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24 septembre 2023 7 24 /09 /septembre /2023 16:57
Final des Emouvantes 2023

Suite et fin des Emouvantes édition 2023

 

Samedi 23 Septembre

 

 

Retour au Conservatoire de Marseille pour la dernière soirée de cette onzième édition des Emouvantes. En première partie, un duo inédit de deux musiciens qui se connaissent bien pourtant ...

 

 

 

Duo Sclavis/Chemirani

Salle Audoli, 19h00.

Louis Sclavis, clarinette, clarinette basse, Keyvan Chemirani zarb, daf, santour.

L’alchimie du rythme : une conversation musicale

 

Ce concert à la croisée de l’orient et de l’occident rassemble ces mondes si différents qui s’attirent néanmoins avec la rencontre en duo du zarbiste Keyvan Chemirani et du clarinettiste Louis Sclavis. Tous deux se connaissent et se pratiquent depuis longtemps, eux qui n’aiment rien tant que de participer à de tels voyages à travers le temps et les diverses géographies musicales. Aux confins du rythme et de la percussion ou du “rythme et de la parole” qui fut le thème, par ailleurs d’une des éditions passées des Emouvantes.

Keyvan Chemirani s’est souvent ouvert à d’autres cultures avec des joueurs de tablas indiens, des violoncellistes jazz, des chanteurs du bassin méditerranéen … Il ne joue pas que du zarb, mais aussi de l’udu, du bendir méditerranéen et sur un morceau magnifique, composition écrite avec son benjamin Bijan, intitulé judicieusement “Brotherhood” du santour, sorte de cithare sur table frappées de petites baguettes recourbées ou marteaux. Le santour au grand nombre de cordes difficiles à accorder offre une grande richesse d’harmoniques et de résonances : un “sustain” très long sans accord plaqué mais ouvert. très efficace pour la musique modale. On a l’impression d’entendre plusieurs notes en même temps, effet polyphonique assuré. Jeu virtuose assurément que l’on ne peut s’empêcher de suivre, la clarinette semblant presque simple dans son fonctionnement en comparaison. Même si le maître Sclavis sait en jouer de tous les effets possibles.

Dans ce duo, être au premier rang, place que j’occupe rarement, est un bonheur. Voir comment ça joue, la fabrique du son et la beauté des gestes. Et les deux photographes accrédités, les seuls autorisés à prendre des photos pendant les concerts, assurent un ballet élégant et gracieux qui ne gêne en rien les musiciens tout proches. 

Même sans connaître les nuances techniques, on est fasciné par les sons et les rythmes produits. Celui qui attire tous les regards est ce maître des percussions digitales (pas seulement persanes donc), intimement lié à la mystique des poètes soufi. Le zarb est ce petit tambour en forme de calice composé d’une seule pièce de bois creuse cylindrique dont l’ouverture est fermé par une peau tendue. La main gauche est posée sur le sommet de l’instrument, les doigts en frappent le bord de la pulpe, la main droite alternativement vient frapper le centre ou le bord de la peau préalablement mouillée et essuyée soigneusement. Keyvan s’enduit les mains régulièrement de talc. Souvent associé au daf de différente taille (tambourin sur cadre), le zarb ou tombak produit par cette excitation digitale diverses frappes tom ( grave) et bak (aigu), sur des mesures en 6/4 ou 6/8. Son rôle est l’accompagnement des instruments mélodiques ( il suit le rythme ou joue sur le placement des accents) mais il transforme aussi le musicien en soliste.

Des motifs qui circulent et se combinent vont se déployer lors de ce concert-récital à deux voix dans un exercice de style et d’admiration communes : voix croisées, résonances sensibles où l’on l'on répète jusqu’à la transe quelques structures rythmiques. Les deux complices avec infiniment de respect s’attendent, échangent, confrontent leur territoire pour en trouver un commun, intégrant parfaitement les apports de l’autre. D’où cette sensation de fluidité extrême qu'ils communiquent à un public très attentif.

Quant à Louis Sclavis, quel plaisir de le retrouver avec ce compagnon de route qu'il invita souvent, lui qui a formé tellement de groupes divers. Sclavis a su dans sa maintenant longue carrière réconcilier diverses tendances, mêler folklore, musique de films (Tavernier), classique ( “Les violences de Rameau”), inspirations Jungle d’Ellington, tribales d’Afrique de l’Ouest...Sa conception rigoureuse de l’improvisation associe un travail de composition extrêmement physique et intellectuel.

Comment ne pas être admiratif devant son jeu d’apparence simple avec ses deux clarinettes sans effets électroniques, juste le souffle et diverses techniques de respiration?

 Quelques bruits recherchés sans le bec, pas de démonstration faussement habile... jeux de clés ou autres bruits devenus passages obligés. Des compositions au titre poétique souvent “Salt and Dogs inspiré de Shakespeare dit-il avec humour (une autre ne s’intitulait-elle pas“Salt and Silk”?), “Dresseur de Nuages”  parcourent ce partage de musique et de poésie. Ce n’est pas seulement pour créer de nouvelles atmosphères en utilisant les couleurs et timbres de ses deux clarinettes et des instruments de percussion, mais pour construire et déconstruire, souffler et apaiser : musique ardente dans ses commencements, nerveuse, qui s’échappe au delà de la sensibilité et du lyrisme.

C’est le clarinettiste qui ponctuera la fin du concert avec humour, expliquant avec un petit sourire que si Dieu s’est beaucoup aidé de Bach, le jazz continue à remplir les églises quand les musiciens y  jouent, empêchant une certaine désertion des fidèles. L’église redevient en somme une M.J.C comme au temps du premier ministre de la culture, Malraux, il y a soixante ans. Cycle de l’éternel retour, se souvenant de sa jeunesse, lui qui a commencé à Lyon et alentours avec l’A.R.F.I (Association pour la recherche d’un folklore imaginaire).

Sclavis et Chemirani ont chacun témoigné de cette forte envie de rencontrer l’autre, de ne pas s’enfermer dans sa seule culture. Le résultat est toujours gagnant avec de tels musiciens.

 

Ensemble Nautilis

Brain Songs #3

 

Salle Audoli, 21h.00

ensemble-nautilis.org

Les musicien.ne.s de l'ensemble Nautilis

Claudia Solal, voix, Christophe Rocher, clarinette,Christian Pruvost, trompette, Stéphane Payen, saxophone, Céline Rivoal, accordéon, Marc Ducret, guitare, Nicolas Pointard, batterie?Fred B. Briet, contrebasse

 

Depuis plusieurs années, cet ensemble développe un terrain d’invention et d’investigations sur ces Brain Songs, entre écriture et improvisation. Ensemble à déclinaison variable, il se concentre cette fois sur l’activité cérébrale du public en concert dans cette troisième série, après avoir essayé de déterminer dans les versions antérieures ce qui se passait dans la tête des musiciens.

Le clarinettiste Christophe Rocher, auteur de compositions foisonnantes et composites, développeur de ce projet ambitieux en collaboration avec un chercheur neurologue, explique sa démarche avant de laisser libre cours à la musique. Ce Brain Songs #3 est un spectacle qui évoque en se voulant poétique ce qui relie le cerveau des musiciens à celui de leurs publics dans le contexte d’un concert.

Dans cet octet s’insère la chanteuse Claudia Solal qui a composé les six textes dans une forme d’écriture automatique en français et anglais, vocaliste certes et instrumentiste à part entière aux côtés de trompette, saxophone, contrebasse, batterie, accordéon, guitare. On retrouve avec plaisir la chanteuse dont on ne peut qu’apprécier la diction, l’énonciation parfaite dans les deux langues, sa voix claire remarquablement placée.

L'instrumentarium travaillé pour la recherche des timbres, les placements précis sur scène des musiciens concourent à donner à ces orchestrations du relief, en référence à des esthétiques plus ou moins évidentes pour le public, pop, soul, musique minimaliste ou free jazz.  Ces parties écrites alternent avec des improvisations selon les états supposés ressentis par les musiciens et ce qu’ils imaginent des réactions du public.

Tension constante, puissance de cette architecture structurée en fonction de chaque musicien impliqué dans cette formidable expérience, volontiers consentant. Tous jouent avec énergie et enthousiasme, souriant, semblant apprécier le moment. Et pourtant ce ne sera pas vraiment facile ni confortable ou même familier pour certains auditeurs-spectateurs. 

Quel est d'ailleurs l’effet de ces musiques sur notre cerveau d’auditeur ? C’est ce que je me demanderai en permanence, évoluant moi même d’un état de sidération quand le volume sonore et les tutti un rien cacophoniques vrombissent dans l'espace, un peu disloquée parfois lors de chaos parfaitement agencés à un réel plaisir qui se mesure par des "valences"  montrées au préalable  par Christophe Rocher. Pas vraiment d’état méditatif pour moi mais un regain d’intérêt et d’aise quand j’entends des solis lisibles. Comment ne pas apprécier certaines parties plus apaisées où le jeu des instrumentistes ressort avec plus d’acuité? En particulier celui inespéré de Marc Ducret (remplaçant Christelle Séry) qui a appris le répertoire pour ce seul concert, qui fait résonner ses cordes en vrai “guitar hero” qu’il est.

Il est passionnant d’observer l’effet de cette musique sur le public plutôt fidèle de ce festival, très ouvert aux innovations. La plupart resteront, manifestant un certain plaisir à les voir dodeliner de la tête, d’avant en arrière ou de droite à gauche. Mais dès les premiers morceaux qui attaquent dans le registre d’une improvisation débridée, certains quittent les rangs. Ce qui prouve qu’il y a aussi une partie des auditeurs qui se détermine au dernier moment pour choisir un concert, sans se renseigner au préalable. Attirés peut être aussi par la première partie de la soirée, certains ne supportent pas la surprise d’un format trop libre. Moment déceptif car ils entendent alors quelque chose qu’ils ne (re)connaissent pas.

Différences d’intensité, répétitions, textures, mélodies, couleurs changent sans cesse dans ce voyage sensoriel qui interroge la durée, le temps.

Un bain musical, une performance expérimentale  collective et interactive qui conclut cette édition 2023 ayant apporté son lot d’émotions et de découvertes, stimulante pour l’intellect autant que pour les sensations. Il est vrai comme le dit Nautilis que la musique peut électriser ou endormir, hypnotiser ou réveiller, provoquer l’envie de danser ou la mélancolie voire l’ennui...Acceptons en la règle et réjouissons-nous de vivre ces moments inattendus.

Et déjà  nous pensons à  la prochaine édition... quand l’aventure se poursuivra l’an prochain à la fin de l’été...

 

Sophie Chambon

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