La cérémonie funéraire de Philippe Carles s’est déroulée le 25 octobre au funérarium du cimetière parisien du Père Lachaise en présence de nombreux ami(e) du monde du jazz. Jeanne Lee, Ella Fitzgerald, Miles Davis, John Coltrane et naturellement son artiste préféré Jimmy Giuffre constituaient la « bande-son » de cet hommage. Parmi les témoignages, celui de François-René Simon, contributeur de longue date de Jazz Magazine et grand connaisseur de John Coltrane. Voici les principaux extraits de son adresse à Michèle Carles-Scotto, la veuve de l’ancien rédacteur en chef du magazine.
«Chère, très chère Michèle, tu m’as proposé de dire quelques mots. J’avais tellement peur qu’au lieu de soulager ta douleur – comme si c’était possible ! – ils ne l’accentuent, que j’ai préféré les écrire. A d’autres l’improvisation , pourtant si chère à Philippe ! Résumer sa carrière ? Tu la connais mieux que quiconque. Je citerai quand même son défi, cet impossible Dictionnaire du jazz qu’il faudrait mettre à jour tous les jours et auquel il m’a demandé, avec beaucoup d’autres, de contribuer. Je mentionne tout de même une spécificité à laquelle Philippe tenait par-dessus tout : décrire au plus juste lestyle de chacun des musiciens qui avait droit à son “entrée” comme on dit. Eh bien c’est le style de Philippe que je voudrais sommairement évoquer ici, sa façon d’être ou plutôt de ne pas être chef, même s’il fut mon inoubliable rédacteur en chef de Jazz Magazine. Chef, il l’était si peu, qu’il n’osait pas dire, par exemple, à son metteur en page qu’il voyait les choses autrement, quitte à s’en vouloir de ne l’avoir pas dit une fois le numéro paru. Philippe avait commencé par des études de médecine, et il lui en est resté non seulement un goût pour l’auscultation profonde, mais aussi une grande connaissance des maux que peut subir notre corps et des moyens de les atténuer. (…) De ce penchant pour la médecine, il lui est resté ce visage de docteur, presque sévère, gardant son émotion pour l’intérieur, ou pour toi Michèle, ou pour une rencontre forcément joyeuse avec un musicien, Jimmy Giuffre par exemple, comme le montre la belle photo (de Christian Rose) que publiera Frédéric Goaty dans le prochain n° de Jazz Magazine… Pourtant je l’entends encore donner un coup de fil de colère et de rupture dont son interlocuteur, Gérard Bourgadier (ndlr : éditeur décédé en 2017), n’a pas du se remettre. Philippe, c’est bien sûr le co-auteur avec son alter-ego Jean-Louis Comolli de Free Jazz Black Power, défenseur d’un jazz si longtemps moqué, mais dont il défendit avec vigueur et rigueur, je le cite, les « beautés sans nom du hasard ». Philippe, c’est aussi l’homme de radio, producteur de 1971 à 2008 à France Musique, qui se débarrassa de lui pour cause de soi-disant retraite obligatoire. Car Philippe, c’est une voix, un timbre, ni racoleur ni vendeur, et il faut prêter bien plus qu’une oreille pour entendre les ombres d’un accent pied-noir qu’il ne récusa jamais car il n’oublia pas davantage son Alger natal, qui le rendit très tôt sensible au bleu de la Méditerranée.
François-René Simon, 25 octobre 2023, Cimetière du Père Lachaise, Paris.
Si je mets en exergue cette photo de Philippe Carles en compagnie de Jimmy Giuffre à Amiens en 1990, c’est que, jeune amateur de 19 ans, j’avais avec émerveillement dévoré son article intitulé ‘Jimmy joue free’ dans le Jazz Magazinen° 154 de mai 1968…. Je lisais ses articles depuis mes années-lycée, et dès le début des année 70 je l’avais écouté sur France Musique. Jazzophile forcené, j’avais publié deux ou trois bricoles dans la presse régionale de Lille vers l’âge de 20 ans, et j’avais aussi donné dans la radio-pirate quelques années plus tard.En participant activement, fin 1980, à la création de Radio K, radio francophone émettant d’Italie, près de San Remo, j’avais fait la connaissance de Barney Wilen, à l’époque encore basé à Nice. Barney avait conseillé à Philippe de me recruter, et dans le numéro de février 1982 j’écrivais pour la première fois dans JazzMag. Radio K venait de fermer pour des raisons liées au fait que le nouveau pouvoir français voyait d’un mauvais œil une radio autogérée, de droit coopératif italien, qui s’obstinait à faire de la publicité, sa structure autogérée la protégeant des pressions commerciales, politiques, et autres…. En ce même février, postulant à France Musique, je fus reçus par son directeur René Koering. Et manifestement pour lui le fait que, en plus d’une vraie expérience de radio, je collabore à Jazz Magazine, compta pour beaucoup dans sa décision de m’engager quelques semaines plus tard. Il faut dire que Philippe était un pilier des programmes-jazz de la station musicale depuis plus de dix ans (tout comme plusieurs autres collaborateurs du magazine), et ce fut probablement décisif. Je devais donc à Philippe l’ultime ’coup de pouce’ qui me ferait entrer pour 32 ans dans le métier de radioteur sur une chaîne nationale et, jusqu’à aujourd’hui, de chroniqueur de la chose syncopée. Philippe me fit confiance très tôt. En mai 1982 j’étais au festival Du Mans pour le magazine. La grande époque : un compte rendu de deux pages, avec des photos signées Horace. Je rends mon papier : c’était une année italienne, et je qualifie de décevante la prestation d’Enrico Rava (que je vénère). Philippe me dit son embarras, car Enrico est pour lui un ami de longue date. Je lui dis : n’édulcore pas mon compte-rendu, mais si le paragraphe qui concerne ce groupe te gêne, supprime-le…. Philippe me fit confiance, et la chronique parut en septembre (il y avait un temps de latence lié aux festivals d’été). En octobre de la même année je suis à New York. Je viens écouter le groupe de tubas rassemblé par Howard Johnson (groupe qui deviendra ‘Gravity’). Je parle avec le tubiste qui me décrit son projet quand arrive un musicien que je tarde à reconnaître. Il a désormais les cheveux courts, et plus de moustache. Howard Johnson fait les présentations. ‘Ah c’est vous’ me dit Enrico Rava. ‘Vous avez été plutôt gentil, car j’ai joué beaucoup plus mal que vous ne l’avez suggéré’. À mon retour Philippe adora l’anecdote. Philippe me fit toujours confiance,et ce vieux souvenir dit assez l’importance qu’il a pu avoir dans mon parcours, et la peine que m’ont causées sa maladie, puis sa disparition le 14 octobre.So long, Philippe.
Denis est mort hier, 24 juillet 2023, emporté par la maladie.Cette photo date du dernier concert solo où je l’ai écouté, en septembre 2021 au festival de Trois Palis. Je l’avais retrouvé en 2022 à la Dynamo de Pantin dirigeant d’un clavier numérique l’Orchestre des Jeunes de l’ONJ, qui cette année là jouait son répertoire de l’ONJ. Et depuis des années, on se voyait à Sète ou dans la région, lors de mon escale annuelle à Montpellier. Dès 1982 j’ai assisté avec ferveur et enthousiasme à ses concerts, que j’ai chroniqués dans la presse spécialisée, et diffusés sur France Musique. J’admirais le pianiste singulier, le compositeur et l’arrangeur de très grand talent. J’aimais l’Ami plein de fantaisie, à l’humour décapant nimbé de bienveillance. Les mots me manquent. Adieu l’Ami
Coup de tonnerre dans le monde de la musique au printemps 1948 : Columbia annonce le lancement d’un produit destiné à remplacer le 78 tours en gomme laque(shellac).
Annoncé comme « révolutionnaire » ce disque, le 33 tours 1/3 (sa vitesse de rotation par minute) doit permettre sur une matière réputée incassable, le vinyle, de proposer jusqu’à 30 minutes et plus de musique, six fois plus que le 78 tours, avec une qualité de son incomparable, la haute fidélité. La surprise est totale même si les ingénieurs de Columbia avaient travaillé sur le procédé avant d’interrompre leurs études au début de la guerre de 39.
Va dès lors s’engager une « guerre » commerciale entre Columbia et l’autre géant américain du secteur, RCA, même si les protagonistes refusent d’employer le terme. Le récit détaillé de cet épisode crucial dans l’histoire de la musique enregistrée est présenté par Daniel Richard sur son site d’informations www.Jazzinfrance.com (Facts & Sources) sous le titre ‘’The Modern L.P, A transitional period’’.
Fruit d’une enquête de bénédictin, ce travail propose une chronique portant sur la période 1948-1951, émanant d’extraits de journaux et magazines spécialisés et généralistes. Pas moins de 184 textes, présentés de manière chronologique, en anglo-américain, dans leur version originale. Résultat, des faits, des faits, des faits : des chiffres et des déclarations qui suffisent à mesurer l’enjeu de cette révolution.
Quand Columbia révèle son innovation, le marché du disque aux Etats-Unis accuse une baisse de régime, les ventes étant tombées en 1947 à 250 millions d’unités contre 300 millions l’année précédente. Lancer un nouveau support pourrait bien être l’occasion d’un rebond des achats du public. L’argument commercial avancé doit séduire : 4,85 dollars pour un disque présentant une symphonie contre 7,25 dollars pour le même enregistrement proposé sous le format du 78 tours. Bien sûr, il faudra faire l’acquisition d’un adaptateur (environ 30 dollars) pour le tourne-disque qui équipe alors quinze millions de foyers américains ou mieux acheter un nouvel appareil. Qu’importe. Les dirigeants de Columbia publient dès l’été 48 un catalogue de 325 références, étant bien persuadés que le jeu en vaut la chandelle.
Tel est aussi l’avis de RCA qui décide de riposter… sur un autre terrain en annonçant la sortie de disques de même qualité (le vinyle) mais disposant d’une vitesse supérieure (45 tours/minute). La compagnie entend également compenser le format plus modeste du disque (de 7 pouces ou 17 centimètres contre 10 pouces ou 25 centimètres et même 12 pouces ou 30 centimètres) par une autre innovation, un système équipant le tourne-disque permettant de jouer de manière automatique jusqu’à 8 disques soit une durée totale de 42 minutes. Les disques sont empilés sur le plateau de l’appareil autour d’un pivot central et à la fin de chaque disque, le bras de lecture revient au point de départ le temps que l’album suivant se mette en position.
Devant de tels bouleversements, les amateurs de musique restent un moment désorientés mais l’engouement pour ces nouveautés l’emporte. En 1950, les ventes globales aux Etats-Unis des vinyles (33 tours et 45 tours) rattrapent déjà le niveau des 78 tours. Les deux nouveaux formats se répartissent, avec des volumes de ventes équivalents, le marché : le 33 tours LP (Long Play) pour la musique classique et de plus en plus le jazz, le 45 tours, de plus courte durée, pour la chanson et notamment le rock & roll naissant. Nous sommes en 1951 et la trêve peut dès lors s’installer de facto entre Columbia et RCA.
Une page de l’histoire de la musique enregistrée se tourne. Bientôt le 78 tours va disparaître :
Lee Konitz est mort des suites du covid-19, hier 15 avril 2020, à New York
Réveillé à 7h55 par un SMS du camarade Lemarchand «Tristesse avec le décès de Lee Konitz(...) Tu fais un portrait ?» Pas envie de faire un portrait, et je n'en prépare pas pour ce genre de pénible circonstance. Refus systématique du réflexe supposément professionnel : d'ailleurs je suis redevenu un amateur (que je n'avais jamais cessé d'être....). Réveil difficile : depuis une heure j'essayais de me rendormir, et mon subconscient vagabondait dans la campagne de la Flandre française, quelque part au pied du Mont Cassel. À pied, en voiture, en vélo ou à cheval ? Je ne m'en souviens plus, et d'ailleurs j'ai parcouru cette contrée par ces divers moyens.
Lost Lee
Ce qui me revient, ce sont des souvenirs, par vagues successives. Un déjeuner, voici quelques mois, avec Dan Tepfer, qui fut son ultime partenaire en duo à la Jazz Gallery de New York. Et une conversation avec Henri Renaud, alors que nous nous succédions à l'antenne de France Musique, dans les années 80. Lors de la séance du 17 septembre 1953, pour les disques Vogue (en quintette ou quartette, avec alternativement Henri au piano et Jimmy Gourley à la guitare), une des nombreuses versions de I'll Remember April fut intitulée, dans la première édition, Lost Henri. Sans piano mais avec guitare. Pourquoi ? Henri n'a pas pu, ou pas voulu, me dire exactement pour quelle raison il était absent du studio pour cette prise : une cigarette ? Un besoin naturel ? Un mouvement d'humeur ? Qui sait....
Far away from, and around.... standards
Ce souvenir d'auditeur ravive ma perception majeure de l'Art de Lee : autour des standards, toujours, et aussi loin que possible de la ligne mélodique originelle. D'ailleurs, sur la version originale du disque ci-avant évoqué, très peu des titres originaux étaient crédités, car souvent Lee entrait directement dans la paraphrase, la digression, le commentaire, la déambulation rêveuse. Un Art qu'il partageait avec Lennie Tristano, qui l'avait initié à cette pratique intransigeante de la liberté. Mais les éditions ultérieures de ce disque alignaient servilement les titres des standards, quand bien même le thème n'était pas joué.... Mystère de la frilosité de l'édition phonographique face à la liberté du créateur.
Liberté, le Maître mot
En parcourant ma discothèque, vinyles et CD confondus, je m'aperçois que j'ai autant de disques de Konitz sous son nom que de disques de Miles Davis, Thelonious Monk ou Charlie Parker. Et un peu plus que d'Armstrong ou du Duke : aveu de sectarisme ? Non, simple tropisme d'amateur. J'ai souvent écouté Konitz en concert, parfois dans des contextes inattendus, comme au sein du Big Band de George Gruntz au studio 105 de Radio France en 1987, où il côtoyait, dans la section de sax, Joe Henderson. Mais les grands souvenirs restent les duos avec Martial Solal. Vers la fin de l'année 1980, au défunt Dreher, à Paris, près de la Place du Châtelet, j'ai assisté à un concert de ce duo. Comme toujours, pas de programme préétabli. L'un commence, en toute liberté, l'autre identifie la grille, et le dialogue commence. Mais à un moment du concert, ils crurent l'un et l'autre identifier un thème : il était différent, et chacun suivit son idée, sur des grilles proches et presque compatibles, en se jouant des tensions et frottements harmoniques. Un grand moment de musique et de liberté. Après le concert, je dînais avec Martial et Lee, car je devais enregistrer un entretien avec Martial pour une émission prévue, début 1981, sur Radio K, radio francophone installée à San Remo (le monopole de radiodiffusion existait encore à l'ère Giscard), où j'ai débuté professionnellement après des expériences d'amateur dans les radios pirates du Nord de la France. L'entretien nourrirait quelques semaines plus tard l'une de mes première émissions, destinée à annoncer un concert du duo dans la MJC Picaud de Cannes. Et après ce concert cannois je réalisais une interview de Lee Konitz pour une émission consacrée à son considérable parcours. Ce que je retiens des deux compères, Martial et Lee, c'est l'humour. Chez Martial il ponctue souvent des réponses d'une grande clarté. Chez Lee au contraire, l'humour parasite constamment le message, comme si le saxophoniste l'utilisait pour tenir à distance le vif du sujet.
Lee Konitz et Martial Solal, collection personnelle de Martial Solal
À Martial, le mot de la fin
Je laisserai à celui qui fut son ami, et aussi son partenaire musical de 1968 jusqu'aux années 2000, le dernier mot. Dans l'entretien qu'il m'avait accordé fin 2003 pour un document patrimonial en vidéo, commandé et produit par l'INA, Martial décrivait ainsi sa complicité avec Lee Konitz : «Lee Konitz a été ma collaboration la plus longue et la plus intéressante. Avant lui comme collaboration de longue durée, il y avait eu Lucky Thompson, avec qui j'ai enregistré quantité de disques. Mais avec Lee la collaboration a été plus longue et plus proche, dans la façon d'aborder la musique de jazz, encore que Lee Konitz et moi-même ayons des univers différents ; mais je les estime complémentaires. Tandis qu'avec des gens comme Lucky Thompson ou d'autres, nous étions un peu en parallèle, si vous voulez. Avec Lee Konitz il existe une complémentarité des styles. Il a un don mélodique extraordinaire. Moi, de mon côté, je le soutiens par un espèce de background fait d'excitation, de stimulation, qui peut le faire sortir justement de ses gonds. Et lui a tendance à retenir mes excès. Donc c'est très complémentaire. On joue très souvent ensemble, aussi souvent que possible. La dernière fois, c'était cette année-même, à l'Iridium de New-York, on a joué pendant une semaine. Nous avons, durant toutes ces années, donné des centaines de concerts : des tournées sur la West Coast des Etats-Unis, en Europe, en France, dans les endroits les plus modestes comme dans les plus prestigieux.»
Xavier Prévost
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Cet entretien a été publié, dans un livre-DVD (Martial Solal, Compositeur de l'instant, INA/Michel de Maule, 2005). On peut aussi accéder à l'entretien en vidéo sur le site de l'INA par ce lien
Nouvelle chanteuse encore peu connue sur la scène française, Hailey Tuck tout droit venue d'Austin (Texas) va voir apporter une grosse dose de bonne humeur et de facétie.
Son jazz est texan, folk et drôle. Une grande bouffée de chaleur intimiste dans les frimas de l'hiver.
Ne pas la manquer jeudi soir au New Morning à Paris
S'il vous faut bien noter dans vos agendas une date exceptionnelle, c'est bien celle qui aura lieu Samedi 9 à 20h à La Seine Musicale.
Organisée par l'Académie du Jazz pour la soirée de remise de son palmarès, cette soirée sera aussi l'occasion d'un concert UNIQUE en hommage au très regretté Michel Petrucciani disparu il y a 20 ans, en janvier 1999.
Cette soirée, outre la remise des prix sera l'occasion d'accueillir un grand nombre de talents exceptionnels venus rendre hommage à l'immense pianiste du Vaucluse.
Voilà que Michel LEGRAND a rejoint son copain Jacques DEMY au paradis des musiciens et cinéastes, des amoureux de comédies musicales, des compositeurs de musiques de film.
Les hommages fleurissent et chacun de se souvenir de cette époque, selon son âge et ses goûts musicaux: variétés, pop, jazz...
Une autre façon de penser à ma mère qui écoutait à la radio, sur France Inter, ses duos avec Caterina Valente, Nana Mouskouri, qui me fit écouter Nougaro interprétant "Le cinéma" sur le 45 tours ”Sur l' écran noir de mes nuits blanches"... Je la revois encore, enthousiaste, reprenant la mélodie de “Quand on s’aime” de 1965 qui swinguait terrible… Et moi aussi, j’aimais ça…
Plus tard, passionnée de ciné, je suis tombée sous le charme de ses orchestrations, de certaines mélodies qui collaient parfaitement aux films comme celle d' Un été 42 du trop méconnu Robert MULLIGAN (1976) : une musique romanesque, plus poignante que celle de "The windmills of your mind", dans L’Affaire Thomas Crown (1968) de Norman Jewison. De toute façon il eut un oscar pour chacun de ces thèmes.
Il y eut aussi Peau d’âne que j’eus la chance de voir à sa sortie en 1970 et qui me ravit, c’était quand même mieux que DISNEY. Cette histoire où “on ne mariait pas les filles avec leur papa” avait la texture, la saveur d’un conte de fées moderne et français : un Chambord de rêve, la beauté des costumes, des robes "couleur de temps" de Catherine Deneuve, le charme des acteurs, de la féminine fée lilas Delphine Seyrig à Jacques Perrin si juvénile. Je comprenais mal les chansons mièvres comme "Rêves secrets d'un prince et d'une princesse"…. “nous nous gaverons de pâtisseries...mais qu’allons nous faire de tous ces plaisirs? Il y en a tant sur terre...nous ferons ce qui est interdit”. Un fameux credo, ceci dit, pas du tout politiquement correct...
Et le jazz dans tout ça? Pour moi, demeure ce classique We must Believe in spring que les plus grands jazzmen ont repris mais que la version de Bill Evans transcende peut être; ce titre vaudrait à lui seul d'écouter du Michel Legrand, qui imprime à toutes ses compositions, véritables "chansons", sa marque. Absolument inimitable dans son extravagance.
Et puis, en conclusion, je souhaitais vous faire partager la pépite, dénichée sur l’INA d’un amateur de jazz, l'expert Gérard Ponthieu qui tient un blog curieux, éclectique et inspiré.
Une belle façon de rendre hommage aux musiciens de jazz, aux pianistes…et à cette musique!
« Le jazz je l’aime avec ma raison, mon cerveau, ma technique mais je l’aime aussi physiquement », confiait Michel Legrand disparu le 26 janvier à 86 ans. Si le concert de Dizzy Gillespie en 1948 à Pleyel fut pour lui « un électrochoc », une révélation du jazz, c’est avec Miles Davis que le protéiforme et oscarisé Michel, compositeur aux 1600 musiques de films, vécut l’aventure musicale la plus forte.
L’élève de Nadia Boulanger va rencontrer Miles en 1957 à Paris au club Saint Germain. Ils échangent quelques mots. L’année suivante sera déterminante pour leur coopération. Philips et Columbia décident de financer l’album de son choix pour remercier Michel du succès énorme aux Etats-Unis de son disque I Love Paris où le musicien avait arrangé sur le thème de la ville-lumière quelques-uns des grandes chansons comme Les Feuilles Mortes, Sous les ponts de Paris, Paris, je t’aime. Le choix de Michel est vite fait : un album de jazz haut de gamme. La preuve : avec l’aide de Boris Vian, il retient quelques titres majeurs (Round Midnight, Django, Nuages, Night in Tunisia) et surtout sélectionne ses interprètes, Miles Davis, John Coltrane, Ben Webster, Phil Woods, Herbie Mann, Hank Jones, Bill Evans…Rendez-vous est pris pour l’enregistrement en studio à New-York le 25 juin 1958. Reste à convaincre Miles. Des gens du métier lui font part de leurs craintes : Miles viendra écouter ta musique en catimini et si cela ne lui plaît pas, tu n’entendras jamais plus parler de lui. Sombre prédiction qui ne se réalisera pas. « A la fin de la première prise de Django, Miles lui adresse « un large sourire » et dit « tu es content de moi ? j’ai joué comme tu voulais » (in J’ai le regret de vous dire oui. Michel Legrand avec Stéphane Lerouge. Ed. Fayard 2018). A partir de là, « notre séance de quatre heures se révèle rapide, fluide, sans accroc ». L’album gravé intitulé simplement « Legrand Jazz » recueillera un large succès et pas seulement chez les amateurs de la note bleue. « Je dois infiniment à cet album, il m’a offert une crédibilité, une crédibilité comme homme de jazz ».
Suivront des albums avec Sarah Vaughan-qui donnera un sublime The summer knows, version vocale du film Un été 42- Stan Getz (Communications 72, album symphonique avec une pochette ornée d’une peinture de Raymond Moretti) ou encore Stéphane Grappelli pour un disque (sorti en 1992) construit sur des chansons françaises éternelles (Mon légionnaire, Mon homme, C’est si bon) .
Avec Miles, les contacts s’espacent, chacun menant sa carrière. Jusqu’en 1990 où Michel est contacté par un cinéaste australien Rolf de Heer qui prépare un film, Dingo. Miles veut bien en écrire la musique mais à la condition que « Mike » lui apporte son concours. L’affaire est conclue. S’il n’est pas une merveille du 7ème art, Dingo, qui sortira en 1992 après le décès de Miles, restera comme la dernière coopération entre deux génies musicaux.
Jean-Louis Lemarchand
Concert hommage initié par l’Académie du Jazz, journées spéciales à la radio (France Musique, TSF), sorties de coffrets de disques sur sa période Dreyfus : de nombreux événements sont prévus pour célébrer les 20 ans de la disparition de Michel Petrucciani le 6 janvier 1999 à 36 ans.
Pour les amateurs du pianiste « pétri de musique » selon le mot d’une voisine de sa ville natale Orange, les hommages ont débuté cet automne avec la sortie chez BMG d’une intégrale de la production discographique chez Dreyfus (12 cd). La même maison de disques, qui a repris le catalogue Dreyfus sort en janvier une anthologie des compositions de Michel Petrucciani avec le témoignage de pas moins de 40 pianistes recueillis par Pascal Anquetil.
Sur les ondes, France Musique consacrera une semaine spéciale à Michel Petrucciani : dans son émission, Open Jazz (18 h-19 h), 'Alex Dutilh invitera cinq pianistes du 2 au 8 janvier (2 janvier, Laurent Coulondre, le 3 Manuel Rocheman, le 4 Bruno Ruder, le 7 Thomas Enhco et le 8 Baptiste Trotignon) ; les Légendes du Jazz de Jérôme Badini proposeront des concerts du pianiste les 5 et 6 janvier de 18 h à 19 h ; le temps fort sera constitué par une nuit Petrucciani du 5 janvier à minuit au 6 janvier à 7 h présentant des concerts du pianiste disparu. Quant à TSF, la station présentera tout au long de la semaine du 7 au 11 janvier un abécédaire dédié à Michel Petrucciani en même temps que deux numéros de son émission dominicale Rue des Archives et des témoignage de ses proches dont Aldo Romano et Jean-Jacques Pussiau.
Les fans de Michel Petrucciani retrouveront Aldo Romano sur scène le 9 février à l’auditorium de la Seine Musicale à Boulogne Billancourt lors d’un concert organisé par l’Académie du Jazz qui réunira entre autres des musiciens ayant joué avec le pianiste, Joe Lovano, Lenny White, Flavio Boltro , Philippe Petrucciani (son frère) mais aussi les pianistes Franck Avitabile, Jacky Terrasson et Laurent Coulondre, la saxophoniste Géraldine Laurent, le bassiste Géraud Portal...
Jean-Louis Lemarchand