DRACULA ONJ
ADELE MAURY/ORCHESTRE NATIONAL DE JAZZ
Un livre-CD de 6 à 666 ans
5 Décembre 2021 Sortie du livre-Disque avec exposition des illustrations d’Adèle Maury
Espace Sorano/ Vincennes 94
7&8 décembre FESTIVAL TOUT OUÏE NOISIEL (77)
Voilà une idée intéressante de livre-disque pour jeune public (mais pas seulement) à offrir pour les fêtes qui approchent à toute vitesse. Le thème a de quoi surprendre de prime abord, Dracula et son mythe ont toujours fasciné certes mais aussi effrayé, même revisités. Sauf que, si on considère la permanence du thème, l’abondance de livres, de films et de séries sur le sujet, il faut croire que les vampires plaisent à la jeunesse qui soupire sur l’ éternel retour de ces “maîtres en contamination” qui défient la mort mais peinent à trouver l’amour.
C’est plutôt de ce côté là qu’il faut aller chercher ce nouveau Dracula/ ONJ, plus que chez l’original de Bram Stoker de 1897 ( plus noir, plus dur, sinistre), le film sanglant de Coppola (Entretien avec un vampire) ou même de la vision originale, décalée de Jarmusch dans Only lovers left alive.
Ce bel objet classieux est l’oeuvre conjointe d’un collectif qui a mis en images et en musique le conte. Un projet protéiforme qui garde toute sa cohérence en réunissant sans collage, des dialogues, des personnages incarnés par des musiciens et des comédiennes, de la musique enfin qui circule dans les veines du texte, coulant en permanence sans être jamais envahissante comme elle peut l’être parfois au cinéma.
Les textes sont de Milena Csergo (Mina), Estelle Meyer (Dracula), Julie Bertin (qui a mis en scène le spectacle) & le parolier Romain Maron. Les musiques sont de Grégoire LeTouvet et Frédéric Maurin, directeur artistique de l’ONJ actuel, entourés de 9 des musiciens de sa troupe.
Précisons qu’avant d’être un livre-disque, ce Dracula fut le premier spectacle jeune public de l’histoire de l’Orchestre (créé en 1986 par le Ministère de la Culture), en décembre 2019, à l’Astrada de Marciac. Idée lumineuse de Fred Maurin qui, à la tête de cet orchestre jeune, cherchait à renouveler son auditoire, à rajeunir le public du jazz . Oeuvre de transmission, de partage qui permet de traiter une histoire avec des idées fortes actuelles comme la question de la représentation, de l’identité, du genre, de la marginalité. C’est aussi une histoire de vie et de mort, une création assez lointainement inspirée du comte transylvanien entre conte, concert et théâtre musical ( avec un récitant Pierre François Garel), un spectacle total porté par deux comédiennes, des musiciens qui représentaient les valets-animaux de Dracula comme dans le célèbre Pierre et le Loup, le spectacle pour enfants par excellence!
Un récit qui joue avec le mythe, explore certains codes du conte mais transforme Dracula en femme, et finit bien puisque, comme dans La Belle et la Bête, la vampire est sauvée par l’amour d’une mortelle, Mina, qui la rend humaine. On peut découvrir l’histoire en feuilletant le livre et en écoutant conjointement le CD, tout en suivant les illustrations noir et blanc d’Adèle Maury (Prix du jeune talent du Festival d’Angoulême de 2020). Le lecteur devient ainsi auditeur et spectateur de cette histoire d’ombres maléfiques qu’il peut imaginer, plongé dans un univers noir, étouffant, ouvert sur la forêt profonde et le monde. Ainsi les personnages s’animent : la jeune Mina, une vagabonde partie à la recherche de sa mère, rencontre DRACULA qui l’attendait dans son château, prêt à tout pour se libérer d'une malédiction inexorable dès que minuit sonne.
La jeune illustratrice a tout de suite aimé le projet de l’ONJ et relevé le défi de représenter cette nouvelle version de Dracula: pour ce faire, elle a choisi le monotype, cette “cuisine de la gravure” selon Degas, expert en la matière : une technique particulière qui est une gravure sur une plaque de plexiglass, avec des rehauts de peinture, une matrice qu’on ne peut imprimer qu’une fois. Les images ont été pensées dès le début en noir et blanc, avec néanmoins une couverture en couleurs et des respirations colorées, “répits” de pages violette, verte où les textes sont écrits à la main, en blanc. Elle a été libre jusque dans le choix du format et du grammage du papier, et dans son découpage de l’histoire qu'elle suit selon l’ordre chronologique ! Un travail très personnel qui inclut profondeur de mouvement, plans larges et ambiances restituées pas vraiment de façon illustrative : elle ne s’est pas appliquée, par exemple, à représenter chaque animal sur lequel Dracula règne en maître mais elle s’est concentrée exclusivement sur les chauves-souris qu’elle s’est appropriée, sous toutes les formes.
La musique enchaîne des styles musicaux assez différents, des chansons mais aussi des passages qui peuvent faire penser à une B.O, du rock, un mambo très réussi “Une dernière danse"... Le jazz est là qui valse, se bal(l)ade sensuellement dans un “Misty” Garnerien arrangé par Maurin, swingue surtout sans oublier l’improvisation. Sacré programme, on le voit, dont l’orchestre semble se jouer avec facilité, tant ces musiciens peuvent tout faire dans des tutti dignes des bigs bands de la grande époque. Les solistes s’en donnent aussi à coeur joie, selon les incidents du récit: la flûte légère (Fanny Ménégoz), le trombone basse dans “Larmes tranchées le long du cou”(Judith Wekstein), la guitare électrique vivifiante (Christelle Séry), les échevelés saxophonistes/clarinettistes Fabien Debellefontaine et Guillaume Christofel, la trompette (Quentin Ghomari) et le cor (Mathilde Fèvre) impeccables en duo. Les liens entre chaque acte, les transitions, le socle sur lequel les solistes prennent leur envol est assurée par la formidable rythmique du contrebassiste Raphaël Schwab et du batteur Rafael Koerner. Les chansons, enfin. Douces respirations, textes sensibles, portés par ces voix féminines à la Michel Legrand dans “Me pendre à ton cou”, une impressionnante Estelle Meyer dans “l’Alchimiste”, celles de Mina (“La complainte de Mina” et“Tu pleures”) sont interprétées par Pauline Deshons.
Alors, n’hésitez plus à entrer dans cet univers fantastique où se côtoient Bien et Mal, Vie éternelle et Mortalité, une idée du désir que la musique illustre, sans oublier le pouvoir rédempteur de l’amour.
Sophie Chambon