
Lorsqu’on lui a annoncé qu’elle était nominée aux Victoires du Jazz, elle n’en est pas revenue. Persuadée qu’il y avait erreur sur la personne elle s’est précipitée sur son téléphone pensant que cette distinction était en fait réservée à un autre Olivier, Temime celui là. Il faut dire qu’il y a avait de quoi s’étonner de voir la harpe ainsi propulsée sur le devant de la scène. Car les jazzmen sont souvent devant cet instrument comme une poule devant une brosse à dent et depuis les quelques essais plutôt pas convaincants de Alice Coltrane, on croyait cet instrument jazzo-incompatible. Mais Isabelle Olivier tout comme sa consoeur Hélène Breschand ou, Zenna Parkins de l’autre côté de l’atlantique font aujourd’hui la démonstration inverse. Conscientes des limites de l’instrument qui, comme le dit Isabelle Olivier, ne modulera jamais comme un saxophone, elles en démontrent en revanche l’immense potentiel mélodique et rythmique. Et depuis plus de 10 ans Isabelle Olivier évolue au sein du groupe Océan. Mais son dernier exploit carrément fou a été de se lancer dans l’aventure du solo tout juste accompagnée par les touches électro et délicatement impressionnistes d’Olivier Sens. Un album de harpe en solo ! Une artiste totalement casse cou qu’il était donc indispensable de vous faire découvrir
Comment en es tu venue au jazz ? IO : J’ai d’abord commencé par la harpe celtique. Puis j’ai intégré le CNSM. Mais pour moi le jazz c’est surtout l’écoute. J’allais très souvent au petit Op’ où l’on avait une super proximité avec les musiciens. Et puis j’ai été séduite par la joie de jouer de tous ces musiciens. En fait dans le milieu classique les musiciens font tous la tête. Et ce qui m’a frappé avec les musiciens de jazz, c’est le vrai plaisir qu’ils semblaient avoir sur scène tout en jouant des choses très complexes. Un jour Louis Moutin que je connaissais m’a demandé de venir jouer dans leur formation jazz. Je n’avais qu’à improviser un peu. Et là j’ai été terrifiée. Toutes ces années d’études pour me rendre compte que j’étais incapable de sortir la moindre note du moment qu’elle n’était pas écrite ! Du coup je me suis mise à envier la formidable liberté dont ils jouissaient et j’ai eu envie de tout réapprendre. A ce moment il m’est apparu qu’il fallait me vider de tout ce que j’avais appris précédemment. Désapprendre en quelque sorte. Cela m’a amené aussi à un certain esprit critique sur l’enseignement classique que l’on reçoit. On a un enseignement qui va à l’envers. A l’époque baroque ce n’était pas cela du tout. Je pense qu’à côté de apprentissage de l’écrit il faut aussi cultiver un enseignement de l’oral. C’est en fait comme si tu demandais aux gens de communiquer uniquement en lisant de livres et de ne plus parler en conversation. Il n’y a pas longtemps je suis allée animer une master class au conservatoire de Dijon. A un moment j’ai eu envie de mélanger tous les âges et je me suis rendue compte que ceux qui se débrouillaient le mieux c’étaient les petits. Parce qu’ils ne se posent aucune question, ils jouent alors que beaucoup de ceux qui ont 15 ans de harpe derrière eux sont bloqués sur plein de choses. Tu as fréquenté les écoles de jazz ? IO : Jamais ! Je n’y ai jamais mis les pieds. D’ailleurs lorsque l’on a commencé le groupe Océan, Louis (Moutin) m’a dit « surtout ne va jamais dans les écoles de jazz, joue ! ». Je suis allé simplement voir le regretté Bernard Maury. Lui m’a dit d’envisager l’affaire sous le plan modal. Il m’a dit « dis toi que chaque accord génère des modes ». Ensuite c’est François Moutin qui m’a appris à faire sonner les lignes de basse. Et puis à chaque rencontre, chaque musicien m’a apprit chaque fois quelque chose de nouveau. Avec Sylvain (Beuf) j’ai été un peu désarçonnée par ses compositions et les difficultés harmoniques qu’elle présentaient. Je mettais parfois six mois avant de les intégrer parfaitement. Tu disais que la harpe était un instrument avec lequel il n’était pas possible de jouer tout le répertoire jazz et que notamment le be-bop était inadaptable à la harpe. Pourtant dans ton dernier album tu reprend le plus parkérien des thèmes, « Donna Lee ». IO : C’était drôle de prendre ce thème qui était totalement injouable et qui n’arrête pas de moduler. En fait ce qui m’intéresse surtout c’est la mélodie. Et je me suis rendue compte que même avec un thème comme celui là, les aspects mélodiques pouvaient être exploités et retravaillés et ‘est ce qui m’a intéressé dans ce morceau. Et puis je me rends compte que je n’en suis qu’au tout début de mon apprentissage et je vois bien toutes les potentialités de cet instrument. Elles sont incroyablement diverses et riches qu’elles soient mélodiques bien sur mais aussi harmoniques ou rythmiques. Comment intègres tu ces difficultés dans ton écriture. Composes tu d’abord pour la harpe et ensuite pour les autres instruments ? IO : Suivant les morceaux, ça change. Il y a des morceaux que j’écris d’abord à la table. D’autres au piano. C’est clair aussi qu’il y a des morceaux plus harpistiques. Sinon j’écris surtout en pensant à la musique et après en pensant à l’instrument. E qui demande beaucoup de travail.
Tu joues des deux harpes ? IO : oui j’ai toujours une harpe celtique avec moi. Simplement j’en joue un peu moins. Même su j’y reste fondamentalement attachée, il est vrai qu’avec la petite harpe cela tourne un peu en boucle parce qu’on ne peut pas changer les harmonies. Mais je reste attaché aux deux. Mais ce sont deux instruments qui racontent deux histoires différentes. Et c’est vrai qu’avec le public, le son plus cristallin de la harpe celtique entraîne plus l’adhésion.
Tu écoutais du jazz à côté de études classiques ? IO : Oui ma sœur me faisait écouter des disques de Basie ou d’Ella. J’ai lu quelque part que tu écoutais aussi beaucoup de pop et, (cela m’a fait plaisir), que tu étais une fan de Genesis IO : Ah oui, absolument ! Quand j’entends quelqu’un comme Peter Gabriel, c’est un vrai modèle. Il n’y a rien à jeter. Même ce qu’il a fait récemment c’est génial. Je l’ai vu il y a deux ans et je trouve qu’il évolue extrêmement bien. C’est un artiste en perpétuelle évolution et à la fois scéniquement et musicalement c’est top. On te demande souvent s’il est facile pour une femme d’intégrer une formation de jazz, essentiellement masculine. J’aurais plutôt tendance à te demander s’il n’est pas difficile pour un garçon d’intégrer le milieu des harpistes ? IO : Ça c’est un cliché. D’abord l’un des plus grands maîtres de la harpe en France est Pierre Jammet à qui nous devons tout. Ensuite moi je vois ce qui se passe dans ma petite ville de Marcoussis. Je suis agréablement stupéfaite de voir que dans cette petite ville j’ai 26 élèves dans ma classe de harpe et qu’il y a beaucoup de garçons. On te connaissait surtout pour ton groupe Océan mais en fait tu viens de dévoiler un nouvel aspect de ton travail avec un disque en solo. Ce n’est pas trop risqué un disque en solo à la harpe ? IO : c’est un truc de fou tu veux dire. En fait l’idée au départ ne vient pas de moi. J’avais signé un contrat d’artiste avec Nocturne et un jour Yann Martin m’a suggéré l’idée de faire un album en solo. J’étais un peu réticente mais aussi tentée par l’aventure. Du coup j’ai intégré d’autres éléments à mon travail comme la patte de Olivier Sens qui ajoute ses effets électroniques et sa magnifique programmation.
Propos recueillis par Jean Marc Gelin
Concerts :
9/06 : Jazz dans l’Oise – Quintet Océan
10/07 : Jazz à Porquerolles – Quintet Océan
14/08 : Jazz Utopique – Quintet Océan
17/10 : Jazz sur son 31 – Toulouse – Quintet Océan
Albums
« Petite et Grande » - Nocturne 2004
« Island # 41 » - Nocturne 2005