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8 décembre 2007 6 08 /12 /décembre /2007 08:45

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MOUTIN RÉUNION QUARTET
Le groupe des jumeaux (François à la contrebasse et Louis à la batterie) balance un troisième CD monumental, lesté comme le précédent des chorus incandescents de Rick Margitza, l'ancien sax ténor de Miles Davis, et illuminé par les feux d'artifice harmoniques de Pierre de Bethmann. Cerise
sur le pancake, un DVD fait bouillonner l'autre face du CD.
INTERVIEW CROISÉE AU CAFÉ BASTILLE, QUELQUES JOURS AVANT UN CONCERT AU NEW MORNING, ET À LA VEILLE  D'UNE GRANDE TOURNÉE EN EUROPE.



DNJ : Vous êtes le seul groupe français à tourner régulièrement aux USA. Comment êtes-vous arrivés à ce statut ?

FM :Au milieu des années 90, j'accompagnais Michel Portal ou Martial Solal. Je sortais de l'ONJ d'Antoine Hervé, où j'avais rencontré une foule d'Américains, comme Randy Brecker, Peter Erskine ou Steve Swallow. Toots Thielemans, notamment, a enfoncé le clou : "tu dois aller à New-York, pour constater ce qui se passe". Quelques années après, je me suis rendu à New-York, avec mille dollars en poche, pour me frotter à ces calibres. L'énergie de la ville, le nombre de pointures, m'ont enchanté. Je me retrouvais plongé dans le bain proche de ma passion d'enfant. Il existait
certes des chapelles, mais moins fermées qu'à Paris. J'avais beau être catalogué sideman de Portal, j'étais accepté aussi bien par des calibres du jazz dans la tradition, comme Monty Alexander, que par des éminences du free, comme Cecil Taylor. La même semaine, je pouvais jouer avec Frank Wess, Oliver Lake, ou Mike Stern, dans trois styles de jazz différents. J'ai senti
que je pouvais rayonner à partir de la ville. Je me suis installé.

LM : On était surnommés "La Rythmique des Frères". Après le départ de François, j'ai joué avec beaucoup de bassistes différents. Puis, en 1997, je me suis mis à la composition. Lui de son côté m'a envoyé plusieurs morceaux. L'idée d'un quartet a germé. Nous avons formé la première mouture du quartet pour tourner en France avec Baptiste Trotignon et Sylvain Boeuf, en 1998. Le
public manifestait de l'enthousiasme et le projet nous éclatait de joie. L'année suivante, nous remplisssions trois fois plus de dates. Le premier album est sorti en 2000 (sur le label SHAÏ). Nous avons pris la décision décision d' "exporter" le groupe aux USA. C'était assez inédit. Des
musiciens européens venaient certes y séjourner, mais nous représentions le premier groupe constitué à vouloir y tourner régulièrement. On a foncé têtes baissées. Un agent américain, Dan Doyle, nous a repéré l'année d'après, après avoir flashé sur le disque. C'est un ancien tourneur de Gil Evans et de Steve Lacy. Il nous a abordés à la sortie d'un concert. La prestation l'avait convaincu. On s'est revu. Il a posé une bouteille de vin californien sur la table en disant ; "votre groupe sera aussi difficile à vendre aux USA que ce vin en France". Mais il y a cru : il s'est accroché. Depuis six ans, nous avons joué des centaines de dates, Europe comprise. A titre d'exemple, Moutin Reunion Quartet a joué dans la moitié des États de l'Oncle Sam. On
fait un vrai tabac sur scène.

DNJ : Est-ce la raison de la présence du DVD en public sur l'autre face du dernier CD, "Sharp Turns" ?

LM : Exact, nous voulions donner un exemple de la complicité qui règne dans nos prestations. Lors de ce concert au Skokie Theatre de Chicago, en janvier dernier, dont le répertoire est basé sur les morceaux du CD précédent, le quartet s'éclate comme des gosses. Les morceaux empruntent une forme plus débridée. Nous avons dégagé cette énergie vers la salle. On entend le public nous renvoyer sa joie. Aux USA, les gens s'expriment plus facilement qu'ici. Ils viennent également discuter volontiers avec les musiciens à la fin du concert.

FM : J'ajouterai que, paradoxalement, la réussite aux USA nous a ouvert davantage d'opportunités pour jouer en Europe.

DNJ : Etes-vous appréciés là-bas en tant que musiciens de jazz français, ou en tant que musiciens français de jazz ?

FM : Les Américains nous apprécient en tant que musiciens de jazz, point barre! L'appellation jazz français est une erreur grammaticale commune en France. Il y a le jazz. La musique est partie des USA, elle est devenue internationale. Il existe une scène du jazz en France, composée de musiciens français. Nous nous considérons comme des musiciens de jazz. Il se trouve
que nous sommes des Français.

LM Dans certains endroits, les auditoires qui se sont déplacés nous expriment la reconnaissance de leur avoir fait l'honneur de jouer dans leur coin. Jamais nous n'avons entendu : "le jazz nous l'avons inventé" La salle s'imagine que nous venons directement de France... Il faut dire que les
présentateurs en rajoutent à chaque fois. Ils claironnent notre arrivée sur scène de façon exagérément positive : du genre "Moutin Reunion Quartet a fait le trajet spécialement pour vous", etc….

DNJ Justement, qu'entendez-vous par "musiciens de jazz" ?

LM Nous sommes des autodidactes de la musique. Notre perception est bien, entendu très construite. Nous avons écouté toute l'histoire de cette musique, depuis ses origines. Mais arrive un moment où dans le concert, tu franchis une frontière. Nous jouons alors à l'instinct. Le jazz signifie que ce que nous interprétons se passe là, maintenant. Difficile d'analyser l'énergie que nous déployons à cet instant. Un état à la limite du contrôle prend possession de toi. Il y a là une magie. On est alors connectés avec l'ensemble de l'assistance.

FM : Être jazzman, c'est faire avancer une tradition en restant soi-même. C'est également faire avancer ses propres morceaux. Nous triturons notre propre matériel, qui évolue comme une personne humaine au fur et à mesure des concerts. La couleur de la musique change chaque jour, comme la couleur du ciel.

DNJ : La gémellité représente-t-elle un atout ou un désavantage?

LM : A vrai dire, on ignore ce qu'est de ne pas être jumeaux. Je trouve par conséquent difficile de répondre dans un sens ou dans l'autre. Nous avons résolu notre problème d'identité en jouant ensemble. La collaboration nous permet de nous affranchir du côté symbiotique. Nous nous méfions de la dépendance de l'un à l'autre. Aussi nous attachons-nous à mûrir en permanence. Le départ de François aux USA a représenté pour moi une obligation d'indépendance physique. Des choses se sont résolues. Nous en avions sans doute besoin.

FM : La gémellité s'avère indéniablement un atout pour communiquer avec le public. Elle me permet de prendre en compte toutes les catégories présentes. Nous les percevons, puis nous communiquons entre nous.


DNJ : Reconnaissez-vous en Weather Report une influence majeure ?

LM : Bien sûr, mais au même titre que Fats Waller, Duke Ellington ou John Coltrane.
D'ailleurs Weather Report a lui aussi été influencé par ses prédécesseurs. Nous entendons la tradition sur laquelle s'appuient certaines de leurs compositions. Chaque fois qu'une création s'opère, elle intègre les œuvres précédentes. La similitude avec Weather Report, c'est que nous composons l'intégralité du matériel. Avec Rick Margitza et Pierre de Bethmann, nous avons trouvé la vitesse de croisière. Nous sommes impliqués tous les quatre totalement.

FM : Nous sommes entrés dans le jazz de façon chronologique, en écoutant la discothèque de notre père, en commencant par Jelly Roll Morton. Quant tu as assimilé Art Tatum, tu captes bien mieux Errol Garner. J'ai joué avec Cecil Taylor; il avoue une forte influence de Thelonius Monk. Le langage de l'un facilite la perception du langage de l'autre. Ceux qui prétendent partir de zéro pour inventer quelque chose : ceux-là nous inquiètent un maximum. Du reste, certains morceaux de Duke Ellington, antérieurs à 1940, sont bien plus modernes par la structure que d'autres du be-bop, composés plus tard. Il est extrêmement profitable de zapper entre les genres. Le plus récent
n'est pas forcément le plus moderne.

DNJ :  Avez-vous bénéficié d'appuis financiers?

LM : Oui. BNP-Paribas nous a soutenu depuis le début. C'est une chance. Il s'agit du seul mécène privé aussi actif dans le jazz. Ils soutiennent des gens comme Jacques Vidal, Manuel Rocheman et d'autres depuis des années. Puis nous sommes aidés par la SPEDIDAM (société de musiciens).

 

Propos recueillis par Bruno Pfeiffer

 

 

 

CD :  Moutin Reunion Quartet : "SHARP TURNS" ( Nocturne 2007)

 

 

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