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11 février 2008 1 11 /02 /février /2008 07:51
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Zig Zag territories 2008-02-02


Chroniquer ce nouvel album de Raphaël Imbert est une tâche aussi ardue que l’œuvre à laquelle il s’attaque. Car ce qui pourrait être considéré facilement comme une « somme » autour des relations entre Bach et Coltrane pourrait aussi facilement décourager les impatients et ceux qui hésiteraient à se plonger dans plus d’une heure de musique que l’on qualifiera du bout des lèvres de « sacrée ». Car cet album n’est pas un objet de consommation musicale immédiat mais au contraire une sorte de thèse manifeste invitant à la réflexion sur le thème de la spiritualité dans la musique. Ceux qui parmi les musicologues chercheront dans cet ouvrage les traces des relations musicales entre Bach et Coltrane resteront peut être sur leur faim même si, sur le thème de l’approche modale et d’une certaine horizontalité dans la musique de Bach et Coltrane il y a des ponts qu’ils n’hésiteront pas à franchir. Au jeu très sérieux des correspondances, Raphaël Imbert nous en livre une brillante démonstration. Ne tombant jamais dans le piège d’une grille de lecture univoque, cet album juxtapose les formes et les motifs. Tantôt un quatuor à cordes (le quatuor Manfred) joue simplement du Bach sans aucune jazzification, tantôt ces opus sont la porte ouverte à l’improvisation démontrant ainsi ce lien flagrant entre Bach et Coltrane. André Rossi qui enseigne l’orgue au conservatoire de Marseille contribue à son tour à en apporter un témoignage qui surprendra certains mais n’étonnera pas ceux qui le dimanche matin entendent quelques uns des grands organistes actuels improviser du côté de Notre Dame de Lorette à Paris.

Lorsqu’il s’agit de la musique de Coltrane, celle-ci est livrée, brute, dans sa splendeur mystique  comme ce Crescent qui, prenant la suite de l’art de la fugue, démontre combien cette musique apporte à l’élévation de l’âme. Il s’agit alors d’une lecture spirituelle de l’œuvre de Coltrane qui se place soit à côté de celle de Bach soit parfois dans son prolongement. C’est ainsi que s’entend ainsi l’improvisation sur B.A.C.H (pour « Si, La, Do et Si bécart ») ou encore Reverend King. Où l’on découvre aussi comment la musique de Coltrane se prête à l’exercice d’un quatuor à cordes, exercice il faut bien le dire (et le regretter) très peu souvent réalisé (une première ?).

Les apports de Jean Luc Difraya dans le rôle du haute contre à la voix (trop) exceptionnelle et qui jetterait les liens entre classique et moderne sont en revanche bien moins convaincants. Car ces liens se trouvent ailleurs. Les sublimes improvisations à haut risque de Raphaël Imbert sur Bach ou celles non moins risquées de André Rossi sont beaucoup plus éclairantes ( les Chorales de Mi).

Raphaël Imbert nous livrait récemment son analyse reposant sur une distinction entre le Mystique (Coltrane), le métaphysique (Pharoah Sanders) et le religieux (Albert Ayler). Sur cette base Raphaël Imbert trouve un autre point de convergence entre Bach et Coltrane, celui de la psalmodie où la réinterprétation du choral luthérien évoque le thème, le psaume comme élément fondateur. Dans la mystique coltranienne, le rapport au divin s’inscrit dans une démarche personnelle d’élévation de soi vers Dieu. La musique en est l’un des témoignages au même titre que la littérature. Raphaël Imbert se plaît ainsi à évoquer le poème écrit par Coltrane dans Love Supreme et à poser la relation avec ceux de Saint Jean De La Croix, fleuron de la littérature mystique d’Occident si tant est qu’il fallait apporter une preuve de la spiritualité coltranienne.

Il faut alors prendre ce travail de Raphaël Imbert pour ce qu’il est. Une visitation bigrement intelligente et quasi universitaire de l’univers de Bach et de Coltrane dans leur double dimension philosophique et musicale. Mise en perspective, juxtaposée ou dans le prolongement l’une de l’autre, cette approche pourrait bien servir de base à la conférence que Raphaël Imbert donnera sur la place du sacré dans la musique.

Les dix dernières minutes concluent magnifiquement cet album. Reverend King puis le Chorale de Mi et enfin O welt, ich muss dich lassen achèvent cette lecture sublime. Car avant tout, ce travail enregistré dans une église où les résonances et les craquements du bois n’ont pas été éliminés, illustre merveilleusement le transport « religieux » que ces musiques évoquent. Qui parlent à l’âme et revêtent ainsi leur part d’exaltation. De divin. Jean-Marc Gelin

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