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24 mai 2016 2 24 /05 /mai /2016 15:43
EUROPA JAZZ : Une journée mancelle

Journée chargée au festival Europa Jazz du Mans: chargée de concerts (cinq groupes entre midi et minuit!) et d'émotions fortes. Depuis les duos vertigineux de l'après-midi à La Fonderie, jusqu'à la renaissance du répertoire de Brotherhood of Breath en fin de soirée à l'Abbaye de l'Épau, et en passant par les deux créations du jour, ce fut une succession de temps forts, d'émois conjugués de surprise et de nostalgie, et un constant bonheur d'immersion dans la musique.

THÉO CECCALDI - ROBERTO NEGRO « Danse de salon »

Théo Ceccaldi (violon), Roberto Negro (piano)

Le Mans, La Fonderie, 21 mai 2016, 12h15

La journée commençait en trombe, à La Fonderie - Théâtre du Radeau, avec le très étonnant duo de Théo Ceccaldi et Roberto Negro. L'intitulé, « Danse de salon », paraît d'autant plus mystérieux que les premières minutes se déroulent dans un esprit de musique de chambre (laquelle est née dans les salons mais ne porte pas précisément à danser). On pense à Bartok, pour les intervalles distendus, à Alban Berg, pour le lyrisme intense, à Ravel, et au deuxième mouvement « blues » de la Sonate pour violon et piano.... Le violon a parfois une exquise rondeur d'alto. Puis l'on entre dans la danse, et tout y passe : rhythm'n'Blues, tarentelle, menuet mozartien, free calypso, valse à la Satie (peut-être noble et sentimentale....), vertige tzigane, tango ou polka, pour accoster sur la plage de Philip Glass et d'Einstein on the Beach. Époustouflant de bout en bout, par la réactivité, la connivence, qui fait que l'on jurerait que tout cela est totalement spontané alors que c'est manifestement le résultat d'une vrai maturation, mais qui laisse toute liberté à l'instant du concert. Public conquis, et rappel en forme de patchwork express : magistral !

EUROPA JAZZ : Une journée mancelle

MICHEL GODARD – GÜNTER SOMMER Duo

Michel Godard (tuba, serpent, guitare basse), Günter Sommer (batterie, percussions, guimbarde)

Le Mans, La Fonderie, 21 mai 2016, 15h

C'est un plaisir de retrouver deux habitués, dans des groupes distincts, du festival des premières décennies (80-90), cette fois ensemble, et dans un duo qui a vu le jour en 2014 pour Jazzdor Berlin, le prolongement berlinois du festival Jazzdor de Strasbourg. Stupéfiante agilité virtuose de Günter « Baby » Sommer, batteur-percussionniste d'Allemagne orientale, et qui est l'une des grandes figures de l'instrument, dans sa version libérée de toute entrave, depuis les années 70. Gestuelle idéale, goût du jeu et de la surprise, espièglerie, profonde musicalité : tout est là. Face à lui Michel Godard, tout autant musical et virtuose, pétri d'un humour pince-sans-rire. Ils échangent, se surprennent, se font des niches : nous les suivons, ils nous manipulent, et nous nous laissons faire de bonne grâce. Ils nous gratifient d'une étonnante version de My Heart Belongs To Daddy, qui ressemble parfois au Buena Sera de Louis Prima, mais partent le plus souvent sans filet, avec un sens rare de l'équilibre. Un court solo de chacun complète notre bonheur, et après un épisode percussif sur la sculpture florale offerte aux artistes, la vraie conclusion se fait en rappel pour l'alliance inédite de la guimbarde et du serpent : jouissif !

EUROPA JAZZ : Une journée mancelle

ALEXANDRE GOSSE Quintet (Création)

Alexandre Gosse (piano, composition), Régis Huby (violon), Sylvain Kassap et Olivier Thémines (clarinettes & clarinettes basses), Claude Tchamitchian (contrebasse)

Le Mans, La Fonderie, 21 mai 2016, 17 h

Le pianiste Alexandre Gosse, qui dirige le département de jazz du Conservatoire de Laval, est un pianiste et compositeur dont la réputation excède les limite du Grand Ouest. Europa Jazz l'a invité pour une création, en lui offrant pour partenaires le gratin de la scène hexagonale, avec des musiciens pour le plupart à l'affiche du festival cette année, dans des groupes différents. Le concert repose sur une grande pièce, intitulée Paréidolie, en allusion à l'illusion d'optique qui naît dans le cerveau quand nous croyons voir une forme humaine ou animale dans un objet d'une toute autre nature. Le déroulement de la création est basé sur le contraste,fluide ou anguleux selon les instants, entre des parties écrites dans un esprit de musique de chambre, et des incartades improvisées des solistes. Ici encore on pense furtivement à Alban Berg, avant le déboulé véhément de Sylvain Kassap à la clarinette basse, suivi d'un solo très mélodique d'Olivier Thémines à la clarinette. Tout au long de la pièce des échanges se font en dialogue, lyrique ou emporté, entre Régis Huby, Claude Tchamitchian, Alexandre Gosse et les deux souffleurs. La souple pulsation du jazz surgit à intervalles réguliers, comme pour rappeler que c'est là le fil conducteur, la matrice, et peut-être le but ultime. On navigue constamment du tonal au « total chromatique » en passant par le modal, à l'image de ce qu'explore avec constance le jazz contemporain. Malgré la relative fragilité d'une première, forcément perfectible, ce fut une réussite.

EUROPA JAZZ : Une journée mancelle

STEPHAN OLIVA - SÉBASTIEN BOISSEAU – TOM RAINEY Trio (Création)

Stephan Oliva (piano), Sébastien Boisseau (contrebasse), Tom Rainey (Batterie)

Le Mans, Abbaye de l'Épau, 21 mai 2016, 20h30

Les concerts du soir se déroulaient dans le rituel et magnifique dortoir des moines de l'Abbaye de l' Abbaye de l'Épau, sous une voûte lambrissée qui respire le mystère des siècles écoulés. Le festival Europa Jazz a permis de rassembler ce trio inédit à la faveur d'une création. Ces musiciens, leur parcours l'atteste, sont liés par une communauté de pensée et d'attitude à l'égard de la musique. C'est donc avec une véritable impatience, doublée de curiosité, que l'on assistait à cette première. Les compositions sont signées par le pianiste et le contrebassiste, et l'on promet aussi des compositions du batteur pour une prochaine tournée. Le premier thème, Intérieur Nuit de Stephan Oliva (tiré du second disque en trio avec Bruno Chevillon et Paul Motian « Intérieur, 2001), nous plonge d'emblée dans un univers qui va déboucher sur des séquences rythmiques serrées et des accords larges, façon Sacre du Printemps. Ce seront ensuite un hommage à Gene Tierney, tiré de l'album « After Noir », et Sach's March. Le trilogue fait merveille, entre le piano dont chaque note est pesée à son exacte intensité expressive ; la contrebasse, qui nourrit la tension en évitant tout cliché ; et la batterie, jouée aux balais, aux mailloches ou à mains nues, qui ponctue, relance, et joue aussi à contourner les accents trop convenus. Viennent alors deux compositions de Sébastien Boisseau, inspirée par la Hongrie, où il joue souvent : mélancolie thématique tendance Lover Man ou The Man I Love, puis tensions harmoniques très jouissives. Et l'on revient aux compositions du pianiste avec un thème par lui écrit pour le film « Les liens du sang » de Jacques Maillot : intro de contrebasse, nostalgique, qui rappelle au chroniqueur l'atmosphère du disque « December Poems » de Gary Peacock ; solo de batterie à mains nues ; et toujours ce piano qui respire la nuance jusqu'à se fondre dans l'imaginaire. Après un dernier thème très vif, contrebasse cursive et piano en cavalcade, ce sera en rappel, toujours en pleine vivacité : Blues for Ornette, enregistré par le pianiste en 1993 et en solo, pour le CD « Clair Obscur ». La boucle est bouclée, la rencontre est plus que fructueuse, et cette création aura l'avenir d'une tournée en décembre 2016 ; et d'autres on l'espère !

EUROPA JAZZ : Une journée mancelle

« BROTHERHOOD HERITAGE » : Michel Marre (trompette, bugle, cornet), Alain Vankenhove (trompette, bugle), Jean-Louis Pommier et Mathias Mahler (trombones), Chris Biscoe (saxophone alto, clarinette alto), Raphaël Imbert (saxophone ténor), François Corneloup (saxophone baryton), François Raulin (piano), Didier Levallet (contrebasse), Simon Goubert (batterie)

Le Mans, Abbaye de l'Épau, 21 mai 2016, 22h

Plusieurs festivals se sont associés en coproduction pour cette re-création du Brotherhood of Breath, mythique grande formation du pianiste sud-africain Chris McGregor, qui s'est installé dans notre pays dans les années 70, et s'est éteint à Albi en 1990. La création a eu lieu le 7 mai au festival Jazz sous les pommiers, et Le Mans accueillait la deuxième représentation de ce programme. Didier Levallet, qui avait joué dans la fameuse confrérie du souffle au début des années 80, avait à cœur de rendre au pianiste sud-africain cet hommage, donné au Mans en présence de sa femme Maxine, et de son fils Kei. Le pianiste François Raulin, passionné par l'univers de ce musicien, est l'autre artisan de cette aventure, dont on remarque qu'elle accueille un autre partenaire historique de Chris McGregor : le saxophoniste alto Chris Biscoe. Après Andromeda, un thème emblématique du compositeur sud-africain, l'orchestre a joué deux compositions de François Raulin conçues comme des hommages, et aussi Chris McG, que Didier Levallet avait composé en 1991 pour son tentet « Générations » (dans les rangs duquel on retrouvait Chris Biscoe). Mais le principal hommage, c'était bien sûr de rejouer le répertoire de la Confrérie du Souffle : bouffées de rythmes enfiévrés marqués par l'Afrique, mais aussi par les musique de la Caraïbe, sans oublier l'admirable Maxine, aux couleurs ellingtoniennes (et peut-être plus encore celles de Billy Strayhorn). Il y eut aussi des thèmes des compagnons historique de Chris Mc Gregor, comme le formidable Sonia de Mongezi Feza. Bref un formidable mélange de nostalgie et de joie légère. Tous les membres de l'orchestre ont donné des solos enflammés, et la soirée s'est terminé avec une partie du public dansant sur scène au milieu des musiciens. Ce joyeux bordel ressemblait au finale des concerts de Brotherhood of Breath auxquels j'avais eu naguère la chance d'assister (Angoulême au festival, Paris au New Morning.....). C'était là le plus bel hommage que l'on pouvait rendre à Chris McGregor et à sa mythique confrérie !

Xavier Prévost

A retrouver au cours des prochains mois aux festivals de Cluny et Nevers, aux Rendez-vous de l'Erdre, à Jazzdor Strasbourg et à la MC2 de Grenoble.

EUROPA JAZZ : Une journée mancelle
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