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15 février 2021 1 15 /02 /février /2021 09:40
JEAN PAUL RICARD & JEAN BUZELIN  JAZZ LADIES THE SINGING PIANISTS (1926-1961)


 

JEAN PAUL RICARD & JEAN BUZELIN

JAZZ LADIES THE SINGING PIANISTS (1926-1961)

FREMEAUX & ASSOCIES

Coffret 3CDs
 

Jazz ladies - the singing pianists 1926-1961 - Aretha franklin • camille howard • shirley horn • nina simone • rose murphy • cleo brown • julia lee • blossom dearie - Jazz - La Librairie Sonore

Nous avions salué comme il le méritait, le coffret (Jazz Ladies 1924/1962, FA 5663) de 3 CDs chez Frémeaux & Associés qui redonnait enfin aux femmes dans le jazz un rôle plus conséquent et une plus juste place. Jean Paul Ricard, un ardent défenseur des femmes dans le jazz, persiste et signe avec son copain Jean Buzelin, spécialiste de blues, mais aussi du Montmartre fin XIXème, de l’entre-deux guerres, période exceptionnelle avec des chanteuses de l’envergure d’une Damia, Frehel, Lys Gauty, Marie Dubas.

Second volet de la série Jazz Ladies, cette anthologie rassemble cette fois les pianistes chanteuses. Il est vrai que les femmes qui chantent, les canaris qui se tiennent près du piano, n’ont jamais eu par le passé et jusqu’à aujourd’hui, de problème de visibilité. Jean Paul Ricard et Jean Buzelin couvrent à eux deux toutes les chanteuses pianistes en jazz, blues, rhythm & blues, gospel sur la période qui va de 1926 à 1961, dans les respect des droits, selon une législation injuste du domaine public. Nos deux experts nous invitent à l’écoute, pour notre plus grand plaisir d’un second coffret de 3 Cds qui ne laisse aucune musicienne sur le bord de la route, et Dieu sait que ce fut «une longue marche» comme le souligne joliment JP Ricard. C’est une réévaluation de ces jazz women, souvent inconnues qui ont défriché le terrain pour les musiciennes d’aujourd’hui. Merci pour elles !

30 artistes et 76 plages à écouter, un livret de 24 pages de notes érudites avec les biographies des musiciennes sélectionnées : un travail de bénédictin qui n’omet rien du contexte de l’enregistrement, dates et personnel de la séance pour chaque titre. Un travail de mémoire et de réhabilitation de ces formidables musiciennes dont pour au moins 5 d’entre elles, on ne dispose même pas de leurs dates biographiques. Citons par exemple La Vergne Smith (CD2) autodidacte qui n’a enregistré que 3 albums et qui donne des versions du magnifique «Blues in the night» et de cette torchsong «One for the road» lancée par Fred Astaire dans The Sky’s the Limit, film de 1943, par ailleurs dispensable et immortalisée surtout par Sinatra.

Nos deux auteurs, chacun de leur côté, ont puisé dans leur vaste collection de LPs, et après un examen comparatif, ont déterminé les titres les plus représentatifs de chacune des chanteuses retenues, avant de monter à Paris au studio d’enregistrement pour la préparation du coffret, validé après restauration, mastering et une dernière écoute de la maquette. Du travail de pro !

La thématique choisie et l’époque nous font remonter aux musiques sources du jazz : les cinq dernières plages de chaque Cd sont respectivement dédiées au gospel, blues et boogie-woogie roots. A noter une curiosité Arizona Dranes, pianiste aveugle et son «It’s all right now», le titre le plus ancien, de 1926, mix de ragtime et barrellwoogie. Assurément un document!

Autre originalité de la sélection qui sort des sentiers battus, aucune chanson de la triade capitoline, des divas du jazz (Ella, Sarah, Billie) ni même de la petite cinquantaine de chanteuses que l’on liste souvent dans les magazines de jazz. On découvre des chanteuses qui, au piano s’illustrent dans le stride, le boogie, le blues, viennent de Kansas City, ont été repérées par Fats Waller. Ou ont un style original.

Ainsi, dans le premier CD (1926-1961) quelques belles découvertes, des pépites qui donnent envie de se remuer et de claquer des doigts avec une Cleo Brown très fraîche qui swingue dès l’ouverture dans le délicieux«Lookie, Lookie, Lookie, Here comes Cookie» (1935-1936) qui vous reste en tête toute la journée, une Lil Hardin plutôt gouailleuse qui eut sur la carrière de son mari Louis Armstrong une certaine influence (elle apparaît d’abord sous le nom d’Armstrong avec un Swing orchestra en 1938, puis sous son nom en 1961). Una Mae Carlisle de 1938 à 1944, repérée par Fats Waller qui balance des petites chansons formatées, à moins de 3’ souvent lestes. Et aussi un merveilleux «I met you then, I know you know»accompagnée de Slam Stewart et Zutty Singleton.Rien que ça et cet air aussi reste en mémoire... Avec Julia Lee, sur la couverture du coffret, on se paie une bonne tranche de blues, de boogie en trio ou avec ses Boy Friends (!) entre 1945 et 1947 «Nobody knows you when you are down and out». Impressionnante découverte, Camille Howard et Roy Milton & his Solid Senders dans un «Thrill me» sans équivoque en 1947 ou encore «You don’t love me»!

Le deuxième CD (1930-1961) varie aussi les styles, après la révélation d’une Martha Davis ou d’une La Vergne Smith, comment résister à la tornade, au débit aussi vif qu’humoristique, Nellie Lutcher dont on aime sa version de «Sleepy Lagoon». Rose Murphy est évidemment en plein contraste: voix de gamine, la «chee chee girl» créa «I wanna be loved by you» que devait lui chiper, et reprendre avec le succès que l’on connaît, Marylin.

Le dernier CD (1944-1961) évoque une période plus récente (!) et accueille d’ incontournables stars comme Shirley Horn toujours sur le fil, en équilibre instable, voix modulant entre grave et aigu, velouté et rauque ; la grande Nina Simone, éblouissante au piano qui aurait mérité en effet d’avoir une carrière de concertiste classique. Blossom Dearie qui rejoint la catégorie des voix juvéniles, acidulées, savait s’entourer de musiciens hors pair ( Herb Ellis, Ray Brown, Jo Jones, excusez du peu) pour recréer son univers intimiste. On peut préférer des voix plus «adultes», sans affectation, à l’énonciation parfaite comme celles de Jeri Southern «I don’t know where to turn» ou de cette Audrey Morris avec ses Bistro Ballads et un mémorable «Good Morning Heartache». On comprend que Billie et Duke soient allés l’écouter!

Guidés par l’expertise de tels connaisseurs, qui se sont livrés à ce «labour of love», non seulement l’amateur se régale mais se constitue ainsi un bréviaire du jazz, une discothèque vocale idéale et exhaustive de tous les styles de chanteuses-pianistes de cette période. Une anthologie précise, précieuse et indispensable pour l’histoire de la musique. Chapeau bas,Messieurs!

Sophie Chambon
 

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