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17 novembre 2023 5 17 /11 /novembre /2023 17:13
D’jazz Nevers 37ème édition du 11 au 18 novembre

D’jazz Nevers,  37ème édition du 11 au 18 novembre

 

 

De retour sur les bords de Loire avec un temps instable, une petite pluie qui crachine mais surtout en ce jeudi 16 novembre, 6ème jour du festival, un vent violent avec des bourrasques qui n’ébranlent ni la solidité du barnum du festival D’jazz Nevers planté solidement devant le théâtre et le Palais Ducal ni la bonne humeur du public fidèle et passionné .

Pour cette 37 ème édition, le programme est majestueux, 37 concerts en 8 jours -pas moins de quatre concerts par jour dont deux en soirée à la Maison de la Culture. La durée d’une heure environ est suffisante pour rendre compte du style de chaque concert, de l’éclectisme musical de toutes ces esthétiques des jazzs et musiques actuelles. C'est le choix du président du Festival Roger Fontanel qui tient à prouver que le jazz vif qu’on entend ici est tout sauf une musique élitiste, de la tradition quelque peu bousculée à l’improvisation la plus débridée, sans oublier les incursions en musique contemporaine aux sons plus ou moins "machiniques".

 

Jeudi 16 Novembre

Petite salle de la Maison, 12h 30

(Sur les bords de Loire).

DANDY, DANDIE

 

Un nom curieux que n’explicite pas immédiatement le sous-titre Hypnos et Morphée pour le quartet du saxophoniste Alban Darche qui pratique un jazz de chambre élégant, pas "blasé" pour un sou, même s'il se réfère au dandy incarné, Baudelaire dont Alban Darche a mis en musique “Brumes et Pluie”. Le quartet se réclame d’une certaine parité avec un duo de soufflants à la trompette (Olivier Laisné qui remplace ici Geoffroy Tamisier) et au saxophone (Alban Darche) et une pianiste (Nathalie Darche) qu’accompagne une chanteuse Chloe Cailleton. Des poésies symbolistes, d'autres comme cet "Opium" inspiré de Poe ou encore ce “Snake” de l’Américain Theodore Roethke transposent en jazz ces clairs-obscurs, couleurs en demi-teintes, assonances et autres rythmes impairs. Un titre curieux " Encyclies" nous a fait réfléchir... Voulez vous une devinette? Le titre a un rapport avec un tube de Michel Legrand.... où il est question d'eau...

C'est en effet l'heure exquise, apéritive, de nous laisser griser par ces mélodies langoureuses, légèrement inquiétantes: il n’est pas question de se laisser distraire ni de s'abandonner au sommeil, seulement à des visions oniriques où il serait question de figures du tarot de Marseille ou du "Printemps" de Verlaine. La petite salle est un écrin parfait pour cette musique de l'instant grave et doucement élégiaque quand on voit échapper ce qu'on ne reverra plus. Les poèmes choisis ne seraient que prétextes à une recréation jazz de ces belles mélodies du début du XXème. On pense à "l’Invitation au Voyage" de Duparc  me souffle fort à propos l’ami Prévost. Une musique qui glisse délicatement, soyeusement autour de la voix fraîche, bien timbrée de la jeune chanteuse.

 

NOCE

Théâtre municipal, 18h.30

 

C'est la première création du festival en collaboration avec le festival de Grenoble et Césarée de Reims.

Un dispositif esthétique et audacieux dans le délicieux petit théâtre à l’italienne. Deux “tables” dont celle surélevée des deux clusters de batterie (on ne peut plus vraiment parler de “set” à ce niveau) dominant deux pianos à queue qui se font face, soit cinq cents cordes frappées par 176 marteaux ( selon le dossier de presse ). Amusante précision qui n’est pas inutile car tout dans ce projet est cadré soigneusement semble-t-il et tient de la performance, voire du happening devant un public recueilli qui écoute religieusement, dodelinant de la tête, entrant très vite dans la transe que déclenche et entretient cette musique bruitiste, ni tout à fait"machinique"  puisqu'elle utilise surtout des objets et ustensiles divers, voire des outils, ni vraiment répétitive mais qui en variant les effets, en réglant volume et intensité de tous ces bruits chics émis, entretient un relatif mystère et des interrogations sur ce qui va advenir. C’est admirablement conçu, joué avec intelligence de toutes les façons possibles dans cette partie carrée, en symétrie, en opposition, en parallèle, en continuation… Les quatre musiciens concentrés et visiblement heureux ( du moins en ce qui concerne  Roberto Negro qui est dans mon champ de vision plus que son complice pianiste Denis Chouillet) connaissent et maîtrisent le programme sur le bout des doigts. L’ennui avec ce type de musique est qu’elle pourrait durer des heures, une nuit même, dans la douce et enveloppante ténèbre qui envahit le parterre. Un éclairage subtil délicat et bleuté, le son impeccable enregistré par l’orfèvre Boris Darley très à son affaire (que je retrouve ici après un long séjour en Provence ).

Un quadrilatère impeccable pour cette noce singulière (et au singulier) qui doit éviter tout excès de table qui guette pareille fête. Avec leur “cluster table” le duo de Sylvain Lemêtre et Benjamin Flament déploie un ensemble de percussions impressionnant (série de bols tibétains, gongs de toute taille, cymbales qui sembleraient presque banales, tambours et autres fûts) faisant la joie des photographes qui ne vont cesser d’évoluer au sein du théâtre, de grimper dans les loges jusqu’au paradis pour mitrailler, zoomer cet impressionnant attirail.

Je les envie d’ailleurs car même si je suis très bien placée, je me retrouve encastrée au milieu d’une rangée, et ce n’est pas la moindre des raisons qui me fait trouver le temps long... à 19h02 très exactement. Soyons précise et rendons hommage à la minutie du projet. Moi qui étais entrée très facilement dans cette transe, saisie par le vertige d’une cohérence que je pensais avoir comprise, je perds soudain les pédales ( façon de parler) et me met à penser à certaine pièce de John Cage inspirée des "Vexations" de Satie qui fait environ 7 heures en répétant la même phrase musicale 840 fois…Une performance musicale qui s’apparente aux longues nuits théâtrales du festival d’Avignon. Et dès lors il m’est impossible d' entrer en méditation.

 

La Maison de la Culture, Grande Salle, 20h 30

Full Solo Paul Lay

 

Juste à temps. Le pianiste, parti de Nantes le matin, arrive quelques minutes seulement avant d’entrer en scène, le train ne s’étant pas arrêté à Nevers mais à Bourges! Une voiture du festival  est dépêchée dans l’après midi pour “l’exfiltrer”. Ah la SNCF!

Encore toute au souvenir de son concert d’août dernier à Cluny sur Deep Rivers, j’attendais avec quelque inquiétude sa version solo de tubes de Beethoven. Mais qu’allait-il donc faire dans cette galère? Voulait-il s’attirer les foudres des classiques aussi puristes parfois que certains jazzeux? Bach remporte le pompon des reprises jazz depuis Jacques Loussier, on le sait. Paul Lay non seulement a évité l’ écueil mais il s’en tire à son avantage, faisant swinguer Ludwig van B. A moins que le compositeur n'ait jazzé avant l'heure sans le savoir. 

Et puis rejouer même en rappel “La lettre à Elise” massacrée par des générations de jeunes apprenants  ne fait pas peur au "Marvel du piano" selon la très juste formule du producteur du label Gazebo? Laurent de Wilde qui s’y connaît en claviers. S’attaquer à l’Annapurna du romantisme “L’hymne (européen) à la joie" de la 9ème Symphonie ou à la "Sonate au Clair de Lune" (dont les premières notes me font irrésistiblement penser à l’humoriste Bernard Haller dans son sketch le Concertiste) constituent sans doute un nouveau challenge. Ce n’est peut être pas fortuit car Paul Lay seul à son piano dans le halo lumineux de la grande salle est un concertiste ...de jazz. Cette musique peut être considérée comme un standard. Et en matière de standard, Paul Lay est insurpassable. Il sait faire! Sa technique et son imagination harmonique lui permettent de faire jaillir dans l’instant de nouvelles idées.

Un solo avec lui c’est un récital qui ne tombe pas dans l' exercice de style, plutôt dans la démonstration évidente qu’il sait phraser jazz, que la musique et la danse le traversent, qu’il sait tourner et retourner chaque pièce dans tous les sens avec un plaisir non feint, qu'il aime rompre la mélodie, se lancer dans des éclats vifs d’impro, lui qui a dans les doigts tous les trucs des grands ayant bossé sérieusement toute l’histoire du jazz. Paul Lay connaît ses classiques, attiré aussi bien par Jelly Roll et Earl Hines que Mc Coy Tyner.

Tout ce qu'il joue est recomposé à un point difficilement concevable. Le processus de démolition ou de déconstruction, les grands pianistes savent faire, à commencer par Martial Solal qui a adoubé le jeune Paul Lay qui sait irriguer d’airs de blues et jazz, lieder, sonates, symphonies. Il se lance dans ses propres réflexions musicales sur la musique du maître, pas pour se comparer au compositeur mais pour  lui rendre un hommage particulier à “Heiligenstadt”, quartier viennois où vécut Beethoven, puis dans ce “Blues in Vienna”, en somme son carnet de voyage en Beethovenland.

Une performance à savourer "live" évidemment. Merci à D’jazz Nevers de savoir aussi s’ouvrir à plus “classique”, à une musique populaire et exigeante.

 

L'autre Avishai Cohen, the trumpet player!

21h 30 Grande Salle.

 


Encore un moment exceptionnel dans un programme tellement nouveau qu’il n’existe pas encore! Cette bizarrerie est due à l'autre Avishai Cohen, the trumpet Player! C’est cet autre "Avishai Cohen" qui se présente ainsi non sans humour pour que l’on ne fasse pas erreur avec son homonyme contrebassiste. 

Musicien exceptionnel, né à Tel-Aviv dans une fratrie de musiciens qui a migré à New York, voilà un exilé qui ne s’est pas coupé de ses racines mais sait  prolonger en la vivifiant la tradition. Avishai Cohen, sa soeur Anat, clarinettiste et son frère Yuval, saxophoniste ont d’abord entretenu la tradition familiale au sein du trio des 3 Cohens. Mais le trompettiste tourne à présent avec son propre quartet que l’on sent encore plus soudé en ces temps dramatiques, une autre "famille" qu’il s’est constituée avec Yonathan Avishai au piano, Barak Mori à la contrebasse et Ziv Ravitz à la batterie.

Son approche singulière de l'espace musical est difficile à décrire, un jazz post-bop inspiré de Miles Davis certes. Mais il s'en détache par un phrasé différent, d'une douceur presqu’effrayante, tenue et même retenue, avant d’être proposée en offrande, ode à la liberté qui résonne étrangement après le jeu heureux de Paul Lay dans sa recréation de l’ode à la joie.

Tout tient peut être dans la clarté épurée d'un jeu qui intègre silence et vide -ce n’est pas pour rien qu’il a été repéré et signé chez ECM, le prestigieux et classieux label de Manfred Eicher.


 

Après son dernier album Naked Truth en 2022, nous avons la primeur ce soir du treizième opus à venir qui sera enregistré la semaine prochaine à La Buissonne de Pernes-les-Fontaines par Gérard de Haro, à la fin de ce tour européen commencé en Roumanie qui va ensuite de Cannes à Paris via Nevers qu’il affectionne particulièrement, Barcelone et Madrid...  Le trompettiste se plaît en quelque sorte à créer une musique nouvelle  sans prendre beaucoup de temps de préparation. Une prise de risque atténuée par le rodage de cette mini-tournée.

Bouleversé par les récents événements, il évoquera pendant un long préambule sa décision de continuer à jouer en dépit de tout une musique, alors qu’il pensait annuler sa tournée. Nous aurions perdu une longue suite à la mystérieuse beauté qui sans nul doute découle de son ressenti actuel. Quand il téléphone à ses enfants, il dit entendre le bruit des bombes et rockets... Il a choisi aussi de nous faire écouter sa composition de l’adagio du concerto en sol de Ravel, inspiré de “la plus belle musique qui soit”. Décontracté mais sérieux, il nous révèle pour finir qu’il a enregistré une composition de sa fille à son insu (décidément la musique est affaire de transmission dans cette famille) et que si le morceau plaît au public, il sera enregistré dans le Cd à venir. Si ce n'est pas le morceau le plus brillant, restera  gravé un formidable témoignage d'amour et de tendresse.

Comment ne pas être séduit par ce quartet qui sait d’entrée de jeu éveiller notre curiosité avec un pianiste hors catégorie qui touche en blues, un batteur à la gestuelle incroyablement plastique, voire élastique. Le contrebassiste aura son "moment" plus tard dans la suite, quand il se prend à chanter à la façon d’un Paul Chambers. 

Quant au trompettiste, il garde un son droit dépourvu de vibrato, phrase avec un lyrisme  mesuré, le pavillon pointé vers le sol, malgré des effets de sourdine, de wah wah essentiellement, peut être dispensables, l'espace musical étant suffisamment ouvert à la circulation et aux échanges. 

Gageons que pour beaucoup, ce concert aura ouvert d’autres portes de la perception.


A suivre... le marathon continue jusqu'à samedi soir.

Sophie Chambon

 

Un grand merci à Maxime François, le photographe attitré du festival!

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