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6 avril 2019 6 06 /04 /avril /2019 16:27

(par Jean-Pierre Farkas).

 

Disparu le 5 avril à 86 ans, Jean-Pierre Farkas, une grande voix de la radio (RTL, Radio France),  un reporter dans l’âme, avait aussi une passion pour le jazz, dont il suivit l’actualité jusqu’à ses tout derniers mois,  avec un faible pour les saxophonistes, Sonny Rollins, Géraldine Laurent, Rick Margitza.  Envoyé spécial permanent de RTL et Paris-Match à New-York dans les années 70,  le futur rédacteur en chef de Combat fréquentait les clubs,  discutait avec Charles Mingus et passa même une après-midi avec Miles Davis dans sa maison de la 77 ème rue au cours de l’été 73.  Cette rencontre, Jean-Pierre Farkas la raconta  dans Lettres à Miles, ouvrage collectif de Franck Médioni (Editions Alter Ego. 2016) où une cinquantaine de musiciens, journalistes, écrivains s’adressent au trompettiste.  Avec l’autorisation de l’éditeur, Joël Mettay , nous reproduisons des extraits de ce récit. Notre hommage à un journaliste jazz.

Jean-Louis Lemarchand.

« Tout avait très mal commencé : dès que j’ai voulu parler de Jazz, tu as explosé : «  Le jazz !!! Encore une invention de ces f…de missionnaires blancs. Encore, l’un de ces abrutis qui voudraient que je danse AUSSI. Finalement, c’est grâce aux Blancs et à tout ce qu’ils m’ont fait endurer que je suis arrivé à quelque chose. Sans eux, je n’aurais jamais eu le courage de tant travailler… ». En réécoutant  aujourd’hui mon interview sur mon Nagra - et tu m’as demandé ce que ce mot polonais voulait dire - j’ai surtout remarqué que tu disais « fucking » tous les trois mots ! J’ai essayé de t’expliquer que nous aussi, nous savions exprimer notre colère en français, mais pas nécessairement pour évoquer l’acte sexuel, et quelque soit le sexe… Alors là, c’est toi qui a ri aux éclats en te moquant de ces f…de frenchies qui disent d’autres gros mots dans une autre langue ! Encore un sourire : « Alors, man, tu es de Paris et tu vis dans cette f…big City… Comment fais-tu pour manger ? Tu aimes la quiche lorraine… ? »

C’est gagné : tu m’as entraîné dans une grande pièce, qui donne sur un petit jardin, ton atelier de musique et aussi ton studio : des consoles, un piano, des cordes et des cuivres, des tablas, des sitars et un set de batteries. Surtout des bongos et percussions.  Tu m’expliques : «  Ca me plaît beaucoup et ça va m’aider : exactement comme lorsque Dizzy m’a conseillé d’apprendre le piano. En fait, à 13 ans, alors que ma mère voulait m’offrir un violon, c’est un client de mon père qui était dentiste à Alton dans l’Illinois qui lui a conseillé de m’offrir une trompette. A 14 ans, je savais tout de la trompette, j’avais déjà ma sonorité, sans vibrato ni autre effet. Depuis, je n’ai fait qu’apprendre la musique. La musique, on ne peut pas s’en passer. Si demain, j’arrêtais de jouer, je passerais tout le reste de ma vie à écouter de la musique et je n’aurais pas un instant à moi… ».

« Je voulais revenir sur Coltrane, te parler de Corea, Hancock, Stanley Clarke et de tous ces musiciens à qui tu as montré la voie…Tu as enchaîné : « Bien sûr, je le sais, tous les musiciens qui ont joué avec moi se sont révélés avec moi et sont devenus meilleurs ensuite. Coltrane par exemple, quand je l’ai connu, il jouait à peu prés n’importe quoi, mais mieux et avec plus de notes que les autre saxophonistes. Alors, je lui ai recopié des variations de Rachmaninov pour qu’il les étudie. Après il se sentait beaucoup plus à l’aise. Je lui ai fait écouter Khatchaturian, Ravel, Prokoviev, Chopin aussi qui est mon musicien préféré et qui aurait si bien « senti » le blues… ».

©photo Jll.

Le Birdland, Jean-Paul Sartre et Juliette Gréco

 « Voilà pour la musique. Mais comment ne pas évoquer un autre moment, très dur,  de ta vie. Cette nuit d’Août 1959, très chaude comme les étés new yorkais où  grillant une cigarette sur le trottoir du Birdland, entre deux sets, tu es pris à partie par un flic, passé à tabac avant de finir la nuit au commissariat ? « Je n’ai jamais oublié. Non il ne faut pas dire que je hais les Blancs, mes meilleurs amis sont des Blancs et il y a bien des Noirs que je ne peux pas supporter. La politique ? Les Black Panthers ? Je pense souvent comme eux, mais je m’en fous, je ne suis qu’un musicien. Et je voudrais qu’on écoute la musique en respectant les musiciens ».

« Le respect, tu me l’as dit, tu l’as rencontré à  Paris. Dès ta première venue en 1949: « C’était à St.Germain, il y avait Boris Vian qui jouait de la trompette comme un fou. Il y avait aussi Sartre, tu sais bien « les mains rouges ou non, les mains sales ». Je ne comprenais rien à ce qu’ils disaient, mais ils étaient tous si attentifs. Pas des sauvages comme j’en ai trop connu ici… ». Et puis il y eut aussi Juliette Greco et ce coup de foudre réciproque entre artistes de 22 ans  : «On s’aime beaucoup, on se téléphone toujours quand je joue en France ou qu’elle vient ici. »

 

https://www.youtube.com/watch?v=BlNT6BuXYYI

https://www.youtube.com/watch?v=8sp-3NPl5ug

https://www.youtube.com/watch?v=sPlOQJPAi7w

https://www.youtube.com/watch?v=bt45vXhO8-8

 

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