Black Crow ou Cherokee Louise du  “Night Ride Home” de 1991. Si Haïm Isaacs et ses musiciens tout aussi inspirés nous invitent à une expérience hautement recommandable, on se laissera  peut être aller à la tentation de retourner à la source. Un grand moment assuré.

 

Sophie Chambon

 

Pour aller plus loin :

JONI MITCHELL, POUR L’AMOUR DU JAZZ - Jazz Magazine

Joni Mitchell, le tournant jazz (1975-1979) | France Inter

 

 

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3 mars 2025 1 03 /03 /mars /2025 08:57
Thomas Naïm           May This Be Love

Thomas Naïm   May This Be Love

(Acoustic guitar takes on Jimi Hendrix)

Rootless Blues/ L’Autre Distribution 

 

 

Sortie le 7 mars 2025.

Concert de sortie le 20 mars @ Le 360, Paris précédé d'une mini conférence de Yazid Manou.

 

Thomas Naïm

 

Une version sobre mais jamais désincarnée de Hey Joe commence l’album du guitariste Thomas Naïm et très vite on comprend que l’on a affaire à un maître de la six-cordes qui, en aucune façon, ne tentera de faire des reprises au plus près des originaux. D’ailleurs la version la plus proche de ce titre, je me souviens que c’est Bashung qui la donna, un soir en laissant tourner les bandes après un concert, une “version” bluffante mais sans variation.

Daniel Yvinec, directeur artistique (toujours un gage de qualité) de ce May this be love sorti sur Rootless Blues dans des notes de pochette éclairantes souligne que le son joue son rôle (micros anciens placés efficacement dans le studio et guitares d’époque Gibson et Martin). On oublie paradoxalement dès le premier thème à dire vrai, les fulgurances, le déferlement sonore, le déluge électrique des murs de Marshall. Pourtant, l’esprit de Jimi plane sur ses chansons désormais sans parole que l’on connaît si bien et a dû s’imposer sur la scène de l’opéra de St Etienne, le projet étant une commande du Rhino Jazz festival.

S’il revient sur les titres parmi les plus connus d’Hendrix, après un premier album en groupe en 2020 Sounds of Jimi, c’est qu’il semble difficile pour un guitariste d’échapper à la fascination voire à la tentation hendrixienne. Pourquoi s’attaquer à cet olympe et comment s’y prendre? S’il n’a pas choisi la facilité, il le fait en solo et en acoustique, avec l’élégance d’un pas de côté tout en cernant les contours de mélodies tout simplement envoûtantes.

Sur les treize compositions, hormis Cherokee Blues de sa plume, un Sergeant Pepper des Beatles et un Jealous Guy de Lennon seul qui s’intègrent sans mal dans la cohérence de l’ensemble, se retrouvent évidemment les tubes du génial gaucher Purple Haze, Voodoo Chile, The Wind Cries Mary...Le standard est le terrain créatif d’un musicien de jazz. Thomas Naïm est un guitariste qui a une signature sonore particulière et un jeu d’une sophistication incroyable, toujours en mouvement. Les arrangements font évoluer chaque titre au profit de ces miniatures d’une grande variété rythmique, récital de petites pièces qui prennent néanmoins le temps de tisser une ambiance, une bulle irisée, colorée par un interprète au jeu précis et vivifiant, énergique et doux. Une douce rêverie qu’alimentent ses échos tendrement mélancoliques (One Rainy Wish).Avec une virtuosité tout en retenue d’un guitariste sorcier, voilà un album d’une grande fluidité aussi apaisant qui se termine avec élégance sur ce May this be love.

Sophie Chambon

 

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23 février 2025 7 23 /02 /février /2025 21:24

Sullivan Fortner (piano), Peter Washington (contrebasse), Marcus Gilmore (batterie)

New York, 8 juillet 2023

Artwok Records / [PIAS]

 

Après l’éblouissant disque «Solo Game», où cohabitaient un CD de standards et un autre de digressions où le pianiste donnait libre cours à sa fantaisie, avec des musiques et des instruments hétérodoxes, Sullivan Fortner revient aux fondamentaux : un trio (et quel trio !) capté en une matinée de studio, sans retouches, alors que chaque soir les mêmes s’offraient au public du Village Vanguard. L’enfant de la Nouvelle Orléans revient à ses racines en commençant par un thème (celui qui donne à l’album son titre) signé Allen Toussaint, emblème historique du style local à l’ère moderne. Souplesse, infinie décontraction, swing irrépressible….Tout y est, et le pianiste s’amuse à exacerber le côté extrême-oriental du thème. Puis sur I Love You de Cole Porter, il s’offre une intro-solo de pure liberté avant de rejoindre le langage attendu, non sans ouvrir de nouvelles portes. Ensuite c’est un blues de son cru, en 9 mesures ! Façon encore de taquiner l’orthodoxie. Puis c’est une célèbre chanson cubaine, revue avec autant de respect que d’audace. Et des thèmes de Donald Brown, Woody Shaw, Clifford Brown…. D’une plage à l’autre, une leçon de trio, libre, inspiré : pur régal !

Xavier Prévost

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Sullivan Fortner jouera en trio, mais cette fois avec Tyron Allen & Kayvon Gordon, le 8 mars 2025 à l’Espace Sorano de Vincennes

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Un avant-ouïr sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=UbHOcFkRvkM

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