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3 septembre 2015 4 03 /09 /septembre /2015 23:12

Véritable choc de cette rentrée, "for one to love" le nouvel album de Cécile Mc Lorin Salvant risque bien de s'imposer comme un véritable événement dans le paysage du jazz vocal. A la veille de la sortie d'un disque majeur et de son concert à la Villette, rencontre avec la nouvelle star du jazz. Bien loin des clichés de la diva, Cecile Mc Lorin avec une grande douceur et beaucoup de simplicité nous reçoit pour un moment de pure complicité.

CECILE MC LORIN SALVANT : LA MELODIE DU BONHEUR

 

Les DNJ : Depuis ton prix au concours Thelonious Monk, tout semble aller très vite. Tu  t'attendais à ce succès ?

 

Cecile Mc Lorin Salvant : Non pas du tout. Pour tout te dire je ne m'attendais même pas à faire de la musique. Et surtout pas du jazz. Je pensais que, peut-être, si j'avais une chance énorme je pourrais faire du chant lyrique. Et encore.... Je pensais surtout que j'allais faire de longues études et peut-être du droit. Je ne savais surtout pas que cela allait se passer comme ça.

 

Les DNJ : Mais la musique n'est pas un hasard tout de même. Tu as fait le conservatoire ?

 

 

CMLS : J’ai commencé le conservatoire à l'âge de 3 ans. J'ai fait du piano, de la chorale. Vers 14 ans j'ai commencé à faire du chant lyrique. Le chant a toujours fait partie de ma vie et j'ai toujours adoré ça mais je ne savais pas que cela allait devenir mon métier.

 

Les DNJ : L'autre tournant c'est aussi d'avoir fait du jazz.

 

CMLS : Cela s'est fait quand je suis allé au Conservatoire d'Aix en Provence pour faire du lyrique. Je voulais faire cela pendant ma prépa Sciences-Po. Le chant devait être une activité annexe. Au conservatoire il y avait une classe de jazz. Ma mère m'a suggéré d'aller voir, comme ça. C'est ainsi qu’en 2007  j'ai rencontré Jean-François Bonnel. Il m' a entendu chanter et à partir de là c'est lui qui m'a poussé à faire toujours plus, à plus chanter, à plus faire de piano. Il m'a croisé ensuite dans la rue et il m'a dit " il faut absolument que tu fasses la classe de jazz. Viens au conservatoire". Alors comme j'avais un peu de temps de libre, j'y suis allée sans grande conviction.

 

Les DNJ : Tu n'avais donc pas réellement de culture du jazz ?

 

CMLS : Non, pas vraiment. J'entendais les disques qu'écoutait ma mère (qui adore le jazz). J'avais Sarah Vaughan ou Ella  dans les oreilles mais de la même manière que j'écoutais aussi plein d 'autres musiques de style très différent.

Je suis donc entrée au conservatoire en cycle 1 comme un débutant. Je n'avais aucune notion de l'improvisation et pas la moindre idée de ce qu'était un standard.

 

Les DNJ : Tu sais ce que Jean-François Bonnel avait décelé chez toi ? Vous en avez parlé ?

 

CMLS : Au départ non. Il est très timide et du coup cela lui donne un air un peu froid. Mais on en a parlé bien après. Il avait décelé un potentiel et son but était de me faire travailler pour pouvoir l'exprimer. Il m'a fait travailler l'improvisation, l'harmonie, il m'a fait écouter beaucoup de musique. Il a une immense culture musicale qu'il a partagé avec moi. Il etait très dur avec moi alors que j'ai plutôt tendance à être paresseuse.

 

Les DNJ : On a du mal à te croire ....

 

CMLS : Si je t'assure. J'ai tendance à attendre d'être le dos au mur pour m'y mettre. Mais  en musique tu ne peux pas faire ça, il n'y a pas d'échéance. L'échéance, c'est la mort.

 

Les DNJ : Mais j'en reviens à ta relation au jazz. Il y a un déclic qui s'est fait ou bien est ce que tu as suivi le mouvement ?

 

CMLS : Clairement j'ai suivi le mouvement et au bout de 3 ou 4 ans, alors que j'étais toujours à la fac de droit et que je faisais toujours du chant lyrique, je voyais qu’avec le jazz je faisais quelques petits concerts, que cela avait l'air de marcher et même de rapporter un peu d'argent. Presque de pouvoir gagner ma vie avec. Je m'etais constituée un petit répertoire et je jouais avec des musiciens d'Aix ou de Paris. Je commencais à faire des salles, des festivals et je trouvais cela totalement fou parce que tout se passait naturellement alors que tout le reste était beaucoup plus laborieux, qu'il s'agisse du lyrique ou de mes études en droit. Alors que là d'un coup je commence et tout de suite j'ai des concerts, un groupe et cela commence à fonctionner. J'ai commencé à me dire que c'était vraiment ma voie.

 

 

« Mon premier concert, c'était terrible, je regardais  mes  pieds et j'attendais que cela se finisse. Cela a été comme cela pendant longtemps »

 

Les DNJ : Avais-tu le goût de la scène ?

 

CMLS : Mais non, pas du tout. Tu sais, je suis très timide et pas du tout du genre  à  fréquenter  les jams sessions. Il y a des gens qui habitent  la scène  du  jazz, qui savent se constituer un réseau… Moi j'étais  beaucoup  plus réservée.  À l’époque j'avais peur de me mettre en avant et d'assumer mon statut de chanteuse.

 

Les DNJ : Pourtant lorsque l’on te voit si libérée sur scène, on a du mal à t'imaginer réservée.

 

CMLS  : Lorsque je suis sur scène, que je ferme les yeux et que je commence à chanter,  je  parviens  à  lâcher prise. Mais tout ce qui est autour m'a toujours  posé problème. Je commence juste maintenant à être plus à l'aise sur  scène,  à parler au public. Mon premier concert, c'était terrible, je regardais  mes  pieds,  je  fermais  les pieds  et j'attendais que cela se finisse. Cela a été comme cela pendant longtemps.

 

Les DNJ : C'était une souffrance ?

 

CMLS : Non parce que la musique rattrapait tout.

 

Les  DNJ  :  Mais  alors  partant  de là, comment en arrives-tu à passer le fameux concours Thelonious Monk ?

 

CMLS : Je suis allée au concours parce que ma mère me l’a suggéré. Elle était à fond sur tous les concours de chant et de jazz et s'était fait une sorte de  short-list. Le concours  Monk  était  bien sûr en numéro 1. Comme ce concours change tous les ans de catégorie, elle appelait régulièrement pour  savoir  quand allait être la compétition jazz vocal. En 2010 elle m'a poussé  à  envoyer  mon  dossier.  Moi qui ait tendance à procrastiner, j'ai attendu  jusqu'à  la dernière minute et c'est simplement le dernier jour où elle  m'a  demandé  si j'avais bien envoyé le dossier que je m'y suis enfin résolue.  Je  suis  allée  directement à la poste, mais j'ai quand même envoyé un mail en  m'excusant  d'envoyer  le dossier en retard. Finalement ils l'ont quand même accepté. Mais j'étais à deux doigts de ne plus être éligible.

 

Les DNJ : Comment s'est passé le concours ?

 

CMLS : J'étais morte de trouille ! Je venais de perdre au concours de Crest en  août. Et  pas  qu'un  peu puisque je n'étais même pas dans le trio des finalistes.  Du  coup j'étais totalement résignée. En plus, j'avais envoyé une maquette pour le concours de Montreux qui n'avait même pas donné suite.

Donc  j'arrivais au concours Monk en octobre, pas vraiment convaincue de ce que  je venais y faire. Je pensais vraiment que j'allais à la catastrophe. J'ai  entendu  les autres  chanteurs  qui  passaient avant moi et cela m'a conforté  dans  l'idée  que  je n'avais aucune chance. Ils chantaient tous hyper  bien.  Je  ne  savais  vraiment  pas ce que je faisais là et je suis arrivée en finale sans comprendre ce qui m'arrivait.

 

 

Les DNJ : Tu as chanté quoi ?

 

CMLS : En demi-finale j'ai chanté une chanson de Bessie Smith qui s'appelle "Take it right back" et une chanson de Monk (Monk's Mood) et Bernie's Tune. Sur  la chanson de Bessie, j'ai même eu droit à une standing ovation. Cette chanson  de Bessie,  c’est  une  chanson où elle met son mec dehors en lui disant qu’elle en a ras le bol de lui

Je suis entré dans cette chanson et j’ai perdu le sens ce qui se passait autour de moi. En finale, j’ai chanté une chanson de Billie Holiday en prenant le parti de chanter des chansons un peu moins connues. Je pensais que c’était mon seul atout. Je n’ai même pas scatté, je ne le sentais pas.

Les DNJ : Qui était dans le jury ?

CMLS : Dee Dee Bridgetwater, Diane Reeves, Kurt Elling, Al Jarreau et Patti Austin.

Les DNJ : Excusez du peu ! À partir du moment où tu remportes le concours, tout s’enchaîne vite ?

CMLS : Cela a quand même pris un peu de temps. Mais c’est quand même là que j’ai rencontré mon manager qui est aussi le manager de Wynton Marsalis. Mais lorsque je suis rentrée en France, personne ne me connaissait vraiment et il ne se passait pas grand-chose.

Les DNJ : Et c’est là que tu as enregistré ton premier disque, « Woman Child » ?

CMLS : En fait c’est le deuxième. J’avais enregistré un premier disque («Cécile ») avec Jean-François Bonnel.

Les DNJ : Et puis il y a aussi ta rencontre avec Jacky ?

CMLS : C’est encore grâce au concours Monk. L’année d’après, pour les 25 ans, ils ont invité tous les lauréats et j’y suis allée, tout comme Jacky. Il est venu à l’une de mes répétitions et il m’a dit qu’il aimait bien ma façon de chanter et qu’il aimerait beaucoup que je chante sur son album. Je pensais que c’était des paroles en l’air mais lui, quelques mois plus tard il m’a contactée et ça s’est fait.

«Franchement on me propose de jouer dans une comédie musicale, je lâche tout et je fonce. »

Les DNJ : Revenons au nouvel album. N’as-tu pas eu le sentiment de vertige à l’idée de repartir d’une feuille blanche ?

CMLS : En fait pas vraiment parce que le répertoire qui est sur l’album, nous l’avions très largement testé en concert. Petit à petit nous avons développé les chansons et les arrangements. On avait 15 ou 20 chansons en poche que nous jouons tout le temps et que nous pouvions enregistrer. Et puis j’avais mes propres compositions que j’avais un peu cachées et que j’ai ressorti à cette occasion. Et puis je m’étais protégée et je m’étais tenue à l’écart des choses qui avaient été écrites sur moi ou sur mon deuxième album. Je n’aime pas me regarder dans le miroir. Je n’aime pas, je préfère regarder les autres. Du coup, j’ai moins cette sensation de vertige. Dans cet album, il y a quelque chose de plus personnel, c’est mon groupe et le son que je veux. On arrive presque à ce que je supporte d’écouter venant de moi. Presque.

Les DNJ : On a le sentiment qu’il y a vraiment deux chanteuses qui t’ont beaucoup marquées : Bessie Smith et Sarah Vaughan ?

CMLS : En fait j’ai vraiment beaucoup de chanteuses qui m’ont influencée. Sarah et Bessie sont pour moi au même niveau qu’Ella Fitzgerald, Billie Holiday, Betty Carter, Carmen Mc Rae, Blanche Calloway, Valaida Snow, Peggy Lee, Anita O’Day, Blossom Dearie. Il y en a tant que j’adore ! Par contre Sarah Vaughan c’est celle que j’ai entendue en premier et qui m’a vraiment fait aimer le jazz. Sa voix d’abord ! Mais mère l’écoutait beaucoup.

Les DNJ : Un peu à ma manière de Sarah Vaughan tu as une incroyable liberté vocale. Comme quand tu vas chercher dans l’hyper grave. D’où te vient cette liberté ? C’est quelque chose qui se travaille ?

CMLS : Oui bien sûr. Cela me vient peut-être de mon apprentissage du lyrique qui me permet de jouer sur les tessitures et les octaves.

Les DNJ : Et puis il y a beaucoup de théâtralité dans la façon dont tu chantes. Tu es une véritable interprète des chansons.

CMLS : C’est vraiment important pour moi de raconter des histoires. D’être un peu une story teller. Comme j’évolue en France et que le public ne parle pas forcément anglais, j’imagine qu’il faut par la voix donner l’intention, expliquer la chanson. Mais c’est aussi parce que j’ai cette nature-là. Je me souviens quand j’étais toute petite et qu’il fallait réciter des poèmes à l’école, je sur jouais à mort, je me roulais par terre, je pleurais presque en récitant les Fables de La Fontaine. J’étais à fond ! C’était pour moi l’occasion de jouer ! Et je ressens toujours cela, cette envie de jouer, d’être actrice.

Les DNJ : D’où ton rapport à la comédie musicale très présente dans ton dernier album.

CMLS : Oui j’adore absolument la comédie musicale, les opéras. J’adore ces histoires longues avec des personnages développés, des vraies scènes de jeu.

Les DNJ : On a le sentiment que chacune de tes chansons est en fait une affaire personnelle. Qu’elles disent quelque chose de toi.

CLMS : Surtout sur ce disque. C’est vraiment moi, ce que je ressens, ce que je vis. Totalement autobiographique.

Les DNJ : Quand on entend comment tu chantes « Le mal de vivre » de

Barbara, on se dit que cette chanson parle aussi d’une expérience vécue ?

CMLS : J’ai entendu cette chanson au pire moment de ma vie. Lorsque j’étais au désespoir le plus profond, sans qu’il n’y ait la moindre raison. Tu te réveilles un matin et que cela te tombe dessus sans que tu saches pourquoi. Quand j’ai entendu Barbara chanter cette chanson j’ai eu l’impression qu’elle me parlait à moi, qu’elle lisait exactement ce qui se passait dans ma tête. Et puis petit à petit à la fin, elle nous sort de notre profondeur et nous ramène à la surface. Il y a cette fameuse vidéo d’elle http://www.youtube.com/watch?v=QOXj23x5EW8 . Elle regarde la caméra, comme si elle te regardait toi. C’est bouleversant. J’ai regardé cela durant des années avant même d’imaginer oser la chanter.

Les DNJ : Tu chantes régulièrement des chansons du répertoire français.

CMLS : En France, pas aux Etats-Unis. Mais on me le reproche souvent dans le public ou alors les programmateurs n’aiment pas trop. Souvent on me dit que la voix est différente, que c’est moins jazzy. C’est sûrement vrai.

Les DNJ : Je me souviens de ton interprétation de Damia à Coutances !

CMLS : Cette chanson s’appelait « Personne ». C’est une chanson magnifique

http://www.youtube.com/watch?v=0KxQHr_Sz50 C’est vrai qu’à chaque fois que je donne une des chansons de ce répertoire français aux musiciens, ils se grattent un peu la tête pour savoir comment la jouer. Mais ils font toujours un super job. Il y a plein de chansons françaises du répertoire des années 20 qui sont superbes et que j’aimerais chanter.

Les DNJ : Et l’Opéra ?

CMLS : Oui bien sûr ! En ce moment on fait un thème tiré de « Candide » de Bernstein, Glitter and be gay. On a changé l’arrangement, mais on a gardé la chanson. C’est plus de l’opérette d’ailleurs que de l’Opéra. Et puis on commence à travailler sur un opéra de Kurt Weil qui s’appelle « Street scene ». Cela reste de l’Opéra américain très influencé par le jazz.

Les DNJ : On parlait de comédie musicale. Si demain on te proposait un rôle…..

CMLS : Je t’arrête tout de suite : je dis OUI immédiatement ! Sans la moindre hésitation. J’en rêve. Franchement on me propose ça, je lâche tout et je fonce.

Les DNJ : Tu sais ce que tu aimerais jouer ?

CMLS : J’adorerais faire « Porgy and Bess » …. Mais il y en a d’autres. Par exemple « The sound of music » ( « La mélodie du bonheur »). J’adore. Mais bon ça ne marche pas trop parce que je suis noire mais on peut rêver, il y a parfois des metteurs en scène un peu audacieux…. Et puis il y a aussi toute l’œuvre de Sondheim.

Les DNJ : Sur l’album, ce sont les mêmes musiciens avec lesquels tu tournes en concert. Comment vous êtes-vous rencontrés avec ton pianiste Aaron Diehl ?

CMLS : Grâce à mon manager. Il m’a fait une liste de pianistes et je les ai tous écoutés. Il y en avait deux ou trois qui étaient très intéressants pour moi. Comme

Jon Batiste qui vient de Louisiane. Et puis j’ai vu une vidéo d’Aaron Diehl en train de jouer du Fats Waller et là j’ai tout de suite dit, c’est lui ! (https://www.youtube.com/watch?v=Kb6oMBor5tk).

Dans le groupe, il y a aussi Paul Sikivie à la contrebasse et Lawrence Leathers à la batterie. Ils ont entre eux une interaction incroyable. C’est important de pouvoir entendre le trio entier comme une vraie entité qui swingue ensemble. Paul et Lawrence quand ils se mettent à jouer ensemble c’est magique. Paul, il chante avec sa contrebasse, il a un super son et des phrases magnifiques. Et Lawrence a des nuances sublimes. Ce sont deux musiciens d’une belle joie. En tout cas, c’est important d’avoir un vrai groupe qui évolue ensemble dans le temps. Je tiens vraiment à préserver cela autant que je le pourrais.

«Aux Etats-Unis, j’aimerais trouver dans le public, quelqu’un qui me ressemble »

Les DNJ : Il paraît que tu tournes un peu avec Wynton Marsalis ?

CMLS : J’ai fait des dates avec eux à Noël. On a un peu tourné ensemble. Une quinzaine de dates où l’on a vécu ensemble, dans le bus, dans les hôtels et tout ça.

Les DNJ : Pas trop stressant de chanter sous le regard de Wynton ?

CMLS : Si. Mais je dois dire qu’il a toujours été hyper encourageant avec moi. Il m’a toujours donné de supers conseils. Des choses à écouter ou à travailler.

Les DNJ : Quel accueil as-tu aux Etats-Unis ?

CMLS : C’est un bel accueil même si cela pourrait être mieux. Non pas qu’il manque de public mais surtout que ce public n’est pas très diversifié. Il faudrait plus de jeunes, plus de noirs. Cela manque un peu. C’est un public de personnes assez bourgeoises et blanches. J’aimerais bien trouver dans le public quelqu’un qui me ressemble.

Les DNJ : Pour l’âge du public n’est-ce pas aussi parce que ton répertoire peut être considéré comme un répertoire classique. Je veux dire classique du jazz.

CMLS : C’est possible. Je ne fais pas de R’n B par exemple ou de soul. Mais je pense que l’on est assez mal diffusé vers un public plus jeune. C’est sûr que si je faisais du hip hop ….

Les DNJ : Tu te verrais chanter du hip hop ?

CMLS : J’adore cette musique. Mais elle ne me correspond juste pas. Peut-être une ou deux chansons mais certainement pas ne chanter que cela.

Les DNJ : Tu ne te vois pas en Kendrick Lamar….

CMLS : J’adore Kendrick Lamar ! Je suis à fond sur Kendrick Lamar. Rien à dire, c’est un génie ! Ses paroles sont incroyables. Quand c’est de qualité comme ça, je dis Oui !

Les DNJ : Je comprends bien le fossé générationnel dont tu parles et qui est un peu lié au répertoire. Par contre je comprends moins le fossé racial ….

CMLS : On dit un peu que les noirs ont rejeté le jazz. Sauf peut être à la Nouvelle-Orléans. Mais c’est tellement particulier là-bas. C’est l’endroit le plus bizarre que j’ai vu. Si tout était comme à la Nouvelle-Orléans, ce serait magnifique. Un accueil hyper chaleureux. Tu vois des gens qui aiment la musique. Il y a de la musique partout. J’ai adoré chanter là-bas.

Les DNJ : Les gens doivent te prendre pour une américaine ?

CMLS : Oui. Mais tu sais, je me sens parfois plus américaine qu’autre chose. Je suis fille d’immigrants. Cela doit venir de ça.

Les DNJ : Pour revenir au disque, on trouve dans ton album une immense liberté que beaucoup de chanteurs ne s’accordent que lorsqu’ils sont sur scène. Comment fait-on pour acquérir cette liberté ?

CMLS : Pour moi c’est en écoutant beaucoup. Et plus j’ai écouté plus je me suis rendu compte des possibilités du jazz. En jazz, on n’est pas obligé d’avoir une belle voix, une voix lisse, ou de chanter d’une certaine manière plutôt que d’une autre.

Les DNJ : Tu chantes sur combien d’octave ?

CMLS : trois je pense. Mais ce n’est pas très important.

Les DNJ : Pourtant quand tu chantes on a bien le sentiment que tu utilises toute ta tessiture pour donner du relief à ton interprétation.

CMLS : Je crois que c’est ma mère qui m’avait dit ça un jour après un concert. Elle me disait « pourquoi tu n’utilises pas toute ta tessiture ? ». Et c’est vrai que je n’avais jamais pensé à cela.

Les DNJ : Tu ressens les émotions passer dans le public quand tu chantes ?

CMLS : Parfois c’est difficile de le ressentir. Parce que je ne vois pas le public. Je ne l’entends qu’applaudir. Parfois le silence est difficile à interpréter. Ce que je préfère c’est quand le public s’exprime. Cela me nourrit.

Les DNJ : Tu as chanté un peu cet été avec Attica Blues (la renaissance du projet d’Archie Shepp) ?

CMLS : Je n’ai pas pu faire toutes les dates, mais j’en fais certaines. C’est super avec Archie. Je l’adore. C’est quelqu’un dans le groupe qui m’avait recommandé à lui. Je ne sais pas qui c’est. Peut-être Raphaël (Imbert). En fait il cherchait quelqu’un qui pourrait chanter le blues. On lui a fait passer une vidéo de moi chantant Bessie Smith et il a aimé.

Les DNJ : D’ailleurs, tu participes à la B.O du biopic sur Bessie Smith qui va bientôt sortir en France.

CMLS : Oui c’est super, mais j’étais très frustrée parce qu’en fait on ne m’a pas demandé de chanter une chanson de Bessie. La scène où il y a ma voix, c’est celle où elle est dans un club de jazz et où elle entend quelqu’un d’autre chanter dans le nouveau style. C’est dans la fin de sa vie au moment où elle se dit qu’elle devrait se remettre en cause. C’est une chanteuse qui me fascine. J’aurais aimé assister à des spectacles de Bessie Smith où il y avait des danseurs. Elle faisait des spectacles dans des tentes, comme sous un chapiteau de cirque.

Les DNJ : Tu chantes encore dans des petites salles

CMLS : En fait non, mais c’est vrai que j’adore l’ambiance des petits clubs. En Norvège et en Suède j’ai fait une quarantaine de petits clubs et j’adore ça.

CECILE MC LORIN SALVANT : LA MELODIE DU BONHEUR
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