ÓJean Cemeli
Comment as tu perçu les chroniques de ton dernier album « Pogo » qui après les dithyrambes qui avaient suivies « North » sont un peu plus réservées
JS : Moi personnellement je crois que cet album est meilleur que le précédent. Je ne suis certes pas objectif mais je le trouve plus abouti, il est plus varié, il y a du soprano qu’il n’y avait pas dans l’autre…
Mais justement ce n’est pas une sorte d’exercice obligé maintenant pour un ténor de faire deux ou trois morceaux au soprano ?
JS : D’abord j’en joue depuis plus longtemps que du ténor. Ensuite c’est une question de morceaux. Les deux morceaux sur lesquels je joue du soprano sur « Pogo » s’y prêtent bien alors qu’il n’y avait pas cet espace dans « North ». C’est la sonorité que j’entendais le plus sur ces morceaux. Maintenant c’est vrai que c’était aussi un argument qui permettait de démarquer cet album de « North » même si ce n’était pas l’idée au départ.
Autre point sur lequel tu t’es démarqué, c’est le label. Pourquoi en avoir changé ?
JS : Je suis vraiment très content d’avoir fait mon premier album sur Fresh Sound. Jordi Pujol m’a donné ma chance comme il le fait pour beaucoup de gens et c’était une belle opportunité pour moi. Simplement Bee Jazz donnait beaucoup plus de moyens pour réaliser ce nouvel album. En plus ce label est mieux distribué en France et en plus ils ont une licence avec Sunnyside aux États Unis. Du coup je couvrais les deux pays ce qui correspondait exactement à ce que je souhaitais. Ils m’ont donné beaucoup de moyens et m’ont laissé faire comme je l’entendais. Les deux disques ont été fait dans les mêmes conditions avec le même groupe, le même ingénieur du son, j’ai contrôlé tout le processus et j’ai quasiment produit artistiquement l’album. Alors je ne peux certes pas dire que Jordi était content mais il a compris qu’avec une telle différence je ne pouvais vraiment pas refuser. D’un autre côté il faut reconnaître qu’en acceptant de produire un deuxième disque réalisé exactement dans les mêmes conditions, après le super accueil du premier Bee Jazz acceptait de prendre de gros risques.
C’est un peu inquiétant de penser que parce que tu as reconduit la même équipe il y a prise de risque. Sinon Brad Meldhau serait obligé de changer tout le temps sa rythmique !
Oui d’accord mais là c’est l’exception. Je ne fais pas partie de la même catégorie. Brad Meldhau ça marche parce que c’est tellement bien et cela a tellement de succès qu’il a pu reconduire son casting. Mais pour un Brad Meldhau combien de jeunes sont obligés de se renouveler à chaque fois ? Moi je crois que les meilleures choses qui se sont produites en jazz l’ont été en groupe. Avec la maturation du groupe. Pourquoi penser qu’on se bonifie en changeant le projet tous les ans. C’est le contraire, non ? Prend les Hot Five d’Armstrong, le quintet de Miles, le Quartet de Coltrane, le trio de Bill Evans c’est toujours comme cela que ça progresse, tout montre que les progressions ne sont pas liées à la multiplicité des projets mais au contraire à l’évolution d’un groupe de base qui travaille ensemble. Est ce que l’on peut imaginer Trane sans Mc Coy, Elvin et Jimmy ? Pour ce qui me concerne je crois que l’évolution entre « North » et « Pogo » c’est que plus on est ensemble plus on s’écoute, plus on joue ensemble, plus on réagit vite aux autres, plus aussi on est à l’aise en studio.
Ce qui frappe dans l’écoute de ton album c’est que l’on entend aujourd’hui beaucoup de groupes qui semblent faire un rejet de la mélodie. Toi tu sembles l’assumer totalement
ÓJean Cemeli
JS : Je suis tout à fait d’accord avec ce que tu dis. Il y a aujourd’hui une tendance à confondre complexité et modernité. Mais c’est vrai que si certains morceaux peuvent paraître très simples, si on montre la partition à des musiciens ils te diront que la structure est néanmoins très complexe. Mais je ne crois pas que ni la simplicité pour la simplicité ni la complexité pour la complexité soient des valeurs en soi.
Avec ce groupe on joue assez souvent au Fifty Five, au Smalls ou au Barbès. On y joue de manière prinicipalement mes compositions mais cela nous arrive aussi de jouer des standards. Tout le monde compose, certes mais comme c’est mon groupe, cela tourne plus autour de mes compos. Pourtant Ben (Monder) écrit de la musique formidable, que je serais certainement bien en peine de jouer. Mais ce n’est pas le propos, d’ailleurs dans sa musique il n’y a pas forcément de soufflant.
JS : On a eu la chance de se côtoyer dans le groupe d’un superbe compositeur argentin, Guillermo Klein. Il faut vraiment écouter ses disques sur Sunnyside ! Dans son groupe il y a plusieurs saxes dont Chris Cheek ou Miguel Zenon et j’ai eu la chance d’être appelé pour jouer à leurs côtés. C’était une période où j’avais un gig le lundi au Jazz Standard et lui aussi. On s’est croisés là bas et il m’avait demandé de remplacer au pied levé Donny Mc Caslin. C’est une de mes plus belles expériences musicales. Surtout qu’en arrivant à New York mes références principales c’étaient d’une part Kurt Rosenwinkell-Mark Turner et d’autre part….le groupe de Guillermo Klein.
Il y a vraiment chez les saxophonistes de ta génération une influence très forte de Mark Turner ?
JS : Oui c’est vrai que cette atmosphère qu’ils ont su créer avec Kurt est quelque chose de très prégnant pour nous. C’est vraiment pour moi ce qui se fait de mieux en jazz. C’etait le bon casting au bon moment et au bon endroit. Mais pour autant, bien qu’étant un grand fan de Mark j’ai toujours cherché à m’affirmer moi même. Je n’ai par exemple jamais fait un seul relevé des chorus de Mark par exemple. Mais j’ai conscience qu’avec la musique que nous jouons avec Ben il y a le piège de tomber dans l’imitation. On est toujours très conscients de cela. Mais je voudrais revenir à Mark. Ce qui m’impressionne avant tout c’est que ce musicien est toujours, constamment en recherche. Parfois cela peut donner lieu à des concerts en demi teinte parce que lorsque l’on cherche on n’y arrive pas forcément tous les soirs. Mais je crois que quelqu’un comme Coltrane par exemple cherchait sans cesse de nouvelles pistes, de nouvelles formules. Et du coup il y a des disques ou des concerts de Trane qui semblaient parfois moins bons. Mais ce qui faisait sa faiblesse à ce moment là était ce qui faisait sa force deux ans plus tard. Mark pour moi c’est exactement pareil. C’est vraiment un saxophoniste qui fait avancer le jazz.
Et toi, es tu dans cette démarche de recherche. On a le sentiment que tu cherches à apporter une certaine modernité à la musique de jazz ?
JS : Non je ne cherche rien. Je cherche juste une adéquation entre ce que j’entends et ce que je joue. Un truc que j’ai vraiment envie de jouer et pas quelque chose où je me dis qu’il faut que cela sonne comme çi et pas comme ça. Je ne cherche pas particulièrement à jouer moderne ou traditionnel. Je me sens un peu entre les deux. Le public a d’ailleurs beaucoup de mal à situer cette jeune scène New yorkaise dont je fais partie. Nous ne sommes pas d’expression européenne, on est pas avant-garde américaine et on est pas non non plus dans la tradition. Du coup les critiques américains parlent de nous comme représentant un « modern mainstream ».
A entendre toute cette génération de saxophonistes New York ais, vous avez tous un son qui porte une certaine marque de fabrique. Pas un seul qui sonne comme Rollins, comme Coltrane ou commeAyler ?
JS : En fait cela dépend de ce que l’on joue. Si tu entend Mark Turner par exemple sur des thèmes rapides par exemple tu l’entendras avec un son bien plus gros, plus rauque qui évoquera alors plus Rollins. Mais c’est vrai qu’il y a entre nous le son d’une époque, d’influences communes, de terreau commun. On a tous plus de rock dans nos influences par exemple. Pour beaucoup d’entre nous il n’en reste pas moins que les influences traditionnelles sont néanmoins présentes. Pour revenir à Mark Turner il y a toute une période de sa vie quand il sortait de Berkelee où il sonnait comme Michael Brecker, ensuite comme Rollins, ensuite comme Warne Marsh et maintenant comme Mark Turner.
On a le sentiment à t’entendre que tes influences vont néanmoins, bien au delà du jazz. Qu’écoutes tu actuellement ?
JS : Beaucoup de classique du XX°, pas mal de rock aussi. En fait je cherche à rester à l’écoute de beaucoup de choses. Là je viens d’acheter 4 disques d’Andrew Hill. J’écoute aussi les trucs de Dave Binney.
JS : Je suis né à paris dans le 13° arrondissement. J’ai découvert la musique au lycée Claude Monnet. Il y avait là une professeur de musique extraordinaire qui s’appelle Annick Chartreux. Au premier cours, en sixième, elle nous a passé Mozart et Miles. Cela a été pour moi et malgré mon jeune âge une vraie révélation de ce qu’était la musique. Ensuite j’ai vu quelqu’un qui jouait du sax dans l’orchestre du lycée et ça m’a fait trop envie. Après, tout est une question de rencontres. Très tôt, à 19 ans je suis parti à New York. Et là je me suis senti vraiment aspiré par le haut. Le niveau musical à New York où l’on croise tout ces gens qui viennent de partout dans le monde est incroyable.
JS : Parce que, arrivé à un certain point j’avais le sentiment que pour travailler la musique à plein temps il fallait que je parte. Et puis j’avais le sentiment que c’était là bas que ça se passait. Entre temps j’avais fait la Berkelee Jazz Collège de Boston durant 2 ans avec des gens comme George Garzone, Billy Pierce et surtout Joe Viola. Ce sont des gens avec qui j’ai moins travaillé l’improvisation que tout ce qui tourne autour du « son ».
Cela ne doit pas être totalement évident de dire un jour à ses parents, quand on a 19 ans, « maintenant je pars aux États Unis apprendre la musique » ?
JS : C’est sûr que ce n’est pas passé comme une lettre à la poste. Mon père aime beaucoup la musique classique mais le jazz c’est un monde qui lui est étranger. Il ne voyait pas quelle serait l’issue financière pour moi. Bien sûr plus tard ils ont bien réagi lorsqu’ils ont vu les articles qui ont suivi mon premier album. Mais je crois que c’est surtout le jour où mon père a vu qu’il y avait un article sur moi à propos d’un de mes concerts dans le …. New York Times. Là c’était vraiment la consécration.
Comment Jordi ( de Fresh Sound New talent) t’avait il découvert ?
JS : Comme tu le sais cela fait de nombreuses années que je vis à New York. Et Jordi tourne beaucoup dans les clubs de la ville. Mais je lui avais déjà envoyé deux démos. Avant «North » il avait refusé les deux précédentes. Mais je ne voulais pas lui envoyer de disque abouti. Je ne lui ai envoyé que des démos de 4 titres dans le but qu’il accepte de produire la totalité. Il a vraiment accroché et on est parti comme ça.
Tu viens relativement peu en France et ta carrière se déroule essentiellement aux États Unis. Comment es tu accueilli là bas ? Quel est l’accueil qui y est réservé à tes albums ?
JS : Le fait que je sois français n’a pas beaucoup d’influence. Certains mentionnent quand même, à tort selon moi une french touch. Mais surtout je crois que je fais partie de ce que l’on appelle la « jeune scène New Yorkaise ». Je vis depuis si longtemps là bas que je ne fais pas vraiment partie des musiciens qui viennent, restent deux ans et s’en vont. J’y suis maintenant totalement intégré. Ma carrière est, de ce fait beaucoup plus américaine que française.
JS : Je ne crois pas. Je trouve au contraire qu’ il y a beaucoup d’échanges. A New York on apprend vraiment à faire des gigs avec tout le monde. Il y a de vrais échanges entre des jazzmen que l’on retrouvent dans le groupe de l’un ou de l’autre. Et ça je trouve que cela se passe bien plus aux US qu’en France. Il y a aussi plus de connections entre un William Parker et un Metthew Shipp qu’entre un Stéphane Belmondo et un Marc Ducret. Il y a là bas moins d’a priori me semble t-il. Et puis les musiciens vont beaucoup plus s’écouter les uns les autres. Par exemple moi même je croise dans mes concerts des musiciens très différents.
Tu es visiblement très sollicité pour des gigs. Est ce que l’on fait appel à toi pour des enregistrements en sideman ?
JS : Cela m’arrive un peu. Récemment j’ai enregistré avec un guitariste brésilien. J’ai enregistré sur le disque de Laurent Coq lorsqu’il était à New York.
JS : C’est dur et il faut arriver à se débrouiller. Il n’y a pas comme en France des structures établies pour les intermittents. Du coup tout le monde se débrouille comme il peut. En donnant des cours notamment. Mais bon on parvient tous à se débrouiller. Il y a beaucoup de solidarité entre musiciens.