YVES BROUQUI MEAN WHAT YOU SAY
Label Steeple Chase /Socadisc
Sortie le 4 AVRIL
C’est son premier album sur le prestigieux label Steeple Chase et pourtant le guitariste Yves Brouqui a une belle et déjà longue carrière depuis 1986 : respectueux d’une certaine tradition, il s'inscrit dans la lignée des grands de l’instrument, les Grant Green, Wes Montgomery, Kenny Burrell...ce qui n'est pas pour nous déplaire.
Il a su s’entourer de complices aussi doués que lui et le quartet qu’il forme avec son ami le pianiste Spike Wilner est une splendide jazz machine. Ce pianiste avec lequel il a beaucoup joué en club dans ses années new yorkaises, en particulier au Smalls que possède à présent Wilner est son alter ego. L’un finit à peine sa partie que l’autre le relaie tout aussi étourdissant quand il entre dans la danse. Les deux échangent avec une énergie déconcertante et pourtant décontractée, une inventivité permanente adaptée à la fluidité de la musique. Le pianiste est « venu » avec son trio, une rythmique superlative (Paul Gill à la contrebasse et Anthony Pinciotti hélas disparu dernièrement) qui sait installer un swing généreux et robuste, propice aux envolées délicates du guitariste.
Neuf compositions qui prennent le temps de se déployer et développer des passages improvisés avec goût, parmi lesquelles un arrangement inventif et réussi de Magali (traditionnel folk) par ce guitariste limpide et trois compositions de son cru qui apportent une touche plus lyrique voire sentimentale comme dans l'exquise ballade Elsa Rosa . Le quartet reprend cinq standards dont deux de pianistes le Turquoise Twice de Cedar Walton peu revisité depuis sa sortie en 1967 sur lequel le contrebassiste joue un solo à l’archet impressionnant par sa clarté d’articulation et Mean What You Say de Thad Jones, titre éponyme de l’album, une ballade medium tempo avec une intervention musclée de Wilner.
Mais c’est à la mitan du CD avec une version du pourtant ressassé Besamo Mucho ( 1932) jouée plus de cinq cents fois depuis 1943 que le quartet s’envole faisant retrouver à ce classique une fraîcheur surprenante. Contre toute attente la chanson de Consuelo Valasquez est revivifiée sur un tempo en 5/4 ce qui change quelque peu la donne. La rengaine swingue d’un coup et le guitariste soyeux trace sa ligne claire avec élégance. Out of The Town de Cole Porter moins connu peut être que ses « tubes » éternels est interprété sur un rythme plus nonchalant, latin qui bizarrement souligne combien cette mélodie mélancolique est inspirante. Tout à fait dans l’esprit de Cole Porter avec encore un solo à l’archet de Paul Gill. Quant à For John L, cette autre composition de Brouqui m’a fait revenir aux grandes heures d’un jazz post bop qui n’existe plus guère aujourd’hui, en France du moins, une pulse chaleureuse irrésistible, pas du tout hypnotique mais euphorisante.
Le quartet termine en beauté « tranquillement » avec la valeur sûre qu’est Caravan. Enfin pas si quiètement puisqu’ils finissent sur un up tempo très impressionnant. Un épilogue énergique et emballant. C’est la musicalité et la cohésion de ce groupe que l’on retient d’un bout à l’autre de cet album lumineux qui s’écoute d’une traite et donne une furieuse envie de se retrouver en club entre amis ou sur une piste de danse. Voilà une musique que ne décalquera pas cette sacrée Mademoiselle I.A.
Sophie Chambon