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12 novembre 2024 2 12 /11 /novembre /2024 22:34

222 musiciens du XXème siècle par 222 écrivains.
Editions Fayard. 768 pages.
En librairie depuis le 30 octobre.
ISBN : 978-2-213-72755-4

 

Les titres peuvent être trompeurs. « Les mots de la musique » ne constituent nullement un dictionnaire destiné aux élèves des conservatoires ou amateurs en quête de connaissances. L’ouvrage réalisé sous la direction de Franck Médioni (auteur de nombreuses biographies, ancien producteur à Radio France), constitue, aux dires d’icelui, « une anthologie littéraire, une déambulation libre, une mosaïque bigarrée aux écritures multiples ». Précisément, ils sont 222 contributeurs (interprètes, journalistes, romanciers…) qui ont choisi d’évoquer, selon leurs propres mots (on y revient) un musicien (ou une musicienne) du XX ème siècle.

 

Parcourir ce vaste volume (plus de 750 pages) nous donne l’occasion de retrouver les figures marquantes, connues ou non (c’est là un des plaisirs du lecteur, la découverte), dans tous les domaines de la musique : classique, contemporaine, rock, pop, chanson française et bien sûr le jazz y compris le blues largement représenté avec plus de 70 récits et portraits. Au fil de cette déambulation, on croise ainsi pour « l’équipe de France » de la note bleue Michel Portal, Martial Solal, Bernard Lubat, Michel Petrucciani, Jean-François Jenny-Clark, Joëlle Léandre, Marc Ducret, Daniel Humair, Jac Berrocal, Django Reinhardt, Stéphane Grappelli….

 

Ces 222 chroniques, de Marguerite Monnot aux Rolling Stones, de Steve Reich à Ravi Shankar -prennent des formes diverses : des études sous forme de coups de cœur ( Erik Satie sous la plume de Pascale Roze, prix Goncourt 1996 pour Chasseur zéro), des témoignages (Nadia Boulanger vue par Tiphaine Samoyault, la fille des conservateurs du Château de Fontainebleau, où enseignait la sœur de Lili, la compositrice de Pie Jesu), des souvenirs de tournée (savoureuses évocations de Johnny Griffin par le saxophoniste Olivier Témime, de Stéphane Grappelli par le contrebassiste Jean-Philippe Viret, de Jean-Louis Chautemps par son confrère François Jeanneau…).

 

Accéder à ces textes qui passent en revue de manière tout à fait subjective la foisonnante histoire musicale du XX éme siècle se mérite. Le livre adopte une présentation alphabétique des auteurs et retient des titres pas toujours explicites (exemple, l’article de Philippe Claudel dédié au groupe anglais The Stranglers et titré simplement ‘No more heroes’). Le lecteur doit donc se référer aux deux sommaires en fin d’ouvrage (par auteurs et musiciens). On eut apprécié également quelques éléments biographiques sur chacun (e) des auteur(e)s. Reste que la lecture sans guide ni repères, au petit bonheur la chance, peut avoir ses charmes.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

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5 novembre 2024 2 05 /11 /novembre /2024 08:08
Franck Bergerot    André HODEIR & James JOYCE      UN  ELOGE DE LA DERIVE

FRANCK BERGEROT

André HODEIR & James JOYCE

Un éloge de la dérive

 

 

 

accueil | ONJ

Disponible le 25 octobre

Ouvrage accompagné du lien de téléchargement du concert«Anna Livia Plurabelle • L’ONJ joue André Hodeir» donné le 6 mars 2021 à la Maison de la Radio et de la Musique

 

Finnegans Wake : Anna Livia Plurabelle - YouTube Music

 

Un travail d’une envergure impressionnante, exhaustif sans être fastidieux, facile à lire même sur un sujet pourtant intimidant André Hodeir et James Joyce, un éloge de la dérive. Soit une oeuvre Anna Livia Plurabelle à la réputation difficile, une “jazz cantata” tirée de Finnegans Wake que Joyce mit dix sept ans à écrire.

Je me souviens...C’était en 2 017 à Avignon quand Frank Bergerot évoqua devant nous la suite d’Hodeir Anna Livia Plurabelle qui le fascinait depuis sa jeunesse et dans laquelle il replongeait avec passion à la lecture d’ André Hodeir le jazz et son double, un pavé de 772 pages de Pierre Fargeton (préfacé par Martial Solal). Franck Bergerot prit alors conscience de ce qu'il y avait de visionnaire dans la volonté d’Hodeir d'écrire le jazz comme on improvise, sans le faire comme les musiciens free de l’époque qui imaginaient le futur du jazz autrement, sans partition. Hodeir introduisait cette drôle d’idée d'improvisation simulée, des solistes tout particulièrement. 

Je ne connaissais pas cette pièce musicale mais le rapprochement avec James Joyce retint mon attention. Auteur pour le moins difficile dont j’avais vainement tenté Ulysses sans grand succès ( parcourant le dernier chapitre jusqu’au “oui” final du monologue de Molly) mais eu plus de chance avec Dubliners/The Dead beaucoup plus accessible, surtout après avoir vu le film crépusculaire de John Huston,  d'une grande fidélité dans les dialogues, son dernier opus où sa fille Anjelica tenait le premier rôle.

 

 

Hodeir a écrit deux "jazz cantatas" à partir de Finnegans Wake   Bitter Ending (fin du dernier chapitre) et Anna Livia Plurabelle (huitième chapitre) qui met en scène deux lavandières et une femme-rivière Anna Liffey (qui traverse Dublin jusqu’à la mer). Cette rivière musicale connaît beaucoup de changements de tempos et d’orchestrations, sans marquer une fin précise entre les sections mais avec des enchaînements, soit une oeuvre véritablement ouverte, nourrie musicalement des textes de Joyce.

 

Recréée en 1966, cet extraordinaire flux, échange de deux lavandières de part et d’autre du fleuve dont les rives s’éloignent (voix de soprano et de contralto, respectivement Monique Aldebert et Nicole Croisille) dans la première version avec un livret bilingue. C’est à John Lewis que l’on doit l’édition vinyle US de 1970, rééditée chez Epic en 1971 pour CBS France par le pianiste Henri Renaud. En 1992 Patrice Caratini s’attaqua à l’oeuvre dans la seule version anglaise et tout naturellement quand l’ONJ de Fred Maurin décida en 2021 de reprendre la jazz cantata pour le centenaire de la naissance d’André Hodeir, au studio 104 de la maison de Radio France dans l’émission Jazz sur le vif du producteur Arnaud Merlin, il fit appel à Patrice Caratini, contrebassiste et chef d’orchestre (y compris de l’ONJ). Franck Bergerot était évidemment présent ce soir de mars 2021. Une raison de plus pour justifier l’existence de ce singulier orchestre national qui s’engagea vaillamment dans cette super production de 25 artistes dont deux vocalistes, reprenant le chantier de cette oeuvre maîtresse en pleine pandémie. Les éditions ONJ records prolongèrent le travail musical en publiant la somme de Frank Bergerot (ouvrage accompagné du lien de téléchargement de l’enregistrement du concert conçu comme un seul mouvement ininterrompu).

Le concert avec captation vidéo du samedi 6 mars 2021 fut donné devant une vingtaine de personnes, techniciens compris et... la Ministre de la Culture, mais fort heureusement on put le suivre plus tard grâce à la retransmission de Radio France dans le Jazz Club d’Yvan Amar en respectant sa durée,  d'environ une heure. L’enthousiasme partagé à l’écoute de cette “oeuvre avec voix en stéréophonie”, performance unique brillamment rendue malgré la difficulté de la partition par un orchestre inspiré et deux chanteuses qui ne l’étaient pas moins, Ellinoa (mezzo soprano) et Chloe Cailleton (contralto).

Alors commence un véritable “work in progress” et l’expression n’est pas galvaudée dans le cas de ce récit historique, essai musicologique, enquête journalistique, un défi pour son auteur qui accumula  analyses, lectures et traductions diverses, ayant aussi accès aux archives de la veuve d’André Hodeir. Bergerot a réuni ainsi André Hodeir qui réinventa le statut de compositeur de jazz avec l’Irlandais génial qui faisait du “jazz verbal”. Sensible à l’esthétique des blocs sonores de Monk qu’il rapproche des derniers essais de Joyce dans le glissement de la langue, Hodeir écrit une variation continue, sans retour possible, se débarrassant des mots, usant entre autre d’onomatopées. La musique pour être vraiment libre avait besoin d’une langue inventée que lui fournit le Finnegans Wake d’un écrivan, illisible auteur d’une oeuvre sonore et musicale, d’un roman musique.

C’est l’un des mérites de ce livre de proposer plusieurs angles d'attaque : on peut en faire une lecture décomplexée, attaquer par la musique (Jazz on Joyce d’Hodeir) ou la littérature (Jazz Verbal de Joyce) mais il n’est pas inintéressant de commencer par l’article rédigé sur jazzmagazine.com par F.Bergerot, le 20 Août 2017, trois ans avant qu’à l’annonce de la recréation d’Anna Livia Plurabelle par l’ONJ, il ne décide de se mettre au travail, attaquant un chantier pharaonique. Il n’en reste pas moins que le prologue/ avertissement de 25 pages constitue une synthèse fort pédagogique aux rubriques découpées et titrées avec pertinence.  On retrouvera enfin, détaillé très précisément le déroulement du concert, les 26 différentes parties réparties en 13 fichiers distincts, une partition à l’écoute du texte qui suit les interventions de chaque musicien dans un commentaire enthousiaste digne des reporters sportifs de la grande époque !

Comme André Hodeir et James Joyce, Franck Bergerot ne laisse rien au hasard et son travail fouillé, méticuleux consiste à montrer en quoi Hodeir tentait de décloisonner les champs harmoniques, mélodiques, rythmiques, formels, timbraux selon sa formule lumineuse “agrandir le jazz pour ne pas avoir à en sortir”. Soulignons encore l’excellence des annexes, livret et notes de pochette d’André Hodeir selon les éditions, sources bibliographiques, phonographiques et radiophoniques (sans oublier un spécial James Joyce en musique) jusqu’à l’illustration bienvenue de Michel Caron, des fragments de vitrail en dalles de verre qui reprennent justement le motif de dérive et de dislocation du titre. Voilà de quoi animer la vision métaphorique qui habita l’auteur pendant l'écriture de son éloge.

Tout amateur de jazz et de littérature trouvera assurément son compte dans cet ouvrage soigné, même sans être lecteur de musique. Le grand intérêt tient de la démarche de Franck Bergerot qui a cherché dans ce véritable “labour of love” à rendre tous les registres possibles, combinant analyse musicale (explicitant le processus d' harmoniques) et dimension littéraire, et encore histoire du jazz. Soit un tour de force que cette polyrythmie d’informations musicales, jazzistiques, phonétiques et linguistiques. Car si l’écriture de Joyce sonne, il n' aura fallu pas moins de trois traductions pour s’en approcher dont un collectif dirigé par Philippe Soupault sous le contrôle de Joyce, génial polyglotte en 1930; un exemple parmi tant d’autres Finnegans Wake (initialement titré Work in Progress eh oui!) ne compte pas moins de 17 langues. La vraie langue de Joyce serait donc la traduction et ses seuls lecteurs ses traducteurs!

Raison de plus pour plonger dans le cours tumultueux de cette "jazz cantata" recréée par Patrice Caratini et l’ONJ de Fred Maurin.

 

 

Sophie Chambon

 

 

Anna Livia Plurabelle 

L’ONJ joue André Hodeir

 

 

Maison de la Radio et de la Musique
Studio 104 – 6 mars 2021 – 
Jazz sur le Vif

Ellinoa mezzo-soprano  Chloé Cailleton contralto

 

Patrice Caratini direction

 

Orchestre National  de Jazz   Direction artistique Frédéric Maurin

 

Catherine Delaunay clarinette
Julien Soro sax alto et soprano
Rémi Sciuto sax alto et sopranino, clarinette, flûte
Clément Caratini sax alto et soprano, clarinette
Fabien Debellefontaine sax ténor, alto et soprano, clarinette
Matthieu Donarier sax ténor et soprano, clarinette
Christine Roch sax ténor, clarinette 
Sophie Alour sax ténor et soprano, clarinette
Thomas Savy sax baryton, clarinette
Frédéric Couderc sax basse et ténor, clarinette
Claude Egea trompette
Fabien Norbert trompette
Sylvain Bardiau trompette, bugle
Denis Leloup trombone
Bastien Ballaz trombone
Daniel Zimmermann trombone
Stéphan Caracci vibraphone
Aubérie Dimpre vibraphone
Julie Saury batterie
Benjamin Garson guitare électrique
Robin Antunes violon
Raphaël Schwab contrebasse


 

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13 septembre 2024 5 13 /09 /septembre /2024 11:34
ALAIN GERBER   L'Histoire du be bop

 

Alain Gerber  
L'histoire du be bop 

 

Livrets The Quintessence sous la direction d’Alain Gerber et Patrick Frémeaux

Notices discographiques par Alain Tercinet *

Editions Frémeaux & Associés

Jazz (fremeaux.com)

 

Le label patrimonial Frémeaux & Associés nous fait découvrir à chaque parution des enregistrements rarement regroupés tout à fait dignes d’intérêt.

Pour traiter de l’irruption du style musical bebop qui révolutionna l’histoire de la musique aux Etats-Unis, les célèbres éditions maintes fois primées  proposent de reprendre les livrets d’un joyau de leurs productions The Quintessence. Dirigée par Alain Gerber cette collection retrace inlassablement depuis trente ans l’histoire du jazz en coffrets copieux aux textes de présentation exceptionnels. Chaque anthologie présente en effet un livret très précis où figurent les renseignements discographiques complets des différentes séances choisies et un écrit biographique sur les musiciens qui ont initié le mouvement et participé à son évolution.

Le texte vif, original et toujours documenté sur cette révolution musicale à New York dans les années 40 qui traça une ligne de partage entre jazz classique (la Swing era des big bands, une musique de danse et d’entertainment) et jazz moderne est dû à l’instigateur de la collection.

On retrouve la prose délicieuse de Gerber et son analyse des plus fines, historien et écrivain de jazz de référence dont les émissions sur France Musique et France Culture ont formé la culture jazz de nombreux auditeurs.

Alain Tercinet était la référence incollable sur l’histoire de ces enegistrements dont il nous livrait tous les détails avec gourmandise et érudition. Comme dans une vraie association, des complicités se créèrent entre ces deux plumes qui faisaient de chaque livret un plaisir rare de lecture que l’écoute des enregistrements vient renforcer. Entre respect d’une chronologie impeccablement étudiée et espace poétique.

Leurs choix éminemment subjectifs ont rassemblé les titres les plus représentatifs du talent et du style uniques de chacun des musiciens choisis. De partial mais jamais partiel pourrait-on qualifier leur travail.

Alors qu’Alain Tercinet rend compte de la complexité de cette révolution mélodique, harmonique, rythmique, le scénario d’Alain Gerber immerge dans la vie des boppers. Tous deux font revivre au fil des pages, les figures majeures, la puissance de tel ou tel jazzman que l’on reconnaît à des accessoires ou détails : à tout seigneur, on commence avec Miles The man we loved qui a droit à deux chapitres, l’oiseau de feu Charlie Parker le talonne, Dizzy Gilllespie, génie de proximité, Bud et Monk l’homme de nulle part, les pianistes phare du bop suivent, Kenny Clarke l’anti-batteur de choc qui ouvrit la voie à toute une génération, sans oublier Max Roach le Bertolt Brecht de la batterie de jazz. Une seule femme certes, mais c’est la "divine" Sassy, l’inoubliable Sarah Vaughan.

Plaisir intense et nostalgique que de plonger dans la vision du Harlem de l’époque, la vibrante évocation de la 52ème rue, des clubs le Minton’s Play house, l’Onyx (naissance du bop) avec Dizzy dont le titre de l’autobiographie jouera avec le rebond To be or not to bop.

Si “Groovin high”, “Salt peanuts”sont les chevaux de bataille du bebop, si Bird et Dizzy sont liés à jamais musicalement, le bebop est oeuvre collective. Les auteurs s’attardent bien volontiers sur les singuliers chefs de file, mais citent aussi les seconds couteaux.

 

Avec cette histoire du bebop, au coeur de la vie violente de ces musiciens en proie au racisme et à une farouche ségrégation, on assiste aux débuts d’une musique libérée, expérimentée lors de jazz sessions redoutables précisément décrites. Ce livre indispensable sur une musique décrétée pour “musiciens” conviendra aux amateurs éclairés mais constituera une vraie découverte pour les non initiés. Le lyrisme érudit de l’un et la précision impeccable de l’autre épousent parfaitement le sujet, un vrai travail d’équipe et évidemment a labour of love.

 

 

* Figure aussi dans ce livre le tromboniste Jay Jay Johnson, dernier coffret The Quintessence paru en 2024 où Alain Gerber donne son sentiment sur le musicien "en-deçà et au-delà du bebop" alors que Jean Paul Ricard reprend le rôle du regretté Alain Tercinet (disparu en 2017) dans lequel il ne dépare pas, s’attachant au factuel et à la chronologie en donnant une biographie détaillée du musicien.

 

 

Sophie Chambon

 

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4 septembre 2024 3 04 /09 /septembre /2024 16:40


MARTIAL SOLAL « MON SIÈCLE DE JAZZ »
Éditions FRÉMEAUX & ASSOCIÉS (août 2024).
ISBN : 978-2-84468-985-6.


       On croyait tout connaître de Martial Solal, sa vie, ses œuvres, depuis deux ouvrages de référence* ... Que nenni ! Le pianiste-compositeur, qui vient de souffler ses 97 bougies (il est né le 23 août 1927 à Alger), s’est mis à son clavier d’ordinateur pour se livrer sans filet sur quasiment un siècle de musique. Sans ordre chronologique, laissant son esprit vagabonder, évoquant ses souvenirs personnels (sa vie privée, sa passion pour le jeu, le train électrique…) et professionnels (ses rencontres, ses coups de cœur, ses coups de griffe aussi). Une autobiographie qui nous donne quelques clés pour élucider « le mystère Solal ».  


       L’auteur nous facilite la tâche et avance cette explication : « Mes auditeurs auront admis mon amour démesuré de la « bougeotte » que j’attribue à mon impérieuse nécessité de changement. Mon excuse ; je m’ennuie très vite. Passer au cours d’une même mesure d’une tonalité à une autre, mélanger, complexifier sans même m’en apercevoir est chez moi depuis toujours ma marque de fabrique ».

 

       Parcourir cette autobiographie au style alerte, spontané, où fait merveille l’humour solalien -fortement teinté d’autodérision- c’est aussi l’occasion de plonger dans la carrière prolifique d’un artiste aux multiples facettes. Martial Solal revendique d’ailleurs la médaille du « musicien le plus actif » : 70 ans de métier, 30 musiques de films, et en premier chef A bout de souffle, des centaines de compositions, et, ce qui n’est pas la moindre de ses particularités, plus de dix ans comme pianiste attitré en club à Paris dans les années 50-60 (le Club Saint Germain et le Blue Note où il joua 3 ans sans un jour de repos !).

 

     Au fil des pages, on retrouve ses plus belles rencontres (Eric Le Lann, Lee Konitz, Stéphane Grappelli, Joachim Kühn, Michel Portal, Toots Thielemans, Didier Lockwood, Johnny Griffin, Jean-Michel Pilc, Manuel Rocheman…) ses plus imprévues aussi (une soirée au château de Rambouillet avec des ministres des Finances à l’invitation d’un fan de jazz devant l’éternel, Jacques Delors), ses récits de tournée (en costume de velours rouge côtelé signé Yves Saint Laurent au sein d’un big band mené par Jean-Louis Chautemps), ses années de galère également, ses déboires personnels, son infinie reconnaissance enfin à André Francis (1925-2019) producteur et l’un des fondateurs de l’Académie du Jazz qui lui fit signer un contrat de 8 ans chez Vogue en 1953 et auquel il dédia « A San Francisco sans Francis ».

 

On l’aura compris, « Mon siècle de jazz » nous invite à découvrir une personnalité rare qui, selon ses propres termes, « ne voulait ressembler à personne ».  

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

     *Martial Solal, compositeur de l’instant, entretien avec Xavier Prévost (Ed Michel de Maule.2005), livré avec un DVD-Rom des 9 heures d’interview; (Ed. Actes Sud. 2008).

*Ma vie sur un tabouret, autobiographie avec Franck Médioni (Ed. Actes Sud. 2008).


   

 

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24 juin 2024 1 24 /06 /juin /2024 10:06
JACQUES PONZIO                          MONK SUR SEINE

 

JACQUES PONZIO MONK SUR SEINE

Editions LENKA LENTE

 

Monk Sur Seine de Jacques Ponzio / Editions Lenka lente

 

Monk encore…. Monk toujours par le spécialiste mondial de l’artiste à savoir Jacques Ponzio qui persiste et signe un nouvel ouvrage sur Monk, le troisième aux éditions nantaises Lenka Lente après son Abécédaire The ABC-Thelonius Monk en 2017, réédité en 2023 et Monk again en 2019. Chez le psychanalyste, pianiste et leader de l’African Express trio, Monk est une obsession. Découvert dans les années 60, il suit le pianiste dans une quête quasi existentielle et un travail d'écriture qui commença avec Blue Monk co-écrit avec François Postif, publié chez Actes Sud en 1995. On peut avoir l’impression entre Blue Monk et le superbe Monk de Laurent de Wilde en 1996 que tout a déjà été dit, écrit. Ponzio lui n’est jamais allé voir ailleurs. Tant il est vrai qu’il n’en finit pas de creuser le même sillon, de tourner dans sa tête certaines interrogations sur le mystère de ce génie musical. En fin limier, il trouve de nouvelles pistes qui justifient ses recherches. Cette fois il s’attaque au premier séjour parisien de Monk, il y a soixante dix ans , en 1954 et s’efface presque devant son sujet, puisqu’il fait appel à des témoins encore vivants comme le galeriste et photographe Marcel Fleiss âgé alors de vingt ans, et s’appuie sur une formidable enquête menée par un autre Sherlock, “addict” à son sujet de recherche, Daniel Richard éminent disquaire à Paris dans les années 70 à l'enseigne de Lido Music où il savait dénicher les introuvables et faire entrer  les imports japonais, puis à la Fnac Wagram, producteur chez Verve, Polygram, Gitanes Jazz, Managing Director chez Universal...quelqu’un qui compte dans le jazz.

https://www.jazzinfrance.com/theloniousmonk.html

Le livre nous fait revivre dans les moindres détails l’aventure parisienne du Moine depuis son départ de l’aéroport d’Idlewild qui ne s’appelait pas encore JFK, le dimanche 30 mai jusqu’au jeudi 10 juin quand il reprit l’avion d’Orly Sud, quelque peu dépité par l’accueil du public pour le moins mitigé. Dix jours avec le compte rendu précis (premier article de fond) de ses concerts salle Pleyel lors du 3ème Salon international du jazz dans un décor Nouvelle Orleans où il était invité avec Gerry Mulligan en quartet et le trompettiste Jonah Jones. Une initiative bienvenue qui voulait faire de Paris le centre mondial du jazz, une foire commerciale et artistique qui hélas n’eut pas de suite pour des raisons financières. Monk va passer de concerts en clubs (Ringside, Club St Germain, Tabou...) vivre soirées et boeufs, se faire trimballer en scooter par le jeune René Urtreger ou guider dans la capitale par Jean Marie Ingrand, le contrebassiste commis d’office pour assurer la rythmique des concerts en trio avec le batteur Jean Louis Viale.

On suit à la trace tout son parcours dans une géographie parisienne orientée jazz jusqu’à une conclusion… jamais définitive puisque Ponzio n’abandonne pas encore la partie, pensant avoir encore des choses à nous raconter sur le sujet.

Si Monk fait aujourd’hui l’unanimité, on s’aperçoit qu’il n’en fut pas toujours ainsi. Il est une icône dont la vie est romanesque, énigmatique, de ses silences avec les journalistes ( jusqu’à cette fameuse interview d’Henri Renaud en 1969, lors de son second séjour en France, objet du documentaire controversé "Rewind and Play" d’Alain Gomis) jusqu’à la relation étrange avec sa bienfaitrice, la baronne Nica de Koenigswarter.

 Ce n’est pas l’un des moindres intérêts de ce livre que de souligner que Mary Lou Williams est à l’origine de leur rencontre et de dater ce moment au 3 juin 1954. S’il a souvent ravi le public, tant il est spectaculaire à voir et à entendre, bouleversant les codes au sein même du be bop pourtant révolutionnaire dont il est reconnu comme grand prêtre, on comprend lors de ses concerts à Pleyel qu’il divisa les experts souvent sans nuance. Pourtant les disques de cette période vont connaître la reconnaissance Bird and Diz (Prix Jazz Hot 1954 et son premier Thelonius Monk piano solo) alors que pour sa première cérémonie,  le 4 juin, l’Académie du Jazz présidée par André Hodeir choisit Milt Jackson Wizzard of Vibes (avec deux titres de Monk, Criss Cross, Eronel). Mais il y eut toujours des voix pour défendre le style extravagant de Monk, des musiciens éblouis comme Gerry Mulligan, des admirateurs de la première heure comme le pianiste Henri Renaud et sa femme Ny qui signe des papiers pertinents dans Jazz Hot, sous N. Rémy ( déjà l’usage de pseudo), des musicologues comme André Hodeir...

Le livre petit mais dense se présente sous forme de courts chapitres agrémentés d’abondantes photos, vraiment exceptionnelles de Marcel Fleiss mais aussi d' Alain Chevrier (grâce à Francis Capeau), quasiment inédites, regroupées pour l’occasion. Les notes renvoient à une bibliographie, une discographie très précises. L'auteur n'oublie pas  de représenter les principaux acteurs de cet épisode. Et surtout dans ce montage d’archives d’une grande honnêteté, il n’omet aucun point de vue, induisant une complexité certaine mais approchant la vérité du reportage. Ainsi chacun des livres de Jacques Ponzio ajoute une nouvelle pièce au puzzle Monkien dont tous les mystères ne sont pas encore résolus.


Sophie Chambon


 

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29 mai 2024 3 29 /05 /mai /2024 18:53

Editions Le Mot et le Reste, (312 pages).
À paraitre le 31 mai.

      Janvier 2009. Théâtre du Châtelet. Sur la scène lors de la remise des prix de l’Académie du Jazz, Alain Goraguer, au piano, joue un air de la bande originale de « J’irai cracher sur vos tombes », musique de sa main composée pour le film de Michel Gast adapté du roman de Boris Vian. Un hommage à l’écrivain-jazzman disparu en 1959, le jour de la première projection pour la presse du film et qui prend une saveur particulière. Boris Vian avait ce matin-là confié à Goraguer, présent à la séance : « J’ai écouté ta musique, elle me plaît beaucoup ».
        Ce soir de janvier 2009, « personne de son entourage ne se souvenait d’avoir vu Goraguer jouer sur scène depuis sa participation en 1953 au  Tournoi de Paris  des pianistes amateurs » (ndlr : où il avait terminé troisième derrière  René Urtreger et Georges Arvanitas), relève Rémi Foutel dans une biographie très précise consacrée à  Alain Goraguer.

       Toute la personnalité du pianiste né en région parisienne (le 20 août 1931 à Rosny-sous-Bois) se trouve ainsi résumée. Un musicien, homme de l’ombre et qui a marqué l’histoire de la musique française pendant un demi-siècle.
       Disparu le 13 février 2023 à 91 ans, Alain Goraguer aura contribué comme arrangeur et compositeur au succès de vedettes de la chanson, débutant avec Boris Vian ( Complainte du progrès) en 1954, avant de coopérer avec Serge Gainsbourg (Le poinçonneur des Lilas, l’eau à la bouche, Black Trombone),  « la période de sa carrière qu’il préfère », Boby Lapointe (Aragon et Castille, la maman des poissons, Méli-mélodie), France Gall (Poupée de cire, poupée de son, qui décroche le Grand Prix de l’Eurovision en 1965, les Sucettes), Jean Ferrat (Ma môme, La Montagne, Nuit et brouillard), Adamo (Inch’Allah), Serge Reggiani (La chanson de Paul), Régine, Isabelle Aubret, Georges Moustaki (Le métèque)…

      A l’apogée de sa renommée, dans les années 60-70, Alain Goraguer pouvait signer une cinquantaine d’arrangements par an (un par semaine !). Arrangeur salarié de maisons de disques (Philips pour commencer), le pianiste prend aussi le temps de composer pour le cinéma (après J’irai cracher sur vos tombes, Les loups dans la bergerie, Sur un arbre perché, la Planète sauvage, l’affaire Dominici …) sans oublier quelques films pornographiques (dont l’Essayeuse) et la télévision, notamment en 1982 avec la musique d’une émission devenue culte, dédiée a l’aérobic, Gym Tonic, de Véronique et Davina (« j’ai écrit ce morceau très rapidement, il fallait seulement que ce soit un titre entraînant ») .

     Les années 80 s’avèrent plus délicates pour Alain Goraguer avec la fin des grandes sessions orchestrales en studio pour raisons financières mais il va dès lors s’investir au sein de la SACEM, se battant ainsi pour obtenir dans les contrats des droits aux arrangeurs.  Dans les années 80-90, il vit grâce à ses droits d’auteur, la publicité et la musique de film.  Sa dernière œuvre le ramène à Boris Vian. En compagnie du parolier Claude Lemesle, il écrit la musique d’une comédie musicale, « Mademoiselle Bonsoir », dont le Bison Ravi avait rédigé le livret. Le projet est déposé à la Sacem le 15 janvier 2013 mais restera lettre morte.

 

     Et le jazz dans cette carrière prolifique ? Il ne sera jamais loin tout au long de ses œuvres, dès les débuts comme pianiste à Nice, qui « montera » à Paris sur les conseils de Jack Diéval (star du jazz à la télévision des années 50-60), formera un trio avec Paul Rovère  (basse) et Christian Garros (batterie), et sortira chez Philips en 1956, à la demande de Boris Vian, « Go… Go… Goraguer ». Et les jazzmen sont largement mis à contribution dans les enregistrements d’Alain Goraguer, et notamment Pierre Michelot, Michel Portal, Georges Grenu, Roger Guérin, ou encore Eddy Louiss…

      Grâce à Rémi Foutel, qui a rencontré à plusieurs reprises entre 2018 et 2021 Alain Goraguer, nous découvrons le parcours singulier d’un musicien qui a marqué son époque par une œuvre colossale. « Forçat de l’écriture, résume Rémi Foutel, Alain Goraguer est le compositeur d’environ neuf cents musiques et l’arrangeur d’un nombre prodigieux de chansons, peut-être le double ». Et quel talent ! « C’est l’un des seuls orchestrateurs français qui lisent vraiment les textes, s’émerveille Claude Lemesle.  C’est un musicien qui connaît son métier sur le bout des doigts ».

      Lire cette biographie c’est aussi découvrir une personnalité dotée d’un sens de l’humour froid et dévastateur, qui n’a pas sa langue dans sa poche pour évoquer les artistes auxquels il a prêté son concours, et qui a accompli son rêve, « devenir musicien ». « Je n’avais pas de plan B…. Je n’ai aucun regret ». Une lecture, on l’aura compris, fortement recommandée, d’un ouvrage vivant et richement documenté.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

©photo X. (D.R.)
       

 

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21 février 2024 3 21 /02 /février /2024 14:48

FREMEAUX & ASSOCIES. 240 pages.
Paru en librairie en février 2024.

     Figure vénérée de la jazzosphère par ses écrits (Jazz Magazine, les Cahiers du Jazz)et ses oraux ( des émissions à France Culture et France Musique) sans oublier son travail de directeur de collection (The Quintessence, chez Frémeaux & Associés), Alain Gerber, c’est un fait connu d’un petit cercle, pratique également un instrument, disons plutôt un arsenal, la batterie.
     
     Retiré dans le midi depuis sa mise à la retraite par Radio France en 2008 -une mesure pour raison de limite d’âge qui frappa aussi Claude Carrière, Jean Delmas, Philippe Carles parmi les producteurs de jazz- l’écrivain à succès (une cinquantaine d’ouvrages, romans ou récits, lauréat du Prix Interallié, distingué par l’Académie Française, l’Académie du Jazz) s’est sérieusement (re)mis à la batterie découverte à l’adolescence à Belfort : une heure chaque jour dans un cabanon de sa maison à Toulon où il entre « au pays des merveilles ». Son constat : « Peut-être deviendrai-je un jour batteur, à la fin des fins. Je sais en tout cas que je ne deviendrai jamais musicien, je n’ai pour cela ni les connaissances requises, ni l’imagination qui me garderait d’être un imitateur à peine passable ».

 

     Tout Gerber est là, lucide à l’extrême et heureux de ces avancées « réelles mais infinitésimales » derrière ses fûts. Mes baguettes ces deux petits objets de bois « ne m’ont pas donné ce que j’espérais d’eux. Ils ont fait mieux : ils m’ont donné ce que je n’attendais pas de moi-même ».

 

     Tout au long de ce récit de forme autobiographique, Alain Gerber retrace son compagnonnage avec la batterie, établit des comparaisons entre les modèles de baguettes et autres caisses claires et cymbales (les Asba, Vic Firth, Ludwig, Zildjian, Pro Mark, Zildjian, Sabian, Paiste…)  évoque les conseils pris auprès des professionnels, Aldo Romano, Daniel Humair qui lui donna une demi-douzaine de cours dans les années 70, Georges Paczynski, son complice radiophonique, professeur de batterie et auteur d’une histoire de la batterie de jazz en trois tomes ...

 

     On se délecte à la lecture de ce voyage intime au pays de la batterie servi par une langue riche et délicate. Le lecteur peut ajouter au plaisir en écoutant les quelque 80 anthologies réalisées par l’auteur pour le compte de Frémeaux & Associés et citées en références.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

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13 octobre 2023 5 13 /10 /octobre /2023 12:02


Editions Les Soleils Bleus, collection Les Témoins du Temps.

Disponible depuis le 3 octobre.


     Sans nostalgie ni acrimonie, Pierre de Chocqueuse nous livre ses impressions d’un amateur de jazz éclairé sur une décennie (2010-2020). Ce journal présenté de manière chronologique tire l’essentiel de sa substance du blog (www.blogdechoc.fr) tenu par un observateur-acteur de la jazzosphère : un temps attaché de presse d’une maison de disque, rédacteur en chef de Jazz Hot à la fin des années 80, chroniqueur régulier de revues, auteur et, ce qui n’est pas le moindre, cheville ouvrière de l’Académie du Jazz sur trois décennies.

 

     Personne ne s’étonnera donc que le jazz occupe la place centrale de cette chronique au long cours mais il y est aussi question de Claude Debussy, Charles Koechlin, ou encore Henri Dutilleux (objet d’un plaidoyer vibrant) et de Bertrand Tavernier qui « ouvre le bal » en 2010. Le titre (De jazz et d’autre) n’est pas usurpé. Préfacier, le pianiste-compositeur (et ancien élève de l’Ecole Normale) Laurent de Wilde salue « les pérégrinations artistiques de cet auteur aussi sagace que malicieux ».


     Au fil des pages, le lecteur découvrira ainsi les coups de cœur discographiques d’un expert qui ne cache pas son faible pour les pianistes, Chick Corea (qui figure en quatrième de couverture aux côtés de l’auteur) mais aussi des artistes délicats tels que Marc Copland, Dan Tepfer, Marc Benham ou encore le (trop) méconnu Philippe Le Baraillec. Un très utile index des personnes citées et des disques analysés permet d’ailleurs de naviguer à son aise dans l’ouvrage.


     Baignant dans le monde du jazz depuis les années 70, Pierre de Chocqueuse serait-il tenté d’entonner le refrain passéiste du « C’était mieux avant » et de regretter le temps des géants aujourd’hui disparus ?  Que nenni. « Ses grands créateurs n’étant plus là pour le faire aimer, le jazz est-il moins créatif ? Plongés dans le passé, dans le jazz de leur jeunesse, ceux qui le prétendent ne voient pas la richesse de ce jazz pluriel qui se joue aujourd’hui des deux côtés de l’Atlantique » (avril 2018, page 167).


     Avec « De jazz et d’autre », nous tenons un ouvrage au style vif et nerveux qui constitue une ode chaleureuse et engagée au jazz à déguster sans modération. A conseiller et pas seulement à ceux (ou celles) qui aiment le jazz.


Jean-Louis Lemarchand.

 

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9 septembre 2023 6 09 /09 /septembre /2023 12:14
Nina Simone racontée par Valérie Rouzeau & Florent Chopin

Nina Simone racontée par Valérie Rouzeau & Florent Chopin

 

 

Editions de La Philharmonie

Collection Supersoniques

 

Supersoniques | La librairie (philharmoniedeparis.fr)

 

Vingt ans après sa mort survenue en avril 2003, Eunice Waymon est plus que jamais une légende, un personnage tragique, une figure iconique qui a inspiré des romans dont celui de Gilles Leroy en 2013, des pièces de théâtre et même un biopic récent. Cette artiste inclassable toujours actuelle continue de passionner le public.

C’est avec un grand plaisir que l’on retrouve pour la rentrée de septembre un livre qui lui est consacré : le neuvième numéro de la très originale collection Supersoniques (à prix avantageux) des Editions de la Philharmonie, un bel objet illustré par le plasticien Florent Chopin (artiste-collecteur de toutes sortes de matériaux et ici de papiers peints), écrit par Valérie Rouzeau, poétesse inspirée par son sujet, qui donne un portrait sensible de la chanteuse et la femme, dévoile sa Nina Simone.

Ce livre à l’écriture simple et fluide n’est pas une tentative de biographie. La démarche n’est pas celle d’une archiviste-chercheuse qui chercherait à démêler le vrai du faux… C’est l’histoire d’une vocation contrariée qui donnera l’une des carrières les plus singulières. Devenir la première pianiste concertiste noire classique était le voeu le plus cher d’Eunice Waymon pour lequel elle avait sacrifié toute sa jeunesse. Elle fut refusée au concours d’entrée du Curtis Institute. Cette blessure originelle allait marquer sa vie professionnelle avec une orientation musicale tout autre. Elle dut changer de nom “Vous ne savez pas ce que cela fait de changer de nom” quand elle commença à travailler au Midtown d’Atlantic City.

 

Une vie tourmentée, toujours au bord de la chute, le portrait en creux d’une icône du mouvement des Droits civiques autant qu’une femme en prise à sa bipolarité (qu’on ne nommait pas ainsi à l’époque) et à son alcoolisme. Si elle fait du jazz, c’est à sa manière. Car elle a été élevée au gospel et elle n’hésite pas à improviser sur Bach qu’elle vénère. Autant appréciée dans le monde de la pop, du folk, elle est aussi reconnue comme “grande prêtresse de la soul” ( “Sinner man”), épinglée pour son engagement qu’elle ne voulait pas non-violent, même si elle admirait Martin Luther King. Elle chantera Why? ( The King of love is dead) au lendemain de sa mort. Car la colère caractérise sa personnalité : la plupart des chansons (ses “gun songs”qu’elle scande admirablement comme l’inoubliable“Mississipi Goddam”) qu’elle a écrites ou reprises en les modifiant habilement, expriment sans ambiguité sa rage ses frustrations, ce sentiment d’injustice intolérable, à la mort d’amis militants comme Lorraine Hansberry, la dramaturge marxiste, Langston Hughes, le poète engagé (“The Backlash Blues”).

Si Valérie Rouzeau est intéressée à décrire sa voix de contralto, écorchée, rauque “tantôt du gravier, tantôt du café crème” et son jeu de piano ( car elle peut compter sur ses doigts prodige ) perlé, subtil, baroque avec des marches harmoniques, des trilles, elle s’attache surtout à rendre le talent d’écriture de Nina qui invente des histoires en chanson. Elle a le goût des mots et n’hésite pas à créer à partir des mots des autres qu’elle modifie, arrange à sa manière le “Just Like a woman de Dylan ou le “My Sweet Lord” de George Harrison auquel elle accole un poème de The Last Poets “Today is the Killer”. Elle réécrit, contextualise, s’approprie avec talent et se forge un style avec un sens très sûr du détournement. Nina rend hommage aux femmes noires, ces blackbirds dans de saisissants portraits “Four Women” ou “Blues for Mama” (où on peut la reconnaître), déniaise les “torch songs” de ses consoeurs, ose reprendre le “Strange Fruit” de Billie Holiday, chanter le “Ne me quitte pas” de Brel en miroir à son “Love me or Leave me”.

Tout ce dont elle s’empare, elle semble l’avoir vécu, c’est ce qui donne la force, d’authenticité de chacune de ses interprétations. Consciente de sa valeur, de son talent, elle n’arriva jamais à se satisfaire de la distance entre ce qu’elle aurait souhaité et ce qu’elle obtint, même si elle connut succès et gloire même d’une certaine façon.

 

Cet ouvrage que l’on lit très vite contribue à faire découvrir une artiste exceptionnelle, diva malheureuse à la vitalité extraordinaire. On reste au plus près de la femme et de la créatrice. Et cela est bien.

 

Sophie Chambon

 

 

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5 septembre 2023 2 05 /09 /septembre /2023 13:43

Illustrées par Jeanne PUCHOL,
Les Soleils bleus éditions 2023.
ISBN : 978 2 918148 46 3.

Paru le 10 juillet dernier.


     ‘Le Passé a de l’Avenir ! ...’ ainsi débute la première des chroniques dont Jean-Louis Wiart propose ici un florilège. Et bien que, pour paraphraser Geluck, nous pensons qu’il y avait plus d’Avenir dans le Passé que Maintenant, le piège fonctionne, on ne lâche plus le bouquin !

    Dans cette sélection d'une trentaine de courts textes (jamais plus de 4 pages), répartie sur 20 ans de publication du journal épisodique des ‘Allumés du Jazz’, on retrouve le souffle qui animait les ‘Chroniques de la Montagne’ de Vialatte*, l’érudition et les passerelles-références jetées entre la musique d’une part, la littérature, le cinéma, la politique, la philosophie, la vie quotidienne, la peinture d’autre part ... Et aussi les emballements, coups de griffe, de patte ou de cœur : ça gratte souvent là où ça fait mal et invite à la réflexion.

 

     En préface, Guillaume de Chassy développe le thème de la nécessité de lire à propos de la musique pour qui désire mieux la comprendre et s’en nourrir, tout en insistant sur le fait qu’il est aussi difficile d’écrire avec justesse sur cet art que de le pratiquer mais aussi sur la nécessité de le faire « ... dans une époque qui glorifie la médiocrité, confond art et divertissement et commande d’exprimer sa pensée en 280 caractères ! »

 

     Il n’y a plus qu’à vous laisser entrainer à la lecture -fractionnée ou exhaustive, mais toujours vigilante, tout étant affaire de description, suggestion, évocation, stimulation, appel, contre appel ...- de ces courts moments d’anthologie, agrémentés pour la plupart des très belles illustrations en noir et blanc de Jeanne Puchol.

 

     À propos des auteurs :

 

     - À côté de sa collaboration aux Allumés du Jazz, Jean-Louis Wiart est le fondateur du label AxolOtl Jazz, pour lequel il a produit de nombreux albums de Guillaume de Chassy, Cesarius Alvim, François Tusques, Lee Konitz, Jeff Gardner, Rick Margitza ...

 

    - Quant  à Jeanne Puchol, Vous pouvez retrouver son trait puissant dans  une trentaine d’albums de bande dessinée (chez Futuropolis, À Suivre, Dargaud, Deltour...) mais aussi dans les illustrations de nombreux articles parus dans Le Monde Diplomatique, l’Humanité et Les Allumés du Jazz.

 

Francis Capeau.

 

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*Alexandre Vialatte, ‘Chroniques de la Montagne’ (Vol.1 & 2).
Robert Laffont, (Bouquins - La collection),
ISBN : 2-221-09041-1 et 2-221-09042-1

 

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