L’Académie du Jazz vient d’élargir son palmarès avec la création du Prix Evidence, destiné à « récompenser un album d’un(e) artiste ou d’un groupe en développement, qui se singularise par sa charge créative, sa qualité d’exécution et sa musicalité ».
Le premier lauréat du Prix Evidence est le guitariste suisse d’origine hondurienne Louis MATUTE, à la tête de son "Large Ensemble'' pour son troisième album « Our Folklore » (label Neuklang) sorti au printemps, a annoncé le 1er décembre l’Académie qui regroupe une soixantaine de membres (journalistes, hommes et femmes de radio, blogueurs, écrivains, photographes, musicologues, programmateurs de clubs ou de festivals...) et est actuellement présidée par François Lacharme.
La commission qui a attribué le prix, présidée par David Koperhant, précise que l’album ‘’Our Folklore’’ « se distingue par la cohérence et la qualité de ses compositions qui chantent de la première à la dernière note ».
La formation animée par Louis Matute comprend, souligne l’Académie, « des révélations du jazz européen de ces deux dernières années », dont le saxophoniste ténor Léon Phal, le trompettiste Zacharie Ksyk, le pianiste Andrew Audiger, le contrebassiste Virgile Rosselet, le batteur Nathan Vandenbulcke et l’oudiste Amine M’Raihi.
Le Prix Evidence 2022 sera remis à son premier lauréat lors de la prochaine soirée de l’Académie du Jazz, au premier trimestre 2023 au cours de laquelle sera dévoilée la totalité du Palmarès 2022 dont le Prix Django Reinhardt accordé depuis la création de l’Académie en 1954 au musicien de l’année.
Daniel Zimmerman (trombone, arrangements), Pierre Durand (guitare électrique), Jérôme Regard (contrebasse), Julien Charlet (batterie). Invité : Éric Truffaz (trompette)
Amiens, janvier 2022
Label Bleu / l’autre distribution
Très très étonnante (et formidable !) relecture/ déconstruction / recomposition de l’univers musical du Grand Serge. Les thèmes et les climats sont traités amoureusement, mais avec cet esprit libre et légèrement transgressif que requiert le sujet. Les partenaires sont de très haut vol et la moindre de leurs interventions est pertinente, inspirée, et source de création. Éric Truffaz fait trois apparitions tout aussi convaincantes. À ce niveau de réalisation et d’expression musicale, ce disque est une rareté, et une pure merveille. Cela fait longtemps que Daniel Zimmermann nous a appris, et démontré, qu’il est un musicien de premier plan. C’est une confirmation, éclatante.
Xavier Prévost
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Le groupe est en concert le 1er décembre 2022 à Paris au Bal Blomet
The album Gainsbourg was released on 18 November 2022. Together with the French singer Camille Bertault, Brussels Jazz Orchestra presents a tribute to Serge Gainsbourg, icon of French music. The CD
En réaction à la pandémie et au repli qui s’en suivit, le pianiste Marc Copland éprouva la nécessité de revenir au monde, à la musique et fit appel à des compagnons de route de longue date pour un nouvel album sorti sur son propre label fondé en 2016, le bien nommé InnerVoiceJazz . Signes distinctifs, l’élégance sobre de la pochette et pour tout texte, un poème de son ami Bill Zavatsky.
Le pianiste revint en quartet pour une rencontre créative et mémorable dans un studio du Queens, au début de l’année 2022, d’où sortiront cinq compositions dont deux standards. Marc Copland ne rechigne pas à revenir aux fondamentaux- il sait d’où il vient : il s’est décidé pour un swingant monkien “Let’s cool one” qui n’était pas prévu au départ mais qui apparut possible dans l’humeur groovy du moment et pour le final de l’album, ce “Nardis” que s’attribua Miles en profitant quelque peu de Bill Evans. Pendant la séance surgit une irrépressible envie de jouer et de composer à quatre, la forme de la musique à venir : alors, pendant une heure, sans prendre aucune pause, ils se lancèrent comme ils l’auraient fait en club en un set. Le résultat fut à la hauteur : trois nouvelles compositions et non des moindres furent retenues, “Nardis”, une ballade de Robin Verheyen, “Dukish” qui annonce la couleur, en hommage à Ellington et “Someday my prince will come” qui inspire le titre de l’album Someday, allusif au standard inoxydable Someday My Prince Will Come. La composition de Frank Churchill et Larry Morey est liée à l’enfance et au cinéma, à la chanson de Blanche-Neige et les Sept Nains, le Disney de 1937 que tous les jazzmen ont repris, Dave Brubeck en premier en 1957, Donald Byrd, Miles avec son sextet où Bill Evans se l’appropria tellement bien qu’il est irrémédiablement associé à ce thème.
Dès les premières notes de “Someday my prince will come” qui ouvre donc l’album, on ressent une intense réciprocité d’écoute, et on devine le propos finement structuré d’un quartet dont l’autorité est à toute épreuve. Il est vrai que des musiciens chevronnés comme le pianiste et le contrebassiste Drew Gress n’ont plus grand-chose à prouver. Ils continuent néanmoins à travailler, explorer les limites de cette musique, faisant entendre ce chant intérieur qui les anime, tendant vers l’esprit même de cette musique, à travers des signes qui ne répondent à aucune nostalgie. Dans le quartet se crée ainsi une combinatoire où chacun suit sa voie tout en retrouvant les autres à chaque occasion, une entente assez idéale dans le partage.
Avec le saxophoniste Robin Verheyen, Marc Copland expose le thème et on sent qu’ils n’ont pas eu à réfléchir longtemps pour s’ajuster, dans une grande fluidité. Marc Copland, quand il écoute le ténor d’origine belge, n’a pas oublié qu’il fut saxophoniste avant de se mettre au piano. Tous deux s’entendent pour développer de nouvelles idées d’harmonie et de mélodie. Ils réussissent alors ce tour de force de s’inscrire dans l’ histoire du jazz tout en favorisant de nouvelles percées, réinventant les formes d’une musique qui n’oublie jamais le sens de la liberté. Avec la finesse de touches impressionnistes, on savoure cette retenue qui rejoint un art consommé de l’implicite. Rien de mieux qu’une ballade pour apprécier le travail de ces virtuoses, leurs justes couleurs et groove aérien. Mais on ne saurait rester sur cette douceur ineffable quand on écoute “Round she goes” ou “Spinning things” qui nous cueillent à revers, la vitalité irrépressible, le rebond réjouissant de Mark Ferber, la verve narrative de Robin Verheyen rompant alors l’ensorcellement possible de ces tourneries car ils font circuler autrement la poésie du moment. Stimulant!
Une œuvre très singulière, née comme beaucoup d’autres de la sombre période de la pandémie, de ses confinements et de son absence de concerts in vivo, si peu compensée par la musique jouée pour des diffusions (filmées ou pas) sur les ondes et sur la toile. Objet musical d’autant plus singulier que, publié en vinyle et en support numérique, il s’associe à des textes de Patrick Dubost, conçus pour être lus à l’écoute de chaque séquence musicale, et à des dessins d’Olivier Fischer qui figurent sur la pochette du disque, et que l’on voit naître en musique sur le vidéo ci-dessous
Art transversal ? Art total ? En tout cas belle conception collective d’un objet artistique non identifié, dont la singularité fait la valeur.
La musique procède à certains égards d‘une fibre mélancolique issue des circonstances de sa genèse. Très belle écriture (et interprétation) des ensembles (cuivres/clarinette), entre consonance et tensions, velours et friction. Solistes inspirés et investis dans le collectif, et renfort de la présence en invitée, sur une suite qui occupe toute la face ‘A’ du vinyle, de Sophia Domancich au piano, laquelle avec son talent de prendre les chemins de traverse, apporte une touche supplémentaire d’aventure. On a aussi des instants de jazz pulsé qui réveille chez l’amateur le souvenir de Mingus. Bref liberté, beauté et inspiration : que demander de plus ? Des concerts évidemment, afin que cette musique très vivante renaisse en public.
Xavier Prévost
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Le groupe est en concert au Périscope de Lyon le 18 novembre, avec en invitée Sophia Domancich. Il sera de retour sur scène le 13 janvier 2023 au Théâtre Pêle-mêle de Villefranche-sur-Saône
Leïla Olivesi (piano, composition), Baptiste Herbin (saxophone alto et flûte), Adrien Sanchez (saxophone ténor), Jean-Charles Richard (saxophone baryton et soprano), Quentin Ghomari (trompette et bugle), Manu Codjia (guitare), Yoni Zelnik (contrebasse) et Donald Kontomanou (batterie).
Invités : Chloë Cailleton (voix), Géraldine Laurent (saxophone alto).
Juin 2022. Studio Sextan La Fonderie, Malakoff.
Attention Fragile/L’autre distribution.
Disponible le 18 novembre.
Les talents de compositrice de Leïla Olivesi ne sont plus à prouver. Après Utopia (2015), la Suite Andamane (2019) distinguée par l’Académie Charles Cros vint confirmer l’opinion des observateurs attentifs de la scène parisienne sur la pianiste franco-mauritanienne : nous avions affaire à une « architecte musicienne » pour reprendre l’expression d’un expert (Vincent Bessières).
C’est à nouveau avec un grand ensemble que Leïla Olivesi nous propose aujourd’hui « ASTRAL ». Si l’on fait abstraction d’une œuvre de Mary Lou Williams, grande inspiratrice de la pianiste (Scorpio), nous sommes en présence de compositions personnelles et originales. « Un jazz acoustique contemporain de très haut niveau », apprécie dans le livret le pianiste américain Geoffrey Keezer. Dérogeant au classique thème-improvisations, le grand ensemble nous prend par la main pour découvrir des contrées surprenantes, chacun des interprètes apportant son écot à ces œuvres collectives séduisantes. Réussir à marier modernité et classicisme, c’est le pari relevé haut la main par Leïla Olivesi.
Nous garderons pour la fin, en guise de couronnement, l’hommage rendu à Claude Carrière, auquel la liait une passion pour le Duke : une ‘’Missing CC Suite’’ en deux parties (Portrait, Missing CC) qui donne à entendre mouvements d’ensemble et solos de saxophones (Jean-Charles Richard, Baptiste Herbin), trompette (Quentin Ghomari) et de la pianiste-compositrice elle-même invitant à la rêverie sans oublier le swing. Un régal vivement conseillé !
Jean-Louis Lemarchand.
En concert le 1er février 2023 au Bal Blomet (75015) ; Leïla Olivesi participe au festival Pianorama aux Bouffes du Nord (Paris) le 20 novembre.
Mélancolie de saison, doublée d’escapades libres et fougueuses : cet hymne d’automne est en tout point conforme à l’idée que l’on peut se faire d’une musique ouverte, hardie, et cependant soucieuse de la forme, fût-elle une forme ouverte. De belles compositions, des partenaires assurément investis dans l’urgence collective du programme, et un goût manifeste de franchir le seuil du probable pour ouvrir un terrain d’aventure. Un thème s’intitule Carla, et c’est à Paul que je pense parfois, dans ces lignes qui bifurquent dès qu’un intervalle prévisible montre le bout de son nez. Mélodies sinueuses et tendues, dans les règles de l’art, qui se diffusent ou se résolvent (ou pas) dans des improvisations mesurées, et soudain la liberté explose et nous saute aux oreilles. Intense et jouissif pour l’amateur de jazz aventureux, ‘à l’ancienne’, que je n’ai pas cessé d’être. Dans l’art, la musique, et le jazz en particulier, l’inattendu du devenir est toujours lié, d’une manière ou d’une autre, au passé, proche ou lointain, et au présent immédiat. Comme au bon vieux temps, le piano n’est pas idéalement accordé. Mais ce n’est pas grave, et n’a en rien altéré mon plaisir….
On peut se souvenir d’un temps pas si lointain où les détracteurs du groupe EST ne voyaient en eux qu’un pur produit marketing et remettaient en cause les talents pianistiques d’Esbjörn Svensson. Ce temps heureusement est révolu et s’il en fallait une ultime preuve, elle nous est apportée ici avec cet enregistrement posthume. Le seul et l’unique enregistrement que le pianiste ait réalisé en solo.
Ecouter cet album c’est aussi prendre en pleine face une vraie charge émotionnelle lorsque l’on sait qu’Esbjörn Svensson s’est livré à l’exercice dans un moment d’intimité très fort, quelques semaines avant sa disparition accidentelle en juin 2008 . C’est donc de l’ultime témoignage dont il s’agit. Et c’est bien de témoignage dont il s’agit.
Mais c’est plus que cela.
Car ici c’est un tout autre visage du pianiste auquel nous sommes confronté. Loin de l’énergie irrésistible que dégageait EST, le pianiste se met ici à nu dans un exercice, on l’a dit d’une grande intimité. De proximité. Où Svensson laisse apparaître dans un moment de vérité ce qu’il était vraiment. Les maisons qu’il a habité dans son parcours de pianiste. Ses origines et ses passions musicales. On est loin ici des influences pop qu’il revendiquait avec EST mais au plus proche de l’ensemble de son parcours de pianiste, élevé à l’école classique et baroque, à celle de Bach notamment. Et pour un peu on entendrait pièces dans ses différentes pièces, un claveciniste au phrasé délié (écouter Iota pour vous en convaincre).
Alors, peut-être parce que nous avons le recul de sa disparition, il nous semble flotter autour de cet album une sorte de poésie mélancolique. Un moment où, débarrassé des lumières et des projecteurs, Svensson se dévoile avec son sens des mélodies et des airs, son sens d’une improvisation douce.
Oui, peut-être parce qu’il manque dans le paysage du jazz actuel, découvrir ce visage d’Esbjörn Svensson nous a terriblement ému.
Des musiciens doués en harmonie mutuelle qui ont plaisir à se retrouver, il sait ce que cela veut dire. Ainsi de ce nouveau trio avec le guitariste Paulo Morello et le bassiste Sven Faller constitué en 2017, avec un premier albumManoir de mes rêves(Enja). Avec des héritages musicaux différents, les affinités et complémentarités se sont révélées à chaque fois qu’ils ont joué ensemble d’où cette envie de se retrouver régulièrement et à quatre-vingts ans, le guitariste sort, toujours sur le label ENJA un album enregistré en studio intitulé justement Pourquoi.Non une question mais l’affirmation d’une évidence! Compatibilité de jeux, compréhension mutuelle et créativité. Une entente instinctive...
Chaque titre dessine une histoire et un petit univers en soi depuis l’hypnotique “Pourquoi” inaugural où les guitaristes semblent respirer ensemble, comme s’ils se connaissaient par coeur. Un rêve éveillé dans lequel on évolue dès une introduction vaporeuse, mais le propos reste structuré autour de ce halo soyeux. Comme si les musiciens nous murmuraient à l’oreille, réconfortants. .Va t-on vers un éloge de la lenteur, de la douceur? Le sentiment d’intimité n’en est que plus partagé.
Mais déjà les trois complices s’amusent avec esprit et ça valse plus gaillardement avec le titre suivant, impulsant envie et couleur dans “Robert’s waltz”. Et il y aura plusieurs occasions de glisser sur le rythme éternel de la valse dans les onze titres de l’album dont 6du guitariste, 2 de Paulo Morello,et une reprise “Inutil Paisagem” de Carlos Jobim qui se marie parfaitement avec le climat de l’ensemble.
Fluide et aventureux, avec une inspiration qui vagabonde volontiers, reposant sur une maîtrise technique à tout épreuve,Philip Catherine est un compositeur doté d’un sens mélodique à toute épreuve. Avec ce trio, il insuffle tout du long finesse et imagination créative. PhilipCatherine continue à explorer et tisser des liens entre les époques traversées depuis sa passion pour Django, avec le tendre “Méline” où se juxtaposent aussi divers styles de jeu, un sens rythmique dans l’agencement des compositions, des percussions des accords. Aucune battle de guitaristes, mais au contraire une écoute attentive et une interaction réussie. Comment se répartissent ils les rôles? Philip Catherine s’affirme plus volontiers avec l’électrique :lyrique mais pudique, sensible, le guitariste joue comme il est, sans se prendre pour un guitar hero. Il joue à la note égrenée, dans des envolées mélodiques très contrôlées, d’une imaginative rigueur. Plus rythmique est Paolo Morello, proche de la bossa “Chateau Plagne”. Il suffit d’une contrebasse dans“To Martine” ou “Ozone” pour créer un contrepoint délicat et assurer la base rythmique sur laquelle s’envolent les deux guitaristes. Point de batterie dans ce trio d’où cette douceur extrême, cette légèreté qui n’a rien à voir avec un rythme qui s’amenuiserait. Le courant passe, il suffit de se laisser entraîner, soutenus sans effort apparent,puisque l’on entre dans un fantasme de l’instrument avec ces guitaristes pluriels. Une fois dans ce sillon, on ne demande qu’à y rester douillet et quiet à écouter les subtilités du jeu.
Rituel de novembre pour le chroniqueur depuis la fin des années 80 : quelques jours à Nevers pour un festival dont le programme est toujours alléchant, très souvent jouissif. Et les Bords de Loire toujours aussi étonnants
Tout avait commencé dès le samedi 5 novembre, avec le duo Céline Boncina – Laurent Dehors, le quintette de Vincent Courtois et la groupe Aziza (Dave Holland and C°). Mais ce jour-là j’étais encore à Paris pour écouter Flash Pig puis Joe Lovano.
Le dimanche 6 novembre, j’étais dans la petite salle de la Maison (de la Culture) pour la création de M. Golouja, théâtre musical qui associe le comédien Olivier Brida et le trio La Litanie des Cimes dans une adaptation d’une nouvelle de Branimir Šćepanović, entre fantastique et absurde. Dans un dispositif scénique simple, une formidable incarnation du comédien, en dialogue scénique et dramatique avec le trio (Clément Janinet, Élodie Pasquier, Bruno Ducret).
Le lundi 7 novembre, à 10h du matin, le chroniqueur se rend au Café Charbon pour une représentation du duo Céline Bonacina – Laurent Dehors devant un public scolaire de collégiens et lycéens. Musique très inventive et vivante, et le public, d’abord timde ne réactions, a montré dans l’échange final avec les artistes que son écoute avait été féconde
Le lendemain, dès midi quinze, au Théâtre Municipal, c’est le concert du quartette Autonomus du saxophoniste finlandais Mikko Innanen : autour de partitions graphiques que chaque musicien fait pivoter de séquence en séquence d’un même morceau, un régal de liberté et d’esprit ludique, en toute rigueur. Le contrebassiste bourguignon Étienne Renard remplaçait au pied levé, et avec brio, le titulaire retenu en Finlande par le covid. À 18h30 à la Maison de la Culture, nouvelle représentation de M. Golouja, puis en soirée, au Théâtre, le groupe Try ! D’Airelle Besson
Belles mélodies de la trompettiste, servies avec liberté et panache par Benjamin Moussay, Fabrice Moreau et Lynn Cassiers : la vocaliste des Flandres belges est en effet la remplaçante régulière quand Isabel Sörling est retenue dans d’autres groupes, et le quartette fait merveille dans le répertoire du disque éponyme, renouvelant chaque fois le matériau musical originel.
Le lendemain 8 novembre, la journée du festivalier commence à 12h15 avec Designers, le trio du contrebassiste belge Joachim Florent, entouré d’Aki Rissanen au piano et Will Guthrie à la batterie. Musique très vive, qui s’aventure souvent dans une effervescence frénétique (mais subtile) où le groove n’étouffe pas la musicalité.
À 18h30 au Café Charbon, scène historique de ‘musiques actuelles’ dotée ces dernières années d’une salle rénovée, c’est Nout, trio hétérodoxe qui associe la flûte (amplifiée, avec de copieux effets), de Delphine Joussein, la harpe électrique de Raphaëlle Rinaudo, et la batterie de Blanche Lafuente.
La flûtiste dynamite le son de son instrument par le traitement électronique, des effets de souffle et de chant dans l’embouchure. Ça décoiffe, mais tout n’est pas joué dans l’exacerbation du son et les transgressions de codes. La musicalité demeure, tapie sous l’effervescence, et elle respire. Un confrère et ami m’avait prescrit des protections auditives : l’ouïe supposée fragile du septuagénaire que je suis a supporté le niveau sonore sans conserver les bouchons au fil du concert….
Le soir au Théâtre, à 21h, c’est Louis Sclavis et ses Cadences du Monde. Belle équipe, avec la violoniste Anna Luis (que Sclavis avait côtoyée pour le disque «Inspiration baroque»), le violoncelliste Bruno Ducret, son partenaire régulier en duo, et le percussionniste Prabhu Edouard, qui remplace régulièrement dans ce groupe Keyvan Chémirani, souvent retenu par d’autre engagements. Très belle cohésion sur une musique conçue sur mesure pour le groupe, avec des espaces d’expression individuelle. Le percussionniste nous a épaté par sa pertinence musicale et son inventivité.
Le 9 novembre, dernier jour à Nevers pour le chroniqueur, la journée commence dans la petite salle de la Maison de la Culture, avec Parking, le trio d’Élise Dabrowski, qui dans ce groupe délaisse la contrebasse pour la seule voix. Olivier Lété est à la guitare basse et Fidel Fourneyron au trombone. De l’improvisation, souvent très libre, sur des canevas préétablis. Une musique de l’extrême parfois, avec la voix qui sort des cadres, la basse qui produit des sons insoupçonnés avec des modes de jeu totalement hétérodoxes, comme le trombone qui soudain dé-coulisse pour d’autres sonorités.
L’après-midi au Café Charbon, c’est un autre trio, Sweet Dog, qui rassemble le saxophoniste ténor Julien Soro (également au synthétiseur), le guitariste Paul Jarret et le batteur Ariel Tessier. D’abord sur un accord unique, altéré et arpégé, de la guitare, ce sera une improvisation total modal du sax, puis sur un cadre de plusieurs accords, une autre escapade du ténor, attisée par la batterie et relancée par la guitare. Pour conclure le saxophoniste passera d’abord au synthé, partant sur l’extra-tonal pour atterrir dans le convenu, avant de poursuive au sax dans un moindre enjeu. L’intérêt s’érodait, et le chroniquer commençait à s’ennuyer….
Retour au Théâtre à 18h30 pour le sextette de l’accordéoniste Christophe Girard. Il a passé sa jeunesse à Nevers, fréquenté naguère le festival en spectateur, et il a joué dans cette salle quand il était adolescent : son émotion est palpable, il en fait d’ailleurs l’aveu. La musique est riche et dense, bien composée et orchestrée, avec une forme d’ensemble élaborée, en plusieurs mouvements, et de l’espace de liberté pour les interprètes qui sont aussi des solistes improvisateurs, et de haut vol : Claude Tchamitchian, François Merville, la violoniste (et vocaliste déjantée) Amaryllis Billet, la clarinettiste Élodie Pasquier, et Anthony Caillet à l’euphonium. Grand moment de musique, assurément !
Le soir, dans la grande salle de la Maison de la Culture, deux programmes qui conjuguent les disciplines artistiques. D’abord la littérature et la musique, avec Les Clameurs des lucioles, lecture musicale sur un texte de Joël Bastard (autour des photographies de CharlÉlie Couture), dont des fragments sont interprétés par Sandrine Bonnaire sur les musiques d’Éric Truffaz, à la trompette, et aussi au piano. Évocations mélancoliques de Montréal, incursion d’un portrait féminin, Sandrine Bonnaire fait vivre la poésie du texte, dans sa nostalgie comme dans son effervescence. Éric Truffaz donne à cette évocation une succession de contrepoints musicaux qui vont magnifier le dire et le dit. Belle réussite que cette aventure littéraro-musicale.
La seconde partie de soirée est inspirée par une photographie de Guy Le Querrec, un mariage à Auray en Bretagne en 1978. François Corneloup, qui est aussi photographe, et a publié récemment un livre de ses images, avec des textes de Jean Rochard, et un entretien en postface avec Guy Le Querrec, a rassemblé une groupe et composé une partition qui se joue avec en fond de scène la photo inspiratrice. Jean Rochard a écrit autour de cette image un texte qui interroge l’image et l’époque. Le texte est interprété par la comédienne Anne Alvaro, et la musique de François Corneloup fait écrin, écran, contrepoint et exaltation de cet instantané de Le Querrec, expert dans cet instant décisif, le fameux kairos (καιρός) qui faisait le bonheur des philosophes de l’Antiquité grecque avant de conquérir les penseurs des temps modernes. Jacky Molard au violon, Sophia Domancich au piano électrique, et Joachim Florent à la contrebasse étaient avec François Corneloup les interprètes et solistes de cette belle partition qui leur ouvrait l’espace de l’improvisation. Et le saxophoniste-compositeur-improvisateur nous a épatés par son niveau d’inspiration. Très très belle conclusion pour cette soirée.
C’est à JP Ricard que je dois la découverte de ce trompettiste exceptionnel et plutôt rare en France. Il l’avait programmé à Jazz in Arles il y a quelques années, déjà en duo dans un intrigant Only Many, avec ce pianiste remarquable Fred Hersch qu’il rêvait d’inviter.
Pour la parution de ce duo Exude, en compagnie cette fois dela pianiste Francesca Han, Ralph Alessi n’est passé pour l’instant qu’à l’AJMI Avignonnais (dont Julien Tamisier assume la direction artistique à présent avec un goût très sûr) puis aux Caves de l’Abbaye de Beaune. On ne les verra pas dans un des grands festivals d’automne mais c’est dans une atmosphère feutrée que l’on apprécie le mieux l’échange de deux musiciens en accord, formés au classique et au jazz. Jamais dans une brillance forcée, ils sont moins soucieux d’envolées électrisantes que de jeux sur les timbres et couleurs, exprimant la plénitude de leur art.
Le Californien mise sur une complicité de longue date à présent avec la pianiste coréenne Francesca Han qui, après s’être frottée à diverses cultures autres que la sienne, s’est installée dans le sud de la France.
L’enregistrement a eu lieu à la Buissonne et cela s’entend immédiatement : ce duo raffiné et subtil pratique un jazz de chambre qu’affectionne particulièrement Gérard de Haro, mettant en valeur la qualité du son et du silence. Plutôt enclins à des confidences mélancoliques, ils se livrent tous deux à une sorte de récital, tout un art de pièces vives, libres, délicatement impressionnistes.
Voilà un trompettiste qui saisit par une fragilité apparente vite démentie, une fausse douceur injectant puissance et expression dans le moindre de ses traits et une sûreté d’exécution quel que soit le registre, avec des aigus qui ne passent jamais en force, virevoltant sur l' équilibre. Un chant qui se projette avec quelque vigueur, demande attention mais captive très vite, enveloppe dans une claire gravité comme ce délicat “Chrysantemum”.
Brillant contradicteur titrait un article de Jazz Times qui notait les oxymores des titres d’albums et de morceaux parfois, comme ce “Humdrum”, en rien monotone, et soulignait la ferme résolution du trompettiste à déjouer les attentes, avec un certain plaisir à subvertir les formes, comme dans ces formes d’études pour piano et trompette. Toujours sous tension sans que cela n’entraîne crispations et rigidité. Les thèmes, concis, servent de points de départ à des extrapolations aérées sans être éthérées, sophistiquées et rigoureuses. Les Américains parlent de jazz progressiste post moderne pour qualifier cette musique difficile, exigeante que le duo nous délivre sans faillir. Parce que leur univers très poétique s’appuie sur des connaissances techniques, harmoniques et rythmiques, ils créent des moments de grâce. Si le jazz leur colle à la peau, ils en font une musique vivante, plus «savante» aujourd’hui, une exploration très personnelle, une écriture dense qui prend des libertés avec, par exemple le traditionnel très connu en Corée “Arirang” que chante Youn Sun Nahde façon plus classique. Car, de toute façon, c’est la manière de jouer qui fait le jazzman, plus que le répertoire. Ils ne reprennent pas de standards en effet, sauf pour le final avec ce ”Pannonica”, plutôt fidèle, moins heurté, sans chercher à se distancier ou à déconstruire la mélodie de Monk.
Attardons nous enfin sur la conception très étudiée de l’album, du titre sobre, le seul mot “exude”, à l’image de la musique pour évoquer ce qui perle, est secrété. Une notion distillée jusqu' à la pochette, bleue… “quand tout au long s’écoule une sorte de bleu” comme l’écrit joliment JP Ricard dans les liner notes . Une pochette bleue intense que strient finement les entailles de Lucio Fontana. La classe!