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23 mai 2015 6 23 /05 /mai /2015 09:28
JAZZ IN ARLES

Jazz in Arles : une soirée en duos

Andy Emler (piano), Claude Tchamitchian (contrebasse)

Anja Lechner (violoncelle), François Couturier (piano)

Festival Jazz in Arles au Méjan, chapelle du Méjan, Arles, 20 mai 2015.

Dix neuf ans révolus et vingt éditions pour ce festival hors du commun, accueilli dans l'espace culturel des éditions Actes Sud au Méjan : une ancienne chapelle, vendue à la Révolution comme bien national, et devenue ensuite le dépôt de laine de la Coopérative du syndicat des éleveurs du Mérinos d'Arles (la raison sociale est gravée dans la pierre du fronton !). Ici pas de moutons à tondre (c'est le rejeton d'une famille d'éleveurs de la race Texel qui vous le dit....), seulement des oreilles et des consciences à combler de beautés sonores. Le piano a toujours eu en ces lieux la part belle : il faut dire que l'instrument de l'endroit, Steinway modèle D, est incontestablement l'un des plus remarquables que l'on puisse trouver dans ce pays, Ile de France et toutes régions confondues. Il est de surcroît préparé, réglé, harmonisé et accordé par l'irremplaçable Alain Massonneau (studio de la Buissonne, concerts de jazz du festival de Radio France et Montpellier....) ; les pianistes de jazz l'adorent, et lui rendent souvent sur scène, ici et ailleurs, l'hommage qu'il mérite.

@xavier.prevost

@xavier.prevost

Deux duos donc ce soir là, très contrastés. La paire qui associe Andy Emler et Claude Tchamitchian s'appuie sur quinze années d'incessantes collaborations, du medium band (le MegaOctet) au trio. Mais leur duo est tout neuf : un seul concert avant celui-ci, à l'Uppercut de Marseille, en octobre 2014. Dopés par le confort acoustique (une sono en simple renfort, d'un naturel confondant) et la puissance hors-norme du piano, les deux compères se sont promenés de plaisir en surprise, glissant d'une improvisation sans filet à quelques uns des thèmes du répertoire du trio qui les associe au batteur Éric Échampard. Andy Emler, que la dynamique exceptionnelle de l'instrument pourrait griser au point de le circonscrire au quadruple forte, n'oublie jamais qu'à l'autre extrémité de l'échelle des décibels, ce piano offre un pianissimo presque diaphane ; et il en joue avec délices. Claude Tchamitchian est porté par la qualité du son qui le sert : à l'issue du concert, il remerciera Bruno Levée, le sonorisateur, pour lui avoir offert une écoute idéale ; et manifestement le contrebassiste est porté, et inspiré, par l'excellence du rendu sonore qui lui est offert. A l'archet comme en pizzicato, les idées fusent, et l'expression s'en donne à cœur joie, et quand il le faut jusqu'au paroxysme. La connivence des musiciens est absolue, et absolument confondante. Le temps, pourtant mesure et maître de toute musique, semble s'être dissipé, comme en un rêve éveillé : après une heure de concert, à l'issue du rappel, le chroniqueur épaté aurait juré que cela avait duré à peine une demi-heure !

@xavier.prevost

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L'autre duo du jour associe Anja Lechner à François Couturier. La disposition a légèrement changé : le piano est cette fois parallèle au bord de la scène et le pianiste, de profil, dialogue avec la violoncelliste qui se trouve derrière lui, légèrement à sa droite, et plus près de l'avant-scène, face au public. Une disposition chambriste, donc. Mais ne nous y trompons pas : si la musique, en bonne partie écrite, est empruntée à Federico Mompou, Georges Gurdjieff, Komitas, et aux compositions de François Couturier (le répertoire de leur disque « Moderato Cantabile », paru à l'automne 2014 chez ECM), l'expression est forte, parfois exacerbée, et l'espace de l'improvisation s'immisce en clandestin dans l'écriture. La violoncelliste offre une sonorité tout à la fois ronde et rugueuse, façon gambiste, comme si son instrument gardait la mémoire de la viole de gambe qui l'a précédé dans l'histoire. Plus que sur disque, on la sent oser, dans les espaces de liberté que peut offrir le texte, l'improvisation, et l'expressivité intense. Le dialogue est constant avec le pianiste qui, impassible et regardant la partition devant lui (qu'il la suive ou s'offre des libertés....), semble en permanence, tel un sphinx, méditer sur l'inatteignable beauté ; beauté qu'il tutoie cependant constamment, en compagnie de sa partenaire. Et plus question ici de se demander si c'est encore du jazz, ou déjà du jazz, ou seulement peut-être : qu'importe. Dans ce lieu unique qu'est le Méjan, idéal pour de tels formats instrumentaux, la musique et la beauté sont les seules mesures possibles. Écoles, styles, genres, idiomes et chapelles, allez au diable : la chapelle du Méjan vous offrira l'absolution !

Xavier Prévost

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