GERALD CLAYTON : « Tributary tales » Gérald Clayton (p), Logan Richardson (as), Ben Wendel (ts), Dayna Stehens (bs), Joe Sanders (cb), Justin Brown (dms), Aja Monet (vc), Carl Hancock Rux (vc), Sashal Vasandani (vc), Henry Cole (perc), Gabriel Lugo (perc) Motema 2017
Attention, moment fort. Que tous les vacanciers retardataires, n’hésitent pas une seule seconde : ruez vous sur le dernier album du pianiste Gerald Clayton ! Et si vous vouliez vous baigner par ces temps de fortes chaleurs, nous vous garantissons ici une nage en eaux vives.
On le sent, le pianiste a beaucoup de choses à dire et les moyens de les exprimer tant il peut compter sur un quintet de très très haute volée avec lequel il peut explorer plusieurs formes du jazz des plus straights aux plus modernes. Magnifiquement écrit et dirigé, « Tributary tales » possède le souffle épique des grands conteurs, de ceux porteurs d’une tradition séculaire. Il le dit bien d’ailleurs dans ses liners : « Faire du neuf avec du vieux » ! Gerald Clayton se fait le grand ordonnateur de cette album depuis son ( ou plutôt ses) claviers, juxtaposant les lignes simples et les harmonies complexes qu’il élève avec grâce vers le sommet des muses. Ben Wendel ( ténor) tutoie ces cimes (sur Envisionnings !) alors que Logan Richardson à l’alto jette des braises sur un feu incandescent maintenu par le maîtres des forges, Justin Brown impérial drummer s’il en est ! Sur deux morceaux, se joignent les voix slamées de Aja Monet et, celle magnifiquement sombre de Carl Hancock Rux sur un morceau totalement envoûtant et fantomatique ( voir la video).
Superbement inspiré, ce nouvel album de Clayton marque un vrai tournant dans son parcours. Heureux, passionné et inspiré. Tout ce que l’on aime en jazz ! Jean-Marc Gelin
Le saxophoniste-compositeur-romancier publie simultanément un CD en quartette intitulé « Unklar » et un 'roman et musique' de 164 pages, couverture recto-verso incluse, car tout est imprimé, y compris des inter-pages uniformément encrées de noir. Un roman titré De la violence dans les détails, dans lequel une alvéole découpée à l'emporte-pièce reçoit une minuscule clé USB contenant un fichier de 43 minutes de musique (également séquencées en fichiers séparés, dans un ordre différrent, d'environ 36 minutes), musique jouée par 16 musiciens, du solo au tentet au fil des plages. Et la clé comporte évidemment le texte du roman en format numérique. On se rappelle, concernant Nicolas Stephan, le sextette 'Le bruit du [sign]', avec Jeanne Added, Sébastien Brun, Théo Girard, Julien Rousseau & Jullien Omé : haut lieu de singularité créative. Nicolas Stephan poursuit sa route d'exigence talentueuse avec ces nouvelles œuvres.
Nicolas Stephan « Unklar »
Nicolas Stephan (saxophone ténor, composition), Fanny Ménégoz (flûtes), Antonin Rayon (orgue, synthétiseur basse), Benoit Joblot (batterie).
Les intervalles sont distendus, les tonalités flottantes, et c'est peut-être pour cela que la sensation d'un lyrisme entêtant submerge. La qualité de l'écriture n'est pas seule en cause : les considérables ressources des solistes-improvisateurs/trices étoffe la densité musicale de l'objet, comme il est de tradition dans cette musique que l'on appelle le jazz (au sens large) où le collectif contrebat l'idée d'une œuvre qui serait l'exclusif apanage du compositeur-leader (lequel assume assurément l'émergence et la pérennité du projet). Un beau parcours s'ouvre à l'écoute, entre écriture contemporaine, pulsation et liberté du jazz (et d'autres musiques pas moins libres !). Une vraie réussite.
Nicolas Stephan : De la Violence dans les détails, Roman et musique
Un livre objet de 164 pages, contenant une clé USB avec une musique qui « sans être la musique de l'histoire […] développe une autre vision des thèmes du roman ».
Nicolas Stephan (composition, saxophone & voix), Julien Desprez (guitare électrique), Csaba Palotai (guitare électrique), Théo Girard (contrebasse), Anne Palomeres (danse sonorisée), Antonin Rayon (orgue, clavier et piano), Sébastien Brun (Batterie), Pierre Alexandre Tremblay (guitare basse), Benjamin Body (contrebasse), Fidel Fourneyron (trombone basse), Julien Rousseau & Brice Pichard (trompettes), Johan Renard & Youri Bessière (violons), Cyprien Busolini (alto), Julien Grattard (violoncelle) Mézinville, Ivry, Huddersfield, Paris, entre 2010 et 2014 Disponible via le site www.sophieaime.com
Le roman procède d'une singularité qui le rend difficilement assignable à un quelconque genre : identités flottantes, lieux fluctuants, tout nous entraîne au plus loin de tout repère, au risque (assumé) de se (nous) perdre. De multiples récits s'interconnectent dans un flux dont on devine qu'il a été conçu pour défier la maîtrise. De leitmotiv en fausse piste il est possible (et souhaitable) de céder à l'égarement. La musique quant à elle, inspirée par le texte, s'affranchit de toute prétention illustrative et, de l'aveu de son initiateur « elle prend d'autres chemins que le roman, tout en passant par les mêmes points ». Enregistrée sur une longue période dans des lieux différents, et avec des effectifs variables, elle trouve cependant son unité dans ce qui semble être l'adhésion de chacun(e) à la folie prospective du projet. L'ensemble constitue une pièce de jazz contemporain où cohérence formelle et liberté d'escapade cohabitent parfaitement. Étrange et, il faut l'avouer, fascinant. À écouter/lire de manière synchronique ou diachronique, comme l'on veut, en s'offrant aussi le choix de bouleverser l'ordre des séquences puisque la clé USB offre la musique dans un flux unique, ou selon des séquences autonomes renvoyant à certains chapitres ou intertitres du livres. Xavier Prévost
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Le répertoire d'Unklar sera donné en concert le 16 septembre à l'O Gib de Montreuil (93) et le 18 novembre à La Fraternelle de Saint Claude (39) De la Violence dans les détails sera présenté le 12 novembre à Paris, à l'Atelier du plateau
Pour un all-stars c’est un all-stars ! Et pas des moindres. Le grand Dejohnette dont in faire cette année les 75 ans, Le guitariste maître du blues moelleux John Scofield, le calviniste de génie John Medeski dont on raffole des sons d’orgue un peu cargos et enfin l’immense bassiste ex camarade de jeu de Brad Meldhau, Larry Grenadier. Un quartet d’exception ? Plutôt un quatuor de génie !
Et pourtant si ces quatre musiciens (qui ont tous joué avec le gratin mondial du jazz) se connaissent bien et s’ils se sont souvent rencontrés que ce soit Scofield et Dejohnette vieux compagnons de route ou encore le guitariste avec Medeski + Martin & Wood avec lesquels ils ont enregistré plusieurs albums, ces quatre-là n’avaient jamais été réunis sur un même projet. Tout le mérite en vient ici à Jana Herzen, la-déjà-emblématique patronne du label qui a su les réunir pour un album dont on peut dire d’ores et déjà qu’il fera date.
Inspiré par une sorte de ballade le long des rives de l’Hudson, comme fil conducteur, cet album est une merveille d’inspiration improvisée. De blues moite et filandreux. D’espaces aériens. Mindfull ! Entre jazz et pop, cette musique tire son inspiration de cette vallée de l’Hudson qui a accueilli le festival de Woodstock et dont ils ont rapporté plusieurs compos : Hendrix, un suflureux Joni Mitchell ( Woodstock justement) un thème de Dylan ( Lay lady lay) interprété façon reggae ou encore a hard rain gonna all. D’autres thèmes ont été composés pour l’occasion de cet album notamment par John Scofield comme ce El swing aux lignes jazz et élastiques. De l’Hudson ils sont aussi allés puiser dans les chants vernaculaires des tribus indiennes, primitifs habitants de la vallée.
Cet album qui prend ses sources au fleuve des tubes de la pop sent bon l’Amérique profonde. De cette amérique que Scofield parvient à magnifier dans une sorte de moelleux enrobage. C’est du chocolat qui fond sous la langue mais avec une pointe de piment qui rend les choses juste un peu sales. Dejohnette / Scofield/ Medeski/Grenadier : c’est plus que la naissance d’un groupe. C’est plus que powerful. C’est carrément jouissif ! Jean-Marc Gelin
À côté de très nombreuses nouveautés et rééditions, les compagnies phonographiques de toutes envergures exhument des inédits de concerts comme s'il en pleuvait : ces derniers mois, Oscar Peterson à l'Olympia de Paris entre 1957 & 1962 (un coffret de 3 CD, 34 plages -dont 3 déjà publiées-), Bill Evans en 1976 dans le Wisconsin, avec Eddie Gomez et Eliot Zigmund, et l'un des derniers concerts du quartet historique de Dave Brubeck, avec Paul Desmond, en 1967 à Scheveningen, aux Pays-Bas.
Oscar Peterson «The Oscar Peterson Trio 1957-1962, Live in Paris»
Oscar Peterson (piano), Ray Brown (contrebasse), Ed Thigpen (batterie), & Herb Ellis(guitare) à la place d'Ed Thigpen sur les quatre premières plages du CD1.
Paris, Olympia, 5 mai 1957, 30 avril 1958, 21 mars 1960, 28 février 1961, 16 & 17 mars 1962.
Frémeaux & Associés FA 5674 / Socadisc
Honorable exhumation, mais qui laisse à penser que ces plages enregistrées par Europe N° 1 sont celles qui avaient été écartées (oubliées, ou égarées peut-être?) en 1993 pour le coffret «Oscar Peterson, Paris Jazz Concert, Europe 1» publié en 1993 par Tréma, et qui rassemblait des enregistrements de 1957 à 1969 (Olympia, Théâtre des Champs Élysées, Pleyel) proposés au public parisien par Daniel Filipacchi et Franck Ténot avec la complicité de Norman Granz. À l'époque 6 CD, avec un livret qui reprenait un texte de Jacques Réda pour son livre L'improviste, et offrait une analyse musicale très éclairante (et de surcroît très bien écrite !) de Laurent de Wilde. Il y eut aussi une édition partielle en 2000, toujours chez Trema. Si vous ne possédez ni l'une ni l'autre de ces éditions, alors vous pouvez vous laisser tenter. Si vous avez la chance de posséder le coffret de 6 CD, et même s'il y a cette fois 31 plages inédites, vous pouvez vous abstenir : ni la qualité, indiscutable, de la musique recueillie, et le traitement du son -pourtant bien réalisé-, ni le commentaire -succinct- du livret, ne justifient cette extension de votre impossible intégrale. Par exemple la version de On Green Dolphin Street de 1962, dans le coffret qui paraît ces temps-ci, avec intro rhapsodisée comme celle de 1961 dans le coffret Trema de 1993, ne supplante pas la dernière citée, pourtant handicapée par une sonorité de hall de gare. Enfin, c'est vous qui voyez....
Dave Brubeck Quartet «Live at the Kurhaus 1967»
Dave Brubeck (piano), Paul Desmond (saxophone alto) Eugene Wright (contrebasse), Joe Morello (batterie).
Scheveningen, Hôtel Kurhaus, 24 octobre 1967
Fondamenta-Lost Recordings FON-1704025 / Sony
De cette ultime tournée européenne du fameux quartette avant sa dispersion, il existe un disque Columbia enregistré 20 jours plus tard Salle Pleyel («The Last Time I Saw Paris», Columbia). Son programme comporte quatre thèmes également joués sur cet inédit, tout comme le programme du concert d'Antibes Juan-les-Pins, en juillet, publié quant à lui sous un label italien qui profitait des lacunes de la législation quant aux droits des artistes. Belle édition, très beau rendu sonore, le disque vaut surtout pour les magnifiques solos de Paul Desmond. Par exemple dans la dernière plage, sur Someday My Prince Will Come, où le saxophoniste nous raconte une histoire dans laquelle chaque étape de la structure harmonique est l'occasion d'une nouvelle exploration, une histoire fort différente de celle du disque «Dave Digs Disney» de 1957, alors que dans son solo Brubeck redonde avant de s'amuser avec le thème de Sing Sing Sing dans un épisode 'à la Erroll Garner' (comme il l'avait fait dans la version de 1957....). On peut se laisser faire aussi à cause de Blues For Joe, inauguré trois mois plus tôt à Juan-les-Pins, et qui met en valeur ce batteur à la palette diablement variée, et colorée.
Bill Evans «On A Monday Evening»
Bill Evans (piano), Eddie Gomez (contrebasse), Eliot Zigmund (batterie)
Madison, Union Theater, University of Wisconsin, 15 novembre 1976
Concord FAN00095 / Universal(existe en CD, vinyle, et téléchargement)
Six plages sur les huit sont des thèmes qui avaient également été enregistrés 10 jours plus tôt lors d'un concert à Paris, à la Maison de la Radio (publiées sur un album Fantasy et intitulé, comme plusieurs autres enregistrés au cours d'autres tournées «The Paris Concert»). Et des thèmes souvent joués au concert, et enregistrés, par ce Maître ès-dialogue(s). La musique circule ardemment entre les musiciens, en particulier dans les échanges avec Eddie Gomez. Le son du piano est acceptable (mais l'instrument ''zingue'' un peu) ; la contrebasse est bien captée ; et la batterie est manifestement moins bien servie. Mais cela reste un très beau disque, et peut-être le plus réussi du trio qui se trouve à ce moment-là au mitan de sa de collaboration (1975-1977). À écouter sans modération jusqu'à la parution d'un prochain inédit, avec une nouvelle occurrence de l'éphémère trio de l'été 1968, avec Eddie Gomez et Jack DeJohnette.
Inner Voice Jazz 2017 Marc Copland (p), Ralph Alessi (tp), Drew Gress (cb), Joey Baron (dms)
Il y a un an Marc Copland signait avec la même formation, l’album « Zenith » (voir la chronique de Sophie Chambon http://lesdnj.over-blog.com/2016/04/marc-copland-zenith.html) « Better be far » en est la suite logique, inscrit dans la même dynamique d’un groupe totalement fusionnel et toujours porté par Ralph Alessi qui en est, bien plus que Marc Copland, la véritable pierre angulaire, même si le pianiste de Philadelphie signe-là des compositions magnifiques qui évoquent parfois l’écriture de Kenny Wheeler. Le drive de Joey Barron, toujours magnifique apporte une lecture vivifiante comme sur cette version de Evidence de Monk que le batteur fait vibrer comme jamais. Copland parle habituellement de sa formation comme d’une équipe de basket : « si l’un des joueurs monopolise la balle, l’équipe stagne ». C’est pourquoi il y a dans cet album de vrais morceaux d’improvisations circulaires. Car c’est bien de cela qu’il s’agit. D’un fluide qui circule et qui transporte une énergie subtile transmissible de l’un à l’autre en parfaite harmonie. Comme le disait Sophie Chambon il y a un an, ce qui circule entre eux, c’est une certaine forme de vision poétique du jazz. Marc Copland nous offre ainsi un jazz intelligent et captivant. En éveil permanent. Jean-Marc Gelin
Thelonious Monk, piano, Charlie Rouse et Barney Wilen, saxophone ténor, Sam Jones, basse, Art Taylor, batterie. New-York, 27 juillet 1959. Nola Penthouse Sound Studios. Coffret 2 CD + livret. Sam Records/Saga. Sortie mondiale le 16 juin.
C’est un de ces hasards qui réjouissent. Dans un carton d’archives d’un producteur (Marcel Romano), son ayant-droit retrouve des bandes qui portent l’unique mention, Thelonious Monk. Une écoute attentive révèle qu’il s’agit là de la bande originale du film Les Liaisons Dangereuses 1960, un enregistrement réalisé en une seule journée, commande du réalisateur Roger Vadim. Un inédit attendu depuis un bon demi-siècle ! Fan de jazz, Vadim, qui avait choisi le MJQ pour Sait-On Jamais en 1957, fit appel à Romano, à l’origine de la participation de Miles Davis à Ascenseur pour l’Echafaud, pour persuader le pianiste. Pressé par le temps, Monk, après avoir visionné une copie du film mettant en vedette Jeanne Moreau et Gérard Philipe, enregistra sept de ses compositions (Rhythm-a-Ning, Crepuscule with Nellie, Well You Needn’t, Pannonica, Ba-Lue Bolivar Ba-Lues-Are, Six in One, Light Blue ) et un gospel de 1906, By and By. Le grand-prêtre du Be-Bop est à son apogée, ainsi que le révèlent les deux versions en solo de son hommage à la baronne de Koenigswarter, Pannonica. A ses côtés, le fidèle Charlie Rouse et partageant les parties de saxophone ténor le jeune Barney Wilen (22 ans) qui participe à deux titres (ce sera la seule collaboration du prix Django Reinhardt avec Monk). La rythmique est toute récente avec Sam Jones à la basse et Art Taylor à la batterie (on entend dans un making of , Monk lui donner ses instructions sur le jeu qu’il attend). Vadim était comblé et propose la musique de Monk pendant 30 minutes d’un film de 111 minutes. Pour célébrer le centième anniversaire de la naissance de Thelonious Monk (le 10 octobre 1917), voilà un cadeau tout trouvé à tout amateur de musique (tout court). Chapeau bas à Frédéric Thomas de Sam Records, maître d’œuvre de l’opération, avec la complicité de François Lê Xuan, Zev Feldman et Daniel Richard, tous bien connus des jazzophiles. Une version en vinyle est également disponible. Jean-Louis Lemarchand
Bruno Schorp (contrebasse), Christophe Panzani (saxophone ténor, clarinette basse), Leonardo Montana (piano, piano électrique), Gautier Garrigue (batterie)
Invités : Nelson Veras (guitare), Charlotte Wassy (voix), Tony Paeleman (claviers)
Poitiers, 2015 ; enregistrements additionnels en 2016
Shed Music SHED 006 / Absilone
De ce disque on pourrait dire qu'il est, en lui-même, un éloge de la mélancolie. Un éloge par touches successives, dans les demi-tons (couleurs ? intervalles ?), des escapades rêveuses et des rythmes faussement alanguis. Un éloge positif, qui n'induirait nulle tristesse, mais serait un voyage vers des horizons où nous attendraient d'autres découvertes, et d'autres songes. Et les partenaires réguliers du contrebassiste, comme les invités, savent cet univers sur le bout des doigts, ils le peuplent et lui donnent vie. Bruissement des rythmes, nuances des couleurs, tout concourt à composer un paysage qui émerge, et où se mêlent la familiarité et l'étonnement. La plage avec voix, dans l'apparente simplicité de son chant, recèle en fait bien des mystères : couleurs un peu énigmatiques des percussions, cheminement sinueux dans des intervalles qui parlent d'ailleurs, tout semble nous prendre par la main vers une résolution attendue, et qui pourtant ne révèle pas l'entièreté de son secret. Alors il faut suivre le fil, jusqu'à l'ultime plage, et recommencer le voyage, qui nous guide au travers de ce monde que le groupe nous invite à (re)découvrir.
Xavier Prévost
Le groupe jouera pour la sorte de l'album à Paris, au Sunset, le vendredi 16 juin 2017
Pierre Christophe (piano), Raphaël Dever (basse), Stan Laferrière (batterie) et Laurent Bataille (percussions). Festival Jazz in Vaux (17), 22 novembre 2013. Camille Productions.
Rien de tel que la musique d’Erroll Garner pour mettre en joie. La sortie voici deux ans de l’intégrale du Concert by the sea (19 septembre 1955 au Sunset Center , Carmel, Californie) par Sony avait comblé les fans du virtuose et ouvert les oreilles aux jeunes qui ne jurent que par Brad Mehldau ou Keith Jarrett. Oui, « le petit homme », comme le surnommait Art Tatum dans une allusion à sa corpulence menue (évidemment en comparaison !) était un géant du piano. Ahmad Jamal ne cesse d’ailleurs de vanter les qualités de son compatriote de Pittsburgh, cité natale également de Billy Strayhorn ou Earl Hines… Aujourd’hui, c’est une maison de disques française, Camille Productions, qui choisit de sortir un concert dédié entièrement à Erroll Garner, enregistré il y a près de quatre ans par Pierre Christophe. On connaissait la passion que nourrissait le lauréat 2007 du prix Django Reinhardt de l’Académie du Jazz pour Jaki Byard dont il suivit l’enseignement à New-York. Son penchant pour Erroll Garner n’est pas moins fort. Il témoigne son admiration de fort belle manière en reprenant quelques-unes des compositions favorites d’icelui, Dreamy, The Loving Touch, Dancing Tambourine et, inévitablement, Misty dans une version épanouie (9 minutes). Le groupe démontre une homogénéité propre à séduire les plus exigeants, avec Raphaël Dever (basse), Stan Laferrière (batterie) et Laurent Bataille (congas). Bravo aux producteurs –Michel Stochitch et Pierre Christophe-d’avoir exhumé ce moment de grâce et de légèreté. Jean-Louis Lemarchand Concert de lancement à Paris le 13 juin au Duc des Lombards (75001).
Dominique Mandin, Olivier Zanot, Thomas Savy, David Sauzay, Jean-François Devèze (saxophones), Erik Poirier, Lorenz Rainer, Fabien Mary, Julien Ecrepont (trompettes), Michael Ballue, Bastien Ballaz, Jerry Edwards, Martin Berlugue (trombones), Florent Gac (piano), Yoni Zelnik (contrebasse), Andrea Michelutti (batterie), Denise King, Walter Ricci (voix), Dominique Mandin (direction musicale)
Villetaneuse, 23-24 novembre 2016
Gaya 035 / Socadisc
En décembre 2001, lorsque j'avais accueilli le tout jeune Vintage Orchestra dans la grande salle Olivier Messiaen (studio 104) de la Maison de Radio France, l'orchestre avait intégralement constitué son répertoire avec des thèmes de Thad Jones, composés pour le big band Thad Jones-Mel Lewis et gravés entre 1966 et 1970. Il y avait alors, dans les pupitres, une bonne part de ceux que l'on retrouve dans ce disque, mais aussi Sophie Alour et Airelle Besson. Plus de dix ans après l'album «Thad», l'orchestre revient vers la musique du big band Thad Jones-Mel Lewis, mais cette fois pour explorer la collaboration de cet orchestre avec les vocalistes. Les amateurs français se souviennent de la présence de Dee Dee Bridgewater avec l'orchestre, au festival de Chateauvallon 1973, pour 2 ou 3 chansons. Le big band avait aussi accueilli, dans les années 60, deux gloires du blues et du rhythm'n'blues : en septembre 1966 Joe Williams, pour le disque « Presenting Joe Williams, chez United Artists, et en juillet 1968 Ruth Brown pour l'album «The Big Band Sound of Thad Jones-Mel Lewis featuring Miss Ruth Brown» (Solid State), repris ensuite chez Capitol sous le titre de «Fine Brown Frame». Et les musiciens du Vintage Orchestra ont eu la bonne idée de rassembler des standards du blues, de la soul music et du jazz issus de ces deux disques, et de les confier aux voix de Denis King (4 titres) et Walter Ricci (8 plages). Le résultat mérite vraiment l'adhésion : 'ça balance' très fort, les cuivres exultent (les arrangements d'origine ont été soigneusement relevés par des membres de l'orchestre et leurs amis), les vocalistes sont parfaitement en phase avec le répertoire, et avec l'orchestre. Ils ne cherchent pas à imiter les interprètes des versions de Thad Jones-Mel Lewis, ni les créateurs de ces titres (il y a là Hallelujah, I Love Her So, Gee Baby, etc....). Denise King et Walter Ricci sont parfaits dans l'exercice, qui est d'ailleurs bien plus que cela : une plongée, corps et âme, dans l'expression musicale afro-américaine.
Xavier Prévost
L'orchestre est en concert à Paris, au studio de l'Ermitage, le jeudi 8 juin 2017
Sans doute, l'un des premiers facteurs d’attraction quand on voit la pochette de cet album de Rare Records, LONELINESS ROAD est le nom de l’icône pop exubérante des Stooges ; si son grand copain est parti en janvier dernier, Iggy Pop qui a soixante-dix ans lui aussi (mystère, comment a-t-il fait pour durer autant ?) se met au jazz dans un trio «classique». Se rangerait-il enfin ? Les héros sont fatigués, Iggy Pop ne met plus ses tripes et autres organes sur la table, la voix est éraillée, le tempo ralenti. « Don’t lose yourself » résonne d’une voix sépulcrale ainsi que le titre éponyme de l’album « Loneliness road ». On sent que si l’envie demeure, il a moins de jus, ou alors est en adéquation avec l’esthétique de l’album : ceci dit, il ne chante que sur 3 des 12 titres. Rien de surprenant cependant qu’il se joigne à Jamie Saft, pianiste-organiste et leader atypique dans cet album plutôt « mainstream » comme disent les Anglo-saxons. Pas d’avant-garde ici dans le rendu des compositions du pianiste, pourtant propulsé par l’irréductible John Zorn, dont l'allure impayable est surlignée d'une barbe bifide digne de Moïse ou pour rester dans la musique, des ZZ Top !
Revenons à la musique de ces 9 titres, en trio exclusivement, composés par le pianiste pour ce second album du groupe avec ce blues magnifique « Pinkus » où brille le bassiste Steve Swallow . Quant à Bobby Previte, il est discret mais efficace et sa pulsation s’accorde à merveille avec les pianismes de Jamie Saft. Chacun a le temps de s’exprimer, en liberté, le travail d’ensemble est accrocheur, doux sans être suave; il emmène loin dans un imaginaire apaisé, sans réelle mélancolie. C’est aussi un hommage à la tradition de la musique américaine, de Dylan et The Band, du folk et de l’écriture à la Cohen. Cette « Loneliness road », on l’emprunte volontiers en leur compagnie…