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19 mai 2008 1 19 /05 /mai /2008 08:18

   "je souffre lorsque quelqu’un ne comprend pas ma musique"






 





Martial Solal me reçoit chez lui, à  Chatou, en plein été 2003. La maison achetée il y a vingt ans, se dresse au fond d'un jardin ombragé. Le pianiste sait se servir de ses mains. Il l'a retapé lui-même. Il me met immédiatement à l'aise avec une pointe d'humour : 'j'avoue avoir pris quelques coups de marteau". L'humour est un des grandes portes d'entrée de l'univers Solal.


DNJ : Certaines voix se sont levées pour qualifier votre musique de fermée. Votre réaction ?

Martial Solal : C’est bien le problème. On ne rentre pas dans ma musique aussi facilement. Écouter ma musique demande du temps : cela s'apprend. Une seule écoute ne suffit pas pour une oeuvre. Beaucoup d'auditeurs passent à  côté. J'ai toujours refusé la manifestation gratuitement ostensible du feeling. Je camoufle ma pudeur derrière l'intelligence du jeu et le refus de la banalité. Quand la sensualité d'une musique se montre avec trop d'évidence au premier degré, elle perd très vite de son charme. Je souffre lorsque quelqu'un ne comprend pas ma musique. C'est une souffrance à gérer. Ceci dit, je fais tout pour que le public rentre dans ma musique. Je ne recherche pas la complication, et je peux vous assurer que les classiques qui m'Écoutent ne trouvent aucune sophistication dans mes morceaux! J'ai un penchant pour l'histoire du jazz. Je la parcoure de A à Z... et de Z à A! J'adore le Dixieland. J'adore Fats Waller. J'ai joué avec Bill Coleman et Michel Attenoux. Chaque fois que je l'ai pu, je suis allé Écouter Duke Ellington. La première fois, c'était en 1963 au Hickory House, un club de New-York. J'y ai joué par la suite, et Teddy Wilson est venu discuter à plusieurs reprises. Personne n'a d'arguments pour reprocher  à ma musique de manquer de fondations! Il est vrai que le jazz a tellement Évolué que beaucoup de gens les ont perdu les fondations de vue.

DNJ : Que disent les Américains de votre musique ?


Martial Solal : dès ma première venue à New York, ils se sont demandés comment il se faisait qu'un Européen joue à ce point comme un Américain. Ce n'était pas le commentaire que j'espérais à vrai dire. Je jouais déjà dans mon style. Je n'ai pas voulu honorer tous les contrats qui se présentaient à Chicago ou dans les autres États. Mon fils était resté en France; il me manquait trop. Et tout bien considéré, je n'étais pas entiché de leur façon de vivre. On peut évoluer loin des USA... J'y suis retourné ces dernières années, au Lincoln Center notamment. Les critiques ont évolué. Ils saluent maintenant le côté exotique de ma musique. Celui du Times a insisté sur : "un niveau dont les meilleurs pianistes américains ne peuvent même pas rêver aujourd'hui".


DNJ : Que retenez-vous des USA ?


Martial Solal : J'ai apprécié le public du jazz. Ils connaissaient tous les standards. Ils prenaient beaucoup de plaisir aux concerts. Les salles étaient remplies d'habitués. Mais aujourd'hui c'est pareil en Europe. Si j'avais un conseil à donner : ici les Étudiants en jazz devraient travailler davantage leurs standards.

DNJ : Quel est votre format préféré ?


Martial Solal : Le trio, c'est le plus facile. Surtout avec les Moutin... Le duo est contraignant. Le solo, comme sur Solitude, est très physique. Le soliste se retrouve exactement dans la solitude du coureur de fond.


DNJ : Quelle est la particularité de votre musique quand elle est interprétée par un big band ?

Martial Solal : L'improvisation. Les parties écrites sont importantes, certes, mais si le morceau change complètement, c'est à cause des parties improvisées. Il n'y a pas de véritable règle, cependant.

DNJ : Comment enregistrez-vous ?

 
Martial Solal : Très vite. Je me souviens du duo avec le trompettiste Dave Douglas. On a mis les morceaux en boîte en une après-midi à peine. Quand je vois les reportages sur les groupes de rock qui annoncent avec fracas qu'ils s'enferment un mois en studio, et dont le résultat est beaucoup moins élaboré que ma musique, je trouve la démarche malhonnête. C'est tout juste s’ils changent quelques notes par rapport à leur précédent disque... Douglas et moi avons décidé au préalable de la répartition des compositions (trois chacun), on joue et on s'en va. La seule association avec lui m'a stimulé. Le duo fait partie d'un contrat de trois disques avec CamJazz. (Voir chronique du dernier - Longitude - plus haut).


DNJ : Lee Konitz vous a reproché de ne pas suivre sa musique dans les duos ?

Martial Solal : Oui, je sais. Il s'agit d'une interprétation hâtive de son propos. Lui joue au fond du temps. Cela comporte le risque de ralentir le tempo. Nous ne prenons pas le tempo au même moment. C'est une question de dixième de seconde. A sa grande époque du Cool, il jouait plus technique. Le débat ne l'empêche pas de m'appeler le "Tatum moderne". Chaque fois qu'il joue à Paris, il vient dîner dans le salon où vous êtes assis. Nous avons le même âge et la même histoire. C'est un mélodiste inouï¯. Chacun de ses morceaux est une chanson.
 
DNJ : Quel pianiste français vous séduit le plus ?


Martial Solal : Jean-Michel Pilc.


DNJ : Ah oui ? Et il est encore jeune


Martial Solal : N'exagérons rien... il n'a pas 18 ans ! Toutefois il détient un univers qui ne ressemble pas aux autres.


DNJ : Les titres de vos morceaux sont souvent des jeux de mots. C'est un dada?

Martial Solal : Ah oui, j'adore les chercher. Parce que pour les trouver, il faut vraiment les chercher. Je vois souvent des jeux de mots composés uniquement d'une association sonore. C'est insuffisant. Il faut deux sens à l'énoncé, sans tomber dans la facilité. Exemple sur un de mes titres : "l'Allée Thiers et le Poteau laid". Un autre exemple? Je suis allé voir un soir le spectacle de Francis Blanche. Il parlait de l'École. Il a conclu : "Pour que l'École dure, amis, donnez ! " Fabuleux, non ?

DNJ Quelle est votre définition de l'humour ?


MS Le fait de ne pas se prendre au sérieux. C'est tellement humain de se prendre en dérision. Je suis timide, mais quand il s'agit d'en sortir une drôle, je me mets toujours en avant. J'ai toujours envie de dire des bêtises. En famille, je fais le clown. Ma mère disait : "tu fais l'intéressant"! J'ai un faible pour le couple Pierre Dac/Francis Blanche, et pour les Marx Brothers. J'ai lu l'intégrale de San Antonio. Tous les 5 livres, je lis un San-A. Quelle maîtrise du style! Frédéric Dard rédige une phrase splendide, puis la tord immédiatement. Imaginez mon goût à le lire! De surcroît, ses intrigues sont toujours intéressantes. J'aime l'humour décalé, qui tord le cou à la réalité. Vian venait souvent à Saint-Germain -des Prés. Pas vraiment le type triste. Il ne pouvait pas s'exprimer sans faire de calembour. Je déteste l'humour qui critique les autres.


DNJ : Quelles sont pour vous les autres qualités importantes ?


Martial Solal : A vrai dire, l'humour représente davantage qu'une qualité. Cela fait partie de la vie. La gravité me paraît importante, dans la musique notamment. Je n'aime guère le mélange des genres, mais gravité et humour peuvent se côtoyer en alternance dans un même morceau.

DNJ : Que pensez-vous des critiques de jazz?


Martial Solal : Voici le cliché que je lis le plus souvent : "Solal ne joue pas ce que l'on attend". Avec la répétition, le propos perd un peu de sa saveur. Je joue certes sur la surprise, mais je découvrirais avec joie d'autres appréciations.


DNJ :  On dit que vous travaillez l'instrument du matin au soir. Est-ce le cas ?

Martial Solal : Oui, le travail permet d'acquérir son contrôle total. Pour improviser, il faut penser vite et posséder la technique. Alors dans ce cas, la création est vraiment instantanÉe.

DNJ : Merci Martial pour les propos. J'aimerais que vous me dédicaciez ce vinyle, "Jazz à Gaveau", enregistré en 1962 avec Daniel Humair et Guy Pedersen. C'est mon préféré.

Martial Solal : Bien sûr. C'est ce qu'il y aura eu de moins fatiguant à faire aujourd'hui. Bruno, cela s'Écrit bien B-R-U-N-E-A-U ?

 

DNJ Oui, Martial

Propos recueillis par « Bruneau » Pfeiffer

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