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29 mai 2008 4 29 /05 /mai /2008 07:34

Refined Records 2008

 


Ah le manouche ! La Musique manouche est à l’honneur au sein de ce trio méconnu de jeunes musiciens. Autour du guitariste leader et soliste originaire de Mallorca Biel Ballester, ce groupe de fidèles amoureux de la bohème rassemble des musiciens d’origines espagnoles avec Graci Pedro à la guitare « pompe » ainsi que Leandro Hipaucha à la contrebasse. Nous avons aussi le plaisir d’y entendre sur quelques morceaux le percussionniste Carlos Romo au cajon. Ce malicieux voyage au pays tzigane nous est offert sous forme de menu de bistro populaire, avec dans l’ordre « Aperitivos », « Platos Principales » et « Postres ». Alléché par ce mélange de saveurs gitanes ibériques, la dégustation commence par surprise avec l’évocation d’un certain exotisme brésilien désireux de rendre hommage à la féminité, en témoigne son titre « Ah les femmes ». De quoi entamer un repas prometteur en rebondissements ! Compositions après compositions du soliste, la route de l’auditeur croise ces incontournables standards que sont « Love For Sale », « Conception » ou bien « All Blues », avec des arrangements aussi saugrenus qu’originaux. A noter aussi une composition intitulée « Fiso Place » écrite par Bireli Lagrène, ainsi que la transcription de trois improvisations solos du non moins célèbre Django Reinhardt. C’est à travers tous ces vestiges du Jazz du siècle passé que le jeu incisif de Biel Ballester séduit les oreilles par ses envolées virevoltantes. Ne manquant jamais de toupet, ce trio de joyeux farceurs nous entraine jusqu’à leur céder notre sympathie pour le régal de les entendre. Avec cette habitude d’enregistrer des versions relativement courtes de chaque morceau, comme pour rappeler que cette tradition vient du format radiophonique que Django et ses contemporains eut si bien maitrisé. Justement, c’est dans cette urgence que le lyrisme de ce style musical est à trois cent pour cent. Dans le temps qui lui est imparti, l’authenticité de la Musique manouche prend sa valeur dans la démesure, dans l’amour invincible, indémodable et inoxydable des campagnes, des guinguettes, de la liberté qu’offrait l’ancien temps et qui demeure naturellement dans un coin du cœur. Avec un tel disque resurgissent les nostalgiques et infinis besoins de tendresse.
Tristan Loriaut

 

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24 mai 2008 6 24 /05 /mai /2008 09:53

Comme tous les ans c’est à un grand pianiste que revient l’honneur de clôturer lors d’un concert en solo à L’Église de Saint Germain des Près, le Festival Esprit jazz. Après Jacky Terrasson, Brad Meldhau ou encore Martial Solal, c’était cette année au jeune prodige, Yaron Herman de mettre un terme à cette superbe édition lors d’une soirée qui restera imprimée au plus profond des mémoires. Tel un cavalier chevauchant son piano et faisant corps littéralement avec lui, Yaron Herman fit hier soir un concert bouleversant. Sa version de Sumertime, du Hallelhuya  de Cohen/Buckley du Libera me de Fauré  ou encore du Yerushalaim qui prenait dans ce lieu une résonance profonde, resteront gravé au cœur des pierres de cette église comme des moments bouleversant d’intensité et d’émotion. Entraîné par les digressions de Yaron, perdu par ses introductions captivantes et par l’imaginaire de son jeu, le public s‘est laissé embarqué dans le monde de cet immense pianiste lors de ce concert en tous points exceptionnel.

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22 mai 2008 4 22 /05 /mai /2008 22:55

Rééd. 1965 – Blue Note 2008
 

Curieusement dans son livre référence, Stéphane Carini ne mentionne pas cette session dans sa discographie sélective de Wayne Shorter (1). Il est vrai qu’entre 64 et 65 ces sessions se sont succédées chez Blue Note à une période où Wayne Shorter, alors engagé dans le fameux quintet de Miles, fait un break de courte durée entre l’enregistrement de « ESP » et le « Live at The Plugged Nickel ». Parmi ces 8 enregistrements chez Blue note entre 64 et 65 (dont les fameux Juju, Speak no Evil, The All Seeing eyes ou encore Adam’s apple), the Soothsayer est rarement mentionné. Outre la qualité évidente de l’album c’est pourtant la première fois que Tony Williams, lui aussi membre du quintet, se joint à la formation. Et il est assez intéressant d’entendre le jeune batteur de génie aux côtés de Mc Coy Tyner qui de son côté jouait avec Elvin dans la quartet de Coltrane. Et réciproquement….

Ces sessions dans la pure tradition hard bop témoignaient alors du besoin de Shorter de graver son propre matériau et d’exister sous son propre nom. Une sorte de pause par rapport à sa collaboration avec Miles. Mais si, du coup, ces sessions en 1965 peuvent paraître déjà décalées par rapport à la nouvelle musique alors en vigueur chez Miles et Coltrane ce serait portant avoir l’oreille un peu limitée que de ne pas voir dans ce travail là ce qui va poindre par la suite. Entre le hard bop et le free radical, Wayne Shorter va en effet livrer l’issue salutaire qui débloquera le jazz pendant de longues années à venir. Et indubitablement, ce travail est déjà en gestation dans les compositions de Shorter. Ces sessions qui feraient pâlir d’envie n’importe quel producteur, conservent aujourd’hui l’incroyable fraîcheur de ces maîtres du hard bop totalement engagés dans la musique de Shorter. James Spaulding qui le double au ténor est ici en compagnie de Freddie Hubbard, tous deux en très grande forme. La mayonnaise prend dans ce quintet de luxe hélas éphémère où chaque composition se révèle pour ce qu’elle est, un bijou (même si parfois, quelque soit le regard exigeant de A. Lion et de Rudy Van Gelder on note quelques morceaux qui n’auraient pas forcément mérité d’être gravés). On notera pourtant l’intensité du bien nommé The Soothsayer ou encore cette Valse Triste qui avait inspiré auparavant Shorter dans l’écriture de Dance on Cadaverous dans le « Speak no Evil ». Ne pas penser que ces sessions ont été écrites et jouées à la chaîne dans un esprit très commercial par des pros rompus à l’exercice. Y voir au contraire la marque de cette esthétique qui, finalement n’est jamais si complaisante et qui porte en elle la trace indispensable de ces moments héroïque que ces génies, stakhanovistes jubilatoires, ont gravés et sans laquelle le jazz assurément ne se serait pas écrit de la même manière.                         Jean-Marc Gelin

 

(1) « Les singularités flottantes de Wayne Shorter » – Stéphane Carini – 2005 . Ed. « Rouge profond 
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22 mai 2008 4 22 /05 /mai /2008 22:48

 Olivier Robin / Sébastien Jarrousse Quintet : « Dream time »

Aphrodite Record 2008.



 

Globalement on prend les mêmes et on refait (presque) la même chose avec (presque) le même bonheur. Alors que « Tribulation », le précédent album de ce formidable quintet est encore tout chaud sur nos platines, Aphrodite Record nous propose une suite heureuse avec ce « Dream time » qui sort aujourd’hui.  A l’entame de l’album on est immédiatement séduit par la cohérence et l’énergie de ce groupe qui porte la marque des grandes formations. Celles dans laquelle chacun trouve sa place en fusion avec tous les autres. Pourtant, dès le premier morceau installé, la séduction de ce quintet opère moins. On attend des compositions qu’elles nous embarquent, qu’elles sortent du format, on attend le jaillissement pas sage, le grain de folie, l’audace qui n’arrive pas. Ce que nous ne remarquions pas dans le premier album se révèle plus ici et l’on croit avoir affaire à ces grosses écuries américaines qui alignent les pointures aux thèmes post coltraniens et aux compositions riches mais dans lesquelles le plaisir de jouer semble se perdre un peu.

Et pourtant cela vient ! Car dès le 4éme morceau (Le Pèlerin de Cadaquès), il se passe quelque chose. Les interventions de Olivier Bogé se font lumineuses. Le garçon réédite d’ailleurs sur Dream Time. Emil Spanyi, le véritable ressors de cet album prend sa part sur Calame. Emil Spanyi, ce véritable prodige du piano jazz qui semble toujours s’amuser avec son clavier, ne pas prendre les choses trop gravement et qui vous balance un swing terrible avec un sens inné du blues, une sorte de Mc Coy Tyner absolument irrésistible. Puis la rythmique sous ses appels se met en branle et Jarrousse hisse son jeu au plus haut dans la mouvance des plus grands. Lorsque l’on entend Jarrousse sur Widow’s bar on sait qu’il a beaucoup écouté Coltrane, Michael Brecker ou Lovano. Dans cette mouvance exactement. On sait aussi combien Robin et Botta maîtrisent aussi leurs classiques. En fin d’album quelques thèmes plus hard bop comme Duel (on croit entendre un public applaudir ?) donne à cette belle formation le moyen de sortir de ses gonds et de se dépenailler un peu, de sortir la chemise du pantalon, de se mettre en peu en vrac histoire de remettre les choses à leur place. Puis tout se termine avec des volutes plus shorteriennes, ultime apaisement comme un murmure, histoire de finir le coup en douceur.

Jean-Jacques Grabowski, le patron du label a bien raison de nous alerter sur son groupe fétiche : d’album en album le quintet Jarrousse-Bogé-Spanyi-Robin-Botta s’impose sur la scène du jazz comme une référence, comme une valeur sûre. Une sorte de Dream team !  De la trempe de ces groupes rares qui existent collectivement et font vivre au jazz français de bien belles heures. Il serait bon que les oreilles de nos académiciens se penchent un peu sur leur berceau. Car ces garçons là sont porteurs d’une très bonne nouvelle : qu’on se le dise le jazz vit encore !  Jean-marc Gelin

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20 mai 2008 2 20 /05 /mai /2008 07:09

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envoyé par jmgelin
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19 mai 2008 1 19 /05 /mai /2008 08:18

   "je souffre lorsque quelqu’un ne comprend pas ma musique"






 





Martial Solal me reçoit chez lui, à  Chatou, en plein été 2003. La maison achetée il y a vingt ans, se dresse au fond d'un jardin ombragé. Le pianiste sait se servir de ses mains. Il l'a retapé lui-même. Il me met immédiatement à l'aise avec une pointe d'humour : 'j'avoue avoir pris quelques coups de marteau". L'humour est un des grandes portes d'entrée de l'univers Solal.


DNJ : Certaines voix se sont levées pour qualifier votre musique de fermée. Votre réaction ?

Martial Solal : C’est bien le problème. On ne rentre pas dans ma musique aussi facilement. Écouter ma musique demande du temps : cela s'apprend. Une seule écoute ne suffit pas pour une oeuvre. Beaucoup d'auditeurs passent à  côté. J'ai toujours refusé la manifestation gratuitement ostensible du feeling. Je camoufle ma pudeur derrière l'intelligence du jeu et le refus de la banalité. Quand la sensualité d'une musique se montre avec trop d'évidence au premier degré, elle perd très vite de son charme. Je souffre lorsque quelqu'un ne comprend pas ma musique. C'est une souffrance à gérer. Ceci dit, je fais tout pour que le public rentre dans ma musique. Je ne recherche pas la complication, et je peux vous assurer que les classiques qui m'Écoutent ne trouvent aucune sophistication dans mes morceaux! J'ai un penchant pour l'histoire du jazz. Je la parcoure de A à Z... et de Z à A! J'adore le Dixieland. J'adore Fats Waller. J'ai joué avec Bill Coleman et Michel Attenoux. Chaque fois que je l'ai pu, je suis allé Écouter Duke Ellington. La première fois, c'était en 1963 au Hickory House, un club de New-York. J'y ai joué par la suite, et Teddy Wilson est venu discuter à plusieurs reprises. Personne n'a d'arguments pour reprocher  à ma musique de manquer de fondations! Il est vrai que le jazz a tellement Évolué que beaucoup de gens les ont perdu les fondations de vue.

DNJ : Que disent les Américains de votre musique ?


Martial Solal : dès ma première venue à New York, ils se sont demandés comment il se faisait qu'un Européen joue à ce point comme un Américain. Ce n'était pas le commentaire que j'espérais à vrai dire. Je jouais déjà dans mon style. Je n'ai pas voulu honorer tous les contrats qui se présentaient à Chicago ou dans les autres États. Mon fils était resté en France; il me manquait trop. Et tout bien considéré, je n'étais pas entiché de leur façon de vivre. On peut évoluer loin des USA... J'y suis retourné ces dernières années, au Lincoln Center notamment. Les critiques ont évolué. Ils saluent maintenant le côté exotique de ma musique. Celui du Times a insisté sur : "un niveau dont les meilleurs pianistes américains ne peuvent même pas rêver aujourd'hui".


DNJ : Que retenez-vous des USA ?


Martial Solal : J'ai apprécié le public du jazz. Ils connaissaient tous les standards. Ils prenaient beaucoup de plaisir aux concerts. Les salles étaient remplies d'habitués. Mais aujourd'hui c'est pareil en Europe. Si j'avais un conseil à donner : ici les Étudiants en jazz devraient travailler davantage leurs standards.

DNJ : Quel est votre format préféré ?


Martial Solal : Le trio, c'est le plus facile. Surtout avec les Moutin... Le duo est contraignant. Le solo, comme sur Solitude, est très physique. Le soliste se retrouve exactement dans la solitude du coureur de fond.


DNJ : Quelle est la particularité de votre musique quand elle est interprétée par un big band ?

Martial Solal : L'improvisation. Les parties écrites sont importantes, certes, mais si le morceau change complètement, c'est à cause des parties improvisées. Il n'y a pas de véritable règle, cependant.

DNJ : Comment enregistrez-vous ?

 
Martial Solal : Très vite. Je me souviens du duo avec le trompettiste Dave Douglas. On a mis les morceaux en boîte en une après-midi à peine. Quand je vois les reportages sur les groupes de rock qui annoncent avec fracas qu'ils s'enferment un mois en studio, et dont le résultat est beaucoup moins élaboré que ma musique, je trouve la démarche malhonnête. C'est tout juste s’ils changent quelques notes par rapport à leur précédent disque... Douglas et moi avons décidé au préalable de la répartition des compositions (trois chacun), on joue et on s'en va. La seule association avec lui m'a stimulé. Le duo fait partie d'un contrat de trois disques avec CamJazz. (Voir chronique du dernier - Longitude - plus haut).


DNJ : Lee Konitz vous a reproché de ne pas suivre sa musique dans les duos ?

Martial Solal : Oui, je sais. Il s'agit d'une interprétation hâtive de son propos. Lui joue au fond du temps. Cela comporte le risque de ralentir le tempo. Nous ne prenons pas le tempo au même moment. C'est une question de dixième de seconde. A sa grande époque du Cool, il jouait plus technique. Le débat ne l'empêche pas de m'appeler le "Tatum moderne". Chaque fois qu'il joue à Paris, il vient dîner dans le salon où vous êtes assis. Nous avons le même âge et la même histoire. C'est un mélodiste inouï¯. Chacun de ses morceaux est une chanson.
 
DNJ : Quel pianiste français vous séduit le plus ?


Martial Solal : Jean-Michel Pilc.


DNJ : Ah oui ? Et il est encore jeune


Martial Solal : N'exagérons rien... il n'a pas 18 ans ! Toutefois il détient un univers qui ne ressemble pas aux autres.


DNJ : Les titres de vos morceaux sont souvent des jeux de mots. C'est un dada?

Martial Solal : Ah oui, j'adore les chercher. Parce que pour les trouver, il faut vraiment les chercher. Je vois souvent des jeux de mots composés uniquement d'une association sonore. C'est insuffisant. Il faut deux sens à l'énoncé, sans tomber dans la facilité. Exemple sur un de mes titres : "l'Allée Thiers et le Poteau laid". Un autre exemple? Je suis allé voir un soir le spectacle de Francis Blanche. Il parlait de l'École. Il a conclu : "Pour que l'École dure, amis, donnez ! " Fabuleux, non ?

DNJ Quelle est votre définition de l'humour ?


MS Le fait de ne pas se prendre au sérieux. C'est tellement humain de se prendre en dérision. Je suis timide, mais quand il s'agit d'en sortir une drôle, je me mets toujours en avant. J'ai toujours envie de dire des bêtises. En famille, je fais le clown. Ma mère disait : "tu fais l'intéressant"! J'ai un faible pour le couple Pierre Dac/Francis Blanche, et pour les Marx Brothers. J'ai lu l'intégrale de San Antonio. Tous les 5 livres, je lis un San-A. Quelle maîtrise du style! Frédéric Dard rédige une phrase splendide, puis la tord immédiatement. Imaginez mon goût à le lire! De surcroît, ses intrigues sont toujours intéressantes. J'aime l'humour décalé, qui tord le cou à la réalité. Vian venait souvent à Saint-Germain -des Prés. Pas vraiment le type triste. Il ne pouvait pas s'exprimer sans faire de calembour. Je déteste l'humour qui critique les autres.


DNJ : Quelles sont pour vous les autres qualités importantes ?


Martial Solal : A vrai dire, l'humour représente davantage qu'une qualité. Cela fait partie de la vie. La gravité me paraît importante, dans la musique notamment. Je n'aime guère le mélange des genres, mais gravité et humour peuvent se côtoyer en alternance dans un même morceau.

DNJ : Que pensez-vous des critiques de jazz?


Martial Solal : Voici le cliché que je lis le plus souvent : "Solal ne joue pas ce que l'on attend". Avec la répétition, le propos perd un peu de sa saveur. Je joue certes sur la surprise, mais je découvrirais avec joie d'autres appréciations.


DNJ :  On dit que vous travaillez l'instrument du matin au soir. Est-ce le cas ?

Martial Solal : Oui, le travail permet d'acquérir son contrôle total. Pour improviser, il faut penser vite et posséder la technique. Alors dans ce cas, la création est vraiment instantanÉe.

DNJ : Merci Martial pour les propos. J'aimerais que vous me dédicaciez ce vinyle, "Jazz à Gaveau", enregistré en 1962 avec Daniel Humair et Guy Pedersen. C'est mon préféré.

Martial Solal : Bien sûr. C'est ce qu'il y aura eu de moins fatiguant à faire aujourd'hui. Bruno, cela s'Écrit bien B-R-U-N-E-A-U ?

 

DNJ Oui, Martial

Propos recueillis par « Bruneau » Pfeiffer

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18 mai 2008 7 18 /05 /mai /2008 20:51

In Circum girum/ socadisc

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                           vu par Sophie Chambon JJJ  vs Jérôme GransacJJ

 

Par Sophie Chambon : JJJ

On connaît depuis longtemps la précision du batteur percussionniste François Merville, avec les albums de Louis Sclavis (en particulier dans L’affrontement des prétendants de 99). A la tête d’une nouvelle formation, un quartet très électrique, Merville rend  hommage à l’univers décalé et joyeux d’Hermeto Pascoal, poly instrumentiste fou, vraiment inclassable, Brésilien attaché aux folklores de son pays qui introduisit dans des mélodies superbes tous les ingrédients de l’époque : fusion, free, avec indéniablement ce sens du rythme et des couleurs propres à la musique sud américaine. François Merville s’appuie sur des succès de ce maître du Nordeste, qu’il réarrange de façon inventive tout en  fournissant de nouveaux titres. Le groupe de François Merville donne une impression de liberté créatrice parfois un peu troublante dans certaines digressions. Mais incontestablement, cet univers musical foisonnant, a sa cohérence : sons et timbres, effets électroniques,  rock et  musiques improvisées se mélangent en un patchwork coloré, hybride vigoureux et ludique. La guitare « post moderne »  de Gilles Coronado et les saxophones de Christophe Monniot mènent la danse dans cette déconstruction foisonnante, actuelle, alors que le bassiste Le Moullec impulse des accents très rock (« O silencio è de ouro »).  Monniot assume parfaitement l’art subtil de la transition au sein d’un même titre : suave et fondant au baryton, il sait aussi enchaîner dans la plus belle tradition du swing, puis nous prendre à contre oreille en sortant ces drôles de sons un peu bizarres, ces couinements  dans Bebê ou Crianzas. Il est enfin formidablement festif  sur le délicieux  Chorinho pra ele que nous avons tous en mémoire (sans savoir même que c’est du Pascoal). L’album s’achève sur  Nem um talvez qui avait séduit ce diable de Miles  sur son Live Evil,  fidèle à l’esprit original, dans son calme inquiétant. Tout en se frayant un chemin  au cœur de tous les possibles, ô Mago Ermeto entraîne au cœur d’une jungle bruitiste, très expressive pour les Européens raisonnables que nous sommes. Et il faut remercier le label indé In Circum Girum de se prêter à cette nouvelle aventure.

Par Jérôme Gransac : JJ

Comme beaucoup de musiciens, le batteur François Merville rend hommage au multi-instrumentiste brésilien Hermeto Pascoal. Celui qu'on appelle « le sorcier », « le magicien » ou « le champion » aura influencé, et influence encore des générations de musiciens. Adepte pratiquant des musiques polyrythmiques complexes mais transcendantes, ce musicien génial est finalement assez méconnu du grand public européen (en tout cas pas assez au regard de sa valeur réelle). Sa musique défie toute tentative de catégorisation et mérite d'être étudiée dans toutes les écoles de musiques. Il était donc logique que le batteur et percussionniste François Merville s'intéresse à l'artiste et son oeuvre; ce qui se concrétise par ce CD paru chez Circum Girum. Il est constitué de quatorze pièces dont cinq composées par Merville; les autres sont de Pascoal et presque toutes réarrangées par Merville. Elles sont soit très courtes (de 20 secondes à deux minutes) soit de durée habituelle (deux titres font plus de 8 minutes) pour une durée globale d'une cinquantaine de minutes. Tout de suite, on remarque que les pièces de durée « normale » sont très écrites, leur arrangement est européanisé et leur structure offre aux musiciens de larges places d'improvisations. Les pièces courtes sont plus expérimentales et atmosphériques, moins écrites et plus contemporaines dans leur style. Composées par Merville, elles servent d'intermèdes entre les pièces plus longues. Pour être clair, la musique de Pascoal est excellente et très bien jouée dans ce contexte. Mais on est dubitatif quant à l'aboutissement de ce projet. De part sa structure (alternance de pièces courtes et longues), la musique de ce cd s'apparente à une suite mais n'en a ni la consonance ni le recul nécessaire. En fait, l'enchaînement des pièces se fait sans réelle texture identifiable et sans fil conducteur évident. Par ailleurs, un gros travail de post-production a été réalisé; il a peut-être contribué à dénaturer la musique. Merville s'est entouré de Gilles Coronado, toujours créatif à la guitare électrique, et Christophe Monniot aux saxs, qui se révèle plus sage que d'habitude dans son expression. Ajouté à cela, l'utilisation légère mais habile de l'électro confère à la musique un regard résolument moderne. Or on distingue deux atmosphères. Dans la première moitié du CD, la musique est entraînante. On se repasse même des passages en boucle car l'instrumentation est solide et joyeuse. Sorti de son contexte, un morceau comme Era Pra Ser e Não Foi  est purement sublime. Côté instrumental, les sonorités des instruments acoustiques, électriques et électro s'harmonisent bien et les musiciens sont inspirés. Mais dans la deuxième moitié du cd, des sonorités empruntés aux années 70 (on pense à Magma) et des envolées bruitistes noircissent le tableau et ne sont pas bienvenues à l'oreille. Sur  O Silencio è de Ouro » ou  Chorinho pra Ele, on se demande par quel cheminement elles sont arrivées là et pourquoi. Enfin, on ressent même un essoufflement de la part des musiciens en deuxième partie de CD. Cette chronique n'est qu'un avis et il est certain que d'autres oreilles et d'autres sensibilités seront touchées, voire plus, par cette relecture de la musique de Pascoal.

 

 

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17 mai 2008 6 17 /05 /mai /2008 22:47

Mosaic 2008


 

Assurément, Quincy Jones, qui vient de fêter ses 75 ans est l’incarnation même d’une certaine esthétique du jazz de la fin des années 50 et 60. Musicien à la base (trompettiste), Quincy Jones s’est surtout illustré comme l’un des grands chefs d’orchestre de cette période. Il est vrai qu’à l’instar de Basie, pour qui Jones a d’ailleurs écrit, notre homme a su regrouper autour de lui, la fine fleur du jazz américain et citer tous ceux, immenses, qui se sont croisés dans ses formations relèverait du « name dropping » : Phil Woods bien sûr, Art Farmer, Zoots Sims, Curtis Fuller, Benny Golson, Freddie Hubbard, Art Blakey et j’en passe et des tout aussi bons. Tous sont passés à un moment ou un autre dans l’orchestre de Quincy avec le même état d’esprit : même pêche des sections de cuivres, mêmes solistes furieux, même sens du swing et du bon vieux blues. Les enregistrements proposés ici partent des premiers passages en studio (si l’on omet quelques autres enregistrements mineurs en 1953 et 55) réalisés en 1956 et publiés sous le titre « How I feel Jazz ». Suivent ensuite les sessions Mercury enregistrées dans les années 59/61 (« The birth of a band », « the great wide of Quincy Jones » ) avant que Quincy ne passe un court instant chez Impulse, pour y graver le mythique «  The Quintessence ». Enfin cet ensemble de 7 CD se termine par deux enregistrements en « live » pris à Zurich en mars 61 et Newport en novembre de la même année. Au total près de 6 heures de jazz en grand orchestre dans la pure tradition du swing … un petit joyau de sensualité dans un écrin de velours. Perso’ j’ai une affection toute particulière pour tous les trompettistes qui se sont succédés et plus particulièrement pour le grain de folie de Joe Newman, l’homme de Basie mais surtout ici l’homme du jaillissement impossible. Mais à quoi bon vous parler d’un soliste lorsque tous se hissent à un tel niveau d’excellence ! Car on ne boude jamais notre plaisir à l’écoute de cette mécanique si bien huilée qui trace tout au long de ces standards du jazz de ces années là une route impeccable et toujours superbe. La quintessence du jazz en quelque sorte !                  Jean-Marc Gelin

 

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17 mai 2008 6 17 /05 /mai /2008 20:30

Yolk 2008

 



Attention : objet musical non identifié. Pour s’y retrouver, il y a ce que dit la musique et ce que l’on entend. Ce que l’on entend : une clarinette et une voix de femme qui se cherchent en duo, s’enlacent et se mêlent dans un dialogue fait de petites pièces dont on ne comprend pas toujours le sens mais dont la trame reste toujours d’une extrême simplicité. Dans ce dispositif minimaliste, le magnifique son de clarinette de Mathieu Donarier sert d’écrin à  la voix de Pioline Renou, tantôt lui donne le tempo par de petites pulsations régulières, tantôt la suit vers l’aigu et accompagne ses épanchements, comme son ombre portée. Une grande part de l’étrangeté de la chose - certains diront de la magie, d’autres du malaise -, tient à  l’omniprésence de cette voix qui évoque par moment celle de Camille. Par ses gémissements, grincements, susurrements, feulements ou petits cris plaintifs, elle fascine et agace tout à  la fois. L’extrême fin du disque fait même durer le mystère: si l’on s’avance comme nous par mégarde dans la dernière plage de l’album (Au refuge, censée ne durer qu’1.35 selon les indications de la pochette), l’on peut entendre aux alentours de la 4ème minute, médusé, une improvisation de Poline Renou, à  mi-chemin entre le chant chamanique, les vagissements d’un bébé et la restitution sonore d’un accouchement. L’exercice est sidérant et dérangeant, à  l’image de l’album dans son ensemble. Car si l’on ne peut qu’être impressionné par la beauté de certains climats (les réminiscences d’Afrique d’Hampe Bac, Neige, Parti en mer), d’autres moments laissent plus froid jusqu’à  ennuyer parfois. Comme si l’on ne disposait pas des clés qui permettent d’entrer dans l’intimité de ce dialogue, d’en comprendre la signification. Car ce que dit la musique est complexe à saisir, l’émotion et l’agacement qu’elle provoque difficiles à  décrypter. De quelle expérience veut rendre compte ce récit qui se refuse aux mots ? Aucune parole n’est prononcée tout au long de l’album, à  l’exception d’un poème écrit par Mathieu Donarier, dans un morceau qui n’est pas et de loin le meilleur de l’album. Les signes Écrits ou dessinés abondent pourtant sur la pochette, magnifique : petits dessins minimalistes de Mathieu Donarier, fragments de textes que la musique pourrait illustrer. Il est question d’Afrique (Hampate Ba), de Garcia Lorca (Cinematograf) des films de Toni Gatlif et d’une fête tzigane triste (Cinematograf), d’esclavage (Yoruba), de survie (Yoruba), de voyages (Au refuge) et de marins (Parti en mer). Ce pourrait être la musique d’un film de désert et de côtes ou la bande son d’un Corto Maltese d’Hugo Pratt. Les liner notes signalent que les écrits de l’écrivain voyageur Nicolas Bouvier ont accompagné les musiciens tous au long de la création de l’album. Ce qui confirme ce statut de musique pour voyages imaginaires. Trois au moins de ces cartes postales sont magnifiques : l’introduction poignante de Cinematograf, où le chant tzigane presque Klezmer de la clarinette s’étrangle dans les yous yous de la voix ; le souffle et les claquements de Hampate Ba ; la comptine angoissée qui s’éteint peu à  peu de Hopscoch. Le reste intrigue toujours, séduit parfois mais laisse, on l'aura compris, perplexe aussi.             
Loïc Blondiaux

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17 mai 2008 6 17 /05 /mai /2008 20:28

Vents d’est 2008

 




Les duos de saxophone et de Piano sont toujours des moments exquis pour peu qu’il y ait une réelle entente entre les deux protagonistes. Condition sine qua non sinon fiasco assuré. On se souvient de quelques grands moments comme le duo de Stan Getz et Kenny Barron (pour moi un des sommets du genre) ou plus récemment celui de Joe Lovano et de Hank Jones et tant d’autres. Pas plus tard que l’autre jour nous entendions Jean-Marie Machado faire de la dentelle avec Dave Liebmann. Et il est vrai que ce genre de rencontre se situe toujours sur le terrain de l’exigence tant l’exercice est difficile. Exigence d’écoute, exigence d’inspiration et maîtrise de l’improvisation. Surtout numéro d’équilibriste. Prendre sa place et laisser la sienne à son partenaire. Il faut être un grand musicien pour parvenir à un tel subtil dosage. La rencontre entre le saxophoniste Daniel Erdmann et le pianiste Francis le Bras ne déroge pas à la règle. Comme toujours dans ce genre d’exercice c’est un jeu de chat et de souris dont il est question avec ses moments de rencontre, ses moments de fusion, ses chassés croisés et ses distanciations. Daniell Erdmann s’y révèle comme un véritable conteur. Sans monotonie du geste. Réelle force narrative. Francis Le Bras soit au piano acoustique soit au fender, s’inscrit toujours dans la ligne de l’histoire racontée, soutient le propos, souligne discrètement le trait, en adoucit les angles. Un modérateur en quelque sorte. Les deux donnent ainsi du relief à leur discours par la juxtaposition de la raucité du saxophone et du moelleux du fender ici judicieusement associés. Créée lors d’une rencontre à Reims, cette formule séduit par sa richesse et par l’intensité d’une histoire souvent vibrante qu’ils se plaisent à nous raconter. Pas d’effets de styles ou d’atmosphères sophistiquées mais juste un moment brut de musique échangée.                  
Jean-Marc Gelin

 

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