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9 septembre 2023 6 09 /09 /septembre /2023 12:14
Nina Simone racontée par Valérie Rouzeau & Florent Chopin

Nina Simone racontée par Valérie Rouzeau & Florent Chopin

 

 

Editions de La Philharmonie

Collection Supersoniques

 

Supersoniques | La librairie (philharmoniedeparis.fr)

 

Vingt ans après sa mort survenue en avril 2003, Eunice Waymon est plus que jamais une légende, un personnage tragique, une figure iconique qui a inspiré des romans dont celui de Gilles Leroy en 2013, des pièces de théâtre et même un biopic récent. Cette artiste inclassable toujours actuelle continue de passionner le public.

C’est avec un grand plaisir que l’on retrouve pour la rentrée de septembre un livre qui lui est consacré : le neuvième numéro de la très originale collection Supersoniques (à prix avantageux) des Editions de la Philharmonie, un bel objet illustré par le plasticien Florent Chopin (artiste-collecteur de toutes sortes de matériaux et ici de papiers peints), écrit par Valérie Rouzeau, poétesse inspirée par son sujet, qui donne un portrait sensible de la chanteuse et la femme, dévoile sa Nina Simone.

Ce livre à l’écriture simple et fluide n’est pas une tentative de biographie. La démarche n’est pas celle d’une archiviste-chercheuse qui chercherait à démêler le vrai du faux… C’est l’histoire d’une vocation contrariée qui donnera l’une des carrières les plus singulières. Devenir la première pianiste concertiste noire classique était le voeu le plus cher d’Eunice Waymon pour lequel elle avait sacrifié toute sa jeunesse. Elle fut refusée au concours d’entrée du Curtis Institute. Cette blessure originelle allait marquer sa vie professionnelle avec une orientation musicale tout autre. Elle dut changer de nom “Vous ne savez pas ce que cela fait de changer de nom” quand elle commença à travailler au Midtown d’Atlantic City.

 

Une vie tourmentée, toujours au bord de la chute, le portrait en creux d’une icône du mouvement des Droits civiques autant qu’une femme en prise à sa bipolarité (qu’on ne nommait pas ainsi à l’époque) et à son alcoolisme. Si elle fait du jazz, c’est à sa manière. Car elle a été élevée au gospel et elle n’hésite pas à improviser sur Bach qu’elle vénère. Autant appréciée dans le monde de la pop, du folk, elle est aussi reconnue comme “grande prêtresse de la soul” ( “Sinner man”), épinglée pour son engagement qu’elle ne voulait pas non-violent, même si elle admirait Martin Luther King. Elle chantera Why? ( The King of love is dead) au lendemain de sa mort. Car la colère caractérise sa personnalité : la plupart des chansons (ses “gun songs”qu’elle scande admirablement comme l’inoubliable“Mississipi Goddam”) qu’elle a écrites ou reprises en les modifiant habilement, expriment sans ambiguité sa rage ses frustrations, ce sentiment d’injustice intolérable, à la mort d’amis militants comme Lorraine Hansberry, la dramaturge marxiste, Langston Hughes, le poète engagé (“The Backlash Blues”).

Si Valérie Rouzeau est intéressée à décrire sa voix de contralto, écorchée, rauque “tantôt du gravier, tantôt du café crème” et son jeu de piano ( car elle peut compter sur ses doigts prodige ) perlé, subtil, baroque avec des marches harmoniques, des trilles, elle s’attache surtout à rendre le talent d’écriture de Nina qui invente des histoires en chanson. Elle a le goût des mots et n’hésite pas à créer à partir des mots des autres qu’elle modifie, arrange à sa manière le “Just Like a woman de Dylan ou le “My Sweet Lord” de George Harrison auquel elle accole un poème de The Last Poets “Today is the Killer”. Elle réécrit, contextualise, s’approprie avec talent et se forge un style avec un sens très sûr du détournement. Nina rend hommage aux femmes noires, ces blackbirds dans de saisissants portraits “Four Women” ou “Blues for Mama” (où on peut la reconnaître), déniaise les “torch songs” de ses consoeurs, ose reprendre le “Strange Fruit” de Billie Holiday, chanter le “Ne me quitte pas” de Brel en miroir à son “Love me or Leave me”.

Tout ce dont elle s’empare, elle semble l’avoir vécu, c’est ce qui donne la force, d’authenticité de chacune de ses interprétations. Consciente de sa valeur, de son talent, elle n’arriva jamais à se satisfaire de la distance entre ce qu’elle aurait souhaité et ce qu’elle obtint, même si elle connut succès et gloire même d’une certaine façon.

 

Cet ouvrage que l’on lit très vite contribue à faire découvrir une artiste exceptionnelle, diva malheureuse à la vitalité extraordinaire. On reste au plus près de la femme et de la créatrice. Et cela est bien.

 

Sophie Chambon

 

 

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