Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
24 septembre 2024 2 24 /09 /septembre /2024 16:33

FRANCESCO BEARZATTI & FEDERICO CASAGRANDE : «  and the winter came again »

Cam Jazz 2024

Francesco Bearzatti (ts, cl), Federico Casagrande (g)

C’est une sorte de passage de témoin auquel on assiste avec ce nouvel album du duo. Après « lost songs » essentiellement composé par le saxophoniste pour ce duo, c’est aujourd’hui autour du guitariste de livrer (d’offrir) à son camarade de jeu ses propres compositions.

Et le duo continue de séduire.

Car, il faut bien le dire, ces deux musiciens transalpins qui vivent à Paris s’entendent de manière quasi-télépathique. Marchent au même pas vers un seul but : donner vie au son et air à ces morceaux conçus comme des chansons parfois crépusculaires ou fantomatiques.

Avec l’idée constante de laisser à la musique l’espace indispensable à sa respiration, les deux acteurs de ce dialogue se complètent à merveille. Francesco Bearzatti au ténor ( quel son !) ou à la clarinette apporte la ligne mélodique qu’il dessine avec douceur et raffinement. Lui, un peu trublion que l’on avait connu sur des terrains presque punko-jazz se révèle ici en ténor Lesterien amoureux de la belle phrase. Lyrisme soyeux.

Quant à Federico Casagrande, le plus élégant des jazzmen de la capitale dont on aura aussi l’occasion de parler à l’occasion de l’album de Gauthier Garrigue, outre la beauté poétique de ses compositions en clair-obscur qui évoquent les univers de Kenny Wheeler, de Motian voire de Bill Frisell, il apporte à ce duo des nappes harmoniques comme seuls les très grands savent nimber la musique pour lui donner cette forme ectoplasmique et belle à la fois. Jamais en avant mais toujours au service de la forme du son, toujours garant de l’espace de la musique, il brille en arrière-plan.

« And winter came again » resonne comme un voyage onirique peuplé d’être étranges qui sensiblement vous attirent et vous charment. Pour cette route enchantée, nous pouvons bien l’avouer, nous nous sommes laissés entraîner et envoler par ces muses vers un pays d’ailleurs.

Jean-Marc Gelin

Partager cet article
Repost0
23 septembre 2024 1 23 /09 /septembre /2024 20:43

     Saxophoniste ténor à la large sonorité, Benny Golson, qui vient de disparaître à New York le 21 septembre à l’âge de 95 ans, restera dans l’histoire du jazz comme une des figures Emblématiques du hard-bop.

 

     Natif de Philadelphie (25 janvier 1929), la ville qui donna au jazz John Coltrane et tant d’autres, il doit sa notoriété à la composition de quelques titres devenus des standards tels que ‘’Along Came Betty’’, ‘’Park Avenue Petit’’, "Stablemates’’, "I Remember Clifford", "Whisper Not", ‘’Killer Joe’’ - qu’il interprète dans la scène finale du film de Steven Spielberg "Le Terminal"- ou encore "Blues March", qui fut l’indicatif de l'émission d'Europe 1 "Pour ceux qui aiment le jazz" de Frank Ténot et Daniel Filipacchi dans les années 1960. Benny Golson, souligne l’ancien rédacteur en chef de Jazz Magazine, Franck Bergerot, « savait donner du corps à une mélodie qu’il s’agisse d’un quintette ou d’un big band ».

     Ayant appris le métier dans des formations de rhythm’n blues et au sein du grand orchestre de Dizzy Gillespie, Benny Golson prend la direction musicale des Jazz Messengers d’Art Blakey en 1958, poste qu’il occupe quelques mois avant de fonder son propre groupe, le Jazztet en 1959 (le 17 novembre au Five Spot) avec le trompettiste Art Farmer, formation qui va marquer l’histoire au cours de ses deux années d’existence.

     Arrangeur très demandé dans le milieu du jazz (Ella Fitzgerald, Count Basie, Shirley Horn …), Benny Golson a également prêté ses talents de compositeur au cinéma ou à des shows télévisés tels que Mission Impossible ou le Cosby Show. Signe de sa renommée, il figure dans la célébrissime photo prise par Art Kane en 1958, A Great Day in Harlem ; il ne reste plus désormais qu’un seul survivant des 57 musiciens présentés sur ce cliché légendaire réalisé à New-York : Sonny Rollins

 

     Jean-Louis Lemarchand.
 

 

 

Partager cet article
Repost0
23 septembre 2024 1 23 /09 /septembre /2024 10:05

Blue Note 2024

Josh Johnson (saxs), Jebin Bruni (keyboards), Abe Rounds (dms) + Kenita-Miller Hicks (vc), Jake Sherman et Julius Rodriguez ( kybds), Paul Thompson (tp) + Staceyann Chin et Hilton Als ( spkn wds).

 

C’est quasiment gagné : avec ce nouvel album, la contrebassiste-compositrice-chanteuse multi-talentueuse et multi awardisée va mettre tout le monde d’accord. Dans le monde pailleté du star système américain ( auquel d’ailleurs Meshelle Ndegeocello n’échappe pas), dans ce monde très people, c’est une sorte de mini-bombe.

Autant nous étions restés sur notre réserve sur son précédent (et néanmoins très récent) opus, autant celui-ci fait déjà référence, comme une sorte de masterpiece.

« No more water » nous arrive aujourd’hui à l’occasion du centenaire de la naissance de l’écrivain James Baldwin. Comme un hommage et une résurgence de ses textes dans l’actualité de ces Etats-Unis où la ségrégation reste encore un marqueur fort de la société américaine. D’ailleurs l’origine de cet album, comme elle s’en explique dans les colonnes de Downbeat remonte à 2016 lorsque l’élan finissant du 2ème mandat du premier président noir se trouvait confronté à la réalité des actions policières et que la question de la négritude refaisait surface avec la mort notamment de George Floyd. Mais plus précisément à l’automne 2016, quand fut commandé à Meschell Ndegeocello une pièce de théâtre créée avec Charlotte Brathwaite ( « The gospel of James Baldwin :  can I get a witness »)

Les brûlots anti-segregationnistes chez les jazzmen et women sont, depuis les contests songs une constante du jazz américain. Et prennent parfois aussi les allures de tarte à la crème ultra-produits et marketé avec un sens démagogie poussé à l’extrême d’une logique somme toute assez compliant. Rien de nouveau donc sous ce soleil-là.

Mais cet l’album est néanmoins un reflet du mouvement Black lives matter qui, au moment où il a été conçu ( fin du dernier mandat d’Obama) commençait à connaître son essor. Mais là où Meschell Ndegeocello livre une œuvre remarquable c’est qu’au-delà de la question classique elle élargit le sujet aux autres formes de ségrégations notamment sexuelles et religieuses et trouve résonnance au-delà de Black lives matter dans d’autres mouvements comme #MeToo ou d’autres. En d’autres termes « No more water » est u  manifeste actuel qui vient démontrer toute l’actualité du célèbre, « The Fire next time ». 

Et c’est peut-être pour cela que « No more water » n’est jamais attendu, totalement protéiforme et convoquant de nombreuses formes musicales. Avec une réelle dimension artistique qui en déculpe la puissance narratrice. Lorsque la musique et les textes se rencontrent. On pourrait presque l’entendre comme une sorte d’ « opera-soul » qui acquiert une force incroyable. Parce qu’avec l’hommage à l’œuvre de James Baldwin, Meschell Ndegeocello nous invite à réfléchir à notre condition humaine que quelque côté que nous soyons.

Certes, dans ces colonnes habituellement consacrées au jazz, il a du mal à trouver sa place puisqu’il est résolument tourné comme l’un des plus beaux albums de soul (ou de pop) de cette année.

Mais peu importe au fond.

Jean-Marc Gelin

Partager cet article
Repost0
19 septembre 2024 4 19 /09 /septembre /2024 11:04


     Nous apprenons le décès le 14 septembre à Perpignan, à l’âge de 73 ans, de Joël Mettay, éditeur, qui avait obtenu le Prix du Livre de Jazz de l’Académie du Jazz deux années consécutives, en 2011 pour « KO-KO » d’Alain Pailler (consacré à l’enregistrement de ce sommet du style jungle par Duke Ellington le 6 mars 1940,) et en 2012 pour « Petit Dictionnaire Incomplet des Incompris » d’Alain Gerber (ouvrage dédié aux héros de l’ombre de l’histoire du jazz de Lorez Alexandria à Attila Zoller).

 

     Après une carrière de journaliste au quotidien « L’INDEPENDANT » de Perpignan, Joël Mettay avait  créé en 2002 à CÉRET, Pyrénées Orientales (« La Mecque du cubisme ») une maison d’édition, « ALTER EGO » dédiée aux arts modernes et contemporains et qui avait lancé en 2010 une collection « Jazz Impressions » ; à ce titre ont été publiés des ouvrages d’Alain Gerber (« Bu,Bud, Bird, Mingus, Martial et autres fauteurs de trouble »), Michel Arcens Instants de jazz » avec des photos de Jean-Jacques Pussiau, « John Coltrane, la musique sans raison »…), Jean-Pierre Moussaron (« Les blessures du désir, pulsions et puissance en jazz »), Jean-Louis Lemarchand (« Ce jour-là sur la planète jazz », « Paroles de jazz » avec une préface de Jean Delmas), ou encore Jacques B. Hess (« Hess-O-Hess, chroniques 1966-1971 » avec une préface de Lucien Malson).

     Joël Mettay présidait l’Association des Amis du Musée d’Art Moderne de Céret et s’impliquait également dans l’activité du Mémorial de Rivesaltes. Journaliste « indomptable », selon l'un de ses confrères à « l’Indépendant », il avait en 1997 dénoncé la destruction du fichier juif du camp de Rivesaltes découvert à la décharge publique, un article qui lui coûta son poste mais qui contribua à raviver la mémoire de ce lieu dans la conscience collective.

     Il était l’auteur de « L’archipel du mépris, une histoire du camp de Rivesaltes de 1939 à nos jours ». Il participait à l’Association Prix Walter Benjamin (intellectuel allemand qui décida de se suicider en septembre 1940 à Port-Bou à la frontière espagnole pour échapper au nazisme et à ses complices français et espagnols), qui salue aujourd’hui son engagement en évoquant un homme. « ... qui eut de l’honneur sans la gloire. De la grandeur sans l’éclat. De la dignité sans la solde ».

    

     Ses amis lui rendront un dernier adieu aujourd’hui, jeudi 19 septembre, à Céret.

 

Jean-Louis Lemarchand.

 

Témoignage de ses amis du Festival Jazz en Tech

Partager cet article
Repost0
13 septembre 2024 5 13 /09 /septembre /2024 11:34
ALAIN GERBER   L'Histoire du be bop

 

Alain Gerber  
L'histoire du be bop 

 

Livrets The Quintessence sous la direction d’Alain Gerber et Patrick Frémeaux

Notices discographiques par Alain Tercinet *

Editions Frémeaux & Associés

Jazz (fremeaux.com)

 

Le label patrimonial Frémeaux & Associés nous fait découvrir à chaque parution des enregistrements rarement regroupés tout à fait dignes d’intérêt.

Pour traiter de l’irruption du style musical bebop qui révolutionna l’histoire de la musique aux Etats-Unis, les célèbres éditions maintes fois primées  proposent de reprendre les livrets d’un joyau de leurs productions The Quintessence. Dirigée par Alain Gerber cette collection retrace inlassablement depuis trente ans l’histoire du jazz en coffrets copieux aux textes de présentation exceptionnels. Chaque anthologie présente en effet un livret très précis où figurent les renseignements discographiques complets des différentes séances choisies et un écrit biographique sur les musiciens qui ont initié le mouvement et participé à son évolution.

Le texte vif, original et toujours documenté sur cette révolution musicale à New York dans les années 40 qui traça une ligne de partage entre jazz classique (la Swing era des big bands, une musique de danse et d’entertainment) et jazz moderne est dû à l’instigateur de la collection.

On retrouve la prose délicieuse de Gerber et son analyse des plus fines, historien et écrivain de jazz de référence dont les émissions sur France Musique et France Culture ont formé la culture jazz de nombreux auditeurs.

Alain Tercinet était la référence incollable sur l’histoire de ces enegistrements dont il nous livrait tous les détails avec gourmandise et érudition. Comme dans une vraie association, des complicités se créèrent entre ces deux plumes qui faisaient de chaque livret un plaisir rare de lecture que l’écoute des enregistrements vient renforcer. Entre respect d’une chronologie impeccablement étudiée et espace poétique.

Leurs choix éminemment subjectifs ont rassemblé les titres les plus représentatifs du talent et du style uniques de chacun des musiciens choisis. De partial mais jamais partiel pourrait-on qualifier leur travail.

Alors qu’Alain Tercinet rend compte de la complexité de cette révolution mélodique, harmonique, rythmique, le scénario d’Alain Gerber immerge dans la vie des boppers. Tous deux font revivre au fil des pages, les figures majeures, la puissance de tel ou tel jazzman que l’on reconnaît à des accessoires ou détails : à tout seigneur, on commence avec Miles The man we loved qui a droit à deux chapitres, l’oiseau de feu Charlie Parker le talonne, Dizzy Gilllespie, génie de proximité, Bud et Monk l’homme de nulle part, les pianistes phare du bop suivent, Kenny Clarke l’anti-batteur de choc qui ouvrit la voie à toute une génération, sans oublier Max Roach le Bertolt Brecht de la batterie de jazz. Une seule femme certes, mais c’est la "divine" Sassy, l’inoubliable Sarah Vaughan.

Plaisir intense et nostalgique que de plonger dans la vision du Harlem de l’époque, la vibrante évocation de la 52ème rue, des clubs le Minton’s Play house, l’Onyx (naissance du bop) avec Dizzy dont le titre de l’autobiographie jouera avec le rebond To be or not to bop.

Si “Groovin high”, “Salt peanuts”sont les chevaux de bataille du bebop, si Bird et Dizzy sont liés à jamais musicalement, le bebop est oeuvre collective. Les auteurs s’attardent bien volontiers sur les singuliers chefs de file, mais citent aussi les seconds couteaux.

 

Avec cette histoire du bebop, au coeur de la vie violente de ces musiciens en proie au racisme et à une farouche ségrégation, on assiste aux débuts d’une musique libérée, expérimentée lors de jazz sessions redoutables précisément décrites. Ce livre indispensable sur une musique décrétée pour “musiciens” conviendra aux amateurs éclairés mais constituera une vraie découverte pour les non initiés. Le lyrisme érudit de l’un et la précision impeccable de l’autre épousent parfaitement le sujet, un vrai travail d’équipe et évidemment a labour of love.

 

 

* Figure aussi dans ce livre le tromboniste Jay Jay Johnson, dernier coffret The Quintessence paru en 2024 où Alain Gerber donne son sentiment sur le musicien "en-deçà et au-delà du bebop" alors que Jean Paul Ricard reprend le rôle du regretté Alain Tercinet (disparu en 2017) dans lequel il ne dépare pas, s’attachant au factuel et à la chronologie en donnant une biographie détaillée du musicien.

 

 

Sophie Chambon

 

Partager cet article
Repost0
11 septembre 2024 3 11 /09 /septembre /2024 15:49

avec :

     Guillaume de Chassy (piano),
     André Minvielle (voix),
     Géraldine Laurent (saxophone alto).

Direction artistique : Daniel Yvinec,
Studio Sextan, février 2024,
La C.A.D. / L’Autre Distribution,
À paraître le 13 septembre,
Concert prévu le 16 octobre au BAL BLOMET (75015).

 

     Un chroniqueur des années 30 le dénomma « le Fou Chantant ». C’était l’époque où Charles Trénet (1913-2001) formait un duo vocal avec Johnny Hess (Charles et Johnny) qui n’engendrait pas la mélancolie et cultivait l’amour du swing. Cet art de faire chanter les mots évoquant un univers de rêve trouve aujourd’hui un héraut de choix en la personne de Guillaume de Chassy. Un pianiste au parcours singulier qui affectionne le compagnonnage avec des vocalistes (Natalie Dessay, Laurent Naouri, Elise Caron, David Linx, Mark Murphy…) et navigue à l’aise dans tous les répertoires musicaux (jazz, classique, chanson française avec un hommage en solo à Barbara en 2019).

     Dans ce nouveau défi sans frontières, Guillaume de Chassy, associé à Daniel Yvinec à la direction artistique, a réuni un trio inédit, avec André Minvielle, chanteur, et Géraldine Laurent, saxophoniste alto.
 

     L’innovation est au rendez-vous, André Minvielle, le concasseur béarnais de mots, se lançant dans un scat effréné (Le soleil et la lune, Je chante) et rivalisant de virtuosité sur ce chef d’œuvre de la langue française que constitue « Débit de l’eau, Débit de lait », écrit en 1943 par Trenet et Francis Blanche ou encore sur cet inventaire drolatique à la Prévert, « L’Héritage Infernal ».
    Guillaume de Chassy nous surprend également en retenant une interprétation uniquement instrumentale en duo avec Géraldine Laurent sur deux compositions, « Quand j’étais petit » et « Coin de rue » qui vient clore l’album par une lyrique envolée de 7 minutes.

 

     Avec « TRÉNET EN PASSANT », Guillaume de Chassy nous offre un bien bel hommage au « Fou Chantant » et au poète rêveur : respect des textes subtils et cocasses, mise en musique gorgée de swing ... Un disque hautement recommandable aux amateurs de jazz, de chanson, de musique tout simplement.


Jean-Louis Lemarchand.

 

Partager cet article
Repost0
7 septembre 2024 6 07 /09 /septembre /2024 20:23
PAUL JARRET  SOLO 2024

 

PAUL JARRET  SOLO 2024

Sortie Juin 2024 / Distribution Digital : Inouïe 

Paul Jarret, guitarist and composer

Pégazz & l'Hélicon (pegazz.com)

 

Paul Jarret solo :

electric guitars, acoustic steel-stringed guitar, acoustic12-string guitar, mandolin, 5-string banjo, virtual B3 organ.

 

Si l’actualité du guitariste Paul Jarret est marquée cette semaine par la sortie de son A. L. E (Acoustic Large Ensemble) chroniqué sur notre site par Xavier Prévost, il ne semble pas inutile d’évoquer son premier solo, sorti en juin dernier.

Publier trois opus différents en leader (PJ5, Solo24 et Acoustic large ensemble) sur une période de 5 mois peut sembler un peu fou mais cette stratégie correspond tout simplement à l’envie, à l’instinct du guitariste franco-suédois!

Paul Jarret a écrit ces treize plages de sons insolites, bande-son d’une continuité conceptuelle intéressante depuis Odd Western, une balade étrange aux riffs hypnotiques qui ouvre l’album jusqu’au final qui ne porte pas le titre Epilog mais Wons eht où l’on retrouve l’imaginaire intériorisé du territoire des ancêtres?

On devient ce voyageur immobile, en partance pour un ailleurs indécis, l’ouest nord-américain ou le grand nord, tous deux désespérément vastes; les guitares recréent les images du genre ou plutôt les contournent, en restant dans une même perspective quand les boussoles s’affolent. Tout un cinéma virtuel se projette dans notre tête à l’écoute de cette musique difficile à qualifier de prime abord qui n’hésite pas à unir post rock bruitiste (Noises, Fuzz) à de l’ambient bien plus planant.

Un solo est une entreprise délicate mais Paul Jarret aime s’adonner à ce genre d’aventures et l’exercice en solitaire était peut être une rampe de lancement pour son projet grand format.

On retrouve en effet une musique qui superpose les strates de son ou les combine dans une recherche maniaque sur les textures et les tuilages. Une douceur  certaine semble au rendez-vous quand le guitariste étire le temps comme s’il voulait assembler les filaments d’une mémoire perturbée. On pourrait également être surpris par des tempi relativement invariables ...si on ne se souvenait de Puissance de la douceur, un projet formidable  constructeur de son identité musicale? C’est qu’il s’agit d’un chaos tout à fait organisé, une dynamique porteuse de résistance à l’oppression. Faire un pas de côté sur une cadence suggestive plutôt qu’une rythmique appuyée dans  un travail d’expérimentation précis sur les sons plus ou moins bruts à partir de divers instruments aux cordes pincées, frottées: guitare acoustique, électrique, douze cordes ... S’entend alors une guitare électrifiée parfois fantômatique aux sinusoïdes marquées pour une musique répétitive voire minimaliste avec boucles, reverb, re-recording avec guitare 12-cordes, mandoline ou banjo. Des ostinatos sur lesquels le soliste peut imaginer un noir et blanc qui reprendrait des couleurs. S'adonner au tissage comme sur la photo de pochette.

Un cheminement harmonique qui met en valeurs reliefs, climats dans un univers pourtant dépouillé, enveloppant jusqu’à l’engourdissement dans Blankets ou Snow .

Qu’importent les bricolages, l’album conserve une unité, une dimension originale et poétique dans le monde floconneux des perceptions quel que soit le style choisi, folk, noisy, ambient ou plus lyrique car Paul Jarret arrive à concocter un magma très personnel dans lequel on demeure en immersion.

Tout un art de petites pièces abstraites souvent, entre deux et trois minutes-sauf la plus lyrique qui est aussi la plus longue Soren’s Home qui raconte une histoire, créant des climats différents même si certains titres ont déjà été joués ou enregistrés dans d’autres contextes : ce Wood aux suspens et bidouillages parasites est en fait une des Ghost Songs enregistrées avec Jim Black, Odd Western, Sören’s Place créées avec Loïs Le Van, Roam Free plus mélodique composé pour PJ5…

Autre attrait de ce solo 2024  la volonté artisanale et écologique de tout faire soi-même.  Le processus de création D.I.Y. (Do It Yourself) implique une maîtrise totale de la création artistique, du défi d’enregistrer et mixer at home jusqu’ au choix d’une distribution uniquement digitale, sans pressage physique sans oublier... la pochette (motif d’un tapis fabriqué par sa grand-mère maternelle) qui a donné le titre Barn på Mattan (en français Enfants sur le tapis).

Très ingénieux, ce solo confirme une vision toute personnelle, actuelle, ouverte, jamais démonstrative mais néanmoins très convaincante.

Sophie Chambon

 

 

Partager cet article
Repost0
7 septembre 2024 6 07 /09 /septembre /2024 16:47

 

Noël Akchoté, Philippe Deschepper (guitares électriques)

Zürich, 22-23 mai 2024

Ayler Records AYLCD-181 (Orchêstra International)

https://ayler-records.bandcamp.com/album/mmxxiv-ad

 

Ultime publication du label Ayler Records, avec deux absolus francs- tireurs, enfin réunis au disque alors que leurs chemins se sont indirectement croisés, par les groupes auxquels ils ont participé, les musiques et les artistes pour lesquels  ils se sont passionnés. Car reprendre des compositions de Paul Motian, Steve Swallow, Ornette Coleman, Henri Texier…. n’est pas un simple exercice d’admiration : plutôt l’affirmation d’une passion commune pour cette musique, vécue au fil des ans, des groupes, des rencontres…. Des thèmes qu’ils avaient parfois joués avec leurs compositeurs, ou des compositions personnelles qu’ils avaient enregistrées avec l’un des dédicataires de l’album (par exemple Sad Novi Sad, sur le disque éponyme de Deschepper dont Steve Swallow était le bassiste). Admiration et passion communes aux deux guitaristes pour ces héros du jazz moderne, dont résulte cet album gravé sans répétitions, au plus vif des sujets choisis. Sur Mumbo Jumbo, immortalisé par Motian avec Frisell & Lovano, le duo s’en donne à cœur joie, surfant sur les intervalles distendus et le centre de tonalité fuyant : c’est d’emblée une porte ouverte vers l’ailleurs. Puis c’est Cheshire Hotel, signé Akchoté, qui l’avait enregistré avec Sam Rivers (Thollot, Hymas….), Mary Halvorson, Marc Ribot…. Là encore c’est l’envol vers des libertés neuves…. Les deux compères s’évadent tout en dialoguant . Abacus, de Motian, serait plus littéral…. mais ce n’est qu’une illusion : Liberté grande, comme disait Louis Poirier alias Julien Gracq. Je ne vais pas vous détailler par le menu le répertoire, d’ailleurs pendant le programme, la création continue (ou plutôt elle discontinue avec jubilation) , à coups de rebonds, de complicité, d’allusions à peine voilées à d’autres musiciens que ceux convoqués par le répertoire. Dans d’autres cas (She Was Young, de Steve Swallow, illustré naguère par Steve Kuhn, Sheila Jordan & C°) on est plus près du texte originel, mais la liberté ne faiblit pas…. Leurs compositions individuelles ou conjointes procèdent du même esprit : inventivité, musicalité et liberté. Et le disque se termine avec Nebbia, composition de Texier qu’ils ont, je crois, l’un et l’autre jouée sur scène en compagnie du contrebassiste. Un régal de bout en bout. Je dirai même plus : intensément jouissif !

Xavier Prévost

 

Un avant-ouïr sur Youtube

https://www.youtube.com/watch?v=xzT3UpHN8Hw

https://www.ayler.com/

Message du 14 juillet sur la page Facebook de Stéphane Berland, artisan du label Ayler Records

«J'espère qu'on dira que je finirai "en beauté" en septembre. On aura "fait le boulot". On se sera "bien amusé". On se sera "ruiné" aussi. Je me fais lentement (pas tant, en fait ; assez rapidement) à l'idée que "tout a une fin". En tout cas, ce sera sans regrets. Rendez-vous en septembre pour célébrer les 25 ans de cette petite maison de disques et sa dernière publication», avec ce message visuel


Les références du catalogue resteront disponibles

 

Partager cet article
Repost0
6 septembre 2024 5 06 /09 /septembre /2024 18:32
Jonathan ORLAND   Inner Landscape

JONATHAN ORLAND

Inner Landscape

Label Oddsound

 

www.JonathanOrland.com

 

Dix petites pièces pas si faciles en apparence composent cet album solo du saxophoniste alto Jonathan Orland, son septième depuis l’inaugural Homes en 2013.

Un album né à Montréal, au temps du Covid, en un sens providentiel puisque la pandémie a poussé le musicien à se lancer dans l’aventure toujours périlleuse du solo. Jonathan Orland a choisi de se portraiturer dès le délicat Lament inaugural, vraiment splendide ou plutôt de dévoiler  pudiquement quelques uns de ses “paysages intérieurs”.

Il s'est donc livré à ce travail solitaire et parfois ingrat, un exercice de style plutôt rare au saxophone qui peut pourtant – il nous le prouve, se passer d’accompagnement. Dans ce parcours variant nuances et atmosphères de l’instrument, Jonathan Orland fait se croiser imaginaire, mystères, instantanés et une certaine exigence. Ce n’est pas l’art du solo de saxophone en dix leçons mais des “études” qui proposent grâce à la souplesse et les couleurs de l’instrument des bibelots sonores, affirmant ainsi une dimension narrative ou émotionnelle comme dans ce Yiddish Lullaby dont il nous laisse recréer la scène.

Ces performances méritent d’être suivies en live mais on peut découvrir la teneur de ce parcours poétique avec les vidéos de Jérémy Soudant dont on avait aimé dans le temps pour la regrettée collection BD Nocturne les portraits de Stan Getz et de Ben Webster. Ses travaux mêlent le dessin aux techniques de l’image, y compris en 3D.  C’est encore lui qui a réalisé la pochette illustrant la composition Buffalo Island que le saxophoniste décrit ainsi : Nous prenons une route déserte et glaciale d’Alberta escortés par deux bisons ancestraux dont les nasaux expulsent d’épais nuages de vapeur”. On s'y croirait et une fois encore, on se joue le film dans notre tête... 

Jonathan Orland alterne des pièces vibrantes et enlevées avec d’autres moins rapides,  intégrant avec audace le vide, le vertige du silence qui est encore musique.

Ses improvisations laissent découvrir des formes ouvertes, libres, fluides, spontanées. 

Avec une énergie tranquille il  laisse grand'ouvertes les marges d’exploration, sachant écouter les oiseaux jusqu’à les imiter (Gazouillis, Oiseau Mouillé) .

On resterait contemplatif à l’écoute de cette ode à la nature si, par une pirouette, le saxophoniste ne revenait au bons vieux  fondamentaux du jazz, revisitant avec humour jusqu’au couic final, le We See de T.S Monk et s'il ne montrait son penchant mélodique en rendant un hommage singulier au merveilleux songwriter qu'était Cole Porter (Like Someone in Love) dans Like Someone-What

Un album quelque peu inattendu, dépouillé et pourtant fièvreux... à découvrir.

 

Sophie Chambon

Partager cet article
Repost0
4 septembre 2024 3 04 /09 /septembre /2024 17:16

Paul Jarret (guitare, composition, direction), Thibault Gomez (harmonium), Élodie Pasquier (clarinette basse), Maxence Ravelomanantsoa (saxophone ténor), Fabien Debellefontaine & Fanny Meteier (tubas), Jules Boittin (trombone), Hector Léna-Schroll (trompette), Alexandre Perrot & Étienne Renard (contrebasses), Bruno Ducret (violoncelle), Fabiana Striffler (violon), Éléonore Billy (nyckelharpa), Maëlle Desbrosses (alto)

Nanterre, 12-13 octobre 2023

Pégazz & L’Hélicon / Inouïe Distribution)

 

Une nouvelle aventure pour le guitariste compositeur, et le choix d’un absolue singularité : un instrumentarium inédit : anches, cuivres, mais aussi deux basses, pas de batterie, des cordes, un harmonium, et l’étonnant nyckelharpa, instrument traditionnel suédois, déjà entendu du côté du jazz avec le ‘Super Klang’ de Sylvain Lemêtre et Frédéric Aurier. Comme l’instrumentation la musique, résolument acoustique, affiche aussi son puissant désir d’ailleurs. Même si Paul Jarret cite parmi ses références les répétitifs américains, un compositeur d’Europe centrale ou un groupe de rock britannique, nous sommes bien en présence d’un objet musical inédit, où se mêlent une formidable étendue de la dynamique, un puissant souci du détail signifiant, un indéniable sens collectif, et un goût de la liberté qui s’épanouit notamment dans les envolées des solistes, qui peuvent surgir dans une atmosphère de musique spectrale. C’est à la fois profondément mystérieux, et ponctuellement d’une évidence désarmante. Il se dégage de l’ensemble (l’ensemble du répertoire, et l’ensemble en tant que groupe) une sensation de ductilité : c’est fluide, ça bouge, c’est vivant et cela se transforme en permanence : ce pourrait être fragile mais chaque nouvelle étape, chaque nouveau paramètre d’orchestration, chaque intervention soliste nous confirme que cette œuvre en mouvement, œuvre ouverte en quelque sorte, est à écouter, à lire, à recevoir dans ce mouvement perpétuel. Instable et pourtant ferme dans son principe esthétique, dans sa force expressive. Audacieux, magistral, et tout simplement beau : beauté singulière, assurément.

Xavier Prévost

.

Le disque paraît le 6 septembre, et le groupe est en concert le samedi 7 septembre à Paris à l’Atelier du Plateau dans le cadre de ‘Jazz under the radar’ pour Jazz à La Villette

https://jazzalavillette.com/fr/evenement/28066/under-the-radar-paul-jarret-acoustic-large-ensemble

Un avant-ouïr sur Youtube, extrait du concert de création en mai 2023

https://www.youtube.com/watch?v=3hjk4lTQx9c

Également en concert le 12 novembre à La Soufflerie de Rezé (Loire-Atlantique), et le 13 novembre au festival Djaz de Nevers

Partager cet article
Repost0