JJJ Susanne Abbuehl: « Compass »
ECM 2006
Avec ce deuxième opus, la chanteuse suisse néerlandaise, Susanne Abbuehl affirme un peu plus son singulier style fait de mots chuchotés, de sons distendus, de notes en suspens, de silences expirés. Elle ouvre tout en légèreté et sensualité un espace où le temps n’est plus une contrainte, où le chant traverse les êtres. Avec l’auditeur, elle crée une subtile intimité. Un éloge à la lenteur pour mieux toucher notre âme. Le dialogue inspiré des deux clarinettes de Michel Portal et de Chritof May (que l’on regrette de ne retrouver que sur deux morceaux), l’accompagnement religieux et parfois trop sage de Wolfert Brederode au piano ou le jeu aérien de Luca Niggli à la batterie et aux percussions, transcendent un peu plus la poésie de son chant. Son précédent album « April », une véritable perle, sorti en 2001 chez ECM, était un patchwork de chants indiens, de poèmes d’E.E Cummings et de morceaux de Carla Bley, un tourbillon d’émotions et de sons, tout en retenue. Ici, il y a une plus grande unité artistique. Elle nous balade entre jazz et folk songs, du côté de chez Joyce, Berio, Sun Ra, Chick Corea, Feng Meng-Lung, un poète de la dynastie Ming. Ses arrangements comme ses compositions sont dépouillés et sont construits sur des systèmes cycliques : la répétition et le retour du même. Inspirée par ses maîtres, Jeanne Lee et Prabha Atre, qui lui a transmis le chant indien, elle réinvente son propre langage. Un rien mystérieux. Preuve en est cette très personnelle interprétation de « Black is the color…» à mille lieux de l’interprétation free et dramatisée de Patty Waters ou le magnifique «Flamingos Fly», autrefois chanté par Jeanne Lee accompagnée de Ran Blake. Ses confidences nous ensorcèlent jusqu’à l’emprisonnement. De guerre lasse, nous l’abandonnons avant la fin de l’album, pour y revenir plus tard avec la même béate admiration.
Régine Coqueran