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7 février 2023 2 07 /02 /février /2023 13:21
ADJUSTING          ARNAUD DOLMEN
ADJUSTING          ARNAUD DOLMEN

Adjusting

 

Arnaud Dolmen (batterie)

Léonardo Montana (piano)

Samuel F’hima ( contrebasse)

Francesco Geminiani ,Ricardo Isquierdo et Adrien Sanchez (saxophone ténor)

Guests: Vincent Peirani (accordéon), Moonlight Benjamin, Naïssam Jalal( flûte traversière)

 

 

Actuellement en tournée en quartet, à Aix et Vitrolles le weekend dernier, avec son dernier CD, nous avons eu envie de revenir sur cet album Adjusting du batteur Arnaud Dolmen.

 

 

A écouter le dernier album du batteur guadeloupéen Arnaud Dolmen, Adjusting, sorti au début de 2022 sur le label Gaya Music on comprend pourquoi il fut nommé Révélation de l’année aux Victoires du Jazz 2022 et considéré comme l’un des 3 meilleurs batteurs de jazz en France, cette même année par Jazzmagazine.

Arnaud Dolmen a l'ambition de rafraîchir la musique de son île, la Guadeloupe, en mettant en valeur les vibrations du cru, les rythmes et rituels africains. Et il se donne les moyens de cette ambition. Non seulement il dispose d’un quartet solide qui donne généreusement une musique libre, axée sur le chant et la danse, mais il ose des combinaisons instrumentales originales avec des guests triés sur le volet, sans oublier d’étoffer son orchestration en doublant certaines parties de saxophones. 

Il essaie de surprendre, de trouver une nouvelle voie pour approfondir ce traditionnalisme progressif sans frontières dans “Graj ou Toumblak” par exemple, deux rythmes spécifiques à deux et quatre temps, juxtaposés.

Ce qui est tout de suite remarquable dans le jeu du batteur, c’est ce mélange détonant de puissance et de douceur sans avoir recours aux frappes sur tambours ka- toujours spectaculaires. Si le gwo ka est le blues des Antillais, une musique dont il a appris les fondements avec Georges Troupé, le père de Sonny, le Ka n’est qu’un instrument! L’enchevêtrement des rythmes est calculé, recherchant l’union de mélopées africaines et d’un jazz vif, aux audaces harmoniques. Un déséquilibre voulu parfois, celui de la danse, qui épouse les imprévus, qu’il sait utiliser, en amateur de ce processus de créolisation qu' étudia Edouard Glissant. Une batterie mélodique qui inverse les rôles avec la rythmique, en miroir, jouant avec les contrepoints saxophone/piano. Affirmant les potentialités harmoniques de son instrument, Arnaud Dolmen donne-t-il une  couleur nouvelle, imprime-t-il une autre façon de jouer de son instrument en s’adaptant à ce qui arrive, à l’inattendu, restant interconnecté dans ce monde bruyant et complexe? L’une des belles mélodies est d’ailleurs “Cavernet”, “un jazz des cavernes”, référence à l’allégorie de Platon mais aussi à cette plongée inexorable dans le web.

ADJUSTING? Un titre qui résume le projet. Poésie et souffle pour faire face à l’imprévu et en jouer! Arnaud Dolmen fait le point dans une suite de 12 compositions, narrant de petites histoires, dédiées par exemple aux enfants (“Ti Moun Gaya”), car il se pose beaucoup de questions, ce fils d’immigré, né à Bar le Duc qui ne renie pas ses origines créoles, réglant son pas dans le pas de ses ainés. Le dernier titre “Les Oublié.e.s” avec Adrien Sanchez au saxophone, rend hommage à toutes ces figures disparues dont deux saxophonistes des années cinquante, injustement méconnus, Emilien Antile et Robert Mavounzy. Arnaud Dolmen pratique alors le bouladjel, percussions corporelles et vocalises lors des véillées funèbres. Il n’oublie pas ses racines, ses repères et dans “Hey Cousin”, il rend hommage à l’île voisine, la Martinique . C’est une mazurka créole ( inspirée de la danse polonaise d’origine et de rythmes de danse bèlè de l’île), jazzifiée avec un doux saxophone souffleur.

Quand survient la lumineuse et pourtant mélancolique ballade “Ka Sa Té Ké Bay” ( littéralement "Qu’est ce que cela aurait donné?", sous-entendant si j’étais resté en Guadeloupe?) le jeu épuré du groupe explore ces questionnements en musique. Comme dans ce “Gap” évocateur qui démarre le Cd, ce décalage qui fait qu’en une ou deux heures d’avion, le paysage et la vie changent radicalement! Une composition qui finit en crescendo comme la transe haïtienne. L’un des titres de l’album est d'ailleurs chanté par une prêtresse vaudoue, Moonlight Benjamin. Sorcier des rythmes, le batteur songeait il aux esprits frappeurs des cérémonies rituelles? La répétition incantatoire, étonnamment calibrée donne une force éruptive à cette musique à laquelle participent pleinement les saxophonistes ténor ( qui ne passent jamais en force), le pianiste très percussif et le contrebassiste gardien du tempo.Tous partagent une certaine sobriété dans leur jouage, loin des effets de toute sorte, souvent pratiqués aujourd’hui.

Mention particulière aux invités qui ornent et rehaussent le titre dans lesquels ils apparaissent. Ainsi de l’accordéoniste Vincent Peirani dans "SQN" ( Sine Qua Non) où biguine et jazz s’entrelacent amoureusement et de la magnifique flûtiste franco syrienne Naïssam Jalal qui prend la place des saxophonistes dans “Résonance”.

Adjusting est un auto-portrait en creux dont la musique, très accessible, plus subtile qu’il n’y paraît, intègre magnifiquement le jazz si souvent réputé cérébral. Arnaud Dolmen y requalifie le concept d’adaptation perpétuelle, propos de l’improvisation.

 

Sophie Chambon

 

 

 

 

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