Coup de tonnerre dans le monde de la musique au printemps 1948 : Columbia annonce le lancement d’un produit destiné à remplacer le 78 tours en gomme laque (shellac).
Annoncé comme « révolutionnaire » ce disque, le 33 tours 1/3 (sa vitesse de rotation par minute) doit permettre sur une matière réputée incassable, le vinyle, de proposer jusqu’à 30 minutes et plus de musique, six fois plus que le 78 tours, avec une qualité de son incomparable, la haute fidélité. La surprise est totale même si les ingénieurs de Columbia avaient travaillé sur le procédé avant d’interrompre leurs études au début de la guerre de 39.
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Va dès lors s’engager une « guerre » commerciale entre Columbia et l’autre géant américain du secteur, RCA, même si les protagonistes refusent d’employer le terme. Le récit détaillé de cet épisode crucial dans l’histoire de la musique enregistrée est présenté par Daniel Richard sur son site d’informations www.Jazzinfrance.com (Facts & Sources) sous le titre ‘’The Modern L.P, A transitional period’’.
Fruit d’une enquête de bénédictin, ce travail propose une chronique portant sur la période 1948-1951, émanant d’extraits de journaux et magazines spécialisés et généralistes. Pas moins de 184 textes, présentés de manière chronologique, en anglo-américain, dans leur version originale. Résultat, des faits, des faits, des faits : des chiffres et des déclarations qui suffisent à mesurer l’enjeu de cette révolution.
Quand Columbia révèle son innovation, le marché du disque aux Etats-Unis accuse une baisse de régime, les ventes étant tombées en 1947 à 250 millions d’unités contre 300 millions l’année précédente. Lancer un nouveau support pourrait bien être l’occasion d’un rebond des achats du public. L’argument commercial avancé doit séduire : 4,85 dollars pour un disque présentant une symphonie contre 7,25 dollars pour le même enregistrement proposé sous le format du 78 tours. Bien sûr, il faudra faire l’acquisition d’un adaptateur (environ 30 dollars) pour le tourne-disque qui équipe alors quinze millions de foyers américains ou mieux acheter un nouvel appareil. Qu’importe. Les dirigeants de Columbia publient dès l’été 48 un catalogue de 325 références, étant bien persuadés que le jeu en vaut la chandelle.
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Tel est aussi l’avis de RCA qui décide de riposter… sur un autre terrain en annonçant la sortie de disques de même qualité (le vinyle) mais disposant d’une vitesse supérieure (45 tours/minute). La compagnie entend également compenser le format plus modeste du disque (de 7 pouces ou 17 centimètres contre 10 pouces ou 25 centimètres et même 12 pouces ou 30 centimètres) par une autre innovation, un système équipant le tourne-disque permettant de jouer de manière automatique jusqu’à 8 disques soit une durée totale de 42 minutes. Les disques sont empilés sur le plateau de l’appareil autour d’un pivot central et à la fin de chaque disque, le bras de lecture revient au point de départ le temps que l’album suivant se mette en position.
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Devant de tels bouleversements, les amateurs de musique restent un moment désorientés mais l’engouement pour ces nouveautés l’emporte. En 1950, les ventes globales aux Etats-Unis des vinyles (33 tours et 45 tours) rattrapent déjà le niveau des 78 tours. Les deux nouveaux formats se répartissent, avec des volumes de ventes équivalents, le marché : le 33 tours LP (Long Play) pour la musique classique et de plus en plus le jazz, le 45 tours, de plus courte durée, pour la chanson et notamment le rock & roll naissant. Nous sommes en 1951 et la trêve peut dès lors s’installer de facto entre Columbia et RCA.
Une page de l’histoire de la musique enregistrée se tourne. Bientôt le 78 tours va disparaître :
L’amateur pourra profiter de sa visite sur le site pour lire le récit de la première venue de Thelonious Monk à Paris (31 mai au 10 Juin 1954).
Jean-Louis Lemarchand.
©photo Daniel Richard/jazzinfrance.com