Joshua Redman : " Round again"
Nonesuch record 2020
Joshua Redman (ts,ss); Brad Mehldau (p); Christian Mc Bride (cb); Brian Blade (dms)
A quoi s'attendre de mauvais lorsque sont réunis parmi les plus géniaux de la scène jazz actuelle. Pensez, Joshua Redman aux saxs, Brad Mheldau au piano, Christian Mc Bride à la contrebasse et Brian Blade à la batterie pour un quartet 100% accoustique !
Ces quatre-là se connaissent sur le bout des doigts et depuis pas mal de temps. Autant dire qu'il ne leur faut pas longtemps pour se trouver, pour jouer sur les mêmes cordes sensibles et trouver la direction d'un groove aussi subtil que spontané.
On ne va pas parler de chacun des musiciens. Ils sont tous au sommet de leur art et chacun dans une forme de respect de l'autre. Joshua Redman qu'il soit au sax tenor ou soprano survole les débats avec un sens inouï de la ligne mélodique dont il se joue avec une agilité hors du commun. Il faut entendre comment il accélère le tempo sur Moe Honk comme peu d'autres que lui peuvent le faire. Prodige. Étourdissant !!
Mention spéciale aussi pour Brad Mehldau qui met son intelligence de jeu au sens du collectif. Tous les deux se rencontrent sur leur amour des mélodies presque chantantes entre jazz, pop et blues.
Quand à la rythmique, il n'y a pas grand monde pour les surpasser aujourd'hui. Elle est là pour la maîtrise du groove et assurer à ce quartet un son et une cohésion sans faille.
On touche au grand art comme sur ce Silly Love Song.
Après, dire que la musique jouée soulève une grande vague d'enthousiasme, il y a un pas que personnellement j'ai un peu de mal à franchir.
Une fois passé le fait que ça joue terrible (c'est le moins que l'on puisse dire), on reste un peu sur sa faim. Serait-ce dû à un climax qui semble hesiter entre une tradition hard bop et un jazz plus moderne sans veritablement trancher ? Peut-être un peu trop sage parfois. Comme s'il fallait trouver une base commune surtout axée sur les lignes melodiques.
Mais qu'importe il reste l'ancrage dans cette forme de jazz qui puise aux traditions essentielles pour les détourner en un jazz actuel bourré d'energie vitale.
Et au final on reste ébahis par ce quartet de folie qui redonne au jazz des couleurs essentielles. Celles qui nous font vibrer sur chacun de ces morceaux.
Et il faut bien le dire, nous amène à tutoyer les sommets.
Jean-Marc Gelin
Joshua Redman, Brad Mehldau, Christian McBride, and Brian Blade perform "Right Back Round Again," from their album 'RoundAgain,' out now on Nonesuch Records:...
René Thomas était né à Liège, en Belgique, en 1926. Après la Seconde Guerre mondiale, il commence à se produire dans sa ville natale avec les très bons musiciens qui font alors la vie du jazz belge : Bobby Jaspar, Jacques Pelzer, “Fats” Sadi… rassemblés dans le groupe des Bob Shots — ils sont au programme, le 14 mai 1949, du Festival de jazz de Paris, le même soir que les quintettes de Charlie Parker et de Miles Davis.
Très impressionné par Jimmy Raney qu’il entend au Blue Note à Paris, où il s’est établi en 1953, il enregistre son premier disque en leader l’année suivante, part s’installer au Canada et participe à quelques séances d’enregistrement à New York (notamment avec Sonny Rollins, qui le juge « meilleur que n’importe lequel des guitaristes américains »). De retour en Europe, il forme avec Bobby Jaspar un quintette très actif, dirige son propre groupe, puis accompagne Stan Getz (1969–71), en compagnie d’Eddy Louiss et Bernard Lubat. Au cours d’une tournée en Espagne au sein du trio de Lou Bennett, il meurt à Santander en janvier 1975 des suites d’une crise cardiaque, à l’âge de quarante-huit ans. Il a marqué d’une manière profondément originale l’évolution de l’instrument et a inspiré de jeunes guitaristes comme Larry Coryell, John McLaughlin ou Philip Catherine.
Il a enregistré, entre autres, avec Chet Baker (Rca italien), Lou Bennett (Rca, Philips), Toshiko Akiyoshi (Metrojazz). Sonny Rollins (Verve). Stan Getz (Polydor), Eddy Louiss (Cy-Rca). Lucky Thompson (Mps); en tant que leader : « René Thomas Quintet » (Vogue), « René Thoms et son Modern Group (Polydor), avec J.-R. Monterose (Jazzland), « Comblain 61 » (Rca italien), « René Thomas — Bobby Jaspar Quintet » (Rca), « Meeting Mr Thomas » (Barclay), avec Charlie Rouse (United Artists), « T.P.L. » (Thomas-Pelzer Limited, avec Han Bennink - Vogel).
René Thomas (g), Han Bennink (dm), Jacques Pelzer (as), Anvers (Belgique) 1974
Cet entretien s’est déroulé au cours du Premier Festival de Jazz de Liège en 1972, à l’issue du concert du quintette Thomas-Pelzer Ltd avec Jacques Pelzer (as, ss, fl), Léo Fléchet (p), Jean Linsman (b) et Tony Liègeois (dm). René Thomas était un homme chaleureux, enjoué et plein d’humour. Avec Bobby Jaspar et Toots Thielemans, c’était l’un des musicien belges les plus prestigieux dans les années 50 sur les scènes internationales.
Thomas-Pelzer Ltd : Jacques Pelzer (ss), René Thomas (g), Tony Liégeois (dm), Mustapha, Ho (perc). Liège, 1972.
Qu’est-ce qui vous a amené, René Thomas, à choisir la guitare ?
Le hasard. Mon beau-frère est italien. À l’époque où il courtisait ma sœur, qui est mon aînée de dix ans, il venait à la maison avec une guitare. Souvent, il l’oubliait, et je m’amusais à en jouer. Il m’avait appris quelques accords à l’italienne : sol majeur avec deux doigts, la basse et la chanterelle, et deux ou trois trucs de ce genre. Je suis parti de là. Puis j’ai entendu Django Reinhardt — sol ça fait la bémol, puis la, puis si bémol, puis si, do, ré bémol. Django a été ma première influence. Je l’ai connu à Paris et à Bruxelles. Il y a eu aussi Jimmy Raney et, en fait, un peu tout le monde — pas seulement des guitaristes, surtout des trompettistes, des saxophonistes. D’ailleurs, je suis de moins en moins influencé par la guitare. Avant d’être un guitariste. je suis un musicien de jazz. Mais actuellement, côté guitaristes, j’aime bien Larry Coryell, John McLaughlin et George Benson.
À quelle époque avez-vous commencé à jouer du jazz ?
Un peu avant la guerre, et plus encore pendant et après. J’ai beaucoup vécu à Paris pour pouvoir jouer le plus souvent possible. C’était en 46–47. Puis j’ai joué au Blue Note avec Kenny Clarke et Lou Bennett. Une grande époque… En fait, il y a beaucoup de « grandes époques » — tout dépend des gens avec qui on travaille. Mais il faut reconnaître qu’avec Kenny ce fut souvent une « grande époque ». On s’amusait bien… Lou Bennett marchait blen, le trio marchait bien, on a fait quelques disques. Certains sont bien…
Eddy Louiss (orgue Hammond), René Thomas (g), Nancy Jazz Pulsations 1973.
Quels musiciens vous ont le plus impressionné ?
J’en ai rencontré beaucoup… Je ne sais pas, peut-être Sonny Rollins, Jackie McLean, Al Haig… Il y en a tellement. Côté européen, j’aime beaucoup Eddy Louiss et Bernard Lubat. J’ai d’ailleurs fait un disque avec eux et Stan Getz. Les critiques ont dit qu’il n’était pas très bien enregistré. lls n’ont pas tort…
Cela ne les a pas empêchés de reconnaître que la musique est excellente
Oui, pour celui qui tend l’oreille. qui écoute avec attention. Au début. ce n’est pas très engageant, il faut faire l’effort d’aller vers la musique.
Vous êtes allé aux Etats—Unis il y a une dizaine d’années…*
Oui, c’est très important de voir ce qui se passe là-bas, surtout à certaines époques. Moi, par exemple, je suis heureux d’y être allé entre 56 et 62. ll y avait des types comme Freddie Hubbard, Herbie Hancock, qui n’étaient pas très connus. Je faisais le bœuf avec eux dans un café qui était ouvert le dimanche après-midi. Je devais courir avec ma guitare et mon ampli. Plusieurs blocs, à pied… l| y avait Hubbard. Wayne Shorter, Joe Henderson. J’ai pu aussi rencontrer John Coltrane. C’était le plus grand, un des plus grands…
Comment vous situez—vous par rapport à ce qu’on appelle «free jazz»?
Je ne sais pas… Je n’aime pas beaucoup… En fait, le jazz n’a jamais cessé d’être libre. Vous pouvez toujours dire qu’il y a des harmonies à respecter. etc., mais — comme diraient Louiss et Lubat — la liberté a toujours existé. C’est à nous de la faire, tout en suivant une ligne, une discipline, des figures imposées — je ne sais pas comment appeler ça… J’ai été l’un des premiers à entendre Ornette Coleman. C’était en 58. Ce que j’aime chez lui. c’est qu’il suit une ligne harmonique. Après lui, il y a eu des types qui ont vulgarisé cela, qui en ont profité, mais c’était moins gracieux, moins aérien que ce que fait Ornette. C’était même moins musical. Quand Ornette joue du violon, il ne cherche pas à « jouer du violon », il veut produire des impressions, des couleurs. (Propos recueillis par Gérard Rouy)
Bill Carrothers (piano, voix), Peg Carrothers (voix), Jean-Marc Foltz (clarinettes), Philippe Mouratoglou (guitares), Stephan Oliva (piano), Matt Turner (violoncelle), Alan Ingram Cope & Emmanuel Guibert (voix)
Pernes-les-Fontaines, juillet 2019
Vision Fugitive VF313020 / l'autre distribution
Comme toujours avec l'équipe de Vision Fugitive, une idée et une réalisation d'une singularité absolue. L'étincelle qui enflamme le brasier créatif est une bande dessinée, ou plutôt une série de BD dont le héros bien réel, Alan Ingram Cope, était en 1941 un jeune soldat californien venu en Europe pour «combattre un gars qui s'appelait Adolf». Avec la complicité de l'auteur, Emmanuel Guibert (Grand Prix du festival d'Angoulême 2020), et du graphiste & producteur (labels Sketch, Illusions Music, et désormais Vision Fugitive) les musiciens co-fondateurs du label et leurs complices musicaux ont concocté une œuvre musicale totalement insolite, où la musique de chambre rencontrerait la mélodie de l'entre-deux-guerres, l'avant-garde de l'après-guerre, la chanson américaine (du dix-neuvième siècle jusqu'aux années 40), le rock progressif, la musique répétitive, le jazz et le spiritual.... Surprise d'entendre surgir au détour d'une plage When the Swallows Come Back to Capistrano, dont la version de Pat Boone me berçait quand j'avais 6 ou 7 ans (ma sœur aînée, répétitrice de français en Angleterre, avait rapporté ce trésor ainsi que Bill Haley, juste avant que Rock Around The Clock ne devienne un tube universel.....). Bref une sorte de disque-monde qui travers le temps avec une incroyable densité artistique, nous racontant entre les lignes ce monde d'Alan (et son enfance) en créant plutôt qu'en illustrant, en suscitant des émois singuliers plutôt qu'en dénouant le fil d'un récit. Les images sont ici dans la musique, au plus profond de la matière sonore dont elle fait jaillir la poésie par une savante distillation. Le talent musical des protagonistes, tous complices de longue date, est évidemment le ferment d'une telle réussite. Et comme toujours sous le label Vision Fugitive, un très bel objet graphique, avec un livret d'Emmanuel Guibert, qui écrit des mots très émouvants au sujet d'Alan Ingram Cope, qui voici plus de 25 ans était devenu son ami avant d'être le personnage de ses romans graphiques. Et le dessinateur au fil des pages dessine tous les artistes, y compris Gérard de Haro et Philippe Ghielmetti devant la console d'enregistrement du studio de La Buissonne. Disque très singulier, mais surtout TRÈS TRÈS BEAU !
Xavier Prévost
.
Une exposition des œuvres d'Emmanuel Guibert est installée jusqu'au 18 octobre à Paris à l'Académie des Beaux-Arts, Quai de Conti
Les livres LA GUERRE D'ALAN et L'ENFANCE D'ALAN du dessinateur EMMANUEL GUIBERT, GRAND PRIX DU FESTIVAL D'ANGOULÊME 2021, mis en musique par un orchestre fra...
Deux disque parus au mois d'août : la suite des passionnantes aventures en duo avec Émile Parisien, et la rencontre de l'accordéoniste avec le Collectif La Boutique, sur la musique de Jean-Rémy Guédon, et sous la houlette de Fabrice Martinez
Comme pour l'album «Belle Époque» inspiré par Bechet, ce disque puise dans un vivier de thèmes populaires : du jazz (Jelly Roll Morton), des musiques latino-américaine (Xavier Cugat, Tomás Gubitsch, Astor Piazzola) ou de la pop (Kate Bush). Avec une unité d'inspiration : débordement lyrique, étreinte fusionnelle. Ça bouge, ça danse :The Cave, de Jelly Roll, avec contrechants en multipiste, et puis ça décolle dans une impro à l'ancienne qui bien vite déborde du cadre de la tradition tout en s'octroyant des citations furtives.Temptation, du film musical de Raoul Walsh Going Hollywood (1933) est traité avec une dramaturgie d'époque, mais très vite l'expression et l'inventivité des deux musiciens s'en emparent pour nous embarquer ailleurs. Deux thèmes de Piazzola, dont le fameux Deus Xango, immortalisé par le compositeur avec Gerry Mulligan, qui est ici explosé en de multiples envolées. Une très vive composition du guitariste Tomás Gubitsch est encore l'occasion d'un essor commun, hyper lyrique, et une chanson de Kate Bush nous entraîne encore ailleurs, mais toujours dans les lointains de l'émotion. Sans parler des trois compositions de l'accordéoniste et de celle du saxophoniste, qui chantent jusqu'au cœur de l'émoi le plus accompli, avec aussi le brin de folie et de fantaisie qui convient. Un très très beau disque évidemment ; évidemment inclassable, c'est ce qui fait sa force !
.
Le duo jouera le 17 octobre à La Ravoire (Savoie), le 23 octobre à Clermont-Ferrand, les 27 & 28 octobre à Paris au Théâtre des Bouffes du Nord, le 1er novembre au festival 'Jazz Onze' de Lausanne, le 17 novembre au Théâtre de la Criée à Marseille, le 20 novembre à Rennes, le 8 décembre à Luxembourg, et le 11 décembre à Saint-Ouen-l'Aumone dans le cadre de 'Jazz au fil de l'Oise', sans parler des autres dates en Allemagne, Italie, Angleterre, Roumanie, Suède, Norvège....
COLLECTIF LA BOUTIQUE, FABRICE MARTINEZ, VINCENT PEIRANI «Twins»
Vincent Arnoult (hautbois, cor anglais), Emmanuelle Brunat (clarinette basse), Clément Duthoit (saxophones), Nicolas Fargeix (clarinette), Fabrice Martinez (trompette,bugle), David Pouradier-Duteil (batterie, udu), Anaïs Reyes (basson), Yves Rousseau (contrebasse), Fabrice Martinez (direction artistique), Vincent Peirani (accordéon, accordina), Jean-Rémy Guédon (composition)
Paris, 11-13 décembre 2019
La Boutique CLB 932027 / l'autre distribution
L'Ensemble Archimusic est devenu le Collectif La Boutique quand son fondateur, Jean-Rémy Guédon, est parti voici deux ans aux Comores prendre la direction de l'Alliance Française. Et le trompettiste-compositeur-arrangeur Fabrice Martinez est devenu le directeur artistique de cette formation très singulière : les bois d'un quatuor de musique de chambre, associés à un groupe de jazz. Pour ce disque, il a rassemblé des compositions de Jean-Rémy Guédon extraites de plusieurs disques d'Archimusic : «Sade Songs», «Pensées pour moi-même», «Le rêve de Nietzsche», «Fantaisie numérique».... Et le choix du soliste invité s'est porté sur Vincent Peirani. Parce que certains thèmes étaient originellement conçus pour une voix lyrique ; et sans doute aussi parce qu'il fallait un musicien qui habite la musique de son expression personnelle, en toute liberté. La musique, adaptée à ces nouvelles circonstances, conserve ce caractère singulier qui allie les plus belles consonances à de hardis débordements harmoniques, très ponctuels : une sorte de tuilage dedans/dehors, dans l'harmonie et dans la tension extrême. Le plus finement écrit et orchestré se confronte aux saillies de l'improvisation. Et le jeu sur le rythmes, avec parfois des surprises, accentue encore ces moments de singularité. Vincent Peirani n'est pas seulement le soliste invité, il est aussi un puissant stimulateur des improvisations d'autrui (souvent Fabrice Martinez, mais pas exclusivement). Au fil des plages on se délecte, on s'étonne.... et on se régale ! Belle réussite
Xavier Prévost
.
Cette musique sera jouée par le Collectif La Boutique et Vincent Peirani le 9 décembre à Paris au Studio de l'Ermitage.
Produit par French Paradox,Faune est le premier album d’un jeune et brillant batteur à la double culture, qui combine rigueur classique et spontanéité jazz et qui a vécu des deux côtés de l’Atlantique. Le titre de l’album FAUNE fait d’ailleurs référence à Mallarmé et Debussy.
Raphaël Pannier a réuni un quartet de rêve, une “dream team” composée de deux Français dont le contrebassiste FrançoisMoutin et dedeux Américains, le pianiste Aaron Goldberg et le saxophoniste alto Miguel Zenon. Le quartet interprète ses compositions et ses arrangements de Ravel (la “Forlane” du Tombeau de Couperin), de Messiaen (“Le baiser de l’enfant Jésus”) et aussi un classique de Wayne Shorter avec Miles Davis, “ESP” de 1965.
L’album commence avec un thème connu, celui d’Ornette Coleman, “Lonely Woman”, exposé finement par le saxophoniste, également directeur musical. Puisles énergies libérées se déploient dans toutes les directions, chacun laisse son empreinte, le contrebassiste s’emballe en un solo des plus chantants, suivant le déluge sonore du batteur. Cavalcade effrénée, liberté d’expression que l’on retrouve dans les deux toutes petites pièces en crescendo “Intro et “Outro” ESP, précédant cette composition captivante où Zenon fait merveille.
Le groupe se scinde parfois en sous-éléments, en un trio à l’assise solideavec un piano fluide, très rythmique, la paire contrebasse/batterie toujours très active, voire survitaminée (“Midtown blues”). Même leur “Lullaby” n’a rien d’une berceuse, sombre plus que mélancolique ou apaisant, sacrément inquiétant même tant le chant est lancinant, dominé par la force hypnotique du sax alto.
Pour les arrangements classiques, Raphaël Pannier fait appel à un pianiste classique, Giorgi Mikadze. Ce qui peut surprendre a priori, mais l’alchimie est réelle, avec l’aide de ce formidable “liant”, le travail chambriste de Miguel Zenon dans la pièce de Messiaen, une ballade délicate et poétique où il font preuve de sensibilité et d’élégance dans un ensemble hors du temps! Un peu moins convaincante est la révision de la “Forlane” de Ravel qui fait entendre un contrepoint (contrebasse/batterie) à la partie de piano, si claire et immédiate dans l’émotion.
On retiendra ce précipité de sons, de rythmes enlevés, cette “manière” virtuose, d’une énergie réjouissante qu’équilibre le rendu plus subtil des pièces classiques. On aime la complicité de ce groupe aventureux qui emprunte un chemin musical peu balisé par le choix des thèmes, leuraptitude à varier les climats dans le montage des titres, un “Caprice” originellement pour Bandolim de Hamilton de Holanda. chaloupé et festif, précédant la “Forlane” plutôt mélancolique.
Ces “performances” saisies à vif sur l’album, méritent d’être suivies en live. Une prescriptionvivement recommandée en ces temps incertains…
Plaisir de plonger une fois encore dans la programmation toujours inventive de ce festival niché dans le Théâtre des Bernardines, ancienne chapelle du couvent éponyme. Année compliquée, comme pour tous les festivals, mais celui-ci a réussi à sauver l'essentiel, en donnant une sorte de préfiguration du festival 2021, lequel accueillera la programmation initialement prévue, jusqu'au début de l'été, pour 2020. Distanciation coronavirale oblige, un siège sur deux occupé dans cette salle de jauge modeste. Mais la créativité de l'équipe du festival comme des artistes a su pallier cette économie de crise, en déléguant un duo, ou un solo, issu des groupes initialement prévus, et qui seront là l'an prochain.
Mercredi 16 septembre
La soirée commence avec le duo JEAN-PIERRE JULLIAN / TOM GAREIL. En avant-ouïr du quartette pour la création 'Chiapas II' (qui accueillera Guillaume orti et Gilles Coronado), nous aurons une sorte de voyage entre harmonies, lignes vives et percussions tournoyantes, un tourbillon qui nous laisse ébahis, heureux et pleins d'espoirs pour la version à venir en quartette.
La scène accueille ensuite la flûtiste-et vocaliste- NAÏSSAM JALAL, en duo avec le contrebassiste CLAUDE TCHAMITCHIAN, qui est aussi la directeur artistique du festival (soutenu pour l'organisation par Françoise Bastianelli). Dans la version 2021 ils seront rejoints par le pianiste Leonardo Montana. Le duo est une pure merveille de nuances infinies, de communication télépathique et de densité spirituelle. Si le terme ne s'érodait pas à force d'usages parfois abusifs, j'oserais magique, car ça l'est vraiment.
.
Jeudi 17 septembre
Pour 2021, ce sera le quartette 'Majakka' de Jean-Marie Machado, avec Vincent Segal, Keyvan Chemirani, et celui qui, aujourd'hui, assure l'ouverture de la soirée, le saxophoniste JEAN-CHARLES RICHARD. Son solo a fait le tour des continents, et il nous le présente comme une sorte de cérémonie musicale, intense, portée par une fine dramaturgie, et où se croisent tous les langages, duspiritual introductif jusqu'à la fantaisie conclusive, en passant par le jazz de stricte obédience, les mystères de la musique dite contemporaine, et les rythmes des musiques du monde.
Pour conclure cette soirée, deux des protagonistes de la 'Petite histoire de l'Opéra, Opus 2' (sextette qui sera là en 2021), LAURENT DEHORS et MATTHEW BOURNE, vont nous offrir un aperçu du disque en duo qu'ils ont récemment enregistré pour le label émouvance (l'entité disque dont le festival est l'un des appendices). Le disque, intitulé«A place that has no memory of you», paraîtra en novembre, mais il venait de sortir de l'usine, et les spectateurs ont pu se l'offrir. J'ai pu l'écouter : très beau disque, et différent du concert, car l'éthique de ces musiciens (et de cette musique) interdit la copie conforme. Concert infiniment vivant, plein de risques et de surprises. Très belle conclusion de mon séjour. Je manquerai hélas le lendemain Jacky Molard/François Corneloup, et David Chevallier en solo. Et le jour d'après Christophe Monniot/Didier Ithursarry, puis Éric Échampard/Benjamin de la Fuente.
Mais avant de prendre le train j'ai trinqué avec l'Ami Philippe Deschepper, retour de pérégrinations régionales, et qui me racontera ses bonheurs d'écoute des derniers concerts auxquels il assistera.
J'allais oublier une composante importante de ce festival. Comme quelques autres dont il partage l'ADN, il a le souci de la transmission, au sens artistique plus encore que technique : le parti des poètes plus que celui des ingénieurs. En descendant du train, mercredi avant midi, j'ai filé au conservatoire Pierre Barbizet pour la master class de Laurent Dehors, autour de l'improvisation, du geste collectif, de l'engagement dans le présent immédiat de la musique. Très passionnant. Puis je suis revenu à 14h pour la master class de Bruno Angelini, qui fait travailler la conscience approfondie, instinctive, des séquences de quatre mesures dont la maîtrise permet de construire une improvisation libre et cohérente sur l'ensemble de la forme : passionnant. Une fois encore, coup de chapeau à ce festival, comme à tous ceux qui sont de véritables fêtes de l'Art en mouvement.
David Linx (bc, compos), Gregory Privat (p), Chris Jennings (cb), Arnaud Dolmen (dms) + Manu Codjia (g), Marlon Moore (vc)
Attention : très grand album de jazz vocal pour cette rentrée !
Le chanteur bruxellois David Linx nous revient en ce début d'année avec un album majeur dans sa carrière pourtant déjà très riche et ponctuée d'une 30aine d'albums.
Initialement prévue pour le printemps sa sortie a été décalée en septembre pour des raisons liées au contexte actuel.
Ce n'etait pas le bon moment.
Et pourtant !
Cet album que David linx a quasiment conçu tout seul (paroles et musique ) est à la fois une oeuvre très personnelle et surtout une sorte d'hymne à la vie.
David Linx y reussit un tour de force avec l'incroyable énergie qu'on lui connaît. Ça vibre, comme une forme d'urgence à dire.
Chacun des thèmes porte en lui une mélodie magnifiquement bien écrite, au point que l'on y vient et revient sans cesse (cet album a tourné dans ma tête tout l'été ).
Mais il faut aller au delà. Il faut aller aux textes, aller aux mots pour comprendre ce qui se joue-là. Où il est question de beaucoup plus que d'un simple alignement de chansons.
A ecouter plutôt comme un manifeste parfois poétique (des textes sublimes) et parfois comme une forme d'engagement pour ceux qui savent lire entre les lignes.
Message d'amour et de liberté d'un monde que David Linx voit avec autant d'avidité que d'exaltation.
Une grande emotion parcourt l'album sur To the end of an idea dont la musique est ici signée Mario Laginha.
Rien à jeter. Chaque morceau reste en tête et le message s'imprime parce que David Linx y met, outre son énergie fougeuse, un part de son âme. Et le message est clair : skin in the game !
Les arrangements sont à l'encan et la formation qui l'accompagne porte la musique très haut. Comme on dit dans le milieu : ça joue terrible !
David Linx est aux chanteurs ce que l'Art total est aux acteurs. Un chanteur entier qui se livre et dont le chant traverse le(s) corps.
Né de la fusion dans les années 90 de deux associations lilloises distinctes — Circum, dévolue au jazz contemporain, et le CRIME (Centre régional pour l’improvisation et les musiques expérimentales) —, Muzzix est aujourd’hui un collectif d’une trentaine de musiciens se produisant sous des formes très variées allant du solo aux grands orchestres, du concert à l’installation sonore ou la performance.
Muzzix a également une activité de programmation en lien avec les projets du collectif dans différents lieux de la métropole lilloise, mais principalement à la Malterie, un « club » qui demeure son point d’ancrage historique, dont l’avenir est hélas incertain. Chaque trimestre, l’association organise les temps forts **Muzzix & Associés**, sortes de mini-festivals qui lui permettent d’accueillir des artistes français ou étrangers en tournée, de tester de nouvelles configurations musicales avec ces derniers, et de développer des partenariats avec les institutions culturelles de la région. Responsable du label Circum-Disc, le collectif s’enorgueillit en outre de compter dans ses rangs des groupes dont la renommée dépasse largement les limites hexagonales, tels que le Stefan Orins Trio, le quatuor franco-japonais Kaze ou encore le trio TOC.
TOC (Jérémie Ternoy, Ivann Cruz, Peter Orins)
Depuis l’arrivée funeste de la pandémie de Covid-19 en février, les activités de l’association ont brutalement cessé. Pourtant, profitant des beaux jours (tout en appliquant scrupuleusement précautions et mesures barrières face au virus) dans le cadre du Printemps 2020 avec lille3000, le trio TOC (comme Jérémie Ternoy-Fender Rhodes, Peter Orins-batterie, Ivann Cruz-guitare) fêtait dimanche 13 septembre la sortie de ses 2 nouveaux disques lors d’une après-midi musicale et festive en plein air à la Gare Saint Sauveur de Lille en invitant des compagnons de longue date du collectif Muzzix ainsi que des musiciens issus de la scène free européenne : John Dikeman (sax ténor - Usa), Hanne De Backer (sax baryton - B), Sakina Abdou (sax alto), Christian Pruvost (trompette), Maryline Pruvost (voix), Samuel Carpentier (trombone) et David Bausseron (guitare).
Les deux nouvelles galettes sont disponibles à l’adresse www.circum-disc.com : TOC “INDOOR” (CIDI2001-2020) et TOC & DAVE REMPIS “CLOSED FOR SAFETY REASONS” (CIDI2002-2020). À signaler également la sortie tout aussi récente de “SAND STORM” (Circum-Libra 205-2020) du quatuor KAZE (Satoko Fujii, Natsuki Tamura, Christian Pruvost, Peter Orins) et leur illustre invitée Ikue Mori.
À noter enfin que les concerts reprennent à partir du 21 septembre à la Malterie dans le respect de la distanciation physique (jauge limitée, port du masque obligatoire, gel hydroalcoolique disponible…) : les rendez-vous hebdomadaires du lundi à 19h, ainsi que “Confiture : Muzzix rencontre The Bridge #13” dimanche 11 octobre à 18h (Pierre-Antoine Badaroux & Jean-Luc Guionnet-sax alto et des musiciens du collectif) et “Forget to Find - The Bridge #13” lundi 12 octobre à 19h (Pierre-Antoine Badaroux & Jean-Luc Guionnet-sax alto, Jim Baker & Jason Roebke (pièce radiophonique). Tous renseignements disponibles à l’adresse www.muzzix.info
Neuf titres dont une seule reprise d’un titre rare de Duke Elligton, enregistré en 1931 et une répartition assez égale de 2 compositions, soigneusement alternées pour quatre des musiciens de la formation. Seul le pianiste Marc Copland ne donne rien cette fois, lui qui est tout de même auteur de près de trente albums en leader!
L’alchimie entre les membres de cet “all star,” de ce quintet sans leader, est immédiatement palpable dès le “Mystery Song” inaugural de Duke Ellington, rajeuni en quelque sorte, si je peux me permettre cctte audace, avec une grande fidélité au thème. Ce qui est la moindre des choses avec pareilles mélodies. Mais nos compères, mélodistes hors pair, savent garder l’esprit, si ce n’est la lettre.
On nous intime ensuite de prendre le large, de nous envoler avec cet “Off bird” du saxophoniste Dave Liebman, drôle d’oiseau sautillant et plein d’esprit, qui s’élève en douceur, vers un point de vue aérien avant de s’accorder en duo avec son autre partenaire soufflant, jusqu’à une brusque et amusante pirouette finale.
Le temps est alors venu d’une première ballade de Drew Gress , ce “Figment” bien titré, tant elle est inventive, créative avec chacune des interventions de ces frères de son, au phrasé impeccable, au jeu jamais trop linéaire, qui savent se rejoindre dans un échange constructif. Comment ne pas suivre, ne pas être en phase, adhérer à une vraie couleur d’ensemble, un chant d’une évidence lumineuse, qui paraît simple?
Les interventions du trompettiste Randy Brecker, impérial, bouleversent, quand il étrangle les aigus, hoquète, éructe, bourdonne comme “a busy bee”. Alors que c’est le pianiste qui ferme, en douceur, à la façon d’une comptine, un peu mélancolique. Comme le poème de son ami Bill Zavatsky qui accompagne fidèlement chaque album de Marc Copland.
“Broken time” est double, avec une reprise en trio, très différente, plus apaisée que la version en quintet où la rythmique harcèle les soufflants, les pousse à se démultiplier, à vibrionner avec swing! Ils vont vite avec le vent, comme le vent, sans rencontrer d’obstacles, heureux hommes volants.
Le thème de Randy Brecker qu’ils jouent souvent en quintet, “There’s a Mingus aMonk us”, réveille des effluves d’un jazz aimé, exalté et exaltant, étrange fusion entre le neuf et l’ancien, en échos légers, néanmoins perceptibles qui imprègnent la mélodie, donnent de la couleur, posent une atmosphère, donnant des fredons inoubliables.
Cet album au titre sans fioriture, QUINT5T, à la pochette précisionniste même, au sens du peintre Demuth illustrant William Carlos Williams à la manière de “I saw the figure 5 in gold” suit un montage cohérent avec des pièces aux cadences changeantes, trame d’un ensemble plus que résistant dans lequel on s’immerge très vite, dans une durée rafraîchissante et légère.
Un jazz enjoué, qui a du corps, de la saveur et qui, dans la ballade finale, “Pocketful of change” est propice aussi à la rêverie avec un piano exquisément perlé. Comment rêver de plus beau final?
Cette “Dream team”, belle équipe et machine rutilante, invite justement à entrer dans la danse du jeu, quel qu’il soit, à suivre une inspiration vagabonde, un cheminement buissonnier, à moins que ce ne soit l’inverse. Qu’importe, on les suit les yeux fermés, en progressant sans crainte, tout en remontant le courant du temps qui s’étire comme les ailes d’un curieux volatile. Rassérénant!
Terje Rypdal signe un nouvel album fort. Aux effluves de jazz et rock spirituel.
Accompagné d'un groupe de haute volée et d'un organiste aussi dicret qu'à même de distiller de profondes nappes electriques.
L'album est fascinant de bout en bout. Suit des méandres où le son est travaillé à la perfection.
La musique de Rypdal est parfois dense et serrée et parfois merveilleusement espacée et onirique.
Le travail de Pål Thowsen à la batterie donne un relief vivant et vibrant.
Un album comme une plongée fascinante dans les limbes de nappes sonores fascinantes.
Une belle page dans la carriere de ce guitariste norvegien déjà legendaire.