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25 septembre 2016 7 25 /09 /septembre /2016 10:16
Les UZ-topies de Bernard Lubat

Les Uz-topies de Bernard Lubat

Dialogiques

Collection Jazz en France

232 pages.

84 photos, Documents. Bibliographie, discographie, vidéo-filmographie, index.

21 euros.

Voilà encore un projet abouti et formidable qui sort aux éditions Outre Mesure de Claude Fabre, l’une des plus sérieuses maisons de la jazzosphère, un livre sur le parcours incroyable du musicien et de l’homme, Bernard Lubat. Le cas Lubat, si on paraphrasait le livre-thèse d’Alain Gerber sur Coltrane, il y a bien longtemps déjà. Chaque livre de la maison d’édition est un nouveau plaisir de découverte et dans ce cas, de lecture. Car Les Uztopies de Bernard Lubat se lit comme un roman… Que l’on aime le jazz, le free, l’improvisation, que l’on soit un soixante-huitard nostalgique de sa jeunesse et de la flambée révolutionnaire ou un jeune des années 2000, que l’on soit de gauche, situationniste ou communiste, régionaliste, occitan, éducateur….

Extrêmement bien écrit à partir des entretiens (et même de l’enquête) menés pendant quinze ans par le sociologue-universitaire Fabien Granjon, le livre parvient à faire le tour de ce personnage hors du commun dont le langage à lui seul vaut la peine d’être considéré. Chacun de ces quatorze chapitres constitue la plus complète des biographies, traitant de l’engagement, de l’Amusique, de la politique. Des titres clairs Uzesticité & Histoire(s), Estaminet & Hestejadas , Des industries culturelles, Art et Politique, l’Educ’action Populaire, la Créolisation ( Edouard Glissant et sa Politique de la Relation a fait lui aussi escale à Uzeste)…

Emaillé de longs extraits passionnants, entrelardé de citations ( Jazz Magazine y est abondamment mentionné), d’improvisations de ce bateleur génial qui use des mots comme de ses mailloches ou baguettes, le texte se lit avec une gourmandise rare : on plonge dans la langue ainsi créée, sur le champ, et les expressions se précipitent sur le bout de la langue, se pressent pour être entendues. Pas de hasard si le Gascon, le grand Claude Nougaro, fut aussi un familier, partageant en poète ce goût des des mots roulés en bouche. Rythme, Improvisation et Commencements est sans doute l‘un des chapitres les plus aboutis sur la pratique de la musique. Le livre est savant, sans que cela soit jamais embarrassant, ouvrant des passages, des ponts vers les sociologues ( Bourdieu), les philosophes( Deleuze, Badiou), les linguistes ( Meschonnic, Bakhtine), les écrivains comme Fernando Pessoa et son «intranquillité»…

Comment, après avoir connu une vie et des « années ébouriffantes », ces années fastes d’engagement et de musiques aux côtés des Jeff Gilson, René Thomas, Eddy Louiss, Jean-François Jenny Clark… des rencontres avec toutes les générations qui ont compté dans le jazz, du bop au free, sans oublier les grands Américains qui tournaient en France, a-t-il pu se retirer du monde, en quelque sorte, revenir au village, dans ses Landes girondines autour de l’Estaminet parental ? Comment a-t-il réussi à faire venir et garder autour de lui une compagnie ( l’artificier Patrick Auzier, André Minvielle, Marc Perrone…), sans compter les fidèles musiciens ou intellectuels qui reviennent (presque chaque année) aux Hestejadas pour les « soli sauvages » ou les débats combattifs et combattants, François Corneloup, Michel Portal, Louis Sclavis, Archie Shepp, Francis Marmande?

En fait, il a créé une véritable utopie permanente (est-ce encore une utopie d’ailleurs ?), il a recentré et recomposé autour de lui et de son ombilic, tout un petit monde, une garde rapprochée « à la vie à la mort » ? On s’habitue vite à déchiffrer langage et expressions, parfois un peu agaçantes comme « Transarticité et Mozique » qui sous-tendent cependant un discours toujours très construit et pertinent. Derrière l’étendard de l’éternelle révolte, il est encore et toujours question d’un jazz « vif » dans ses « Improvisions ». Sa démarche est peut être celle d’un inventeur permanent, toujours en recherche d’autre chose.

Voilà pourquoi Lubat, musicien exceptionnel, a une discographie, somme toute modeste, sur plus de quarante ans , de son premier Vibraphones en 1970 (Tele Music ) à son dernier, paru chez Cristal en duo avec le guitariste basque Sylvain Luc, en 2016. Mais Lubat n’oublie rien et nous montre ainsi sa place et ... le chemin. Un livre indispensable pour qui s’intéresse à la musique. Mais pas seulement.

Encore un cadeau que vous nous offrez, merci Monsieur Fabre !

NB : Bibliographie, discographie exhaustive, vidéo-filmographie et index précis ; des documents photographiques rares et formidables, souvent tirés des archives de la Compagnie Lubat et de Laure Duthilleul qui partagea longtemps la vie et l’aventure lubatienne.

Sophie Chambon

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