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30 avril 2011 6 30 /04 /avril /2011 17:00

 

LOUIS SCLAVIS

L’histoire d’une création

Un film de Fabrice RADENAC / Arto Films

Label JMS : Ref JMS 101-5 / Sphinx Distribution

Durée totale 1h 59

Format 16:9

 Sortie le 26 avril 2011

 

 scalvis.jpg

 

Ce film, en suivant l’itinéraire de Louis Sclavis et des autres musiciens du quintet de LOST ON THE WAY (ECM), raconte l’histoire d’une création musicale.

« Itinéraire » est le terme exact puisque l’on suit le clarinettiste dans ses réflexions, sa progression au sens propre et figuré puisque Fabrice Radenacle filme dans toutes les situations, marchant dans les rues, à la poursuite d’une idée, au travail chez lui,  en répétitions, essayant ses anches ou fixant son bec.
Louis Sclavis avoue qu’il prend et perd du temps à définir un sujet, se cherchant des raisons pour faire les choses. Il évoque ce déclic absolument nécessaire, ce besoin d’un « moteur » pour le faire avancer, évoluer avant même que ne surgisse l’autre composante essentielle, l’émotion. Il sait aussi attendre, laisser s’installer le vide, ce rien indispensable pour être justement disponible, en état.

On est ainsi plongé au cœur de la création, de l’émergence de l’idée du projet à sa concrétisation, après de nombreuses péripéties, dignes du voyage d’Ulysse, thème initiateur de Lost on the Way. Une fois encore, avec ce nouvel ensemble, il adapte un folklore mythique autant qu’imaginaire. Au fond peu importe l’argument, une fois trouvé, tant il en fait une autre matière, cérébrale autant que physique, menant ses hommes selon un scénario précis.

 

On a toujours admiré chez Louis Sclavis cette aptitude à élaborer des projets sensationnels, aux titres formidables : ainsi, comme pour confirmer cette opinion, il revient sur son Napoli ‘s Walls, inspiré par le travail de l’artiste-peintre Ernest Pignon Ernest sur « la peau des murs » de Naples. Sclavis tenait là un sujet en or, avec un livret d’opéra à la Verdi , le drame, le mouvement et le décor baroque de la ville. Musicalement, il pouvait jouer du « rebond » dans la musique de Verdi qui inspire la mélodie ainsi que de la richesse du folklore napolitain.

Ce retour en arrière n’est pas vain pour éclairer la démarche de l’artiste, qui a une vision d’ensemble et aime croiser divers univers (cinéma, photographie...). L’oeil donne à entendre sa propre musique.  A propos d’images et de cadrages, Louis Sclavis est passionné de photos qu’il saisit avec son portable, il dit « choper des instants décisifs », et montre de saisissantes photos noir et blanc d’enfants dans la cour de récréation de l’école d’Hombleux (80) qui porte son nom . Le parallèle qu’il dresse entre la cour de jeux et le concert est pertinent puisqu’il retrouve dans les amusements des enfants,  à la fois improvisés et très organisés,  la mécanique des thèmes musicaux, disposés différemment à chaque fois. 

 

Le film  donne ensuite à voir des portraits croisés des musiciens du groupe, captés en mouvement, à vélo, en voiture, en limousine (!), à pied sur les bords de Seine … Chacun s’exprime librement sur sa pratique, le plaisir de faire partie du groupe de Louis : ces commentaires sans fard, sur leur approche musicale et leurs relations sont précieux pour comprendre comment la musique se fait, comment ça joue . Chacun a sa personnalité, des idées et un itinéraire précis et ce n’était sans doute pas une mince affaire que de les réunir sur une musique ne leur «appartenant » pas, au départ.

 

Le batteur François Merville ouvre le bal : il suit Sclavis depuis quinze ans, admiratif de celui qui joue sa vie à chaque instant, totalement impliqué . Il lui reconnaît l’autorité du chef, et met à son service sa pratique de toutes les formes de rythme, ayant  un bagage classique, mais rompu  au free et contemporain.

Le saxophoniste Matthieu Metzger incarne une certaine « force tranquille » tout en s’adonnant avec passion à tous les bricolages imaginables de prototypes, construisant ses jouets, usant des larsens, de jingles de « son synthé du pauvre », simulant des pannes d’ordinateur. C’est un peu le technicien fou des saxophones et de l’ordinateur qui arrive à imprimer une approche plus pointilliste. 

 

 



Le bassiste Olivier Léthé  est le  fils d’un musicien de jazz (son père Christian Léthé était un batteur éminent de la scène free) : à ce titre, il a la culture jazz. Fan de Michel Legrand, il a une certaine douceur, proche de l’acouqtique, et il aime le travail à la contrebasse, l’expressivité de l’archet  même s’il doit se résoudre à des choix : il reconnaît qu’un vrai discours sur les deux instruments ( la basse électrique et la contrebasse) est impossible. Il se retrouve dans l’univers du jazz contemporain, au travers des explosions, des changements d’orientation, irrigués du groove des musiques amplifiées, au premier rang desquelles figure le rock.
Maxime Delpierre  crée les textures qui font remonter les harmoniques de la guitare, les drones de basse. Fonctionnant sur l’instant, à l’instinct, très organiquement, il vient du rock mais ne saurait s’en contenter.
Last but not least,  les compositions enregistrées en répétitions au Studio Campus, au Conservatoire de Bagnolet ou lors de concert filmé au Studio de l’Ermitage : « Bain d’or » , « Le sommeil des sirènes ». Sclavis explique que pour «L’heure des songes», c’est une photo réaliste traitée comme une peinture abstraite, qui lui a permis d’atteindre un temps mystique, de basculer dans une autre dimension. C’est encore une photo qui est à l’origine de la composition éponyme « Le vent noir » qui finit le concert.
 
LE DVD contient aussi un long bonus de 42 mn qui est articulé autour de 12 duos de Louis Sclavis avec chacun des musiciens, comme s’il voulait s’acclimater à leur univers, lors d’improvisations personnalisées. Après ces explorations d’espaces sonores originaux, survient une dernière improvisation collective cette fois, quintessence de la pratique du quintet.
On  aura été entraîné dans le sillage de cet artiste hors normes, tout au long de ce film passionnant, original dans son traitement, variant points de vue et cadrages, avec le charme de l’impromptu. Toutes les pratiques artistiques fascinent Louis Sclavis. Artiste complet,  curieux de tout, il est aujourd’hui au sommet de sa trajectoire, capable de composer des chansons comme un John Zorn, un Ben Webster ou Lester Young, tout en imposant une conception très rigoureuse de l’improvisation, autant physique qu’intellectuelle.
Ce Dvd nous procure le plaisir de la découverte d’un « work in progress », ce n’est déjà pas rien. Plus encore que du jazz et des musiques improvisées, il révèle une signature, faisant entendre la petite musique reconnaissable de Louis Sclavis!
 
Sophie Chambon
    

 

 

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