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29 mars 2024 5 29 /03 /mars /2024 13:55

Un premier album en leader pour Eduardo FARIAS et son Trio, « PERSPECTIVES* », avec :

     Eduardo Farias (piano),
     Darryl Hall (contrebasse),
     Greg Hutchinson (batterie),
     Baptiste Herbin (saxophones, sur 3 titres).

*Space Time Records – BG 2454 / Socadisc.
Disponible à partir du 12 avril.

     On avait déjà remarqué ce jeune pianiste carioca aux côtés du saxophoniste Baptiste Herbin -dans ses albums "Dreams & Connections", 2018, et "Vista Chinesa", 2020- et qui mène au Brésil une carrière conséquente d'arrangeur (il apparait déjà dans une trentaine d'albums).

 

      « Je suis né à Rio. J'ai étudié la musique avec Lilian Bissagio puis suivi des cours de composition avec Antônio Guerreiro. Mes premiers modèles pianistiques sont brésiliens : César Camargo Mariano, Hermeto Pascoal, Egberto Gismonti ou encore Luiz Avellar ... Par la suite, j'ai dévoré bien des albums de jazz, notamment ceux de Gonzalo Rubalcalba, Brad Mehldau, Steffano Bollani, Tigran Hamasyan ... ».

 

     Tout est ainsi presque dit des influences principales qui ont forgé un jeu clair et précis, doublé d'un sens aigu de la dramaturgie tant, avec le carioca, les mélodies sont toujours "orchestrées" ; et Eduardo de préciser par ailleurs : "il faut savoir bousculer les codes avec tact ..." - ce qu'il fait notamment ici sur "Vera Cruz" et "Amazonas", deux "standards brésiliens" qui ne perdent rien de leur respiration originelle.

 

     ... Un grand talent en devenir !

 

Francis Capeau

 

 

 

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20 mars 2024 3 20 /03 /mars /2024 10:02
CORNELIA NILSSON    WHERE DO YOU GO?

CORNELIA NILSSON

WHERE DO YOU GO?

AARON PARKS/ DANIEL FRANCK/ GABOR BOLLA

Stunt records

 

Cornelia Nilsson ou the Girl from the North Country Side. Rien à voir avec Dylan mais il n’est pas anodin que cette jazzwoman née à Lund en 1992 soit suédoise. Après avoir fait ses classes sur la scène suédoise et chance suprême accompagné Kenny Barron ou Ron Carter, elle a jugé bon de se lancer avec un premier album en leadeuse où elle s’inscrit dans la tradition bien comprise et respectée des Scandinaves. Un vrai disque de jazz comme on les aime. Rien à voir donc avec les orientations d’une Anne Paceo en France, même si toutes deux manifestent un réel talent et une énergie à toute épreuve. C’est qu’il en faut pour décider de se lancer, faisant entendre ses propres compositions ( “The Wanderer”) qui ne déparent pas avec des reprises fameuses de Monk (“Ugly beauty”) de Bud Powell (“John’s Abbey”) ou l’éternel “East of the Sun and West of the Moon” de Brooks Bowman. Pour se frotter aux géants, il faut de l’assurance et une confiance certaine en son équipage : à vrai dire Cornelia Nilsson a fait appel à deux attelages dissemblables qui confèrent à son Where do you go? (titre éponyme du standard d' Alec Wilder et Arnold Sundgaard qu’interpréta aussi Sinatra) tout son sens!

Un seul album qui, en un montage raffiné de deux styles de jazz témoigne de l’adaptabilité, de la plasticité de jeu de la jeune batteuse. En compagnie du contrebassiste danois Daniel Franck, elle forme une rythmique aux petits oignons pour servir le pianiste américain Aaron Parks et le saxophoniste ténor hongrois Gabor Bolla.

Enregistré en deux sessions différentes, d’abord avec un trio qu’elle pratique volontiers- tous trois vivent dans la capitale danoise, pour quatre compositions, puis en réussissant à donner une autre vision spatialisée de sa musique en choisissant l’Américain  sur six titres. Il en résulte des contrastes saisissants et plaisants : du jazz toujours, avec un pianiste de l’épure, subtilement sentimental sur les ballades, poignant sur un double hommage en somme ( sa composition “For Father” qu’elle couple avec un saisissant “Dirge for Europe” emprunté au grand pianiste compositeur (de musiques de films) polonais Krystof Komeda disparu trop tôt) et un saxophoniste plus torturé, plutôt free qui arrache tout au passage sur “The Sphinx” d’Ornette Coleman ou d’une ardeur inquiétante sur “Saturn’s Return”. Profondément ancrée dans la tradition- elle ne dédaigne pas le tempo bop rebondissant (sur le standard de Monk) qu’elle contribue à installer aux baguettes comme aux balais, jouant des toms plus encore que des cymbales. Elle n’en est pas moins actuelle et charnelle, sachant montrer sa fougue en accompagnement comme lors de quelques échappées fort réussies. Une musicienne à suivre absolument.


 

Sophie Chambon

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28 février 2024 3 28 /02 /février /2024 16:51
JAY JAY JOHNSON  THE QUINTESSENCE

JAY JAY JOHNSON  THE QUINTESSENCE

New York- Hackensack- Chicago

Frémeaux&Associés   www.fremeaux.com

 

 Le label Frémeaux &Associés nous fait découvrir une fois encore des enregistrements rarement regroupés tout à fait dignes d’intérêt.Voilà que sort une anthologie du tromboniste Jay Jay Johnson en un coffret de 2 CDs dans l’excellente collection dirigée par Alain Gerber secondé par Jean Paul Ricard.

On retrouve la prose délicieuse de Gerber et son analyse des plus fines,  un vrai "écrivain de jazz" dont les émissions sur France Musique ( Le jazz est un roman) et France Culture (Black and Blue ) ont formé la culture jazz de nombreux auditeurs, je peux en attester pour mon cas personnel. Auteur d’une trentaine de livres sur le jazz, créateur de la collection “The Quintessence” chez Frémeaux & Associés, il pratique aussi la batterie, ce qui nous vaut la sortie toujours chez Frémeaux de son autobiographie du jazz : Deux petits bouts de bois. Une autobiographie de la batterie de jazz. 

Alain Gerber donne son sentiment sur le musicien Jay Jay Johnson dans le style qu’on lui (re)connaît alors que Jean Paul Ricard reprenant le rôle du regretté Alain Tercinet dans lequel il ne dépare pas, s’attache au factuel et à la chronologie en donnant une biographie détaillée du musicien. Encore un travail d’experts qui continuent l’entreprise patrimoniale du label en orientant leurs recherches vers ce musicien de grande envergure, quelque peu oublié bien que vénéré de ses pairs et en particulier des trombonistes. Jay Jay Johnson a révolutionné l’instrument par un jeu très rapide : improvisateur talentueux, il fut en outre un excellent compositeur ( on retiendra "Lament" et "Kelo" entre autres) et un arrangeur sensible. On redécouvre littéralement la personnalité et l’oeuvre immense d’un tromboniste qui sut aller en-deçà et au-delà du bebop dont il est considéré à juste titre comme l’un des maîtres même s’il est moins cité que les illustres Gillespie, Monk, Powell et en premier Charlie Parker. D’ailleurs en exergue du livret, cette phrase de Bob Brookmeyer, un autre grand tromboniste mais à coulisses : «Le Charlie Parker de son instrument». Même si Jay Jay n’hésita jamais à enjamber ce genre et à sortir de la petite boîte labellisée bebop.Et à travailler avec Miles dès 1953 ( "Kelo" dans Miles Davis vol1 chez Blue Note) et Walkin dans Miles Davis All Star Sextet l'année suivante pour Prestige.

L’anthologie présente en effet un livret très précis où figurent les renseignements discographiques complets des différentes séances choisies, 18 titres pour le premier Cd qui traite de Jay Jay Johnson en leader et 14 pour le second où il est sideman. Grâce à une sélection judicieuse sur une période assez large qui démarre logiquement en 1945 chez Benny Carter (Jay Jay Johnson est né en 1924) et s’achève en 1961 (pour une question de droits) avec “Blue Mint”, l’une de ses compositions pour le Big Band de Gillespie, les auteurs de ce bel ouvrage nous proposent un remarquable parcours en pays bop et au delà. Précisons tout de suite qu’on ne trouve aucun inédit, aucun bonus puisque c’est la date de publication qui fait foi, autre astuce des majors qui ont fait pression pour qu’une oeuvre ne tombe pas dans le domaine public avant 70 ans. Or Jay Jay Johnson qui a mis fin à ses jours le 02 avril 2001 (Alain Gerber titre d’ailleurs son dernier paragraphe avec un formidable à propos Suicide is painless) a continué de jouer et d’enregistrer très longtemps et par exemple rien que de 1964 à 1966, il a signé les arrangements en big band de quatre albums non négligeables pour RCA Victor. 

Les choix d’Alain Gerber et de Jean Paul Ricard sont éminemment subjectifs, mais on peut leur faire confiance, ils ont rassemblé les titres les plus représentatifs du talent et du style uniques de Jay Jay Johnson.

C’est Benny Carter très impressionné qui donne l’opportunité à Jay Jay Johnson d’enregistrer son premier solo dans “Love for Sale” qui commence le CD 2 dans la version du 25/10/1945 et il l’engagera dans son grand orchestre de 1942 à 1945. Après l’ “urbane” Benny Carter, c’est Count Basie qui l’invite (1945-1946). Chez Basie, il a notamment pour voisin de pupitre Dickie Wells qui eut une considérable influence sur lui sans oublier pour autant Trummy Young et J.C. Higginbotham...et le grand Jack Teagarden. Mais dès 1946, ce sont ses premiers enregistrements en quintet avec Bud Powell et Max Roach qui retiennent l’attention, citons sur Savoy “Mad Bebop” sur Jay Jay Johnson Be Boppers le 26/06/46. Jay Jay Johnson est celui qui a adapté le trombone tout comme Bennie Green aux exigences du langage bop, élaboré par des trompettistes et des saxophonistes, des pianistes et des batteurs. Jay Jay est alors considéré comme le meilleur des trombonistes par la revue Esquire et remporte tous les prix possibles considéré dont le «Musicians’ Musician». Dès 1949 il propose une formation à deux trombones à Kai Winding, association mémorable et de longue durée. Il travaille aussi avec Sonny Stitt, le grand mal aimé du jazz que réhabilite volontiers Gerber : retenons les trois séances d’octobre, décembre 1949 et janvier 1950 qui “pourraient bien représenter le plus exceptionnel de sa contribution au jazz enregistré chez Prestige Sonny Stitt Bud Powell Jay Jay Johnson. Stitt et Johnson partagent d’ailleurs la même dévotion pour Lester Young, anti-conformiste lyrique. Jay Jay Johnson peut être considéré comme le tromboniste du bop et du hard bop, enregistre un peu plus tard avec Hank Mobley une série de trois albums chez Blue Note The Eminent Jay Jay Johnson. Grand phraseur même en staccato comme dans “Jay” vol 1 du 24/09/1954 d'une grande précision rythmique, un son soyeux même dans les graves, sans effets de glissando.

Comme il n’ a jamais tiré beaucoup de fierté de sa “reconnaissance”qui ne lui assurait pas pour autant la belle vie, il a quitté la scène à plusieurs reprises pour «observer le jazz de l’extérieur» : d’août 1952 à juin 1954, il est devenu inspecteur des plans (!) au sein d’une usine de la Sperry Gyroscope Company, spécialisée dans les équipements électroniques. Il en sortira pour retrouver Kai Winding et ce duo fait alors des merveilles : on les entend dans le bien nommé “Trombone for two” du disque éponyme Jay & Kay en 1955, une superbe version de “Night in Tunisia” dans Jai (sic) & Kay plus 6 qui renouvelle le standard de Gillespie le 6/9/1956.  Il signe ensuite toujours chez Columbia en 1957 First Place avec Tommy Flanagan et Max Roach. Le quartet peut être la formation rêvée pour découvrir l’étendue du registre du tromboniste, son aisance dans tous les tempos, sa fluidité. Ils poursuivront avec le même bonheur dans Blue Trombone en 1957.

On le voit tout est formidable dans la discographie du tromboniste en leader ou en sideman et on adore évidemment ses envolées avec Dizzy où il parvient à glisser une approche impressionniste. Gerber écrit qu’il stylisait jusque dans la tempête. Ce en quoi il s’oppose totalement à l’autre grand du trombone, son rival si l’on veut, Frank Rosolino, “fauve chez les impressionnistes” (entendre les musiciens West Coast). Il faudrait encore citer le goût de Jay Jay pour une certaine distanciation qu’il partage avec John Lewis et qui le fait se rapprocher du Third Stream de Gunther Schüller et tenter certaines expériences comme The Modern Jazz Society presents a concert of contemporary music le 14/03/1955.

Guidés par l’expertise de nos deux connaisseurs qui se sont livrés à ce «labour of love», non seulement l’amateur se régale mais se constitue ainsi un bréviaire du jazz, une discothèque. Alain Gerber et Jean Paul Ricard ont fourni un vrai travail d’équipe, on ne peut que rendre hommage à ce travail de mémoire précis, précieux et indispensable pour l’histoire de la musique.

NB : On se réjouit d’avance de la parution prochaine, toujours chez Frémeaux & Associés collection the Quintessence d’un coffret dédié à Lee Konitz.

 

Sophie Chambon

 

 

 

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11 février 2024 7 11 /02 /février /2024 12:44
Pierre-François BLANCHARD et Thomas SAVY     #PUZZLED

Pierre-François BLANCHARD et Thomas SAVY  #PUZZLED

 

Label Les Rivières Souterraines sortie 2 Février

En concert :
Le 16 février - Le Petit Duc - Aix-en-Provence
Le 18 février - Paradis Improvisé 
Le 7 mars - Le Bal Blomet - Paris ( partenariat Jeudis Jazz Magazine) 
Le 11 avril - Le Cri du Port - Marseille ...

 

#puzzled - Site de Pierre-François Blanchard (pierrefrancoisblanchard.com)

 

Pierre-François Blanchard - FEARS (youtube.com)

Pierre-François Blanchard - EPK #puzzled (youtube.com)

 

 

#Puzzled est un album dont on ne se lasse pas, révélant quelque part mystérieuse à chaque nouvelle écoute. Plus qu’intrigué ou perplexe si l’on s’en tient à la traduction du titre, on serait éminemment troublé. Le trio piano-basse-batterie a beau être la forme classique du jazz, il leur suffit d’être deux pour délivrer une musique subtile, sensible, immédiatement accrocheuse. Et de mener le bal. Mais est-ce vraiment du jazz, ce duo chambriste piano-clarinettes qui peut faire songer à un autre alliage impeccable Jimmy Giuffre/Paul Bley? A défaut de swing, le rythme est là, qui vous tourne et retourne, vous remue sur la plupart des titres qui se chanteraient presque et restent en tête.

Pour son premier album, le pianiste Pierre François Blanchard a fait appel à un vieux camarade-ils se connaissent depuis dix ans, le clarinettiste Thomas Savy. La répartition des rôles essentielle et égalitaire ne confine pas le soufflant à une place d’accompagnement du leader. Le duo a un langage commun, maîtrisant  la suspension du tempsUne impression d’étrange familiarité dès que l’on entend cette valse entêtante Pré vert  comme un hommage à Pierre Barouh, le créateur du label Saravah que le pianiste a accompagné. La ritournelle exposée à la clarinette reste gravée dans l'inconscient.  Après plusieurs écoutes, il peut même sembler que le piano s’efface devant les modulations des clarinettes qui viennent dissonner, empêcher la valse de tourner en rond, la mélodie de C’est par où? de trop reluquer du côté de la java avec les pépiements drôlatiques d’une clarinette-oiseau. Un parfait contrepoint qui fait entendre son timbre délicat, lancolique et aigre, vaguement inquiétant sur Foreshadow qui finit comme une comptine. Ou encore une mystérieuse clarinette basse orientalisante qui s’enroule sur Asmara, ou Backtrack.

Un recueil de mélodies simples en apparence que vous retenez immédiatement, un carnet-répertoire accessible. Une réussite totale qui comporte dix  pièces chantantes qui traversent les mélodies françaises du début du XX ème siècle, des petits bibelots sonores en écho à Debussy (Tempêtes), Fauré, Poulenc.  Mais le parcours du pianiste l'a   aussi rapproché de chanteuses bien actuelles comme Marion Rampal dans leur album Le Silence, ou le conte musical L’île aux chants mêlés.

On décèle chez ce musicien timide un goût des recherches harmoniques, un sens de la nuance,  un retour à une certaine intériorité : avec un passé déjà riche qui maîtrise les codes du classique autant que du jazz, de la chanson, il pourrait écrire de la musique de film ou des ciné concerts, ce que confirme la vision du clip de Fears. Un toucher complexe rond et doux mais aussi percussif en diable.

Ajoutons des notes de pochette précises et poétiques qui conviennent à l’état d’âme du compositeur, à une certaine exaltation qui tient à l’époque troublée du confinement où il s’attaqua à la composition de ce premier opus. Espérons qu’il y en aura beaucoup d’autres…

 

Sophie Chambon

 

 

 

 

 

 

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20 novembre 2023 1 20 /11 /novembre /2023 08:26
Djazz Nevers Festival :  une fin de partie enchantée ...

Djazz Nevers Festival  Samedi 18 Novembre

Fin de partie (en)chantée : Madeleine et Salomon, Ellinoa.

 

 

Madeleine et Salomon

Théâtre Municipal 12H 30.

Eastern Spring

 

 

C’est le dernier jour du festival, le huitième. Le premier concert au Théâtre me permet de redécouvrir le duo apprécié à Arles au Mejan en mai dernier...On n’était pas les seuls à avoir aimé leur album, on apprécie encore plus le duo sur scène. Si l’heure est étrange pour les musiciens, peu habitués à jouer avant le déjeuner, elle est parfaite pour le chroniqueur encore frais et je vais savourer le premier concert du jour : la chanteuse Clotilde Rullaud (Madeleine) laisse apparaître toute son émotion mais aussi sa fantaisie et sa douceur dans cette suite de chansons, portées par des femmes le plus souvent, des histoires de vies qui se racontent en mots et musiques. Un duo piano voix qui saisit au coeur et à l’âme en reprenant des chansons pop du bassin oriental de la Méditerranée, des années soixante et soixante-dix que nous ne connaissons pas du tout pour la plupart d’entre nous. “Chansons d’amour, de mort, de révolte”, des thèmes universels qui s’inscrivent dans un espace géographique très particulier ( Israel, Egypte, Liban, Turquie, Maroc, Tunisie ). Explorer les identités choisies, vécues ou revendiquées en soulignant aussi ce que signifie être né “ici”, “être de quelque part”.

L’attraction est immédiate, loin du folklore touristique, on sent la proximité immédiate en dépit de langues différentes entre tous ces airs, ces cultures.

Après les “protest songs” de chanteuses américaines du disque précédent, ce répertoire humaniste, inscrit dans un temps révolu, où la vie était plus fluide, entre hélas singulièrement en résonance avec l’échec des printemps arabes, d’où ce titre d’Eastern Springs (No Mad music). Et encore plus tragiquement avec la violence des événements depuis le 7 octobre dernier. On est subjugué par le piano élégiaque et doucement répétitif sur lequel s’élève la voix fragile sculptant les mots du poète palestinien Mahmoud Darwich ( version initiale “Matar Naem” libanais du groupe Ferkat Al -Ard). Et que dire de cette merveilleuse ballade israélienne “The prettiest girl in the Kinder garten”? Le duo a opéré une sélection minutieuse sur plus de 200 titres pour n’en conserver que 9 et s’est livré à un travail de traduction, en anglais le plus souvent tout en gardant les mélodies et leurs rapports harmonico-rythmiques. La voix de Clotilde Rullaud est plus qu’attachante, grave avec des aigus étranges sur cette petite fiction égyptienne “Ma Fatsh Leah” du groupe Al Massrien, qu’entraîne un piano au groove hypnotique.

Les rôles sont parfaitement distribués, Alexandre Saada ( Salomon) ne fait pas qu’accompagner, emploi souvent obligé du pianiste avec chanteuse, il chante aussi et sa voix instrumentale souligne sans effort la ligne de chant, uni avec sa partenaire dans une même respiration comme dans le libanais entêtant “Do you love me?” qui s’achève en un murmure.

On est assez loin du monde originel du jazz commun à tous deux. Néanmoins le duo a travaillé des arrangements de ces versions originales en improvisant des fragments personnels, intitulés justement “Rhapsodies”, c’est à dire des pièces libres utilisant des motifs folk, des effets électroniques. Le pianiste quand il “prépare son piano” n’utilise qu’un seul petit effet qui n’est pas superflu, et cela n’arrivera qu’une fois, glissant diverses feuilles de partitions sur et entre les cordes induisant un son étrange, “sale”, de sable qui crisse ou de verre ou de plastique froissé. Une musique singulière, de la “pop expérimentale” avec des impros.

Ainsi se suivent dans un enchaînement bien construit en ronde ces textes d’auteurs jusqu’au final qui se situe en Grèce et y reste avec le rappel plus grave sur le manque, l’absence. Mais ce chant sensible et fièvreux n’arrive pas à entamer l’impresson de sérénité que laisse ce concert. Un moment de douceur et d’exaltation partagés.

 

Ellinoa

Théâtre municipal 17h.00

 

Nous enchaînons avec du chant et ce n’est pas pour nous déplaire avec le projet de Camille Durand en sextet sur la vie et fin tragique d’Ophélia. The ballad of Ophelia aurait t' elle quelque résonance avec “Ballad of Melody Nelson” de Gainsbourg ?

En jouant avec les lettres de son patronyme, la chanteuse s’est donné un nom de scène poétique Ellinoa plus adapté au sort de la malheureuse promise, sacrifiée par la folie d’Hamlet.

J’avais entendu la chanteuse dans Rituals de l’ONJ Maurin avant que, sur les conseils éclairés de Franck Bergerot, j’écoute le concert retransmis sur France Musique du même ONJ où avec Chloe Cailleton, les deux voix s’emparaient d’une partie de cette geste joycienne inadaptable Anna Livia Plurabelle (André Hodeir). Surprise de la voir enfin en “douce” Ophélie dans cet Ophelia Rebirth, nommé ainsi pardoxalement, car le projet reprend vie après avoir été brutalement interrompu par le covid.

Douze tableaux réactualisent la triste histoire de la blonde héroïne immortalisée par les Préraphaélites et John Everett Millais dans le tableau où, tel un lys à la tige brisée, elle flotte dans son voile parmi les algues auxquelles se mêle sa blonde chevelure.

Il y a de cela dans la (plus) rousse incarnation de la chanteuse aux pieds nus qui a choisi un costume de scène qui enveloppe la peau du rôle. Très pédagogique elle explique en français l’évolution de cette jeune fille qui découvre la vie, pleine de rêves et d’espoirs, un peu trop grands peut être pour ne pas subir un violent désenchantement que sa sensibilité exacerbée ne pourra surmonter . Une adolescente de nos jours et de tous temps en sa révolte et son désir d’embrasser la vie sans renoncer à ses illusions.

La voix est magnifique, pleine, bien timbrée, chaude, avec des aigus parfaitement maîtrisés. Une véritable chanteuse qui pourrait ne pas scater, même si elle sait le faire car dans ce programme acoustique de cordes frottées de musique de chambre, le chant en anglais ( british) n’impose pas de revenir au jazz….

L’accompagnement est épatant: non seulement la guitare électrique de Pierre Perchaud m’évoque les accents rock prog de ces gestes anglaises médiévales des tous premiers Genesis-on se rapprocherait même de certaines excentricités de Kate Bush avec Peter Gabriel (comme par hasard)  mais les cordes délicates du violoncelle de Juliette Serrad, de la contrebasse d’Arthur Henn (très belle voix) et de la guitare (Pierre Tereygeol) offrent un écrin de choix à Ellinoa. Et en plus, ils la supportent vocalement et renforcent l’émotion dans un choeur enchanteur.

Un bonheur d’écoute même si la fatigue qui se ressent après ces jours intenses ne me permet pas de suivre dans le texte original les moments forts de ce parcours tragique jusqu’à l’abandon final… N’ayant pas écouté le CD du projet, je ne peux comprendre si ces douze tableaux sont vraiment nécessaires….Mais ne boudons pas le plaisir de cette fin d’après midi.

Pour la dernière soirée, je dois me résoudre à reporter mon dernier texte sur la suite astrale de Leila Olivesi à lundi, la journée du dimanche étant dévolue au retour (pesant) de Nevers à Marseille dont je retrouve immédiatement à l’arrivée à St Charles le bruit et les embarras...

 

NB : Toutes les photos des artistes à la balance et en concert sont de Maxime François.

 

Sophie Chambon

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13 juin 2023 2 13 /06 /juin /2023 07:09
EMMANUEL CLERC                  ALBERT AYLER    Vibrations

EMMANUEL CLERC

ALBERT AYLER Vibrations

 

Editions le Mot et le Reste  

Albert Ayler (lemotetlereste.com)

Le mot et le reste

 

Ecrivain des sensations, de l’émotion en musique, Emmanuel Clerc, l’auteur de ce premier livre court mais intense sur Albert Ayler arrive à rendre la tension, les contradictions et le mystère dans un portrait vibrant de ce musicien.

Le titre de ce récit Vibrations qualifie d’ailleurs parfaitement la musique du saxophoniste et aussi la qualité très personnelle de l’écriture d’ Emmanuel Clerc qui songe qu’il a l’âge d’Ayler à sa mort, trente quatre ans. Mise en abyme, identification? Le fait de se mettre en scène et de sortir du cadre purement  biographique, voire hagiographique de livres dédiés à un musicien,  donne plus de chair à une réflexion sincère, enthousiaste et documentée.

La bibliographie est très précise comme toujours dans les parutions des éditions marseillaises mais Emmanuel Clerc en fait un usage vraiment pertinent avec des références et citations des plus adéquates. On comprend à quel point le génie singulier du saxophoniste a été célébré par la critique française d’avant-garde.

Après cette lecture, on sort plus au fait de son sujet, de cette vie de tourments avec quelques hauts et tellement de bas, même si de très belles plumes nous ont fait connaître à l’époque Albert Ayler. On n' oubliera pas de sitôt le portrait insurpassable dans L’improviste de Jacques Réda, les articles inspirés de Philippe Carles (La bataille d’Ayler n’est pas finie) ou de Francis Marmande dans Jazz Magazine, la revue en pointe à l'époque, les chroniques de Daniel Caux, témoin inestimable. Emmanuel Clerc arrive même à glisser le roman de Francis Paudras (La Danse des Infidèles, édité au demeurant chez le Mot et le Reste) jusque dans le titre de son dernier chapitre La Danse des Intranquilles. Et cela fait sens.

Dans ces pages s’exprime un véritable point de vue, que l’on connaisse ou non ce saxophoniste si peu compris de son temps. Aujourd'hui il semble difficile de résister à son appel. Surtout quand on est happé par cette écriture fièvreuse qui fait revivre ce musicien inouï dont la musique n’est pas religieuse dans sa fonction mais dans son essence,  n’est pas une invitation à la prière, elle est prière!

Impressionnant par sa seule présence, Albert Ayler, ce Holy Ghost a la création radicale, enracinée dans la culture afro-américaine. Mais son cri d’amour, de paix, de spiritualité fut souvent incompris. Il n’a pas construit son oeuvre par des évolutions successives, des révolutions esthétiques comme Coltrane, l’aîné qu’il vénère ou Don Cherry, le Petit Prince (toujours chez le Mot et le Reste) avec lequel il a enregistré dès 1964 (en quartet avec Gary Peacock et Sunny Murray) mais aussi cet album appelé  Ghosts ou encore Vibrations, entre célébration et transe au ténor, du plus grave au plus aigu, du plus lent au plus rapide avec un incroyable vibrato d'une profondeur indéfinissable. Albert Ayler a sorti peu d’albums de My name is Albert Ayler ( Debut Records, 1964) à The Last Album (Impulse, 1971) et rencontré peu de succès auprès du public américain, excepté en Europe et ... en France.

L’un des points forts de Vibrations est à cet égard l’évocation des fameux concerts, les 25 et 27 juillet 1970, ces Nuits de la Fondation Maeght dont l’auteur arrive à rendre merveilleusement l’atmosphère, le sentiment d’union mystique avec le public. Des temps forts, tellement exceptionnels qu’ils sont devenus mythiques pour tous les amateurs de jazz. Emmanuel Clerc établit un rapprochement avec les concerts de John Coltrane le 26 juillet 1965 à Juan les Pins. Pas étonnant quand on sait le lien entre les deux saxophonistes, si fort que Coltrane fort admirateur de son cadet, l’aida à plusieurs reprises, le faisant enregistrer sur son label Impulse. Et il demanda qu’Ayler joue à ses funérailles.

"Trane était le père, Pharoah le fils et j’étais le Saint Esprit" dira Ayler!

Si Coltrane disait "Je pars d’un point et je vais le plus loin possible", il est clair qu’ il pensait à Ayler pour continuer, saisir ce passage de relais. Dans l’urgence et avec une certaine rage dans l’expression  qui permet à ceux qui l'écoutent de se sentir vivant. S’affranchissant des cadres,  dans ses interprétations, Albert Ayler repousse toutes les limites, en fort contraste avec son choix de mélodies simples, ballades et berceuses (“Summertime”, "Ol' Man River",“When The Saints go marching in”, marches funéraires  ou militaires, avec ce retour prononcé des fanfares, du gospel, des spirituals et de l’Afrique. "Libérée de son thème, la musique d'Ayler atteint un stade supérieur... où elle fait l'expérience de sa propre vie".

Fort judicieusement, Emmanuel Clerc songe aussi à cet autre météore Jimi Hendrix, apparu au petit matin du dernier jour de Woodstock, le 18 août 1969, devant un public halluciné pour jouer en trio sa version du “Star Spangled Banner”. Version non moins iconoclaste de l’hymne américain que "la" Marseillaise" revisitée par Ayler,  acclamée à St Paul de Vence. Tout se tient et les correspondances artistiques de cette époque sont troublantes.

Vibrations se lit vraiment comme un roman : si ce récit vif, brillant s’attache aux faits et à leur reconstitution, il creuse la réalité pour mettre au jour ce que l' incompréhension de cette musique révèle de la société,  de ses conventions et ses hiérarchies tacites. Le texte analyse et commente, devient même thriller sur sa fin, le temps d’évoquer la disparition du saxophoniste, toujours inexpliquée, le 25 novembre 1970. Car le "miracle" de St Paul de Vence ne fut pas pour autant le début d'une reconnaissance qui aurait été juste. Plus dure sera la chute hélas, et le corps d’Ayler fut repêché dans l’East River, seulement quatre mois après. Mais le message de ce musicien est toujours d’actualité, frémissant, engagé, précieux, universel. L'effet d'un trou noir cosmique pour le jeune écrivain qui a réussi son envol : un coup de maître  que ce Vibrations, assurément!

 

Sophie Chambon

 

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17 mars 2023 5 17 /03 /mars /2023 17:40
WILD TALES        GRAHAM NASH

WILD TALES GRAHAM NASH

LE MOT ET LE RESTE

Musiques (lemotetlereste.com)

DocHdl1OnPR001tmpTarget (flib.fr)

 

La disparition récente de David Crosby et la réapparition miraculeuse de Joni Mitchell m'ont fait redécouvrir le livre de mémoires de Graham Nash, le plus discret des trois musiciens du trio CSN. Cette chronique est un rattrapage puisque Wild Tales est sorti en 2013, publié par le Mot et le Reste, une référence.

Voilà une autobiographie passionnante qu’on ne lâche pas, qui se lit comme un roman découpé en 17 chapitres  : Graham Nash qui a aujourd’hui plus de 80 ans a eu une vie incroyable. Ce petit Anglais du Nord est passé du rock and roll avec Bill Haley aux harmonies vocales des Everly Brothers,  a créé The Hollies, un groupe majeur (juste derrière les Beatles et les Stones) avec Allan Clarke, son copain d’enfance dans cette Angleterre de l’après-guerre. Puis il a tout quitté pour vivre l’aventure californienne des années 60, participant à l’une des formations les plus extraordinaires de cette décennie.

Par l’intermédiaire de Mama Cass (The Mamas and The Papas), il découvre Laurel Canyon, haut lieu de l'avant-garde musicale de Los Angeles, rencontre en 1968 David Crosby des Byrds et Stephen Stills, séparé du Buffalo Springfield. Malgré le succès des Hollies, l’appel de la Californie sera le plus fort et sa voix se combine à merveille à celle des Américains créant une harmonie unique. Ainsi avec des styles différents se forme le trio CSN : virtuosité du perfectionniste Stills, le véritable leader, originalité de l’incontrôlable Crosby, talent d' auteur de pop songs de Nash...

Ce Wild Tales (un de ses albums solo de 1973) témoigne d’une vie de musicien-star, document sur une époque flamboyante, la décennie de tous les dangers et excès mais d’une créativité absolue dans tous les arts.

En 1969, c’est leur premier album dont nous découvrons en détail la genèse avec cette pochette épatante d’une bicoque abandonnée sur Santa Monica Bd avec un vieux divan  installé devant, sur lequel les trois musiciens sont assis, dans le désordre. Une maison volatilisée juste après en avoir pris la photo, alors qu’ils voulaient précisément refaire le cliché, le titre annonçant Crosby en tête. 

CROSBY STILLS AND NASH -FIRST ALBUM - YouTube

CSN est cependant conduit à s’adjoindre très rapidement un autre talent, une autre guitare, l’incontournable Neil Young, celui là même qui s’est toujours affronté à Stephen Stills. CSN deviendra CSN&Y. Neil Young n’est attaché à CSN que par une conjonction qui le singularise, car il a toujours été différent, The Loner dès le Buffalo Springfield où il rencontra Stephen Stills. Ses compositions se démarquent de celles du trio qui a pourtant fait ses preuves et signé un contrat solide et durable avec l'Atlantic d’Ahmed Ertegun. Car Stills est un musicien génial, un guitariste hors pair et le trio vocal surpasse l’entente vocale dejà exceptionnelle entre Nash et Crosby. 

Sens mélodique affirmé, acrobaties vocales, harmonies raffinées, guitares virtuoses dans “Our Home”,Carry On”, “Long Time Gone”, “Helplessly Hoping”, “Chicago”, “Déjà Vu”, “Teach your Children” jusqu’à ce vibrant "Ohio"  “protest song” emblématique de leur fort engagement politique. Déjà dans les Byrds, Crosby cherchait à joindre au contenu socio-politique d'un Dylan une certaine audace harmonique, en intégrant aussi des influences indiennes dues à Ravi Shankar. Mais il  écoutait aussi  du jazz, Coltrane, Miles, Charles Lloyd. Par un juste retour des choses, Miles reprendra au moment de Bitches Brew son “Guinnevere”, titre que l’on entend à Woodstock avec les  autres merveilles que sont “Suite Judy Blue eyes" ou “Wooden Ships”. L’anecdote raconte que Miles fut très désappointé quand Crosby lui fit savoir qu’il n’avait pas aimé du tout sa version!

Malgré un succès devenu très vite planétaire, le groupe va connaître bien des aléas, des "breaks" suivis de reformations éphémères, comme celle de mai 2013, où au Lincoln Center l'orchestre jazz  de Marsalis joua 12 des morceaux les plus connus du groupe que Wynton avait arrangés.

Leur “éloignement” n’est pas une séparation, d’après Nash, ils restent un groupe, même s’ils sont allés voir ailleurs, formant l’un des mariages libres les plus réussis qui soient. Quand Stephen Stills et Neil Young enchaînent les disques en solo, Graham Nash, fidèle en amitié, enregistre des albums avec un Crosby au plus bas et à chaque fois se recrée leur alchimie. Avec Eric Clapton, Keith Jarret, David Crosby -qui vient de mourir après une vie pour le moins cahotique, faisait partie de ces "survivants" alors que dans le jazz, tant ont payé le prix fort pour des conduites aussi addictives. Graham Nash a commencé à toucher aux diverses drogues en débarquant à Laurel Canyon. Pas sûr qu’il ait eu une conduite plus sage, il livre ses mémoires desinhibées sur ses années folles de sex, drugs and rock and roll. Mais l'addiction la plus tenace de Nash, il l’avoue, c’est la musique beaucoup plus importante que n’importe laquelle de nos existences individuelles

Ainsise poursuit la vie de Graham Nash, moins intéressante musicalement après cette période inoubliable, mais on apprécie sa manière sans détour, son recul et son humour tranquille quand il dépeint son enfance de fils d’ouvriers, le Swinging London et la formidable éclosion du rock anglais, la liberté de moeurs, sa relation aux femmes et son histoire avec la grande Joni Mitchell qui l’incita à peindre. C’est avec Croz sans doute l’une des attaches les plus fortes de Nash. C’est d’ailleurs lui qui donna des nouvelles de Joni Mitchell, lors d’un concert à l'Olympia alors qu'elle venait d'être victime d' un A.V.C et hospitalisée à Los Angeles.

Ajoutons que le livre est illustré de photos magnifiques, car à ses qualités musicales, Graham Nash ajoute un autre talent artistique, celui de la photographie. On appréciera  les gros plans de Judy Collins avec Stephen Stills, les portraits de Johnny Cash, de Joni Mitchell, de David Crosby sans sa veste frangée, du trio en train d’enregistrer “Marrakesh Express” en 1969, de Nash avec Jerry Garcia en 1971, Nash toujours avec sa Fender Stratocaster en 1974 pour un concert de CSN&Y, en train de sculpter son ami Croz…

On l'aura compris, ce livre est un coup de coeur qui m' a entraîné à faire un pas de côté en revenant sur une période où le jazz aussi était à l'honneur...   

 

NB : Jetez un oeil sur la longue liste de remerciements, synthèse qui restitue précisément le déroulé de la carrière et de la vie de Graham Nash. Il a tenu à n'oublier personne, en toute honnêteté.

 

Sophie Chambon

 

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8 mars 2023 3 08 /03 /mars /2023 16:42
PAPANOSH       A VERY BIG LUNCH

Label Vibrant/ /Enja Records

Papanosh quintet (lesvibrantsdefricheurs.com)

 

Découvert lors du Charlie Jazz Festival de 2013 à Vitrolles où ils étaient la révélation de Jazz Migration, PAPANOSH (comprendre une recette de crêpe roulée... ukrainienne) était un jeune quintet sous emprise de folklores réels ou imaginaires, d’Alasnoaxis de Jim Black, nourris au jazz des Monniot et Dehors, allant se frotter au compliqué Lubat. Ils ne sont pas dépaysés, ces musiciens qui viennent de Rouen, ces diables de Normands d’aller sur les terres du flamboyant Jim Harrisson, les grands espaces du Nord Michigan.

Le pianiste Sébastien Palis, visiblement inspiré par l’écriture ardente de Big Jim, a composé une musique tout en impros-ruptures, fidèle à un esprit roots qui évolue avec un bel instrumentarium, saxophones, trompette, contrebasse, drums, piano, balafon et Wurlitzer! Huit compositions plutôt courtes, ce qui n’est pas pour nous déplaire, car elles conservent ainsi jusqu’au final leur intensité frémissante. Ces quadras actifs et volontaires du collectif les Vibrants Défricheurs - une nébuleuse de groupes au nom tous plus allumés et ludiques, sortent sur le bien nommé label  Vibrant un nouvel album A Very Big Lunch. Que l’on pourrait comparer à une grande bouffe, joyeuse cette fois et toujours très arrosée. Si le géant cyclope était passionné de cuisine, ses livres de recettes sont tout bonnement impossibles à réaliser tant ils évoquent de gargantuesques ripailles!

Truculents, irrigués d’une mélancolie mâtinée d'ironie, les livres ont souvent été qualifiés de construction musicale. Une adéquation au thème qui n’a pas échappé au quintet qui évoque dans cette bande-son imaginée romans et personnages. On pourrait d’ailleurs écouter, sans regarder les titres et chercher de quel roman chaque composition se rapproche...

On aurait pu craindre que Papanosh ne se soit assagi quelque peu, attentif à célébrer la figure de l’ogre de la littérature américaine au pas nonchalant. Mais dès la fin du premier titre, “Faux Soleil”, le rythme s’accélère, se poursuit sur le “Westward Ho” suivant, invitation à partir à l‘ouest vers la frontière pour défricher de nouvelles terres. Papanosh garde sa pertinence dans les choix et orientations esthétiques dans une alternance de climats qui n’enlève rien à la cohérence de ce qui constitue une suite. Le très beau “Nord Michigan”, hymne à cet état si peu emblématique pour nous Européens, est une ballade qui s’adapte entre chasse, pêche et virées nocturnes. Toujours puissant, mais sans brûler, voilà un drôle de remontant. Une écriture lyrique qui s’appuie sur des formidables solistes, deux soufflants qui avancent ensemble, aux timbres complémentaires, aux contrepoints parfaits : le trompettiste Quentin Ghomari et le saxophoniste alto et baryton Raphael Quenehen.

Ces variations prennent le temps de se fixer dans des tableaux sonores complexes et intrigants. On part sur une nouvelle piste, traçant “Wolf” : sur un rythme plus lent, cette invocation-tournerie de tribu indienne, chaloupe sur la musique des fûts et des peaux de Jérémie Piazza et de l’autre pilier rythmique, le contrebassiste Thibault Cellier et nous fait entrer dans l’univers envoûtant du sorcier.

Dans la roue d'un trio qui prend la route pour faire sauter un barrage vers le grand Canyon, retournant dans l’Amérique des années soixante, celle de la jeunesse d’Harrisson et de la contreculture, voilà le formidable “A good day to die”, formule indienne qui devient road trip musical, plus affolant, heurté et forcément exposif. Sans pour autant annoncer le final splendide, plus léger et doux, une mélodie que tous se partagent, insufflée en hommage à l’attachante Dalva, l’héroïne de l’un des romans les plus célèbres de Jim Harrisson.

La musique du quintet, en décalage pour mieux s’échapper vers un horizon inconnu, n'est jamais tout à fait là où on l’attendrait, et c’est bon. Un album spontané et exaltant,  captivant de bout en bout, à consommer sans modération en n’hésitant jamais à se resservir.

Sophie Chambon

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4 mars 2023 6 04 /03 /mars /2023 19:39
PEDRON  RUBALCABA

PEDRON RUBALCABA

LABEL GAZEBO/L’Autre Distribution

Pierrick PEDRON Official Website

 

Vous ne devriez pas rester indifférents au nouvel album de l’altiste Pierrick Pedron en duo avec le pianiste Gonzalo Rubalcaba intitulé sobrement Pedron Rubacalba. Une alliance artistique inattendue mais espérée, voire fantasmée par le saxophoniste qui n’hésite jamais à traverser l’océan pour retrouver ses idoles jazz. 

Aucune composition originale cette fois, mais des standards recherchés avec soin dans l’histoire du jazz par le directeur artistique Daniel Yvinec et arrangés par le grand pianiste bop Laurent Courthaliac, l’une des plumes les plus raffinées actuelles. Autrement dit, une histoire quatre partenaires forment une belle équipe. Huit pièces denses et inventives avec leurs modulations brusques, leurs variations de temps et la même ferveur. Il suffit d’écouter et de voir la vidéo de "Lawns" par exemple pour être subjugué, sous le charme irrésistible de ce thème de Carla Bley, étiré lancoliquement par les deux musiciens qui s’accordent parfaitement.

Enregistré live en seulement deux jours, en juin 2022, au studio Oktaven de New York , ce CD est un album qui réussit le délicat équilibre du duo, sorti sur Gazebo, le label de Laurent de Wilde qui ne peut résister une fois encore à “un vrai disque de jazz”. Travailleur acharné et perfectionniste, Pierrick Pedron n’allait pas s’arrêter après son album de la maturité 50/50. Il se donne toujours toutes les chances pour réussir ses projets aussi divers qu’ambitieux. Réfléchissant à leur faisabilité, il a dû se résoudre cette fois à abandonner (pour le moment), un projet pharaonique qui aurait fait appel à un orchestre symphonique pour un nouveau défi, un duo piano-saxophone qui se révèle aussi opulent qu’une très grande formation.

L’aventure a commencé en studio, face à face, jouant sans casque mais non sans avoir préparé le terrain. Tous les arrangements étaient prêts, avaient été proposés au pianiste, ses suggestions avaient été intégrées. Quelque chose d’unique s’entend à l’énoncé de ces huit compositions réinventées de Jerome Kern (le délicat “The song is you”), Bechet (l'émouvant "Si tu vois ma mère"), Carla Bley (Lawns) sans oublier le moderniste Georges Russell le vif “Ezz-thetic” : un son unique émerge  qui ne trompe pas, car la formation en duo ne permet aucune esquive : on joue comme on est en répondant aux sollicitations de l’autre, dans un échange qui, s’il est réussi comme ici, est quasiment télépathique. En toute intimité et vérité. A nu.

Ils ont tous deux la même énergie créatrice, le talent de donner de l’ampleur à ces confidences, de faire jaillir des couleurs insoupçonnées, des climats plus insolites comme dans le standard de Bechet dont Woody Allen, dès le générique de son Midnight in Paris, se régalait d’illustrer le vibrato si spécifique par ces images-cartes postales. La plainte devient flânerie chaloupée puis chant exacerbé d’un saxophone à vif.

Le duo est en réinvention incessante, dans une mise en place parfaitement maîtrisée qui n’interdit aucune réaction instinctive aux suggestions du partenaire. Une liberté autorisée sous le contrôle de l’autre. Il faut bien connaître les règles et les arrangements pour les tordre à sa guise et à la convenance de l’autre, dans l’instant. Cet élégant dépouillement acoustique en duo fait ressortir l’entente parfaite, l’interaction immédiate.

Expressif et charmeur, le son de Pierrick Pedron l’est toujours, cette fois, il a travaillé des anches plus dures qui rendent le son plus moelleux et rond. L’accompagnement pianistique est tout aussi inventif, décalé, en brefs épanchements qui font mouche à chaque fois, comme dans ce “Dreamsville”d’Henri Mancini. Sur l'éruptif “Ezz-thetic” le piano devient orchestral. Dans cette autre très belle mélodie de Jérôme Kern “The folks who live on the hill”, le  piano se révèle impressionniste sur une pièce atmosphérique triste.

Cet album épatant marque la rencontre réussie de deux solistes généreux, puissants, soucieux de mélodie et de rythme qui nous entraînent dans une musique désirante. Ils ont visiblement pris du plaisir à interpréter ces pièces qui parlent d’attirance et d’abandon, comme dans le final de Billy Strayhorn “Pretty girl”, dédié à celui qui connaissait si bien cette musique, Claude Carrière. Un sans faute.

 

Sophie Chambon

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30 décembre 2022 5 30 /12 /décembre /2022 12:56
Franck Bergerot       John Coltrane Giant Steps, la pierre angulaire du jazz moderne.
Franck Bergerot       John Coltrane Giant Steps, la pierre angulaire du jazz moderne.

Franck Bergerot

John Coltrane

Giant Steps, la pierre angulaire du jazz moderne

Jazz Image records, 2022.

 

On croyait que tout avait été dit, écrit sur John Coltrane mais le saxophoniste, cinquante-cinq ans après sa disparition, le 17 Juillet 1967, continue à inspirer musiciens et chercheurs. Une œuvre qui traverse le temps et continue d’interroger. Franck Bergerot a mis à profit ses compétences de critique pour commenter l’une des étapes marquantes de l’évolution coltranienne, la révolution de Giant Steps.

John Coltrane virtuose et révolutionnaire? Sauf que quand l’histoire commence (John Coltrane, Giant Steps, La pierre angulaire du jazz moderne sorti chez Jazz Image Records), Coltrane a vingt-cinq ans «et peine encore à s’imaginer un avenir. Rongé par le doute, il était avide de savoir. La Connaissance serait la grande affaire de ce petit-fils de pasteurs. Il s’élancerait bientôt vers elle «à pas de géant» avec l’album Giant Steps».

L’auteur appuie son travail de recherches sur une bibliographie sérieuse mais aussi une écoute attentive de cette musique, un travail de défrichage des terres coltraniennes, en retraçant les reliefs et dépressions d'un itinéraire obstiné. Une occasion de le mettre à jour, de confronter ses connaissances au mythe.

Coltrane n’a jamais cessé, en effet, dans sa quête insatiable de sens, de travailler, d’enregistrer, de chercher. On le suit pendant ses années de formation où, influençable, il se nourrit de rencontres, se perfectionne aux côtés de Dizzy Gillespie avec lequel il grave ses premiers solos de sax ténor, sans avoir encore de personnalité propre. Le tournant, il le vivra avec le premier quintet de Miles Davis qui sait provoquer la créativité de ses musiciens, et plus encore avec Thelonius Monk au Five Spot de New York. Ce court passage chez le pianiste l’inspire : il usera bientôt de la vitesse à l’état pur avec ces rafales de notes en grappes, ces “sheets of sounds” selon Ira Gitler, critique à Downbeat.

Il use de «beaucoup de notes, comme s’il faisait ses gammes sur scène». Des nappes de son comme avec une harpe, instrument qui le fascine -sa dernière femme, Alice en jouera d’ailleurs!

Soultrane signé sur Prestige chez Rudy Van Gelder annonce l’ émancipation de la période Atlantic. Mais il faudra d’abord en passer par le retour chez Miles avec un nouveau sextet, une session chez Blue Note (Blue Trane) et les deux séances de Kind of Blue intercalées avec les enregistrements de Giant Steps, marquant l’arrivée chez Atlantic, chez Tom Dowd, pionnier de la stéréophonie. Plusieurs rendez-vous, sessions supervisées par le producteur Nesushi Ertegun ( 26 mars, 4 et 5 mai, 2 décembre) seront nécessaires pour graver ces titres mythiques, une première pour Coltrane qui a écrit l’ensemble de ces compositions, références à son entourage familial «Cousin Mary», «Naïma», «Syeeda Song Flute», à son partenaire Paul Chambers «Mr PC». Car sa vie reste indissociable de son oeuvre.

Dans un développement passionnant, Franck Bergerot détaille la révolution de «Giant Steps» et de ce "Countdown" au tempo effréné ou l’harmonie au grand large dans lequel Coltrane enjambe le cycle des quintes, en créant des graphiques- mandalas qui lui permettent d’explorer les modulations ou changements de tonalité. Usant à son tour d’une représentation cartographique, il met au point par des métaphores maritimes, dans une recréation transposée tout à fait passionnante, une navigation au grand large, le long de la côte méditerranéenne, qui prend la forme d’une merkabah juive.

Il insiste aussi sur ce qui fait l’originalité de ce disque, qui ne perd pas pour autant sa qualité «chantante», son lyrisme avec « une comptine, un air de fête et des nymphéas ».

Pour finir, Franck Bergerot souligne l’exceptionnelle influence des solos de «Giant Steps» et «Countdown» dans l’imaginaire des plus grands musiciens de jazz, saxophonistes, pianistes, guitaristes jusqu’à la version toute récente de la  chanteuse Camille Bertault.

L’aventure ne s’est pas arrêtée là. Si cet album sonne le départ de la carrière météorique de Trane, il n’est qu’une étape dans son parcours : d’autres suivront où il continuera son expérimentation, creusant son obsession du plein, son cheminement intérieur vers l’avant-garde. Mais ceci est une autre histoire que l’on espère suivre bientôt sous la plume érudite mais toujours d’une grande lisibilité de Franck Bergerot. 

Un livre que les amoureux du jazz  liront d'une traite  en regardant les illustrations des plus grands photographes tout en écoutant le CD incluant toutes les plages de Giant Steps avec en bonus cinq titres choisis par l'auteur... 

 

Sophie Chambon


 

Franck Bergerot       John Coltrane Giant Steps, la pierre angulaire du jazz moderne.
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