Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
5 janvier 2020 7 05 /01 /janvier /2020 20:24
STEVEN JEZO-VANNIER FRANK SINATRA Une mythologie américaine

 

STEVEN JEZO-VANNIER

FRANK SINATRA Une mythologie américaine

Le Mot et le Reste

522 pages

Encore un livre sur Frankie, le crooner à la voix de velours? Il semblerait que ce travail de qualité, cette nouvelle biographie soit définitive car elle montre que le personnage a aujourd’hui acquis, avec le recul, la force du mythe.

Le mérite de cet ouvrage d’un spécialiste de musiques rock et de la contreculture, Steven Jeso-Vannier qui a déjà donné douze livres aux éditions marseillaises LE MOT ET LE RESTE est de réunir une biographie précise, très documentée en cinq parties chronologiques qui suivent aussi son évolution musicale, ses débuts, ses premiers succès, sa formidable ascension, ses échecs.

Cinq copieuses sections qui vont de Frankie boy ou la naissance d’un chanteur (1915-1945) à Ol’blue eyes ou la naissance du mythe (1971-1998), sans oublier The Voice ou la naissance d’une star (1944-1952), The Pack Master ou la Renaissance d’une star (1952-1961) et The Chairman of the Board ou la naissance d’un mythe (1961-1971). On le voit, rien qu’à ces titres, le parcours de Sinatra est tout sauf ordinaire: il a quelque chose du phoenix, indestructible, éternel : on peut lire l’introduction, intitulée à juste titre “All or Nothing at All”, titre de son premier succès, qui est devenu aussi sa devise, le fil conducteur de sa vie. Et aussi les dernières pages “Jusqu’au bout” qui attestent que Sinatra a réussi à fabriquer son image, créer un personnage qui épouse l’histoire de l’Amérique au XX ème siècle; il incarne le self made man, figure archétypale de l’American dream. Number one des charts, il pouvait déclencher l’hystérie des bobby soccers, d’où son surnom de "sultan des pâmoisons" mais tourner aussi la tête aux stars; il était l'ami des politiques, proche des Kennedy mais aussi des parrains de la mafia. Il fut encore un ami fidèle (son rat pack) qui s'engagea courageusement dans le combat pour les droits civiques.

Animé d’une ambition démesurée, ce fils d’immigrants italiens d’Hoboken connut des débuts difficiles: jeune marié avec Nancy, il remue ciel et terre pour trouver des engagements, contacte Glenn Miller en quête d’un vocaliste, et finit par se faire remarquer par le trompettiste Harry James.La légende est née et Frankie ne s’arrêtera plus: il a trouvé sa place au firmament des stars. Celui qui travaille devant sa glace, soigne son look jusqu’au ridicule et tente de retrouver avec sa voix le souffle du trombone de Tommy Dorsey, son second employeur, s’est toujours considéré comme le plus grand vocaliste de tous les temps, même si Bing Crosby était l’idole de sa jeunesse. D’une exigence extrême tout au long de sa carrière, il parvint à signer chez Capitol, s’entourant des meilleurs arrangeurs: Alex Stordahl, Billy May, Nelson Riddle; il crée son propre label (Reprise), exigeant les meilleurs musiciens. Alors qu’il ne lisait pas la musique, il parvenait à diriger ses orchestres et à en imposer aux professionnels. Insatiable et épuisant, hystérique et violent, il ne connaîtra qu’une seule éclipse dans sa carrière, mais le cinéma le sortira de cette crise. Il remporte un Oscar pour sa formidable interprétation du deuxième classe Maggio dans l’émouvant From Here to Eternity («Tant qu’il y aura des hommes») de Fred Zinnemann en 1953. Entre 1959 et 1963, Frankie est le roi d’Hollywood, le maître du monde.

Sinatra est à part, il a fait de la chanson en Amérique une forme d’art. Si sa longue vie fut un roman, ce livre exhaustif mais jamais ennuyeux se lit aussi comme un roman. Le récit suit de nombreuses pistes, de multiples voix qui dessinent le portrait d’une personnalité hors norme, complexe, parfois peu attachante. “Fan de Gatsby le Magnifique, il était toutes les facettes de l’Amérique dans ses combats comme dans ses excès.” L’auteur s’est attaché avec brio à évoquer autant la musique que le personnage : on peut lire ces pages d’un trait ou s’attarder sur un chapitre particulier qui renvoie toujours (l’une des marques de fabrique de la maison d’édition) à des albums précis, des enregistrements, des concerts, l’origine de certaines chansons. Il y en a tellement, environ 2000, créations ou reprises qu’il a su s’approprier “I’ve got you under my skin”, “Black magic”, “Fly me to the moon”, “Come fly with me”,“Smile”, “My way”, "It was a very good year", “One for my baby”, "In the wee small hours"...

L’auteur, fasciné par son formidable sujet, a réussi son coup: Sinatra demeurera dans nos mémoires pour sa voix au phrasé exceptionnel, sa perception très claire du sens, son intelligence du métier. Maître de sa voix et de l’orchestre, il savait gérer l’intensité, faire monter la pression. Son plus grand talent peut être réside dans l’émotion qu’il suscitait, car il a mis sa voix au service de paroles qu'il n'avait pas écrites mais qu'il vivait complètement. Et dans lesquelles son public se reconnaissait totalement. 

NB: soulignons encore la mise en page soignée, une bibliographie et discographie précises.

Sophie Chambon

 

Partager cet article
Repost0

commentaires