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10 mars 2008 1 10 /03 /mars /2008 07:20

elling_duke_drumisawo_101b.jpg
Columbia 1956  - rééd

 A partir de 1955, Duke Ellington commence une nouvelle et dernière phase de sa carrière tout aussi foisonnante et qui illustra une fois encore combien le génie Ellingtonien s’est constamment ouvert à de nouvelles formes musicales lorsqu’il ne les créaient pas lui même. C’est ainsi que durant cette période Duke Ellington enregistra avec Mingus et Roach le célèbre « Money Jungle » ou encore le très faleux duo avec Coltrane. Mais surtout durant cette période, Duke voit dans son orchestre le retour de quelques unes de ses figures mythiques comme Johnny Hodges dans le rôle de l’enfant prodige. Les figures marquantes de l’épopée Ellingtonienne sont toujours ses solistes préférés comme ses fameux trompettistes « Cat » Anderson, Clark Terry ou Ray Nance ou encore Russell Procope éblouissant et Paul Gonsalves qui la même année qu’il participait à ce « A drum is a woman » signait son fameux chorus de Newport. Quand à la rythmique, c’est toujours la paire Sam Woodyard à la batterie associé à Jimmy Woode qui tient la baraque.

En 1956, Ellington exhume un projet qui lui tenait à cœur depuis longtemps, l’écriture d’une suite conçue comme un opéra autour de l’histoire du jazz. Cette idée d’écrire une œuvre racontant l’histoire du jazz était venue à l’origine d’une rencontre en 1941 entre Ellington et Orson Welles, ce dernier lui ayant demandé de réaliser ce travail. Le projet était alors resté dans les cartons et Ellington  petit à petit, entre deux tournées écrivait cette pièce, la testant parfois entre deux concerts avec son orchestre comme ce Congo Square qui figure comme l’un des morceaux majeurs de « A drum is a woman ».

L’histoire : A la base se trouve Joe, Carribee Joe, le primitif attaché à sa jungle et à sa batterie. Celle-ci n’est autre qu’une femme, Madame Zajj. Mais Madame Zajj veut voyager, exposer ses charmes (sa musique) dans le monde avec un « M » universel. Alors Madame Zajj (qui est rappelons le « a drum » c'est-à-dire le rythme, la pulsation dans tout ce que le terme comprend – Ellington le dit dans chaque batterie que l’on entend il y a une femme) part à la Nouvelle Orléans où elle deviendra à l’occasion du mardi gras la reine du King of the Zulus, défilant dans la rues de canal Street au bras de Buddy Bolden figure mythique s’il en est des origines du jazz. Mais Madame Zajj va voyager et triompher partout dans le monde de New York à Los Angeles, San Francisco en passant par Paris et Londres, se nourrissant des multiples influences, évoluant sans cesse vers le swing. Mais où qu’elle soit, dans la nuée des fumée qui enveloppent les clubs de la ville, toujours la mémoire de Joe reste chevillée au corps de Madame Zajj qui malgré tout ce périple et les innombrables Joe qu’elle rencontre partout dans le monde ne parvient pas à l’oublier. Et bien sûr Joen Carribe « Joe » dont le non retentit tel un appel à plusieurs moments de la pièce, n’est autre qu’une belle métaphore de cette Afrique toujours présente (Congo Square) que le jazz ne parvient à oublier. L’Afrique, comme un réminiscence prégnante et éternelle.

Dans cette œuvre, Ellington dont on entend la voix de narrateur, remet les chanteurs à l’honneur avec une chanteuse lyrique qui intervient en introduction, Ozzie Bailey admirable chanteur carribéen et surtout le rôle de Madame Zajj chanté non moins admirablement par Joya Sherrill dont l’histoire est assez belle pour être racontée. La jeune femme, alors qu’elle était étudiante etait venue un jour chanter à son collège en l’honeur de Ellington qui toma immédiatement sous le charme de sa voix syuave et l’embaucha sur le champ.

Alors tout se mêle dans la continuité de cette épopée, où la progression du discours la logique historique, celle qui aboutit à cette « catastrophe féconde » qu’est le jazz, et qui traîne avec elle la nostalgie de Carribe Joe, la nistalgie de cette Afrique dont la mémoire ne s’efface jamais du rêve de Madame Zajj. Cette Afrique toujours présente dans la pulsation primitive, cette sorte d’animalité tribale. Mais le jazz est une femme et une batterie et les solistes apportent à cette histoire autant de l’esprit jungle que de cette puissance érotique, qu’elle vienne des caresses sensuelles de Johnny Hodges (a drum is a woman part 2 ou Ballet of the flying sauce), de la danse envoûtante de Russell Procope ( New orleans) ou des jaillissements spermatique de Clark Terry (Hey Buddy Bolden ) – après tout le jazz ne serait il pas étymologiquement lié à l’orgasme !

Claude Bolling avait repris cette œuvre de Ellington malheureusement trop peu souvent jouée.Cette réédition a le mérite de nous permettre de la redécouvrir. Car il s’agit incontestablement d’un moment essentiel du génie d’Ellington.                                                                                       Jean-Marc Gelin

 

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10 mars 2008 1 10 /03 /mars /2008 07:18
recto-CD-Cordes-Sensibles-Constellation.jpg

 



Après « Invitation » voici le deuxième album de ce séduisant duo vocal constitué il y a quelques années entre Caroline Arène et Isabelle Gueldry. Entre les deux albums les deux femmes n’avaient pas disparu de la circulation mais s’étaient donné le temps de peaufiner un nouveau répertoire fait de nouvelles couleurs entre jazz et Brésil mêlé, à la recherche d’arrangements subtils où les mises en place harmoniques et rythmiques sont périlleuses. Tenez par exemple, aller s’attaquer à un Speak no Evil de Wayne Shorter ! Ou cette samba Frevo de Orfeu du genre à s’arracher les cheveux su le doublement de tempo.

Car le truc est là ! Caroline et Isabelle n’hésitent pas à prendre des risques et à se mettre en danger, refusant les « voix » d’un jazz vocal par trop formaté et souvent nombriliste. Elles, ne sont pas des chanteuses égocentriques, pas du genre à faire des filaments poético-filandreux. Pas de ça ici ! Ici seul le plaisir de chanter. Ici la seule et belle musicalité des voix qui n’ont pour d’autres buts que d’explorer un jazz vocal que visiblement elles adorent. Ici on y entend leur profond respect pour Mimi Perrin, si présente entre les lignes au travers de Feeling minor et surtout de Naïma qui renvoie inévitablement à l’inoubliable version des Double Six. Carine Bonnefoy est de l’aventure qui signe là des sublimes arrangements comme pour ce Portrait en Noir et Blanc de Jobim où elle réalise un travail d’écriture surprenant et poignant.

Les voix de Caroline Arène et Isabelle Gueldry ne sont pas celles de deux solistes. Elles se font surtout intrumentistes. Elles se font chanteuses qui s’unissent se séparent, contre chantent et mêlent leur voix si complémentaires comme deux tisserands tramant sous nos yeux des textures pastel. Des textures sur lesquelles les textes de Gill Gladstone (que l’on connaît pour en avoir signé pour Thierry Peala) apportent un surcroît de poésie. Sans pour autant jamais oublier la pulse celle qui fait le terrain de jeu des amoureux du jazz. De ceux qui savent faire swinguer les clubs de jazz (Nica ‘s dream). Certes tout n’est pas parfait et les deux chanteuses ne sont pas hyper à l’aise sur le phrasé du Brésilien  et certaines pistes auraient peut être mérité une ou deux nouvelle prise. Mais peu importe. Cet album est celui de l’enthousiasme, de l’amour du chant, de la passion de « chanter ensemble », de se situer dans l’instant du chant, dans l’écoute mutuelle et l’attention à poser sa voix en harmonie avec celle de l’autre. Nous en devenons alors les spectateurs attentifs, séduits par un paysage au charme fou. On l’a dit la réussite de cet album tient aussi en partie à la qualité de tous les arrangements. Le guitariste Serge Merlaud qui en signe quelques-uns uns, se fond, tel un caméléon dans l’univers des deux filles, y apportant autant de profondeur que de swing.  Guitariste remarquable d’intelligence du jeu et d’écoute dont le phrasé apporte non pas un supplément d’âme mais plutôt une âme en plus. Les chanteuses avec élégance, lui laisse même une plage Laps de temps où il s’exprime en trio avec autant de grâce que de sensibilité. Et puisque l’on parle de sensibilité, autant vous le dire tout de suite, les « cordes sensibles » c’est sûr ne sont plus deux, elles sont 8 !                 

Jean-Marc Gelin

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10 mars 2008 1 10 /03 /mars /2008 07:16

CAROLINE.jpg
Label Bleu 2008

 Bon, on va admettre que le principe de base est très drôle. Vous imaginez, vous rentrez chez votre disquaire favori et vous lui demandez : « je cherche Monaco, de Caroline ». Franchement M.D.R ! Et la pointe d’humour que l’on pressent se précise à l’écoute du premier morceau au titre très drôle I did acid with caroline. Le problème c’est que la suite se gâte franchement. Parce que après c’est moins drôle et même carrément ennuyeux. Pourquoi des musiciens que nous adorons absolument comme le guitariste Gilles Coronado (quel pied dans Le gros Cube d’Alban Darche) et Olivier Py cet élégant saxophoniste, pourquoi ces jeunes avec autant de talent se ruent ils dans une esthétique post-steve Colemanienne qui à la longue devient franchement mortelle d’ennui. Des compos complexes, des rythmiques impaires, des harmonies difficiles font que l’ensemble traîne en longueur. Pourtant l’association de Olivier Py et des accents rock de Coronado est prometteuse. Ces deux là semblent s’inscrire dans la filiation de Tim Berne et de Zorn mais là, malheureusement avec beaucoup moins de créativité. C’est totalement dénué de groove. Trop complexe pour parler aux tripes et véhiculer la moindre émotion. Certes les passages chantés éclairent l’album (Hey baby) et évoquent une sorte d’opéra pop que l’on aurait aimé voir totalement assumé de bout en bout. Guitare à la limite de la saturation, batteur- frappeur lourd (pas un coloriste !) et suraigus de sax en explorent les recoins avec talent. Et cette musique théâtrale pourrait créer le suspens dans le sens de l’attente de la rupture. Pourtant celui-ci ne se produit pas et la musique s’inscrit dans une linéarité plane (ne seraient les parties chantées qui malheureusement tombent comme un cheveu sur la soupe). Sur le tout dernier morceau, la conclusion dénote un peu car finalement, il faut attendre la fin pour que le mystère s’installe enfin. Et apparaisse alors comme une sorte de contre narration.                                   Jean-Marc Gelin

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10 mars 2008 1 10 /03 /mars /2008 07:13

Ambrosetti.jpg
Enja 2008

Franco Ambrosetti (tp), Uri Caine (p), Drew Gress (cb), Clarence Penn (dm)

 Il y a de la rogne et de la gouaille dans cet album là !  Visiblement le trompettiste italien en génie virtuose qu’il est, n’est certainement pas venu en studio pour faire dans l’apathique, dans le fade et le sans goût. Lorsque l’on a à ses côtés une rythmique de rêve comme celle que constitue le trio de haute volée de Uri Caine avec Drew Gress et Clarence Penn, cela n’incite pas à la mièvrerie. Du coup aucun de ces quatre grands musiciens ne veut rester en reste et aucun n’est le dernier à se jeter allègrement dans la bataille, celle du rythme, celle du son et enfin la bataille de l’énergie sans laquelle, on ne le répètera jamais assez, il ne peut pas y avoir de jazz. Quelques standards comme Doxy de Rollins ou I’ve never been in love before côtoient des thèmes signé Ambrosetti ainsi que deux magnifiques compositions du pianiste Uri Caine dont un Stiletto de feu qui fait sensation. A 66 ans, le trompettiste italien n’a jamais paru aussi en forme et en telle possession de ses moyens. Qu’il utilise la trompette bouchée ou non, Franco Ambrosetti assure, laisse éclater le brillant du cuivre et la chaleur de ses timbres gorgés de soleil. Son mordant et son sens inné du rythme, du contretemps, sa puissance et son sens du jaillissement ont évoqué pour certains commentateurs le style de Clifford Brown. Nous préférons pour notre part invoquer ici Dizzy Gillespie dont on sent bien que Ambrosetti pourrait être le continuateur. Prolongeant ainsi le jeu gai, le jeu incisif, le jeu virtuose au lyrisme acéré. Son inspiration est évidemment boppienne et il trouve sur ce terrain là de formidables camarades de jeu, un peu inattendus dans ce registre là mais qui incontestablement contribuent avec force à la gniaque terrible de cet album. Comment alors ne pas être séduits par la grande inventivité du jeu de Ambrosetti à laquelle fait écho celle de Uri Caine. Ce dernier, comme toujours n’est jamais vraiment dans l’abnégation de l’accompagnement mais surtout dans l’inventivité rare dans ses chorus qui recèlent toujours quelques pépites étonnantes. Rarement linéaires et toujours surprenants. Deux duos dans cet album. L’un, avec le pianiste (lyrical sketches) et l’autre avec le batteur Clarence Penn sur un riff africain vient conclure sur une note exotique. L’exercice est parfait, stimulant et sonne là comme une sorte de leçon de maestria, un peu comme un cours magistral (un magistral cours) pour tous les apprentis de l’instrument qui ne manqueront pas de s’esbaudir devant la prouesse technique du virtuose. Il ne manquerait pas grand chos à cet album pour en faire un très grand cru sinon peut être un jeu un peu moins fermé, un peu d’espace, un peu d’aération dans le propos dont on reprochera simplement d’être assez serré et de nous laisser sans répit. Admiratifs mais un peu épuisés. Jean-Marc Gelin

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26 février 2008 2 26 /02 /février /2008 07:33

Jazz Icons 2007


Dexter.jpg

La collection des DVD «  Jazz Icons » de l’éditeur Naxos est, disons le tout net une petite merveille. A juste titre d’ailleurs récompensée par l’Académie du Jazz qui à l’occasion de sa dernière session donnait pour la première fois un prix à un DVD. Signe des temps
…!…Récompense largement méritée si l’on en juge par la qualité du support éditorial. Pensez, pas moins de 21 pages de liner notes avec explications de texte, photos, mise en perspective, travail de journaliste allant jusqu’à interroger aujourd’hui certain des protagonistes encore vivants, crédit photographique puisant dans des images d’archives de qualité illustrant judicieusement cette mise en perspective et enfin analyse plus ou moins poussée des concerts proposés. Ces films d’archives que les éditeurs sont allés chercher (avec un grand soin dans la sélection) en club ou lors d’émission de radio ou de télévision (pour l’essentiel dans les années 60) sont, pour tout jazz fan, un outil ultra précieux. Un vrai travail de choix des images est ainsi réalisé où la sobriété le dispute au sens du détail et du respect du temps musical. Du vrai bon boulot qui ne se contente pas comme le font certains (en très grand nombre par les temps qui courent) de vider les fonds de tiroirs et de mettre sur le marché de l’image à consommer tel quel sans le moindre commentaire.

Et dans cette belle collection il est quelques petits bijoux dont on ne se lassera jamais et qui pourraient bien devenir le complément absolument indispensable de votre discothèque. Il y a celui sur John Coltrane (tapant le boeuf avec Stan Getz), celui avec Wes Montgomery. Celui sur Dexter Gordon pourrait bien être l’un de ceux là.

Lorsque Dexter Gordon enregistrait cette série de concerts donnés en clubs en Hollande, en Suisse et en Belgique entre 1963 et 1964, il était déjà européen d’adoption et vivait à l’époque au Danemark où il avait l‘habitude de se produire au célèbre Café Montmartre. A l’époque, ses multiples arrestations lui avaient coûté sa fameuse carte lui permettant de jouer dans les clubs de la Grosse Pomme et l’avaient contraint à l’exil. Dexter alors était âgé de 40 ans et se trouvait au sommet de son art, dans un état de plénitude comme on peut s’en rendre compte au travers des multiples enregistrements phonographiques de l’époque publiés sous le label Steeplechase. Ici, la preuve éclatante en est simplement apportée par l’image Les trois premiers morceaux sont issus d’une séance en Hollande enregistrée pour la télévision néerlandaise. Dexter accompagné de la rythmique type de l’époque jouait avec G. Grunz (p) et Daniel Humair ( alors tout jeune batteur). Un What new admirablement filmé domine cette partie. Chorus de Dexter absolument renversant de facilité, de sensualité. Extra terrestre. Les deux morceaux suivants furent captés à Lugano en Suisse et enfin les 3 derniers à jazz Prisma en Belgique.

Alors se succèdent ces images rapprochées de Dexter suant à grosses gouttes, Dexter au plus près de cet instant, mais Dexter s’en fout, car Dexter a quitté ce monde, Dexter s’envole avec son saxophone dans une sorte de dimension dans laquelle définitivement nous ne sommes pas. Mais qu’il nous permet, en rêve d’approcher un peu

Jean-Marc Gelin

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26 février 2008 2 26 /02 /février /2008 07:32

Marie Buscatto

Éditeur : CNRS (28 juin 2007)

Collection : SOCIO.ETHN.ANTH


buscatto.jpgMarie Buscatto est chercheur en Sciences Sociales. Elle travaille comme Maître de conférences en Sociologie à l’Université de Paris I et au sein du laboratoire de George Friedmann au CNRS. C’est donc à ce titre et comme travail de recherche qu’elle a déterminé comme sujet de son étude la place des femmes dans le jazz. Entendez par là qu’il s’agit d’un champ plutôt restreint puisque non seulement les femmes restent peu nombreuses dans le jazz d’une manière générale mais qu’en plus Marie Buscatto confine son étude aux femmes dans le jazz hexagonal. C’est dire qu’elles se comptent sur le doigt de la main.

Son angle d’attaque consiste à travailler sur ce que nous observons dans le jazz comme miroir très grossissant de ce qui se passe dans d’autres secteurs de la société. Dans le jazz (comme ailleurs)  le rôle et la place des femmes dans un univers aux codes hyper masculinisés et, lâchons le mot, très machiste est en effet limité à des représentations globalement très sexuées. Apparaissent ainsi au cours des entretiens menées par la chercheuse, des barrières « non écrites » infranchissables. Les femmes sont en majorité cantonnées au rôle de chanteuses, contraintes de jouer avant tout sur les caractéristiques de leur féminité. Le clivage entre la chanteuse et les musiciens apparaît clairement et les chanteuses font un travail qui est ainsi très dévalorisé par les instrumentistes (hommes) qui dénient souvent à ces chanteuses le qualificatif de « musicien ». La pratique du jazz vocal est encore considérée pour grand nombre d’instrumentiste comme une voie mineure du jazz qui ne demande que peu de qualités musicales. Une sorte de sous -musique de laquelle émerge des figures de chanteuses souvent dévalorisées et abordées sur d’autres caractéristiques que celle que l’on utiliserait pour qualifier des musiciens.

L’auteur n’oublie pas cependant qu’il existe des femmes instrumentistes. Elles sont peu nombreuses (même si Buscatto oublie de mentionner leur part croissante). Mais Buscatto n’oublie pas en revanche de signaler la part très secondaire qu’il leur est réservé. D’abord parce que l’intégration au réseau des musiciens passe souvent chez les femmes par une stratégie matrimoniale, la part des musiciennes vivant en couple avec un homme du même sérail musical étant très fréquente (Ce qui au passage pourrait s’appliquer à un grand nombre de milieux socioprofessionnels fermés). Si la part des femmes instrumentistes leader est très faible, celles qui sont appelées comme pour jouer en sidewoman avec un autre groupe y est exceptionnellement rare. A partir de ces deux constats Marie Buscatto semble un peu tourner autour de son sujet. Elle enchaîne des chapitres fort intéressants qui tournent autour de quelques idées fortes mais néanmoins un peu simples si elles ne dépassent la simple approche anthropologique.

Dès lors deux réserves s’imposent à la lecture de l’ouvrage. En premier lieu le fait que sur une étude portant sur un champ d’investigation aussi restreint il n’y ait pas d’approche quantitative. On serait en effet en droit d’attendre d’une étude scientifique quantifiée. Qu’elle aille au-delà de la simple approche anthropologique faite de constatation et d’entretiens avec musiciens et chanteurs pour en livrer une approche quantitative. Car dans cet espace restreint et étroit un travail statistique aurait été utile. Nous aurions ainsi aimé dénombrer les musiciennes dans le paysage, la part des chanteuses, celle des instrumentistes, leur progression, leur nombre dans les écoles, leur place dans les programmations, les enregistrements en leader ou en sidewomen.

L’autre réserve tient à la forme de l’enquête réalisée. En effet les différents intervenants ne sont pas nommés. Toutes les citations sont attribuées non nominativement (de type : «  selon une instrumentiste femme de 45 ans »). Ce qui soulève un problème réel. Non pas que l’on puisse mettre en doute l’intégrité de son travail. Mais plus parce que en refusant de nommer ses intervenants, elle a certes obtenue une parole plus libre mais apporte un bien involontaire caution d’une certaine manière à un système très fermé et dans lequel les pressions sociales existent bel et bien au point d’en être parfois insupportable. L’auteur soulève de manière très discrète la question de la discrimination positive en jazz. Cette question qui peut faire sourire mérite néanmoins d’être posée. Dans son introduction elle rappelle la pratique au États-Unis qui consiste lors des recrutements de chefs d’orchestre à les faire additionner derrière un rideau de manière à ce que les jurys ignorent le sexe du postulant. Les résultats en sont étonnants et démontrent si besoin en était le chemin qui reste à faire pour parvenir à la parité ici comme ailleurs. Pour que le jazz se féminise enfin.                                                                          Jean-Marc Gelin

 

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26 février 2008 2 26 /02 /février /2008 07:29

Cristal 2008


BOURGEYX.jpg

 
Vincent Bourgeyx est un de ces jeunes pianistes français bourré de talent qui constitue avec d’autres comme Batiste Trotignon la jeune garde de ceux qui perpétuent une certaine conception du piano jazz toute empreinte de l’école classique. Fini le dilemme Jarrett/ Meldhau, fini aussi le piano minimal. On est ici plus dans une approche dont les sources sont plutôt à situer du côté de Ravel ou Debussy avec un penchant romantique qui évoque bien sûr Chopin voire Litz (qu’il faudra bien un jour penser à réhabiliter !). Il ne s’agit pas de constructions harmoniques complexes ou de métriques compliquées mais plutôt de la mise en valeur d’un discours plus mélodique. Et il s’agit moins de ce qui est dit que de la façon de l’exprimer. Car Bourgeyx s’impose avec allégresse et légèreté, survole son clavier en le caressant, lui imprime une marque très aérienne. Belle leçon de fluidité dans le jeu. Et puis surtout il y a sur 7 morceaux, une forme assez rarement utilisée, celle du duo Piano / Batterie ici totalement convaincante. Cette forme est assez exigeante pour ne s’accommoder que de batteurs de grande classe assez habile pour imposer leur jeu et assez fine pour ne pas écraser le piano. Karl Jannuska dont nous ne cessons de dire qu’il est actuellement l’un des plus grands batteur du circuit parvient à apporter ce surcroît de frémissement, cette nervosité frissonnante qui sied si bien au jeu du pianiste. A écouter dans Beaux Dommages ou sur For KJ (vraisemblablement écrit pour lui) où comme un train lancé à toute allure il déroule un paysage rectiligne. Tout pour plaire assurément. Cependant lorsque l’on entend la belle version que Bourgeyx livre de I’ll remember april, on se plaît parfois à espérer que le jeune pianiste quitte un peu les effluves romantiques certes jolies mais que l’on voudrait parfois un peu plus matinées de blues, juste un peu pus sauvages. Il ne manque pas grand-chose à ce pianiste qui pourrait alors nous convaincre alors sans réserves.                                                                                        Jean-Marc Gelin

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19 février 2008 2 19 /02 /février /2008 07:39
simononviez.jpg

La Buissonne
/ Harmonia mundi 2008

 

 Gérard de Haro est actuellement  aux commandes d’un formidable studio d’enregistrement, La Buissonne. Il a fini par céder à la tentation de créer son propre label et sa  première livraison  « maison » en 2003, fut  un coup double : un premier solo de  Jean François Jenny Clark, capté sur le vif, au Bass festival d’Avignon 1994 et  le second solo, intitulé Vents et Marées, du pianiste Jean Sébastien Simonoviez.

Quatre ans plus tard, Gérard de Haro retrouve le pianiste pour un projet terriblement ambitieux mais parfaitement abouti : jouer des cordes, avec elles, dans toutes les combinaisons possibles. Ce sera  « Crossing life and strings » où il réunit trois des meilleurs contrebassistes de jazz actuels, Barre Philips, Riccardo del Fra et Jean Jacques Avenel, celui qui introduisit la basse électrique dans le jazz, Steve Swallow,  et pour continuer à se faire plaisir, il ajoute un quatuor à cordes Opus 33 pour exécuter certains arrangements raffinés du pianiste, auteur de nombreux thèmes. De quoi  créer des formules à géométrie variables, toutes sortes de duos autour des thèmes, comme cet « Om » co-écrit avec Riccardo del Fra, qui est ainsi revisité trois fois.

Un festival de cordes où techniques et manières diffèrent mais malgré les différences, c’est l’unité de l’album qui nous frappe, sa cohérence.

Coltrane est présent dès le superbe thème inaugural « Welcome » avec Barre Philips; le répertoire est subtilement construit, alliant à la ferveur quasi mystique de certaines mélodies,  la rêverie romanesque (« My ship » de Kurt Weil/ Gerswhin), des climats sereins, presque tendres Leo Ferré (« A une passante » ), d’autres plus méditatifs « Cavatina »

Le résultat est un album lumineux, comme le prouve cette dernière composition qui rassemble tous les musiciens du projet autour d’une suite en trois parties intitulée « Cosmos ».

 JS Simonoviez exprime une sensibilité accordée à une certaine idée de l’instrument : pas de cascades de notes, de recherche de performance, on « entend » pourtant parfaitement  sa sonorité cristalline et tendre, tranchante aussi, un phrasé si clair qu’il en est presque limpide.

Un intimisme exacerbé était la marque de l’univers du pianiste dans l’exercice du solo. En accompagnateur humble et fidèle d’autres cordes, il laisse les développements prendre leur temps, s’abandonnant à la petite « musique des sphères. » Sophie Chambon

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18 février 2008 1 18 /02 /février /2008 07:29
Peterson.jpg

Cabu Jazz - 2007

 Avec la série Cabu Jazz Masters à prix économique mais à haute densité musicale, nous poursuivons la (re)découverte de petits chefs-d’œuvre, compilés à partir de divers catalogues ;

 la dernière livraison est consacrée cette fois à quatre « fondamentaux » : Stan Getz, Count Basie (en combos), Stan Getz et enfin Oscar Peterson qui vient de nous quitter; ce qui nous permettra de lui tirer une ultime révérence. Le géant canadien s’est éteint en effet le 23 décembre dernier à l’âge de 82 ans.

Après l’édito de janvier de Jean Marc Gelin, particulièrement inspiré,  il semblait en effet opportun de s’intéresser à la sélection de Claude Carrière pour cette collection, dont la couverture sur fond jaune (colorisé par Wozniak) reproduit un dessin de Cabu dont on connaît l’attachement indéfectible au jazz classique.

Oscar Peterson débuta sa carrière en 1949 avec les tournées de «All Stars du JATP» (Jazz at the Philharmonic) organisées par Norman Granz. Ce pianiste considérable reste l’une des véritables stars du jazz dans toutes les configurations possibles : solos, duos avec guitare ou contrebasse, trios, quartets, mais aussi en big bands.

Dans un article du dernier Jazzman (février 2008 n°    ), Stéphane Carini auquel on doit le livre érudit, au titre justement poétique, « les Singularités flottantes de Wayne Shorter »,  rappelle que la critique n’a pas vraiment été tendre avec Oscar Peterson, et si le grand public ne boudait pas son plaisir, des amateurs éclairés, nombreux mais un peu trop radicaux reprochaient rien moins à ce musicien simplement talentueux une virtuosité suspecte.

Ah les querelles de chapelle…

Cet album de la série Cabu Jazz vient remettre les pendules à l’heure et nous rappeler, pour les années 1952 à 1956, toute une série d’enregistrements en trio, la formule reine : ce sont les débuts d’une entente partagée avec le formidable contrebassiste Ray Brown qui fera route commune avec le pianiste pendant quelques années. Les guitaristes de prédilection seront d’abord Barney Kessel, puis Herb Ellis qui, avec ce trio, débutera sa véritable carrière.

A l’écoute première, le Cd 1 révèle donc un trio accompli qui reprend avec aisance des standards de Basie dès le « One o clock jump » inaugural, de Gershwin («Fascinating Rhythm»,) Irving Berlin ou Harold Arlen (une version très originale de « Over The rainbow » qui décomplexe par rapport au chant éthéré de la merveilleuse Judy Garland). C’est que le tempo est toujours vif, même dans les morceaux tendres, la rythmique impeccable, le pianiste « aux gestes d’hirondelle » (ça c’est du Marmande !)

Tout y est déjà…on hésite encore… Mais, c’est le second CD intitulé sobrement Live!qui emporte tous nos suffrages, tant l’interactivité est saisissante, avec un Ray Brown ébouriffant sur toutes les prises en trio enregistré ce 8 août 1956. Le public attentif du « Stratford Shakespearian Festival » avait bien de la chance d’assister à ce concert à la virtuosité jamais démonstrative, offert avec une rayonnante bonne humeur: ça swingue comme jamais, Peterson joue à la perfection jusqu'au final déchaîné de « 52nd street »

Oui, Claude Carrière a raison d’écrire que l’on fond sur « How High The Moon ». La version de «Flamingo», débarrassée des emphases de certains chanteurs, apparaît enfin à sa juste mesure. « Swinging on a star » est ce thème familier, repris par Richard Anthony, le chanteur à tubes des années soixante. A l’époque, le jazz fournissait aux autres styles musicaux…

Quant à Oscar Peterson, il chantonne tout le temps de ce concert mémorable, sans poser à l’artiste inspiré, comme plus tard, d’autres, tout autant inspirés, mais nettement moins discrets et humbles. C’est sans effort semble t-il, et pourtant…. C’est colossal, à l’image de cette figure de légende.

Sophie Chambon

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18 février 2008 1 18 /02 /février /2008 07:28

Le Chant du Monde 2007

Antoine Hervier (p), Costel Nitescu (vl), Yves Rousseau (cb), Yoann Serra (dm), Adrien Moignard (g)

 

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Il faut s’attendre en cette année 2008  à ce que les albums en hommage à Stéphane Grappelli fassent florès dans la mesure où nous célébrons cette année les 100 ans de sa naissance et les 10 ans de sa disparition (1908-1998). C’est le violoniste roumain Costel Nicescu qui ouvre ce bal swing de bien belle façon avec un album qui balance entre compositions originales, mélodies à la manière de Grappelli (Remembering Stéphane, It’s allright with me) et standards de jazz (Nightingale song in Berkeley square ou Nature Boy).

Pas forcément très connu de ce côté-ci de l’Europe où il réside depuis plus de 10 ans, Costel Nicescu est un violoniste qui a évolué en Roumanie auprès des plus grands musiciens de son pays notamment comme premier violon au sein de l’orchestre de Radio de Bucarest ce qui, avouons-le n’est pas rien dans un pays où l’on apprend aux enfants à jouer de  cet instrument en même temps qu’à se servir d’un hochet. Et ce qu’il y a de remarquable chez celui qui tint l’archet dans le groupe de jazz manouche de Tavolo Schmitt ou de Marcel Loeffer c’est qu’il réalise véritablement cette synthèse entre le swing d’inspiration manouche et le lyrisme tsigane dont il ne se départit jamais (pourquoi le ferait il d’ailleurs ?) et qui pointe toujours derrière l’envolée d’une phrase ou dans l’ultime conclusion d’une coda (écoutez la belle ballad for Lleana).  Sur les traces de Grappelli bien sûr ce son si chaleureux et porteur d’émotion, cet art de l’improvisation à la fois virtuose mais jamais dans la précipitation (ce qui est rare chez les violonistes manouches qui tendent souvent à se vautrer dans l’avalanche des triples croches). Sur les traces de Grappelli cette volonté de faire swinguer en diable le moindre bout de phrase sans jamais trop en faire. Prolongement d’un sentiment au bout des doigts agiles. Mais plus que tout il y a le trésor partagé avec le maître Grappelli, cette passion des belles mélodies presque chantantes pour lesquelles chez l’un comme chez l’autre l’on sent effleurer à vif, à fleur de peau en somme, une réelle tendresse.                                               

Jean-marc Gelin

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