Josefine Cronholm (voix & percussions), Kirk Knuffke (cornet), Bent Clausen (vibraphone, batterie & percussions), Thommy Andersson (contrebasse, arrangements des cordes) + Lena Fankhauser, Marta Potulska (alto) & Melissa Coleman (violoncelle) (sauf sur les pistes 2, 4 et 6)
Finalement si l’on regarde bien, les points de convergence entre la culture japonaise et scandinave sont assez nombreux. L’art du geste essentiel, la poésie épurée et le sens de l’harmonie en sont quelques-uns.
Cet album du groupe Near the Pond nous vient de la rencontre de la formidable chanteuse suédoise Josefine Cronholm avec les écrits du grand poète japonais Saigyo ( Saigyo Hoshi 1118-1190) dont elle trouva un jour une traduction au hasard de ses flâneries chez un bouquiniste de New-York. L’idée de partager en musique cette idée de l’impermanence prit donc forme au sein des membres du groupe qui avait déjà enregistré un précédent album au titre éponyme de Near the Pond.
Le résultat nous laisse sous un charme indicible. Où la voix de Joséphine Cronholm trouve son pendant poétique dans les contre chants du trompettiste américain dont la brillance apporte non pas l’éclat mais la profondeur alors que le vibraphone de Bent Clausen se fait caressant.
Les arrangements marient subtilement des mélodies à l’apparente simplicité et des harmonies plus complexes sans que jamais ne soit renié l’énergie à dire.
Il y a dans cet album un vrai projet artistique. Une narration. Un espace pour des conteurs d’histoires et, en l’occurrence de poésie.
Maria Grand & Alexandra Grimal (saxophones ténors), Haggai Cohen Milo (contrebasse), Ziv Ravitz (batterie)
Tilly (Yvelines), 4-7 juillet 2024
Naïve / Believe
Une nouvelle aventure du pianiste, en quête de saxophone(s). Deux musiciennes au ténor, séparément, mais aussi simultanément sur deux plages. Un désir manifeste de collectif, d’interaction, de jouage, entre le trio et ces saxophonistes si différentes, et pourtant parfaitement en phase avec le pianiste. Des unissons qui lancent des histoires comme autant de voyages dont l’horizon se dévoile pas à pas, mesure pour mesure (ou mesure contre mesure ?). Il ne s’agit pas ici d’accompagner au sens musical, mais plutôt de cheminer, de suivre un sentier qui bifurque, comme dans la nouvelle de Borges, et de se perdre avec délices. La connivence entres les partenaires (au sein du trio, et avec les saxophonistes) est exceptionnelle : limpide à certains égards, et pourtant pleine de mystères tapis dans les volutes de la musique. Fascinant d’un bout à l’autre : un grand disque !
Xavier Prévost
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Yaron Herman jouera en quartette le 16 mai à Paris, festival ‘Jazz à Saint-Germain’, et le 24 à Coutances , ‘Jazz sous les Pommiers’. Puis Londres Bayreuth, Munich, Berlin…. Et le 8 juillet au festival Radio France Occitanie Montpellier, puis le 18 à Millau en Jazz
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Une émission de Jean-Marc Gélin sur Aligre FM avec Yaron Herman à propos de ce disque
Philippe Mouratoglou (guitares acoustiques, voix), Bruno Chevillon (contrebasse), Ramón López (batterie, percussions)
Vision Fugitive / l’autre distribution
Comme dans le disque «Univers-Solitude» enregistré par le même trio en 2017, la musique procède autant d’une proposition inaugurale (thèmes originaux, mais aussi reprises : Ornette Coleman, Blind Willie Johnson….) que de développements aussi ouverts que tendus, dans la liberté du dialogue, et dans la passion de la sonorité qui donne matière à la musique. Le son est ici, tout à la fois, réalité concrète et magie, corps et âme. La guitare (les différentes guitares utilisées au fil de la séance) semble donner le chant inaugural, le motif offert à la liberté de la musique, tandis que la basse et la percussion, se glissant dans le paysage, prennent la parole, et parfois le pouvoir. La musique afro-américaine (de tradition comme de développements prospectifs) irrigue aussi ce terreau où l’expressivité s’impose, sans jamais oblitérer le souci (le désir) de la forme. Un savant dosage - qui semble naturel – de jubilation assumée et d’introspection au plus intime. Remarquable et jouissif : une offrande de beauté intemporelle.
Robin Verheyen (ts, ss), Drew Gress (cb), Billy Hart (dms)
Le saxophoniste belge que l’on connait bien pour ses enregistrements en solo ou pour sa place dans la formation du pianiste américain Marc Copland enregistre pour la toute première fois avec cette rythmique de haut vol composée de deux géants du jazz. Dans cet album pianoless autour des compositions du saxophoniste ce sont ni plus ni moins que Drew Gress à la contrebasse ( que Verheyen a côtoyé au sein de la formation de Copland) et l’inusable, l’inaltérable, l’infatigables batteur Billy Hart qui, a 85 ans n’a jamais autant enregistré que ces derniers temps.
Et la formule est gagnante dans cet album qui s’apparente à un exercice de style où le lyrisme et la science de l’improvisation du saxophoniste sont à leur apogée. C’est bien plus que des phrases musicales enchaînées , c’est un flow ininterrompu de Robin Verheyen qui tourne avec une rare vélocité autour de ses idées mélodiques et harmoniques, passant du ténor au saxophone soprano avec la même envie de chercher inlassablement LA formule. Il y a chez le saxophoniste comme le geste d’un chercheur sûr de ses idées et de ses convictions et désireux d’aller au bout de lui-même dans ce qui s’apparente à un corps à corps avec son instrument.
Dans cet album tout passe par l’énergie qui d’un bout à l’autre ne faiblit pas. Une énergie qui vient du ventre et du souffle ( du saxophoniste), qui vient des doigts ( du contrebassiste) et qui vient des pieds (du batteur). Les trois ensemble forment un corps unique en mouvement. Et si l’un venait à faiblir un peu, les deux autres seraient là pour venir le stimuler, appuyer là où tout se relance.
C’est tripal et s’inscrit dans une forme d’urgence, comme l’on en rencontre dans l’art brut.
Robin Verheyen est un saxophoniste de l’incandescence maitrisée.
Franck Amsallen (piano), David Wong (contrebasse), Kush Abadey (batterie)
New York, 18 juin 2024
Continuo Jazz / UVM distribution
En dépit de son titre le disque n’est pas exclusivement consacré à la musique de Michel Legrand. On y trouve effectivement le thème du film Un été 42, et quelques autres standards, parfois rares. C’est le cas de La Chanson d’Hélène, composée par Philippe Sarde pour le film Les Choses de la vie : une version dépouillée, et d’une très belle intensité. Des chansons du répertoire de Nat King Cole (Blue Gardenia, rajeuni par un tempo vif ; Unforgettable, avec la même vivacité), mais aussi un thème de Kurt Weill. Et You Won’t Forget Me, rendu naguère inoubliable par Shirley Horn, dans un phrasé alangui, avec un contrechant de Miles Davis ; et là encore Franck Amsallem le joue avec un tempo plus marqué. Et aussi un Morning Star qui n’est pas celui chanté par King Cole mais un thème que Getz, notamment, aimait jouer. Le pianiste nous offre aussi trois de ses compositions qui coïncident magnifiquement avec la proximité de ces standards revigorés. Tout le disque respire un swing omniprésent, et une très belle qualité de jouage, d’interaction, avec le bassiste et le batteur (deux orfèvres!). Bref un grand disque de jazz, vivant, brillant et subtil.
Xavier Prévost
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Le disque sort le 14 mai. Franck Amsallem jouera en trio le 11 mai à Marseille (Le Jam), et le 17 mai à Paris au Sunside
Disons-le tout net : Adrien Brandeis, c’est une ode à la joie !
Le pianiste français que l’on avait laissé avec un quartet mexicain pour son précèdent album a définitivement un pied dans la musique sud-américaine et un autre dans le jazz. Il en résulte une approche percussive et dansante du piano où le rythme, celui qui fait groover et danser est roi.
Le jeune pianiste auréolé de nombreux prix dans le monde entier nous revient avec « Résurgence », son quatrième album en leader. Et pour ce nouvel opus, Adrien Brandeis, opte pour la géométrie variable et pour la présence, en plus d’Arnaud Dolmen à la batterie de deux percussionnistes. Son passage au Mexique l’a évidemment marqué de même que ses influences afro-cubaines, omni-présentes tout au long de « Resurgence ». Alors, on danse sur des rythmes de cha-cha, de salsa, de merengue. Et c’est sur cette base qu’il livre un album multiple, aux différentes facettes allant au swing et même au funk ( Keep on grooving). Avec une belle écriture aussi, Adrien Brante sait aussi se faire tendre et carressant comme sur L‘Instant.
Le pianiste peut en effet tout jouer avec un lyrisme brillant et souple, comme s’il caressait les notes du clavier. Avec Adrien Brandeis, la musique est un souffle.
C’est qu’il est généreux Adrien et qu’il a la sensibilité d’un pianiste au grand cœur. Et si ses dix doigts dévalent le clavier avec une aisance confondante, on a le sentiment que ses mains s’envolent pour s’ouvrir au public.
« Resurgence » est un album qui fait du bien et qui vous donne un grand bol d’oxygène gonflé à bloc de ses ondes positives. Et derrière tout cela, la confirmation d’un très grand talent du jazz.
Le Prix René URTREGER de l’ECUJE (Espace culturel et universitaire juif d’Europe) destiné aux jeunes talents français du jazz de moins de 30 ans a été attribué pour son édition 2025 au groupe de la violoniste Lisa MURCIA. Le quintet formé de Lisa Murcia (violon), Simon Lannoy (violoncelle), Matthieu Truffinet (piano), Léna Aubert (contrebasse) et Ewen Grall (batterie) sera programmé lors de la saison 2025-2026 de Jazz à l'ECUJE ainsi qu’au festival de son partenaire JAZZ DANS LES VIGNES (Vaucluse).
Le jury, composé d'Alice Leclercq, Octavie de Tournemire, Alex Dutilh, Frédéric Charbaut, Lionel Eskenazi et Olivier Hutman a rendu son verdict le 29 avril à Paris à l’issue des prestations des six formations sélectionnées : Asura, Charlotte Isenmann Quintet, l’Autour, Lurium, Plümf et Lisa Murcia.
D’après le règlement du concours, les groupes doivent être domiciliés en France, d’une moyenne d’âge inférieure à 30 ans, comprendre entre deux et six musiciens et ne pas avoir réalisé d’enregistrement ayant donné lieu à une distribution physique.
Lisa Murcia, diplômée du CRR (Conservatoire à rayonnement régional) de Paris en Jazz & Musiques improvisées et du CRR de Cergy en violon classique s’est également produit ces dernières années dans différentes formations : EHBAM (quartet de Jazz, musiques méditerranéennes, compositions), SAMAK Duo (brésil, manouche, musiques d’Europe de l’est), QUIETAMO (flamenco, musique brésilienne et manouche).
Les précédents lauréats du Prix René URTREGER -du nom du pianiste réputé- ont été en 2024, NINANDA, formation vocale et instrumentale animée par deux jeunes musiciennes Nina GAT (piano, chant) et Ananda BRANDÃO (batterie, chant) et constituée également de Maxime Boyer (guitare) et Mathieu Scala (contrebasse) et en 2023 pour sa première édition le groupe CONGE SPATIAL formé de Pierre Lapprand (saxophones et effets) et Etienne Manchon (piano, Fender Rhodes et effets).
En 2004, un quartet franco-américain se retrouve à l’AJMI à Avignon. Le guitariste Rémy Charmasson est le trait d’union entre le duo américain Drew Gress / Tom Rainey et le saxophoniste André Jaume qui fut son professeur au Conservatoire. C’est la première fois que j’entendis Rémy et je pus suivre toute l’aventure de cet album produit par l’Ajmi sur son label Ajmiseries. Compromis entre écriture et improvisation, cet album élégant qui mit très longtemps à sortir se prêtait à l’exercice de formes ouvertes, rythmiquement complexes heureusement immédiates, « organiques » comme le suggérait lors de l’enregistrement le batteur Tom Rainey.
J’avais écrit :
« Aucune règle ne détermine ce qui se produit là, si ce n’est une complicité intelligente alliée au travail le plus rigoureux. Ces quatre-là savent s’écouter, se chercher, se trouver par mini-solos interposés, échanger questions-réponses, dialoguer dans une virtuosité réjouissante, avec le goût de la mélodie au besoin déconstruite. Peut-être pourrait-on avancer que la brillance, l’extravagance sont la marque du guitariste qui ne tombe pas dans le piège attendu du lyrisme alors qu’ il en a toutes les possibilités, les compositions plus lentes, mélancoliques telles ce « Fumaccia » du fait d’un souffleur, capable d’une douceur extrême du jazz de chambre à la Giuffre. »
On se souvient évidemment de sa relecture de Jimi Hendrix dans « The Wind Cries Jimi » en 2013. Il attendit longtemps avant de créer ce quintet si personnel autour du gaucher de Seattle.
S’il ne voulait surtout pas rivaliser en riffs de guitare saturée, en distorsions déchaînées, Rémi Charmasson connaissait tout ou presque de son instrument et il en parlait bien. Il ne voulait pas trop la jouer « guitar hero » sauf sur quelques moments judicieusement choisis (on peut tout de même se faire plaisir) "Voodoo Chile " ou "Wait Until Tomorrow " qu' Hendrix considérait bizarrement comme une chanson commerciale.
Nul doute que Charmasson savait faire chanter ses guitares, il avait grandi avec Jimi Hendrix, s’était nourri de l'époque et de sa formidable richesse et il tentait alors joliment ses propres variations avec une autre instrumentation et des musiciennes (Perrine Mansuy, Laure Donnat).
Ce que j'aimais surtout c'est quand Rémi dressait le portrait de « son » Amérique rêvée, littéraire, cinéphilique et musicale, une création imaginaire qui correspondait en bien des points à notre vision d’outre-atlantique nourrie depuis le plus jeune âge des souvenirs de films, de poèmes et de couleurs d’expressionnistes abstraits ou lyriques. Puisant dans une connaissance infaillible de l’Amérique profonde, il joua souvent avec les fantômes des « Dharma Buds » sur la route, la « Highway 61 Revisited » de Dylan. Il ne pouvait qu’être sensible à la voix de Jim Harrisson, le poète du génocide indien, le fermier du Nord Michigan que nous fit connaître l’éditeur Christian Bourgois dans la traduction de Brice Matthieussent. C’est alors tout l’univers de Charmasson qui se décalquait en arrière-plan : la nature, les grands espaces, la pêche et la randonnée, la fraternité de jeu. S’il demeurait fasciné par le mythe américain, il ne perdait pas pour autant ses repères sudistes, ancré dans son terroir, comme le souligna très justement Jean-Paul Ricard. Non seulement les deux hommes se connaissaient très bien mais Charmasson avait pu rencontrer dans sa prime jeunesse, autour du foyer créatif de l’Ajmi, "ses" Américains du jazz , du saxophoniste Joe Mc Phee au clarinettiste Jimmy Giuffre.
La musique que composait Charmasson avait l’âpre beauté du « Wilderness ». Ses grandes Manœuvres ( autre Ajmiseries de 2008) l’entraînaient dans diverses configurations avec une utilisation parfaitement contrôlée d’une ou de deux guitares, la sienne toujours délicieusement rock quand il jouait par exemple avec Philippe Deschepper sculptant l’espace des sons à la manière d’un plasticien. Ses complices pouvaient être aussi bien Eric Longsworth, le violoncelliste canadien qui nous entraînait souvent sur le versant folk ou country rock ou les copains de toujours Claude Tchamitchian et Eric Echampard.
Le jazz etait abordé sans parti pris au même titre que les autres musiques fondatrices de l’américanité (folk, country, blues et rock). Sa guitare recréait les images du genre tout en les déplaçant selon une perspective autre, tout aussi marginale. Certains de ses albums pouvaient s’écouter comme la bande-son d’un voyage vers un Ouest désespérément vaste.
Le dernier album dont je me souviens fut le duo de 2019 avec le guitariste Alain Soler « Mr A.J » sur le label Durance, un hommage émouvant à André Jaume l’une des figures emblématiques du jazz d’avant-garde des années soixante- dix, original dans le meilleur sens du terme.
Ce soir je songe à l’ami André qui lui aussi doit avoir le coeur lourd.
Fabrice Moreau (batterie, compositions), Ricardo Izquierdo (saxophone ténor), Nelson Veras (guitare), Jozef Dumoulin (piano & autres claviers)
Pernes-les-Fontaines, 10-12 juillet 2024
Bram / l’autre distribution
Le titre de l’album est tiré d’un poème de Yeats (On remarque depuis quelques années que les artistes de jazz, et pas seulement les vocalistes, font souvent référence à la poésie de langue anglaise). Est-ce que cela nous dit que cet Art fait table rase des savoirs pour se livrer à la primauté des sensations ? C’est une possible clé d’écoute. Depuis le précédent disque sous son nom, en quintette (‘Double Portrait’, publié en 2019), le batteur-compositeur a perdu un partenaire de choix en la personne du contrebassiste Mátyás Szandai. Et le choix s’est imposé de continuer en quartette : le dernier thème du CD est un hommage éloquent à ce musicien disparu tragiquement. Comme toujours la musique conçue par Fabrice Moreau est d’une subtilité féconde. Pas d’effets de manche, pas d’exacerbations inutiles ; toujours la juste nuance, l’alliage souvent inattendu des timbres, le cheminement harmonique sinueux, pour rester au plus près de la sensation, mère de l’émotion. Il y a dans l’écriture des thèmes, et le choix de la dramaturgie instrumentale, dans le déroulement (écrit comme improvisé), une sorte d’alchimie insondable. Ici le mystère tend à prévaloir, et nous suivons pas à pas ces musiciens exceptionnels, en totale cohésion. Le dialogue entre les sonorités de la batterie et les autres instruments est une sorte de magie ; une magie qui réside en partie dans le choix de ces partenaires de haut vol. Grand disque de Grande Musique.
Xavier Prévost
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Le quartette jouera à Strasbourg, au ‘Fossé des Treize’, le 13 mai, dans le cadre de la saison de Jazzdor. Et aux Lilas, près de Paris, le 23 mai au Triton