Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
23 septembre 2023 6 23 /09 /septembre /2023 12:11
Onzième édition des Emouvantes marseillaises (du 21 au 23 Septembre)

 Onzième édition des Emouvantes marseillaises (du 21 au 23 Septembre)

 

Présentation - Emouvance - Compagnie Claude Tchamitchian

Festival les Emouvantes (festival-emouvantes.fr)

 

 

A l’équinoxe, arrivée de l’automne que Brassens jugeait “funeste” dans  son “ce 22 septembre” reviennent les Emouvantes, hébergées à présent au Conservatoire national de Région que dirige le saxophoniste Raphaël Imbert. On est sûr en tous les cas de voir la musique en action avec tous les projets depuis 1994 du label Emouvance, et ce festival qui en est à sa onzième édition, présentant des musiques originales, imprévues, exigeantes et engagées.

SUZANNE TRIO Jeudi 21 septembre

Salle Audoli, Conservatoire National de Région, 19h00

Hélène Duret (clarinette basse, voix) Pierre Tereygeol (guitare, voix) Maëlle Desbrosses (alto,voix)

 

Ce trio mixte, deux filles et un garçon, deux instruments à corde et un à vent (violon alto, guitare et clarinette basse) a pris pour nom Suzanne. Quand on sait qu’ils aiment s’ancrer dans les mélodies folk, on commence à avoir une petite idée de l’une des influences majeures de leur répertoire. On aura vite la confirmation par Hélène Duret dès la 2ème composition “Her place near the river”... C’est bien la “Suzanne” de Leonard Cohen qui veille sur le trio.

Un vrai nom de groupe qui ne privilégie aucun des trois musiciens puisqu’il s’agit d’une expérience collective, d’une aventure liée à une rencontre, au sein du dispositif formidable Jazz Migration #7 de l’AJC . Cette structure aide les jeunes pousses de la scène hexagonale en leur procurant des facilités de résidence et des tournées au sein des festivals membres de la structure. Venant de groupes différents au départ, ayant concouru sans succès, leur rencontre révéla suffisamment d’affinités pour qu’ils décident de se représenter à la sélection, avec leur propre formation en 2021. Je les ai d’ailleurs entendus en mai 2022 à Arles à Jazz au Méjan. Et il est certain que le trio a beaucoup beaucoup joué depuis deux ans, il est maintenant rodé sur ce répertoire, et cela s’entend. Mon impression est bien meilleure  : moins de voix, plus d’instrumental pur et sensuel quand il s’agit de la clarinette basse qui donne du corps à l’ensemble. Ils sont déjà prêts à sortir début octobre leur nouvel opus Travel Blind.

L’instrumentation singulière et l’approche acoustique sont des plus adaptées à la configuration particulière de la salle Audoli du CNR, longue et étroite qui ne se satisfait guère de formations trop étoffées et électriques.

La musique du groupe composée pour une grande partie par le guitariste Pierre Tereygeol accueille des compositions des deux autres musiciennes mais fait aussi la part belle à l’improvisation. Qui est de plus en plus sensible, travaillée autant que l’écriture, en s’inspirant des grands de l’improvisation libre que l’on entend souvent dans ce festival. Dès le premier titre “Etoiles vivantes”où les voix comme de nouveaux instruments se joignent en choeur aux cordes pincées, frottées, caressées et au souffle profond de la clarinette basse, on est plongé dans une élégie douce… une polyphonie étrange, un chant intime. Des folksongs de chambre en quelque sorte, plus que du jazz de chambre à la Jimmy Giuffre mais sur le même principe avec une recherche harmonique et un son de groupe travaillés à cet effet, en usant de toutes les ressources de leur instruments respectifs. Le rythme, ils s’en occupent à tour de rôle, échangeant volontiers les rôles, à la fois dans les mélodies et leurs contrepoints.

 Une musique qui pourrait aussi trouver quelque place dans une B.O un peu mystérieuse. Pas de véritable variation autour d’un thème, on ne reconnaît en rien la mélodie de Leonard Cohen pour “Suzanne”. Mais toutes sortes de petits bruits de glotte, du souffle, de gratouillis sur les cordes, les crins, des jeux sur les clés. C’est vif et enlevé et le morceau prend son temps pour se développer, répétitif et entêtant. Grinçant aussi. Quand on vous disait inquiétant... cet alto volontiers dissonant. On ne sait trop où nous conduit leur flux mais l’ensemble coule, plutôt fluide malgré syncopes et ruptures.

D'ailleurs un titre éveille ma surprise, “Where is Frank?”, clin d’oeil au moustachu Zappa, puisque le trio puise volontiers dans toutes les références aimées. Serait ce  justement pour l’aspect collage de fragments plus ou moins longs de styles différents? C’est Maëlle Desbrosses qui commence, posant la mélodie plutôt mélancolique. Je pense fugitivement au Concert Impromptu qui reprenait des thèmes de Zappa en quintet à vent mais ... non. Quel est le Frank auquel pense le trio? Celui amoureux de Varèse et du contemporain ou plutôt l'Américain qui se moquait avec tendresse du doo wop?

Le trio insiste en tous les cas sur l’importance de la transmission. Une sorte de filiation jusqu’à ce prénom de (grand)-tante ou de grand mère, un peu désuet. Le fil directeur remonte à la source entre le folk, le bluegrass, Leonard Cohen, et puis Jeff Buckley pour les voix. Confirmation avec le final, la seule reprise chantée par Pierre Tereygeol, le “Satisfied mind” de 1998 où plane la figure tutélaire de Jeff Buckley. C‘est en effet l’une des sources logiques d’inspiration du trio. La boucle est bouclée de Cohen à Buckley qui n’avait jamais peur d’exposer ses fragilités et de rendre hommage à ses idoles. C’est donc un hommage à une époque, à la voix aussi. Audacieux, libertaire, comme me souffle mon voisin, et pourtant accessible.
 

 

POETIC POWER

 

Salle Audoli, 21h00.

Claude Tchamitchian, contrebasse, Eric Echampard, batterie, Christophe Monniot saxophone alto

 

 

Partant du jazz sans jamais le quitter, fidèle à cette musique d’imprévus, le contrebassiste Claude Tchamitchian continue à creuser son chemin, en sideman dans les meilleurs groupes comme le Mégaoctet mais aussi en leader. Il aime à s’engager hardiment,  et si on reprend le thème de l’édition 2023 des Emouvantes, à choisir des chemins de traverse. Mais en excellente compagnie.

On s’aventurerait en forêt cette fois avec une suite de (plutôt) longues suites qui tournent autour du thème de l’arbre, sa contrebasse signifiant logiquement l’enracinement, le saxophone de Monniot toutes les ramifications complexes du feuillage et la batterie essentielle d’Echampard assurant le lien entre terre et ciel.

Claude Tchamitchian a une écriture qu’il désire moins encombrée par le sentimentalisme des passions que par l’ouverture aux “improvista”, attentif aux rencontres, aux interactions naturelles, à une certaine urgence teintée de colère. Comme dans l’un des derniers titres “Unnecessary Fights” qu’il dédie à sa pauvre Arménie, une fois encore menacée d’effacement.

Après des expériences en sextet et en plus grand orchestre encore, Claude Tchamitchian constitue ce Poetic Power (label Emouvance) sorti ou enregistré le 17 mars 20, ça ne s’invente pas. . Le choix du saxophoniste (ici à l'alto) Christophe Monniot est évident, lumineux et espéré! Le musicien a le souffle inventif, la concentration agile et volatile, son chant est toujours émouvant, tant il recèle de capacités d’abandon. Un effacement de soi qui aboutit à un réel dépassement : il nous entraîne loin et haut sur les cimes de ses paysages intérieurs, sculptés dans sa mémoire qui resurgissent abruptement. On le voit hésiter sur ce qu’il va jouer, là dans l’instant avec une capacité exceptionnelle d'écarts, toujours maîtrisés.

Moins fantaisiste qu’émouvant dans ce contexte. Quelle mélancolie dans certains passages, dans le souffle déchirant, contrebalancé par des pirouettes vertigineuses. On entend tellement de nuances dans cette musique qui résonne en profondeur et réveille les sens. Ecoutons-le dès le premier thème “Katsounine” où propulsé par la rythmique, époustouflante, où Echampard travaille les textures, sèches, claquantes sur les cymbales, il embrase notre imaginaire, sans oublier pour autant des instants plus tendres et rêveurs, fondants, même s’il n’est pas au baryton! Beauté fluctuante, fragile et dangereuse, intermittente le long de cette errance en six pièces, longues, amples ( plus quelques rappels réclamés à cor et à cri par la public subjugué) où tous les trois se livrent à corps perdu, multipliant les détours jusqu’aux fractures : ils peuvent se perdre, mais ils se retrouvent après des envolées  libres toujours, celles que réclament un jazz vif. L’un des titres s’appelle d’ailleurs “La belle échappée”. Jamais on n’a entendu Tcham aussi décisif, déterminant dans le travail de cette rythmique impeccablement réglée : aidé du diaboliquement précis Eric Echampard, il nous rattache à ces obscures forces souterraines, ce grondement sourd et jaillissant que l’on perçoit en nous, “So close, so far”.

 

Sophie Chambon  

Partager cet article
Repost0

commentaires