DUPONT T : « Spider’s dance »
Ultrabolic 2007
JJJLe contrebassiste Hubert Dupont a une énorme envie de jouer et cela s’entend. Celui qui s’occupe de la grand-mère avec le groupe Thôt ou Kartet développe une toute autre approche de l’instrument dès lors qu’il s’exprime sous son nom. Un rôle de soliste pleinement revendiqué. Cela avait d’ailleurs donné lieu à un album solo à haut risque paru il y a deux ans (Ultraboles) et cela s’entend évidemment dans ce quartet de haut vol où la contrebasse est constamment mise en avant au profit de multiples solos ou d’une prise de son avantageuse. Un peu à la manière d’un Avishai Cohen, Hubert Dupont revendique pour l’instrument une place déterminante, voire prédominante. On n’est effectivement jamais mieux servi que pour soi même.
Et l’exercice est d’autant plus difficile que la musique proposée par ce quartet est ici particulièrement exigeante. Derrière la poésie du propos, cette musique là, superbe, se faufile sinueusement entre la polyrythmie, l’atonalité, les pattern tirés de la musique indienne ( Irid, Orientable comme de très légers prétextes) avec une approche quasi mathématique de l’harmonie, la digression improvisée et l’énergie du propos toujours. L’occasion est belle de découvrir ici, aux côtés de Hubert Dupont le nouveau talent de la scène New Yorkaise, le jeune saxophoniste Rudresh Mahanttappa régulièrement encensé par la presse américaine et dont on avait aimé les album très originaux qu’il avait signé en 2004 et 2007, Mother Tongue ou Codebook sur lequel il jouait avec la notion de language. Et à l’entendre ici on ne peut qu’être impressionnés par la force qui se dégage de son jeu, une sorte de puissance à la fois sauvage et animale (sur 1010 ou sur Irid par exemple), un son ravageur qu’il aborde à l’alto comme on soufflerait dans un ténor. Le prolongement ailleurs de la puissance de son d’un Steve Coleman. Une sensibilité faite de lyrisme puissant et donc rare. Yvan Robillard n’est pas en reste qui impressionne lui aussi par le mordant de son jeu. Quand à Chander Sardjoe lui aussi apporte à la batterie l’aisance polyrythmique de ses racines indiennes.
La difficulté pour ce groupe réside alors pour ces quatre là à trouver un vrai « son » homogène qui ne soit pas le résultat de la performance individuelle de chacun. Trouver la voie qui va de la puissance du jeu à l’expression d’un son de groupe. Parce que tous restent toujours dans la même intensité de jeu, tout se passe comme si chacun des acteurs avait un peu à cœur d’être leader de l’ensemble. Cela créée alors une belle émulation et tire tout le monde vers le haut. Il faudrait juste alors un peu de nuance en plus pour que l’émotion rare ici, s’installe enfin.
Jean-Marc Gelin
JJJJ Après avoir tissé sa toile, elle nous tient, le fil à la patte, cette araignée dont la danse enchante tout le disque du nouveau groupe du contrebassiste Hubert Dupont.
Pour le situer, il faudrait replacer ce musicien singulier au cœur de la nébuleuse de groupes dans lesquels il a su se forger une identité, de Kartet dont il est le contrebassiste depuis 1990, à Thôt où il s’électrise au contact de Stéphane Payen sans oublier Hask créé en 1993, ou encore Aka Moon.
La liste de ses collaborations en tant que sideman est impressionnante mais c’est l’aventure d’un nouveau groupe que l’on salue ici avec ce Spider’s danse, premier album de la formation Dupont T, en compagnie du pianiste Yvan Robillard, de Chandler Sardjoe, batteur de Kartet, et donc vieux complice, et du saxophoniste alto new yorkais d’origine indienne Rudresh.K. Mahanthappa. La rencontre ne pouvait être que propice à l’imagination coloriste du compositeur qui aime les polyrythmiques un peu complexes et subtiles (« Douj », « Possib », « Orientable »).
Sans se risquer à vouloir comprendre la « fabrique » de la musique, on se laisse très vite prendre au jeu, envoûté mais non paralysé par le jeu de l’araignée qui ne s’agite pas qu’au plafond. L’altiste subtil et exaltant mène la danse avec une extrême mobilité, souple et infatigable, créateur de volutes entêtantes : son phrasé s’insinue jusque dans les replis de la musique, sans jamais vouloir en finir de nous hynotiser.
Chacun prend sa place avec sensibilité, finesse, souvent lyrisme (phrasé délicat et insidieux dans « Ladies on board » d’un pianiste singulier et pluriel). Batteur et contrebassiste semblent avoir toujours le même plaisir à se retrouver et à partager. Sardjoe joue à l’envie des timbres et des rythmes qu’il alterne, superpose, redistribue. Toujours dans le registre du chant, le contrebassiste exalte sa partition, orchestrée avec des textures, des alliages inusités qui confèrent à cet ensemble un style particulier.
Un disque que l’on aime pour ce qu’il éveille dans notre imaginaire, un exotisme authentiquement raffiné.
Sophie Chambon