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3 avril 2007 2 03 /04 /avril /2007 22:50

JJJMANU CODJIA : « Songlines »

 

Bee Jazz 2007

 

Manu Codjia (g), François Moutin (cb), Daniel Humair (dm)

 Il fallait oser ! Lorsque l’on s’appelle Manu Codjia et que l’on a cette réserve presque timide qu’on lui connaît, du genre à jamais jouer les gros bras dans les formations dans lesquelles il joue (comme chez Texier par exemple), il fallait oser pour son premier album se lancer tout de go dans un format en trio. Car dans une formation de ce type, le guitariste y est toujours ultra exposé, soliste d’un bout à l’autre, de surcroît de ses propres compositions et donc livré impudemment aux oreilles critiques. Et Manu a osé avec une formidable liberté qui l’amène ici et maintenant à afficher son caractère particulièrement éclectique, ses choix qui ne choisissent pas, son refus absolu d’enfermement.  Pour ceux qui attendaient l’expression d’un truc perso jamais fait avant que Codjia aurait mûri durant des siècles à grands renforts d’écriture réécrite, on repassera c’est pas le sujet. Et pourtant tout en empruntant aux autres, cet album est incroyablement personnel. Comme un manifeste en somme. Avec une écriture subtile à l’efficacité waterproof, Codjia affirme toutes ses sensibilités avec mesure et élégance (même lorsqu’il se montre un poil furieux, il reste d’une grande classe). Toujours dans la mesure et avec cette fameuse réserve, sorte d’anti guitare héros, Manu Codjia refuse de se laisser enfermer dans un cadre straight. Ses affinités vont bien sûr de Scofield avec ses lenteurs bleutées (référence évidente d’un bout à l’autre), qu’à Frisell dans son jeu réverbéré, à Mike Stern parfois car il y a aussi de la popsong chez Codjia et enfin Ducret dans sa furie rock. Codjia refuse de choisir mais finalement pourquoi  le ferait il d’ailleurs ? Et pourtant si Codjia donne tout ce qu’il aime avec passion c’est toujours sans se départir jamais d’une grande cohésion.

Après avoir rodé avec ses deux camarades son répertoire à l’occasion de deux soirées au Sunside (voir l’article de Sophie Chambon dans Jazzman de mars), Manu Codjia, Daniel Humair et François Moutin prirent la route de la Buissonne pour aller direct à l’enregistrement. Pas mal pour se faire la main lorsque l’on sait que ces trois pointures n’avaient pas trop de temps pour répéter ensemble. Pas mal pour arriver à cette cohésion étonnante que l’on trouve d’emblée à l’écoute de l’album alors même que Moutin et Codjia jouaient là pour le première fois ensemble. Et cette cohésion on la trouve avec ce sentiment de rentrer immédiatement dans la cour des grands. Ce petit quelque chose qui fait qu’avec ces trois là on comprend qu’on a à faire aux choses sérieuses. De la musique de très haut niveau.  Du genre de celle qui n’a pas besoin de complexité pour atteindre à la profondeur, voire à la gravité du propos. François Moutin  (mais on le sait depuis longtemps), s’affirme là une fois de plus comme l’un des 10 plus grands contrebassistes actuel, phénoménal de liberté (on pense à Scott La Faro) et d’énergie qui le laisse rarement derrière. Quand à Humair, bien sûr, rien de son jeu ne s’émousse jamais, maître absolu des relances en douceur, des bruissements fluides et de la passation des pouvoirs.

Avec une très grande intimité, sans jamais donner dans le démonstratif (ce n’est franchement pas le genre à Manu), Codjia nous livre un album jamais uniforme mais toujours dans l’unicité. Ce contour vague au sein duquel se déploient des compositions brillantes et douces à la fois au charme trouble, à l’évanescence éphémère, à la fougue sereine. Avec la reconnaissance de cette paternité multiple qui le pousse à porter plus loin la musique de ses maîtres, Manu Codjia franchit une étape nécessaire à sa propre émancipation. Une étape qui le porte déjà sur le chemin des grands. Des très grands.

Jean-Marc Gelin

 

 

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