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31 janvier 2009 6 31 /01 /janvier /2009 09:07

                               
De retour du Sikkim, où j'étais allé vérifier si l'Himalaya se trouvait toujours  à sa place,  là où je l'avais contemplé  20 ans plus tôt ... N'en déplaise aux bonzes affables  que j'ai croisés  sur les sentiers et qui  prêchent l'impermanence des choses, j'ai bien vu surgir au lever du jour la procession des  sommets géants,  drapés dans  leurs glaces immémoriales et flottant au dessus des brumes à plus de 8000 mètres d'altitude. Ne cherchez plus : là est le royaume des cieux. "Voilà au moins  quelque chose de fixe, d'intangible,  dans mon existence", me suis-je dit. Cela, et aussi une certaine phrase orchestrale   de Prokofiev qui, au même moment se remettait à jouer dans mon incontrôlable juke-box intérieur. 

Le vent  et le froid ont  fini par nous chasser vers la hutte d'un jovial tenancier Tibétain, pour un thé épicé et  brûlant. Restés dehors, nos yaks semblaient aussi peu sensibles aux rafales glaciales qu'à la majesté du paysage.

Je n'ai pas osé  leur demander un avis  sur Prokofiev...

Privé de sa perfusion portable  de  musique, le voyageur-randonneur se livre aux réminiscences qui remontent pêle-mèle à son esprit, sans doute  par l'effet mécanique de la marche. 

Cette auto-psychothérapie,  qui se passe de mots  par le truchement des sons intérieurs, est aussi salutaire  que peu onéreuse.  A ce titre,  je m'étonne qu'elle ne soit pas plus souvent prescrite à mes frères et soeurs de névrose. Le soir, nos hôtes, peu vêtus malgré le froid mordant, improvisaient joyeusement  danses et chants a cappella,  à la chaleur d'une unique bougie. Leur répertoire semblait inépuisable. Nous,  grelottant sous les épaisseurs  de nos vêtements isothermes,  restions  toujours cois et piteux au moment de leur rendre la pareille.  Développés, nous ? Ben voyons ...

 

Un matin, l'avion m'a ramené  sur la terre de mes ancêtres, Pays de Cocagne, dont, curieusement, les habitants adorent  se  plaindre. Ce fait demeure une énigme profonde pour les citoyens du Sikkim qui, pour la plupart,  sont privés des délices de la douche chaude et du téléviseur géant à écran plat. En revanche, la gentillesse, la générosité et l'hospitalité semblent durablement inscrits dans leur constitution et le taux de criminalité du pays est proche de zéro. 

 

Je voulais aussi profiter de cette parenthèse en pays lointain pour tenter de réfléchir un peu plus que d'habitude. Donc,  relire Primo Lévi et Hermann Hesse. Chez ce dernier (dans "L'Homme qui voulait changer le monde"), j'ai trouvé ce passage qui constitue, à mon sens, un excellent viatique pour l'Artiste. Je vous le livre et vous souhaite bonne vie, car, comme disait ma Grand-Mère : 

 " Personne n'est à l'abri d'une heureuse  nouvelle ".

 

"Je couvrirai donc ces pages blanches de mon écriture non pas dans l'intention ou l'espoir d'atteindre quelqu'un pour qui elles pourraient signifier la même chose que pour moi, mais sous l'impulsion bien connue quoiqu' inexplicable à laquelle l'artiste obéit comme à un instinct naturel et qui le pousse à travailler et à mener son jeu en solitaire. (...) Mais puisque l'instinct en question est toujours vivace et qu'en lui obéissant pour continuer nos jeux dans la solitude, malgré toutes les équivoques et toutes les difficultés, nous éprouvons un plaisir assurément non partagé et mélancolique, mais un plaisir tout de même, c'est à dire un sentiment un peu plus fort de notre existence et de notre raison d'être, nous n'avons pas à nous plaindre (...). "

Hermann Hesse

  Le  Kanchendzönga (8586 m) au lever du jour

 

 

Guillaume de Chassy

 

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