Plume (saxophone alto), Leonardo Montana (piano), Géraud Portal (basse), Antoine Paganotti (batterie), et en invite sur deux titres, Ambrose Akinmusire (trompette). Studio Sextan, Paris. (pas de date mentionnée).
Un air de mystère flotte autour de ce saxophoniste. Il se présente sous le seul pseudonyme de Plume, un sobriquet attribué par des copains de collège et aucune autre information d’état-civil ne nous est fournie si ce n’est son année de naissance (1981) et sa nationalité (française).
Son parcours l’a mené au prestigieux Berklee College de Boston et dans les clubs de New-York. Revenu en France, il sort aujourd’hui son premier album sous un label réputé pour ses choix artistiques. Le casting témoigne du sérieux de l’affaire, une rythmique connue sur la place de Paris (mention à Géraud Portal à la basse) et en invité spécial, un trompettiste de classe planétaire (Ambrose Akinmusire). Et le leader alors ? Saxophoniste alto, on entend pourtant l’influence de John Coltrane et par certains accents nous évoque un altiste italien débarqué en France à la fin du siècle passé, Rosario Giulani.
Toutes les qualités requises pour assurer (rythme, mise en place, lyrisme) sont bien là et le test se révèle probant sur un standard de la plus belle eau, ‘Nature Boy’. Compositeur de la majorité des titres figurant sur l’album, Plume fait avec un album bien enregistré, (Vincent Mahey aux manettes), une entrée remarquée dans le milieu (très concurrentiel) des saxophonistes. On ne peut que lui souhaiter de persévérer, pour reprendre le titre clôturant le disque (Perseverance).
PLUME, ‘Escaping the dark side’. Sortie le 5 avril 2019.jazz&people JPCD819003 / PIAS.
En concert le 15 mai au Duc des Lombards, 42 rue des Lombards, 75001-Paris - 01 42 33 22 88 - (http://ducdeslombards.com/).
Disparu le 5 avril à 86 ans, Jean-Pierre Farkas, une grande voix de la radio (RTL, Radio France), un reporter dans l’âme, avait aussi une passion pour le jazz, dont il suivit l’actualité jusqu’à ses tout derniers mois, avec un faible pour les saxophonistes, Sonny Rollins, Géraldine Laurent, Rick Margitza. Envoyé spécial permanent de RTL et Paris-Match à New-York dans les années 70, le futur rédacteur en chef de Combat fréquentait les clubs, discutait avec Charles Mingus et passa même une après-midi avec Miles Davis dans sa maison de la 77 ème rue au cours de l’été 73. Cette rencontre, Jean-Pierre Farkas la raconta dans Lettres à Miles, ouvrage collectif de Franck Médioni (Editions Alter Ego. 2016) où une cinquantaine de musiciens, journalistes, écrivains s’adressent au trompettiste. Avec l’autorisation de l’éditeur, Joël Mettay , nous reproduisons des extraits de ce récit. Notre hommage à un journaliste jazz.
Jean-Louis Lemarchand.
« Tout avait très mal commencé : dès que j’ai voulu parler de Jazz, tu as explosé : « Le jazz !!! Encore une invention de ces f…de missionnaires blancs. Encore, l’un de ces abrutis qui voudraient que je danse AUSSI. Finalement, c’est grâce aux Blancs et à tout ce qu’ils m’ont fait endurer que je suis arrivé à quelque chose. Sans eux, je n’aurais jamais eu le courage de tant travailler… ». En réécoutant aujourd’hui mon interview sur mon Nagra - et tu m’as demandé ce que ce mot polonais voulait dire - j’ai surtout remarqué que tu disais « fucking » tous les trois mots ! J’ai essayé de t’expliquer que nous aussi, nous savions exprimer notre colère en français, mais pas nécessairement pour évoquer l’acte sexuel, et quelque soit le sexe… Alors là, c’est toi qui a ri aux éclats en te moquant de ces f…de frenchies qui disent d’autres gros mots dans une autre langue ! Encore un sourire : « Alors, man, tu es de Paris et tu vis dans cette f…big City… Comment fais-tu pour manger ? Tu aimes la quiche lorraine… ? »
C’est gagné : tu m’as entraîné dans une grande pièce, qui donne sur un petit jardin, ton atelier de musique et aussi ton studio : des consoles, un piano, des cordes et des cuivres, des tablas, des sitars et un set de batteries. Surtout des bongos et percussions. Tu m’expliques : « Ca me plaît beaucoup et ça va m’aider : exactement comme lorsque Dizzy m’a conseillé d’apprendre le piano. En fait, à 13 ans, alors que ma mère voulait m’offrir un violon, c’est un client de mon père qui était dentiste à Alton dans l’Illinois qui lui a conseillé de m’offrir une trompette. A 14 ans, je savais tout de la trompette, j’avais déjà ma sonorité, sans vibrato ni autre effet. Depuis, je n’ai fait qu’apprendre la musique. La musique, on ne peut pas s’en passer. Si demain, j’arrêtais de jouer, je passerais tout le reste de ma vie à écouter de la musique et je n’aurais pas un instant à moi… ».
« Je voulais revenir sur Coltrane, te parler de Corea, Hancock, Stanley Clarke et de tous ces musiciens à qui tu as montré la voie…Tu as enchaîné : « Bien sûr, je le sais, tous les musiciens qui ont joué avec moi se sont révélés avec moi et sont devenus meilleurs ensuite. Coltrane par exemple, quand je l’ai connu, il jouait à peu prés n’importe quoi, mais mieux et avec plus de notes que les autre saxophonistes. Alors, je lui ai recopié des variations de Rachmaninov pour qu’il les étudie. Après il se sentait beaucoup plus à l’aise. Je lui ai fait écouter Khatchaturian, Ravel, Prokoviev, Chopin aussi qui est mon musicien préféré et qui aurait si bien « senti » le blues… ».
« Voilà pour la musique. Mais comment ne pas évoquer un autre moment, très dur, de ta vie. Cette nuit d’Août 1959, très chaude comme les étés new yorkais où grillant une cigarette sur le trottoir du Birdland, entre deux sets, tu es pris à partie par un flic, passé à tabac avant de finir la nuit au commissariat ? « Je n’ai jamais oublié. Non il ne faut pas dire que je hais les Blancs, mes meilleurs amis sont des Blancs et il y a bien des Noirs que je ne peux pas supporter. La politique ? Les Black Panthers ? Je pense souvent comme eux, mais je m’en fous, je ne suis qu’un musicien. Et je voudrais qu’on écoute la musique en respectant les musiciens ».
« Le respect, tu me l’as dit, tu l’as rencontré à Paris. Dès ta première venue en 1949: « C’était à St.Germain, il y avait Boris Vian qui jouait de la trompette comme un fou. Il y avait aussi Sartre, tu sais bien « les mains rouges ou non, les mains sales ». Je ne comprenais rien à ce qu’ils disaient, mais ils étaient tous si attentifs. Pas des sauvages comme j’en ai trop connu ici… ». Et puis il y eut aussi Juliette Greco et ce coup de foudre réciproque entre artistes de 22 ans : «On s’aime beaucoup, on se téléphone toujours quand je joue en France ou qu’elle vient ici. »
Éric Plandé (saxophones ténor & soprano), Bruno Angelini (piano, piano électrique, effets)
Guyancourt, octobre 2016
Cristal Records CR 281 / Sony Music
Au fil des disques et des concerts, Éric Plandé a croisé les pianistes Joachim Kuhn, Benoît Delbecq, Bob Degen, Francis Lockwood, et quelques autres. Pour ce disque il a choisi de dialoguer avec Bruno Angelini. Ils se sont rencontrés en 1990 au Cim, école de jazz parisienne pionnière depuis 1976, et ont régulièrement joué ensemble avant de mener leurs projets personnels. En 2016, 10 ans après leur dernier concert commun, ils se sont retrouvés à l'auditorium 'La Batterie' de Guyancourt pour une résidence dont ce disque est le fruit.
C'est bien de dialogue qu'il s'agit, ou plutôt de dialogues différents, dont le sujet varie de la mélancolie extrême à la volubilité rayonnante. Au ténor comme au soprano, chez Éric Plandé, le lyrisme est intense, dans un jeu sur le fil où la maîtrise jamais ne brime l'expression. Entre piano acoustique rêveur, limpide ou explosif, et piano électrique enrichi d'effets mystérieux qui nous entraînent loin de nos bases sensorielles, Bruno Angelini surprend autant qu'il séduit. Un dialogue profondément musical, aussi libre qu'élaboré, nous est offert : sachons l'écouter et le goûter.
Xavier Prévost
.
Le duo est en concert le jeudi 4 avril 2019 à Paris au Sunside
À propos de ce disque le texte du livret, signé Evan Haga (ancien rédacteur en chef du magazine états-unien JazzTimes) évoque judicieusement sa parenté avec un courant de la seconde moitié des années 60 au sein du label Blue Note : Eric Dolphy, Andrew Hill, Grachan Moncur III, Bobby Hutcherson.... On pourrait tout aussi légitimement y ajouter Sam Rivers, Tony Williams, certains des Wayne Shorter de la période, et pourquoi pas le tandem Don Cherry-Gato Barbieri, c'est à dire tout un courant qui fait faire un pas de côté (ou un bond en avant ?) au jazz moderne (déjà post-moderne) de l'époque, en un temps où le catalogue accueillait aussi Cecil Taylor et Ornette Coleman. Façon pour nous qui écoutons ce disque de reconnaître une démarche qui, tout en s'inscrivant dans le jazz de stricte obédience, va chercher dans les marges des émotions et des sensations qui rafraîchissaient nos oreilles de l'époque. Et le disque assurément procède de cette esthétique qui, entre consonances et tensions, fluidité mélodique et escarpements inattendus, réjouit l'écoute de ceux pour qui le jazz n'est pas qu'un long fleuve tranquille. Pas révolutionnaire, loin s'en faut, mais habité par une sorte d'urgence plus que sympathique, l'album nous entraîne, consentants, vers une subtile mélancolie où l'intelligence a son mot à dire. Les solistes du groupe ne sont pas pour peu dans la réussite du CD, et la présence sur une plage du joueur de oud algéro-franc-comtois Fayçal Salhi étend encore le champ des possibles. Le saxophoniste israélien de Paris, bien entouré, signe assurément une réussite artistique.
Enregistré en concert au Club Soto de Kyoto lors d'une tournée japonaise qui passait aussi par Osaka, Hamamatsu et Kishiwada, ce sera l'ultime référence d'Ayler Records qui ne produira plus de nouveautés après une valeureuse contribution aux musiques créatives (mais continuera à commercialiser son catalogue). Le formidable «Lady M» de Marc Ducret sera publié par un autre artisan de la musique vraiment indépendante : le non moins valeureux Philippe Ghielmetti d' [Illusions] (http://www.illusionsmusic.fr). Ce disque-ci est volontairement brut de décoffrage : ambiance soundcheck en courte première plage, et brouhaha d'après concert en plage conclusive. La musique est sans fard : énergique jusqu'à l'extrême, mais non exempte de subtilité, car ses artisans sont des orfèvres. Le site désigne le genre comme 'avant-jazz-metal', ce qui est plutôt bien vu. C'est le second opus du groupe et c'est une tuerie, comme son nom l'indique. Violent, turbulent, doux parfois, raffiné aussi. C'est une plongée dans une musique qui ne s'interdit rien pourvu que l'art musical soit au rendez-vous. Les idées fusent, n'évitent ni collision ni collusion, et c'est tant mieux ! Plongez tête première dans cette expérience de musique vraiment vivante, vous en ressortirez comme d'un bain de jouvence….
Comme à son habitude, Brad Mehldau est arrivé dans cette salle magnifique de la Halle aux Grains en plein coeur de Toulouse, et a attaqué direct. Pas de préliminaires, droit au but. Le clavier qui lui obéit aux doigts et, on le jurerait à l’oeil.
Le pianiste actuellement en tournée avait abandonné ses fidèles acolytes pour se présenter en solo une heure durant. Une heure durant laquelle il fit une véritable démonstration de sa science presque surnaturelle de l’improvisation. Brad Meldhau est l’un des rares pianistes à pouvoir dans une même digression citer du Debussy, du Bach ajouter une pincée de blues et même de pop.
Il peut bien s’emparer de quelques standards ou de ses propres compositions, cela n’est qu’un prétexte pour faire exhaler le piano qui sous ses doigts prend mille couleurs.
Chez Brad Mehldau il y a bien sûr ce sens du placement rythmique mais il y plus. Chez lui tout est affaire d’intention. La façon dont il attaque les notes du clavier et les nuances qu’il met dans ces attaques sont juste stupéfiantes. Il sait, non pas caresser le clavier mais juste doser l’attaque exactement dans l’intention qu’il veut donner. Et même à certains moments cela se mélange et Brad joue avec les renversements d’accords, intervertit main gauche et main droite (on s’accroche pour comprendre quelle main fait la basse, les arpèges et la mélodie).
Mais au final toujours on suit le pianiste dans ses digressions. Il nous embarque parce que jamais linéaire. Toujours à l’affut de la phrase ou de l’accord qui va venir réveiller l’intérêt que nous portons à ce monologue jamais introspectif mais tout entier tourné vers les multiples combinaisons de la musique. Avec une pointe de mélancolie qu’il va chercher dans les basses de son clavier.
Brad Meldhau a en partie joué hier soir quelques morceaux de son dernier album « Seymour reads the Constitution » paru en 2018 sur le label Nonesuch records et aligné plusieurs standards dont un magnifique Lover man.`
On peut reprocher au pianiste une certaine froideur vis à vis du public à qui il n’adresse pas un mot, donnant un peu l’impression de faire le job sans chercher particulièrement à communiquer.
Mais peu importe après tout. Ceux qui ont su entrer dans son univers on trouvé là le seul et unique moyen de communication : la musique.
Branford Marsalis (saxophones ténor & soprano), Joe Calderazzo (piano), Eric Revis (contrebasse), Justin Faulkner (batterie)
Clayton, Australie, 28-30 mai 2018
Marsalis Music 19075914032 / Okeh Sony Music
Enregistré dans le théâtre de Monash University, dans la banlieue sud de Melbourne, lors d'une pause après une longue tournée, le disque révèle les deux facettes de ce Janus Bifrons qu'est, de longtemps, le saxophoniste. Côté véhément l'introductif Dance of the Evil Toys, sur une ligne aventureuse qui nous fait goûter d'entrée la cohésion de ce groupe dont le dernier arrivant, la batteur, est quand même là depuis 10 ans, quand le pianiste et le bassiste sont dans le groupe depuis une décennie supplémentaire! Bref ça circule beaucoup entre ces quatre-là, pour nous rappeler qu'un groupe régulier constitue quand même une sorte d'idéal dans cette musique.... comme dans d'autres. Vient ensuite le plus détendu, mais subtil et tout aussi sinueux, Conversation Among the Ruins, qui laisse une longue respiration au piano avant de libérer un soprano rêveur. Il y aura aussi une valse qui va bientôt s'enflammer en escapade presque free, une ballade, Nilaste, qui va suivre le même sentier torride avant un épisode plus méditatif (au moins au début), et la conclusion de l'album se fera sur The Windup de Keith Jarrett, immortalisé avec Garbarek, et qui revêt ici un caractère primesautier. Belle brochette de titres qui confirment, s'il en était besoin, l'excellence de l'aîné des fils Marsalis. Le groupe était en tournée européenne en mars 2019, mais pas de date française. On annonce une tournée pour bientôt.
Christian Escoudé (guitare, arrangements), Jean-Baptiste Laya (guitare), Antoine Hervier (orgue, piano), Guillaume Souriau (contrebasse) ; invitée sur 4 plages, Stephy Haik (voix, textes)
Rochefort, juin 2018
Cristal Records CR 277 / Sony Music
Des inédits, de Django, et aussi de Christian Escoudé, qui ouvre le disque avec l'une de ses compositions, Minor Phrasing, un blues (en sol, une des tonalités favorites de Jimmy Smith) que n'auraient pas désavoué les grandes heures des groupes avec orgue sous label Blue Note. On commence dans cet esprit là, mais la guitare chante, comme toujours avec Christian Escoudé, champion du phrasé souple et et du lyrisme, que ce soit dans un contexte de jazz fusion, comme naguère, ou vers la même époque dans l'orchestre de Martial Solal (signataire d'un commentaire élogieux sur le livret-se rappeler que la dernière séance de Django en 1953 fut la première de Martial) ; ou encore en trio de guitares avec les monstres sacrés de l'instrument. Le fidèle partenaire à la seconde guitare, Jean-Baptiste Laya, prolonge et dialogue dans le plus pur esprit de chaque morceau. Sitôt dit, sitôt fait dans la deuxième plage, Nisch, déjà enregistrée dans les années 60 par Schnuckenack Reinhardt, on est en plein esprit de Django, mais comme toujours singularisé par Escoudé qui sait en chaque thème apporter sa touche personnelle. L'orgue s'en mêle, et la basse aussi, sur la souple pulsation de la seconde guitare. Et la fête continue, avec la voix et le texte de Stephy Haik, chanteuse franco-américaine qui pose ses mots (Django Lullaby) en forme de berceuse sur l'Improvisation N° 2 de Django. La guitare chante dans le chorus, et l'aventure continue, avec un autre thème de Django, Improvisation Swing, inspiré par Bach, mais qui fait penser à John Lewis (avec lequel Christian a joué et enregistré). Puis c'est la Messe de Django, reconstituée à partir de fragments, avec un extrait arrangé pour la voix dans l'esprit d'une bande originale signée Michel Magne dans les années 60. Vient ensuite un thème de Christian Escoudé, Anagramme, autre style, mais toujours Grand Style. Retour de la voix de Stephy Haik, puis à nouveau Django, avec voix et un tuilage de deux thèmes, avant une dernière composition d'Escoudé, et un petit clin d'œil à Michel Legrand, car c'est enregistré dans le Rochefort des célèbres Demoiselles.... Un disque hautement recommandable : on se précipite !
Xavier Prévost
.
Le groupe jouera à Paris, au Studio de l'Ermitage, le 25 mars 2019
YARON HERMAN : « Song of the degrees »
Yaron Herman (p), Sam Minaie (cb), Ziv Ravitz (dms)
Blue Note 2019
Il y a un supplément d'âme et un sacré power trio dans cet album. Peut être l’un des plus abouti de Yaron Herman.
Pourquoi un supplément d'âme ? Parce que Yaron Herman est l’un des rares qui sache faire chuchoter son piano comme l’on dirait des mots d'amour avant tout simplement d’enflammer le piano en jetant du fond de lui même une braise passionnée. Yaron Herman improvise avec le bout de ses doigts, avec son cerveau mais aussi avec l'expression d'un sentiment profond. Est ce de l'amour ou une envolée passagère de l'âme ? Seul, lui au fond connaît la réponse.
Profondément ancré dans le jazz comme sur cet ébouriffant Crazy Cat où Yaron fait la course en tête, Yaron, on le jurerait puise aussi son inspiration chez son groupe fétiche, Radiohead. Une influence mutuelle à tel point que l'on se prend à rêver qu’un jour,un duo entre lui et Tom Yorke…. tant ils semblent avoir été élevés sur la même planète.
Il y a chez Yaron Herman quelque chose qui mélange tout ce qu'il a appris des plus grands pianistes de jazz avec cette science de l'improvisation toujours intellectuelle mais jamais cérébrale parce que directement connectée à l'émotion et à la mélodie dont il se fait le maître. Une science de l’improvisation toujours intelligente parce qu’on ne la suit pas comme un exercice de style mais plutôt comme le cheminement d’une pensée intime. Parfois Yaron Herman sait imposer le silence autour de lui comme lorsqu'il s'empare du clavier pour toucher au coeur comme sur cette introduction de Our Love où en quelques notes il peut renverser le monde.
Nous parlions aussi de power trio, terme si souvent galvaudé. Mais si l’on y recours c’est qu’il faut mettre en évidence cette sublime complicité qu'il a su nouer au fil de ses derniers albums avec ce génie de la batterie, Ziv Ravitz qui de manière stupéfiante parvient à donner corps et âme à la musique, en osmose parfaite avec Yaron Herman. Et puis il y a dans cet album la découverte d’un jeune contrebassiste, Sam Minaie, d’origine irano-américaine, ancien élève de Charlie Haden dont entend ici que le maître lui a enseigné la profondeur et la rondeur boisée du son.
Bien sûr Yaron Herman voue un culte à des pianistes comme Keith Jarret ou Brad Mehldau. Et comme ces maîtres il sait où se trouve le graal et sait où se trouve l’essence du jazz. Il suffit pour cela d’écouter les accords complexes de Kinship qui, derrière une structure un peu ardue, Yaron Herman parvient à rendre limpide.
Et puis il y a Still awake qui fait figure de masterpiece devant lequel se déverse tout l'amour du monde.
Parce que c’est cela au fond la musique de Yaron Herman. Cette façon d’embrasser le monde et tout l’univers. Alors forcément, qui que vous soyez, où que vous soyez, vous y retrouvez une part de vous même.
C’est ce qui rend la musique de Yaron Herman belle et portant en elle cette part d’universalité qui la rend, juste divine.
Jean-Marc Gelin
Yaron Herman sera
- Au Forum de Nice le 6 avril
- Au Trianon le 10 avril à Paris.
- A Nantes le 26 avril
Par un groupe qui porte le nom d'un fameux disque de Don Cherry («Art Deco»,1989), une évocation amicale autant qu'un hommage. Ce disque prolonge le programme qu'ils avaient donné en quartette au festival de Radio France & Montpellier Languedoc-Roussillon le 24 juillet 2014, et qui fut diffusé le 11 novembre de la même année sur France Musique.
Ces musiciens du Languedoc étaient proches de Don Cherry avec lequel ils ont joué, et dans cet album deux titres du disque d'où ils tirent leur nom ont été repris, entourés d'autres compositions de Don Cherry, et aussi de thèmes de Coltrane, d'Ornette Coleman et de Jim Pepper. Pas de dévotion stérile ni de mimétisme d'épigones dans cette entreprise, seulement une aventure joyeuse autant que recueillie. Plutôt que d'aller chercher l'une des plages jouées en duo par Coltrane et Don Cherry dans le disque «The Avant-Garde», le groupe a choisi, comme plage de bienvenue, Welcome, tirée du disque de Coltrane «Kulu Sé Mama» : manière de faire entendre dès l'abord que l'hommage n'était pas prisonnier du formalisme. Un court solo de batterie, et un chant qui rappelle Albert Ayler, là encore les hommages sont croisés, dans les parages des passions musicales des cinq membres du groupe.
Suivent cinq compositions de Don Cherry issues de périodes différentes : Dedication to Thomas Mapfumo, joué dans le vif d'un rythme entêtant avec une liberté irrépressible ; puis Orient [Tibet], avec des accents qui rappellent Complete Communion ; et après Art Deco, Ghana Song (co-signé Ed Blackwell), dialogue en tension ludique entre la batterie et le groupe. Augmented, encore de la plume de Don Cherry, époque «Old And New Dreams» (avec Dewey Redman, Charlie Haden et Ed Blackwell), sera suivi de deux compositions d'Ornette Coleman, bien dans l'esprit d'icelui, mais avec ce qu'il faut de cette liberté frondeuse qui seyait à Don Cherry, et que partagent les membres du groupe languedocien. Vient alors Roland Alphonso, souvenir d'un duo Don Cherry-Ed Blackwell pour le disque «El Corazón» en 1982. Une reprise de Mopti, thème extrait de la dernière mouture du groupe 'Old And New Dreams', précède le final Witchi Tai To du saxophoniste Jim Pepper, dans le groupe duquel Don Cherry avait enregistré ce titre. La boucle est bouclée, c'est une célébration amoureusement émue d'un lutin qui, à sa manière, inventa avant (presque) tout le monde le world jazz. Chapeau !
Xavier Prévost
.
Le groupe Art Deco jouera le 24 mars 2019 à Clapiers, dans l'Hérault, à l'Espace Culturel Jean Penso