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8 juin 2021 2 08 /06 /juin /2021 14:18
FABIEN MARY AND THE VINTAGE ORCHESTRA  TOO SHORT

FABIEN MARY AND THE VINTAGE ORCHESTRA

TOO SHORT

LABEL JAZZ & PEOPLE/ DISTRIBUTIN PIAS

 

Fabien Mary – trompettiste / compositeur / arrangeur

 

The Vintage Orchestra:
Erick Poirier, Julien Ecrepont, Fabien Mary, Malo Mazurié : trompette
Dominique Mandin, Olivier Zanot, Thomas Savy, David Sauzay, Jean-François Devèze: saxophone, clarinette, flûte
Michaël Ballue, Michaël Joussein, Jerry Edwards, Martin Berlugue, Didier Havet: trombone
Florent Gac: piano
Yoni Zelnik: double basse
Andrea Michelutti: batterie

 

Le trompettiste Fabien Mary a beaucoup joué dans différents big bands, à Paris (Paris Jazz Big Band, Dal Sasso-Belmondo Big Band, Stan Laferrière Tentet, Gérard Badini Super Swing Machine, Michel Legrand Big Band, François Laudet Big Band). Sans oublier le Vintage Orchestra avec lequel il joue depuis sa création, leur premier disque datant de 2003.

Elle est donc longue l’histoire de Fabien Mary avec The Vintage Orchestra. Il a pu en conséquence concocter du “sur mesure” pour cette rutilante machine!

Après son Left Arm Blues, en octet, en 2018, il passe à la taille au-dessus, celle d’un grand format, accompagné de 16 musiciens : 5 (saxophone, clarinette, flûte), 4 trompettes, 5 trombones, piano, contrebasse, batterie. Le répertoire est de sa composition, dix pièces arrangées par ses soins qui mettent en valeur les cuivres, équilibrent les différents pupitres et c’est Dominique Mandin qui dirige cette formation parisienne.

De la pochette de l’album dans le style des Blue Note de la grande époque aux premiers accents du titre éponyme, “Too Short”, on se croirait revenu à l’époque des grands orchestres, mais pas exactement ceux de Duke ou du Count ou de l’ère swing. Le trompettiste s’est familiarisé avec toute sorte d’arrangeurs différents, et il va voir du côté des grands, comme Gil Evans, Thad Jones ou Bill Holman ( chez Stan Kenton, ou dans son big band), le tromboniste Slide Hampton et le pianiste Duke Pearson. Pour ces deux derniers, Fabien Mary a d’ailleurs composé un hommage, respectivement “One for Slide” et “D.P” ( Song for Duke Pearson).

L’écriture est virtuose, toutes les compositions sont de sa plume, sans le recours aux standards, mais fidèle à la tradition. Le trompettiste sait composer pour des solistes qui se distinguent au coeur des compositions. Et il a le bon goût de rester en retrait.

Peut être que le point commun avec les grands arrangeurs est de considérer l’orchestre comme un instrument et de créer une musique pour musiciens. S’il ne les a pas choisi, il a joué avec les musiciens du Vintage, il sait comment les faire résonner, swinguer, marier timbres et couleurs; tout à fait en mesure d’écrire une musique sur des tempos qu’ils soient capables de jouer, étoffant la complexité de son écriture puisqu’ ils sont en mesure d’improviser! Il cadre très proprement l’ensemble sur CD, qui peut exploser sur scène!

Malgré une grande fluidité, la simplicité n’est qu’apparente. On salue un travail des plus soignés pour des instrumentistes chevronnés, qu’il faut tous citer. Tous font un boulot admirable, mettant leur technique, inscrite dans la tradition, au service d’une grande élégance et générosité! Rendons hommage à l’instigateur de ce projet brillant, fédérateur, qui a travaillé une structure rigoureuse et dense pour aboutir à un jazz effervescent, à flot continu, encore porteur de sens et de vertus formelles!

Sophie Chambon

 


 

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3 juin 2021 4 03 /06 /juin /2021 22:47

Paul Jarret (guitare), Jim Black (batterie), Jozef Dumoulin (piano électrique, synthétiseur basse), Julien Pontvianne (saxophone ténor)

Malakoff, 7-8 mars 2021

Neuklang NCD 4233 / Big Wax Distribution

 

Une impression étrange : des premières mesures assez pop puis, plus ou moins progressivement, l'infiltration douce (ou parfois brutale) de facteurs divergents, sur le plan du son et du rythme. Et si l'on pourrait croire de prime abord à une soumission aux codes ambiants, il faut bien vite se rendre à l'évidence : on est ici en territoire de liberté. Dans la première plage le transit est très échelonné, par touches allusives, comme des ballons d'essai. Et au fil des plages on va entrer de plus en plus vite dans le vif du sujet. Fidèles à leurs réputations de trouble-fête prospectifs, Jim Black et Jozef Dumoulin vont nourrir de leurs effractions, vives ou nuancées selon le cas, le projet artistique et musical de Paul Jarret. Il faut dire que la genèse de cette aventure s'enracine dans le Prix Talents Adami Jazz, attribué en 2019 au guitariste. S'ensuivit la constitution de ce groupe avec des partenaires en vue, choisis non pour la visibilité de leur carrière, mais pour la singularité de leur apport musical. Des concerts, puis ce disque, façonnèrent la consistance du projet. Julien Pontvianne, au saxophone, est à son aise aussi bien dans les textures sonores inusitées (son intérêt pour la musique spectrale y est probablement pour quelque chose) que dans le pur lyrisme propre à son instrument (Ghost Song #2). Quant à Paul Jarret, initiateur du groupe et de la musique, il est constamment présent, mais sans esprit hégémonique : en nuances et attentions de tous les instants, impulsions, allusions, voire retrait. Bref c'est un disque à écouter (et à réécouter) avec toute la disponibilité qu'il requiert. C'est le propre de la très bonne musique.

Xavier Prévost

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Le groupe jouera le samedi 6 juin 2021 à Paris, au New Morning, dans le cadre du Pégazz Festival. Entrée libre, réservation obligatoire, participation libre sur place. Concert également retransmis sur Ad Lib TV. Toutes les infos en suivant le lien ci-dessous

http://www.pegazz.com/pegazz-festival-2021/

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3 juin 2021 4 03 /06 /juin /2021 12:25
RICERCARE        PHILIPPE MOURATOGLOU TRIO

PHILIPPE MOURATOGLOU TRIO RICERCARE

Visions fugitives

www.visionfugitive.fr

 

VISION FUGITIVE - Catalogue

www.philippe-mouratoglou.com/fr

Philippe Mouratoglou doit rêver ses disques et il parvient à les réaliser avec le soutien de Vision Fugitive, un label exigeant jusqu’à la conception du livret (excellentes notes de Pascal Rozat, peintures d’Emmanuel Guibert ). Et un trio qui fonctionne à l’intuition, recherchant formes et couleurs sonores, comme le ferait un peintre dans son atelier. Emmanuel Guibert qui suit le façonnage toujours soigné des albums du label, se concentre cette fois sur Varengeville, sur la côte d’albâtre, en Normandie, où Georges Braque installa son dernier atelier, attirant tous ses copains peintres, fascinés par la lumière marine, les bocages et valleuses herbues.

Après Universolitude (Eluard), le deuxième album de ce trio inclassable qui brouille les repères, Ricercare, est bien nommé. Ricercare, c’est “rechercher” et nous voilà à pied d’oeuvre avec cette fine dentelle sonore qui éveille l’imagination, entraîne des visions comme dans l’inaugural “Cherokee”, titre qui pourrait nous balader. Il ne s’agit point du standard de Ray Noble mais d’une référence à Joni Mitchell, la dame de Laurel Canyon et d’un emprunt à l’un de ses “open tunings”, accordages ouverts, qui facilitent la tâche, en jouant sans la main gauche des accords majeurs ou mineurs. Philippe Mouratoglou aime aussi perdre ses repères digitaux, se lancer sans réfléchir, dit-il, abandonner les plans et autres réflexes guitaristiques, se laisser porter par ce qui advient, la musique du hasard. La scène s’ouvre à un lieu d’expériences, ces accidents somme toute heureux, car le hasard aussi a son mot à dire. Le guitariste n’a peur de rien mais il peut se le permettre, il joue avec une telle dextérité, et de tous ses doigts, ça lui réussit!

Les guitares folk à cordes en métal induisent de longues résonances et une étrange familiarité, l’instrument recrée les images du genre, avant de les contourner, tout en restant dans une même perspective. Philippe Mouratoglou ne tombe jamais dans le piège attendu du lyrique quand il en a toutes possibilités.  On va ainsi de surprise en surprise avec l'envoûtant “Bleu Sahara” et  ce “Shamisen” joué au mediator, qui attaque fort, avec un son loin du luth japonais du titre. Le guitariste qui fréquente plutôt les classiques, aussi à l’aise dans le baroque que le contemporain, pourrait se voir associé à d’autres styles, inclassable guitar hero, à qui il ne manque que l’électrique.

Les compositions ont des titres inspirés de poèmes, le guitariste ayant saisi la leçon des “correspondances”, tentant avec succès d' habiller sa musique. Sur les dix titres, on compte une reprise du thème magnifique de Jimmy Rowles “The Peacocks”, ce “Ricercare” XXXVIII d’un luthiste du XVIème qui ne trompe pas sur sa provenance baroque. “Inventions sur Curumim” est plus intrigant: librement inspiré de Curumim, cette chanson brésilienne est transformée au point de ne pas en déceler l’origine, à la première écoute.

Venons-en aux indispensables complices, les partenaires de cet hydre à trois têtes, trio à l’instrumentation peu classique ( guitares acoustiques, contrebasse, batterie). Ils poussent toujours plus loin les compositions, apportant  leurs nuances coloristes dans une texture soyeuse qui enchaîne climats d’une grande douceur et atmosphères plus engagées. 

Ramon Lopez, maître du rythme est souvent plus affairé à peindre sa toile sonore, projetant une pluie de sons, myriades de gouttes sonores sur  la mélodie de Mouratoglou. La contrebasse structurante de Bruno Chevillon, toujours impeccable, ajoute le raffinement d’autres cordes en action. La rythmique joue à une improvisation complice, brossant tout un arrière-pays dans une tonalité sourde qui traduit une émotion souvent contenue. Et quelle réussite que ces deux duos en miroir, l’un avec Bruno Chevillon qui travaille l’archet dans “Capricornes” et l’autre avec Ramon Lopez, dans cet improbable “Shamisen”.

Ce trio singulièrement attrayant fait le pont entre des musiques a priori inconciliables, en montre au contraire les affinités, propose toute une galerie d'expressions. Avec la souplesse d’une musique qui n’est jamais mieux servie que quand elle est jouée avec douceur.

 

Sophie Chambon

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1 juin 2021 2 01 /06 /juin /2021 18:46

Dave Holland (contrebasse, guitare basse), Kevin Eubanks (guitare), Obed Calvaire (batterie)

New York, 10-11 septembre 2020

Editions Records EDN 1172 / UVM Distribution

 

Un autre pays ? Un autre territoire ? Ou un retour aux multiples sources ? Probablement tout à la fois. Le bassiste britannique né dans les Midlands, et immortalisé par le jazz U.S., a parcouru tous les territoires, d'Evan Parker à Miles Davis et Stan Getz en passant par Anthony Braxton, Sam Rivers et Steve Coleman. Il n'a pas oublié son goût pour le trio, dans cette instrumentation. Ce fut naguère avec John Abercrombie et Jack DeJohnette, puis avec Pat Metheny et Roy Haynes, et c'est aujourd'hui un nouveau groupe du même format. Kevin Eubanks était déjà son compagnon de route en quartette, à la fin des années 80, et Obed Calavaire a rejoint ce trio voici 4 ou 5 ans. La musique est d'une diversité confondante : blues, ballades aux mélodies subtiles, funk, improvisations débridées : tous trois sont parfaits, de bout en bout, avec une joie de jouer perceptible, et de très beaux dialogues entre le bassiste et ses deux partenaires (Passing Time, la plage 7....). Une totale réussite, et pour nous un absolu bonheur d'écoute.

Xavier Prévost

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Un avant-ouïr sur Youtube 

Bonne nouvelle : Dave Holland jouera en duo avec John Scofield le 6 novembre prochain à Paris, Maison de la Radio, pour un concert 'Jazz sur leVif'

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31 mai 2021 1 31 /05 /mai /2021 10:35
DMITRY BAEVSKY  SOUNDTRACK

DMITRY BAEVSKY

SOUNDTRACK

Jeb Patton( p) David Wong (cb)Pete Van Nostrand (dms),

Fresh Sound New Talent

Dmitry Baevsky

Dmitry Baevsky SOUNDTRACK (album trailer) - YouTube

 

SOUNDTRACK 

Dernier projet du saxophoniste russe Dmitry Baevsky, son neuvième album est une confession qui décline 13 titres enregistrés dans le New Jersey fin 2019, avec des musiciens du sérail. Seulement deux originaux se glissent  au sein d’une sélection de standards, des valeurs sûres. La musique s’écoute sans mots mais notre altiste se livre avec pudeur dans le livret et c’est bien. Car cette lecture est absolument indispensable pour comprendre le parcours compliqué, la drôle de vie d’un jeune musicien de 19 ans, obligé d’abandonner son saxophone à l’aéroport de sa ville natale, Leningrad, alors qu’il s’envolait pour deux semaines de stage aux Etats Unis. Il y restera plus de vingt ans pour apprendre le jazz, en assimiler les codes et en faire sa langue. Il quittera cependant ce pays où il s’était fait un nom sur la scène new yorkaise, pour Paris, repartant une fois encore à zéro : une nouvelle terre d’accueil, une plongée dans une culture et une langue différentes. Courageux sans doute mais cela en valait la peine, puisqu’ il y a enfin trouvé son point d’ancrage, il y a cinq ans, en fondant une famille….

Avec cet arrière-plan, on suit le montage de l’album selon une liste de titres, qui ne sont pas dus au hasard, qui nous baladent à travers des formes musicales, volontairement ouvertes: après une chanson populaire russe de son enfance, en ouverture et l'une de ses compositions, “Baltiskaya” du nom de la station de métro proche de chez lui, on suit ses petits cailloux qui ont pour nom “Invisible”, “Autumn in New York”, “Stranger in Paradise”, “Tranquility”, “Afternoon in Paris”. Ce sont de petites pièces, choisies et assemblées pour composer un portrait fragmenté, en puzzle. Pas de faux-pas, avec même quelques titres étonnants, des standards qui n’en sont pas vraiment, puisque peu joués, comme “Le coiffeur” de Dexter Gordon. Faisant remonter une vague de souvenirs qui aurait aussi bien pu le submerger, il essaie de leur donner forme dans une déclaration d’amour au jazz américain, à New York, à Paris. Son style est affirmé, solidement ancré dans le mainstream, son timbre d’alto, chaud, profond. Attaché à la clarté des lignes qui peuvent masquer une complexité formelle, Il se sert de la musique comme d’un langage accessible à tous, soutenu par une grande complicité avec les membres de son quartet, une rythmique impeccable qui swingue avec finesse. L’accord est parfait avec son alter ego au piano, Jeb Patton : avec lui, la compréhension est immédiate, ils attaquent sur n’importe quel tempo, à l’aise dans un bop techniquement vif “Over and Out”, ralentissent voluptueusement dans les ballades (“Autumn in New York”), sont délicieusement funky dans “The Jody Grind” du grand Horace Silver. Dmitry Baevsky a le chic de conclure sur "Afternoon in Paris" en trio sans piano, par amour de la formule. Un sans faute!

 

Sophie Chambon

 

 

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23 mai 2021 7 23 /05 /mai /2021 16:35

Masabumi Kikuchi (piano)

New York, décembre 2013

Red Hook Records 1001/ https://www.redhookrecords.com

 

Mon premier souvenir de ce pianiste, c'est un disque du flûtiste traditionnel (merveilleux musicien, joueur de shakuachi) Hozan Yamamoto ; lequel avait enregistré en 1970 pour Nippon Phonogram un disque en quartette avec Gary Peacock à la basse. Le disque avait été publié en France par Polygram, à un petit tirage. Je l'avais découvert par une chronique enthousiaste de Jean Delmas dans le Jazzophone (magazine publié par le CIM d'Alain Guerrini), et un ami m'en avait fait une copie sur K7. Bien des années après, le cherchant sur CD, je dus constater qu'il n'existait qu'au Japon, et pas d'import ici. Une amie qui a vécu et travaillé là-bas m'en procura un exemplaire. J'avais été frappé par le talent singulier du pianiste de ce groupe, son sens de l'espace, et une certaine idée de la liberté. J'ai écouté par la suite bien des disques sous son nom (dont des trios avec Peacock), mais le retrouver aujourd'hui, avec cet enregistrement réalisé quelque temps avant sa mort, et publié en 2021 par un label irlandais de Cork, ravive la belle impression de naguère. Il y a d'abord ce sentiment de mise en suspens, cette lenteur dont on ne sait si elle a pour origine l'hésitation ou le doute métaphysique. Mais c'est comme un supplément d'expression, une intensité retenue qui fait mouche. Hormis une improvisation et une composition personnelle, le répertoire se compose de standards d'origines diverses. Le premier, Ramona, est -après une intro totalement excentrée- traité dans une lenteur presque déconstructrice. Et le familier devient ainsi d'une totale étrangeté. Puis c'est Summertime, abordé depuis un horizon lointain avant de se livrer sur un soubassement harmonique tendu à l'extrême. My Favorite Things subit le même traitement analytique qui va nous entraîner encore plus loin de nos souvenirs thématiques. La plage improvisée sera plus prolixe que les précédentes. Quant à la composition personnelle et conclusive, elle nous promène d'expansion en rétraction, et finit de nous plonger dans cet état second qu'il serait agréable de ne plus quitter. C'est dense, assez fascinant, et ça mérite le détour.

Xavier Prévost

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Un avant-ouïr sur Youtube 

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22 mai 2021 6 22 /05 /mai /2021 16:20

Deux disques : un duo avec invité, et un duo stricto sensu

DANIEL ERDMANN & STÉPHANE PAYEN «Bricabracomaniacs»

Daniel Erdmann (saxophone ténor), Stéphane Payen (saxophone alto)

invité sur deux plages : Paul Erdmann (violon alto)

Reims, printemps 2018

Yolk Records J2084 / l'autre distribution

 

Ce n'est probablement pas un hasard si la première plage installe une atmosphère proche des inventions de Bach (d'ailleurs le livret nous dit que c'est conçu, comme une autre plage du CD, d'après le Cantor de Leipzig). Tout le disque paraît élaboré selon un sorte de science de la combinatoire, un jeu de constructions mélodiques, rythmiques et harmoniques qui s'offrent à nous comme un exquis labyrinthe où l'on a plaisir à se perdre. Outre les deux saxophonistes, les autres pourvoyeurs de thèmes sont Doug Hammond, Steve Argüelles et le saxophoniste néerlandais Jorrit Dijkstra. Et tout le répertoire semble procéder de cette démarche en spirales vertigineuses. Cet enregistrement, réalisé au Centre National de Création Musicale Césaré à Reims, nous ouvre les portes d'un univers plein de surprises, de jaillissements, d'harmonie et de tensions, mais abondamment pourvu aussi d'une sensualité musicale palpable. Comme chez Bach, ou pour le jazz chez les héritiers de Tristano (Lee Konitz en duo avec Warne Marsh, parmi d'autres), ce que l'on croirait à tort une pure construction de l'esprit se révèle constamment à l'immédiateté de nos sens. Bref c'est de la vraie Grande Musique.

AKI TAKASE & DANIEL ERDMANN «Isn't It Romantic»

Aki Takase (piano), Daniel Erdmann (saxophones ténor & soprano)

Budapest, 3-4 août 2020

Budapest Music Center BMCCD 301 / Socadisc

 

La formule piano-saxophone, comme le titre de l'album (celui du standard qui conclut les 13 plages) pourrait nous laisser penser qu'il s'agit d'un disque 'à l'ancienne'. Il n'en est évidemment rien, même si l'engagement total dans la musique, dans la substance mélodique comme dans la sensualité du timbre, peut nous rappeler des émois du passé. C'est comme une joute, un dialogue qui tourne au défi, mais se résout dans la convergence musicale, dans la subtilité des nuances et dans une forme de sensualité suscitée par le timbre du saxophone, et sublimée par la palette harmonique du piano. Daniel Erdmann est, comme sa partenaire Aki Takase, rompu à tous les langages.Tout le vingtième siècle constitue le spectre de cet univers, du jazz presque classique aux improvisations les plus libres, avec aussi à quelques rythmes qui rappellent Stravinski, quelques lignes mélodiques sinueuses qui nous entraînent du côté de Bartók, sans parler d'instants lyriques qui feraient revivre Berg, et d'un dépouillement qui ferait rêver à Satie. Vous penserez que je fantasme, et vous aurez sans doute raison. Comme (presque) tout le monde, j'écoute la musique avec ma mémoire, même quand elle m'entraîne sur un sentier inconnu. Bref cette musique m'a emporté loin de mes bases. C'est signe sans doute que c'est de la très très bonne musique.

Xavier Prévost

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Un avant-ouïr du duo Aki Takase – Daniel Erdmann sur Youtube

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21 mai 2021 5 21 /05 /mai /2021 20:08

Esaie Cid (saxophone alto, clarinette), Jerry Edwards (trombone), Gilles Réa (guitare), Samuel Hubert  (contrebasse) et Mourad Benhamou (batterie).
Studio Piccolo, Paris, 15 octobre 2020.

Swing Alley, Fresh Sound/Socadisc


Grâce au saxophoniste Esaie Cid, la compositrice Katherine Faulkner Swift (1897-1993), plus connue sous son nom d’artiste Kay Swift, gagne une reconnaissance posthume et amplement justifiée.

Si l’histoire du spectacle a retenu sa romance avec George Gershwin (qui fit scandale pour une femme mariée à un banquier et mère de trois enfants), elle aura été la première femme à composer pour Broadway avec le show ''Fine and Dandy'', présenté en 1930. Après le décès de George Gershwin, son contemporain (1898-1937), Kay Swift continua à composer notamment en compagnie du frère de George, Ira Gershwin.

La première période de la carrière de la songwriter avait été proposée par Esaïe Cid, saxophoniste alto et clarinettiste, dans un album sorti en 2019*.

Le jazzman barcelonais installé à Paris depuis deux décennies nous présente aujourd’hui une suite avec une sélection d’œuvres inédites écrites par Kay entre 1930 et 1970 pour ses proches ou pour des shows qui eurent peu de succès ou restèrent simplement à l’état de projet. On y retrouve ainsi ‘’A Moonlight Memory’’ écrit en 1933 avec Edward Heyman, l’auteur de Body & Soul.  


Esaie Cid a réalisé des arrangements sur ces œuvres et les interprète avec son quintet de cœur (Jerry Edwards, Gilles Réa, Samuel Hubert et Mourad Benhamou). Cette formation sans piano évolue avec élégance et déploie une couleur sonore très West Coast des années 50. Un charme indéniable allié à une sensibilité authentique qui séduit tout au long des 45 minutes de cet album tout à fait recommandable.

A relever un livret signé de la petite fille de Kay Swift, Katharine Weber qui maintient sa mémoire, (KaySwift).

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

SBVOL.2


* Esaie Cid, ‘’The Kay Swift songbook’’. 2019
Swing Alley, Fresh Sound/Socadisc.

 

©photo Patrick Martineau, Dominique Rimbault et X. (D.R.)

 

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15 mai 2021 6 15 /05 /mai /2021 21:36

Franck Assemat (saxophone baryton), Christiane Bopp (trombone, saqueboute), Xavier Bornens (trompette & bugle), Morgane Carnet (saxophone ténor), Sophia Domancich (pianos, piano électrique), Michel Edelin (flûtes), Jean-Marc Foussat (synthétiseur, voix), Dominique Lemerle (contrebasse), Christian Lété (batterie), Rasul Siddik (trompette, percussions, voix), Sylvain Kassap (clarinettes), Jean-François Pauvros (guitare, voix) & Gérard Terronès (présence)

Paris, sans date

Le Générateur LG451 / l'autre distribution

 

Ce disque est le témoignage et l'aboutissement d'une folle aventure qui vit le jour voici une dizaine d'années, par la grâce d'une conversation entre Jean-François Pauvros et Gérard Terronès. Ainsi naquit l'idée d'un grand orchestre rassemblant des improvisateurs et improvisatrices des générations qui se sont succédées depuis le début des années 70 jusqu'aux années 2000. Gérard Terronès, activiste de la scène et du disque (avec notamment les labels Futura, Marge, puis Futura Marge) fut un acteur majeur des années free. Et Jean-François Pauvros fut l'un des musiciens les plus engagés dans les musiques de l'extrême. C'est dire que, de ce projet commun, ne pouvait surgir que des musiques fécondes et des émois d'une belle intensité. J'ai le souvenir d'avoir assisté à plusieurs des concerts du cycle 'Jazz à La Java', rue du Faubourg du Temple, entre 2012 et 2016. Et sous l'œil bienveillant et l'oreille attentive de Gérard Terronès, c'est un 'Jazz en liberté' qui pouvait chaque fois éclore, comme un écho au titre de l'émission qu'il a longtemps proposée sur Radio Libertaire. Au fil des rencontres, entre les débuts de l'orchestre et ce disque, Futura Expérience a vu passer, en plus des personnes citées plus haut, Leïla Martial, Pierrick Pédron, Claude Barthélémy, Ramón López, Bobby Few, Alexandra Grimal, et beaucoup d'autres qu'il serait vain de vouloir citer de manière exhaustive (d'ailleurs, j'en suis bien incapable....).

Puis est venu le temps d'enregistrer pour aboutir au disque. Gérard Terronès n'a pas vu la fin de cette aventure, mais la liste des membres du groupe se termine ainsi : Gérard Terronès, présence. Plus qu'un symbole, un manifeste.

Mais parlons du disque. Il commence par une étonnante version de Lonely Woman avec, sur une rythmique binaire appuyée, un exposé du thème, lent et majestueux comme une prière, ou un chant rituel, dans un tutti d'où émergent les singularités instrumentales. C'est fort et beau, le décor est dressé. Puis c'est une composition de Jean-François Pauvros, Opale, ressurgie du passé («Hamster Attack», Londres,1988), évocation mélancolique du rivage pas-de-calaisien de la Mer du Nord, rivage cher à son cœur. Retour à Ornette ensuite, avec Sadness. Éclats de liberté sur un canevas qui, décidément, reste sombre. Puis Retrospect de Sun Râ commence par une digression très libre, et très intense, de Sophia Domancich, digression attisée par Sylvain Kassap, Xavier Bornens, Michel Edelin et les autres, sur fond de tambours éloquents. Et le thème s'épanouit, prend ses aises, et s'ouvre aux multiples improvisations ; c'est la plus longue plage du disque, et l'on est embarqué. Fables of Faubus commence sur un monologue rythmé par un piano manifestement choisi pour son désaccord profond. Puis le lancinement historique de ce célèbre thème de combat emporte tout sur son passage. Maintenant c'est Machine Gun (pas celui de Peter Brötzmann, celui de Jimi Hendrix), et ça barde, mais avec une verve lyrique. Puis c'est Totem, signé Michel Edelin, emprunté au répertoire du groupe 'Flûtes rencontre', mais aussi pour nous tous (eux les artistes, nous les amateurs), le souvenir d'un club du treizième arrondissement de Paris, le Totem, où Gérard Terronès fit entendre de très belles musiques, dont certaines immortalisées au disque (Archie Shepp avec Siggy Kessler, Raymond Boni / Gérard Marais Duo, le groupe Perception autour de Didier Levallet.....). Et pour conclure retour à un thème (et à la voix) de Jean-François Pauvros pour Memorias del Olvido, issu du disque «Buenaventura Durruti» (nato, 1996). Un disque fort comme l'amitié et le goût de l'aventure. Bravo les gars et les filles, Gérard aurait aimé ce disque. Je crois même qu'il aurait aimé le produire.

Xavier Prévost

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Un extrait sur le site du Festival Sons d'Hiver 

La bande annonce du documentaire Futura Expérience de Rémi Vinet 

Concert au Théâtre Berthelot de Montreuil-sous-Bois le 20 octobre 2017, 7 mois après la disparition de Gérard Terronès 

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13 mai 2021 4 13 /05 /mai /2021 19:19
Mauro GARGANO Alessandro SGOBBIO Christophe MARGUET  FEED

Mauro GARGANO Alessandro SGOBBIO Christophe MARGUET

FEED

DIGGIN MUSIC PROD /ABSILONE SOCADISC

SORTIE 7 MAI 2021


Au vu de sa discographie, on connaît surtout Mauro GARGANO comme l’indispensable accompagnateur de musiciens avec lesquels il a su tisser des liens indéfectibles. Il a néanmoins créé en 2009 son premier groupe Mo’Avast ( “ça suffit” dans le dialecte des Pouilles), ce qui n’est pas un détail.

Il revient avec une nouvelle formation et un album, simplement intitulé FEED, conçu en plein Covid, entre avril et septembre 20. Alors que beaucoup d’artistes confinés se réservaient en solo, le contrebassiste est la pierre angulaire d’un trio inspiré qui se réinvente au fil des morceaux, huit pièces vibrantes qui donnent à ces “nourritures” une cohérence rare. S’il rend justice à certaines influences (dans “Feed”, il suit Craig Taborn qui privilégie la basse comme ligne principale de la mélodie), le contrebassiste donne une interprétation libre et rigoureuse qui doit beaucoup à la performance collective, à l’alliage efficace des timbres, à une fusion dans le flow de l’improvisation, à une vision d’ensemble clairement exposée. La musique suit une ligne imaginaire reliant rock prog, fragments de folk (“Lost wishes”), chanson italienne, harmonies municipales pendant les processions de Pâques (“Ilva’s Dilemma”) mais aussi le contemporain et le jazz qui s'exprime parfois en "petits motifs rythmiques, répétés avec de petites variations", sorte de haïkus musicaux.

Communiant fiévreusement avec les rythmes jamais ralentis d’un Christophe Marguet qui s’épanouit dans les crescendos, la pulsation demeure l’élément dominant du trio, avec du tranchant et une détermination que l’on peut après coup, associer au danger de l’orange de la pochette, couleur radioactive”, criminelle et polluante. Pas de sentimentalisme ni d’autofiction dans cette musique qui chante par ailleurs l’amour des Pouilles natales, l’attachement à une certaine culture.

Son “message” fait remonter une émotion vive, une rage devant l’injustice que font endurer aux plus faibles les puissants. Par deux fois, Arcelor Mittal est désigné comme le responsable hautement criminel dans Ilva’s dilemma” et “The red road”, une histoire dramatiquement actuelle qui nous est racontée par la musique. Le contrebassiste réfléchit encore à cette période étrange du confinement (“Keep Distance”) où il fallut recoller les morceaux d’un moi brisé, rassembler les fragments épars, regarder au delà, pour ne pas perdre pied, comme dans ce “Look Beyond The Window” dans une spirale qui aspire jusqu’au vertige, avec un batteur lui aussi imprégné de cet esprit de Résistance .

Feed alterne aussi des moments élégants, de répit, teintés de mélancolie, frémissements où le pianiste Alessandro Sgobbio détache les notes du silence. La musique composée par Mauro Gargano a la juste gravité pour exalter ce “soulèvement” émotionnel. Tout ce qui lui importe est d’aller au bout de son idée. Et il atteint son but puisqu’elle résonne encore fort dans notre conscience, longtemps après l’avoir écoutée.

 

Sophie Chambon


 

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