Fidel Fourneyron trombone, Geoffroy Gesser saxophone ténor, et clarinette, Sébastien Beliah contrebasse
Concerts 14 novembre D’Jazz Nevers festival
21 janvier La Dynamo de Banlieues Bleues- Pantin
Dès l’ouverture de la pochette, où figure sur un éclatant fond jaune, un tableau du peintre renaissance autrichien Marx Reichlich « Un fou », on se dit que cette émanation de l’ONJAZZFABRIC a parfaitement illustré le titre de l’album et de la première composition « Un poco loco » de Bud Powell qui l’était un peu ...fou. Puis on s’aperçoit que logiquement, le trio d’improvisateurs (trombone/sax ténor, clarinette/ contrebasse) a choisi de reprendre dans ce programme le répertoire du jazz des années cinquante, en particulier du bop... C’est en effet la « redécouverte de ces airs passés qui ont fait en leur temps la folie du jazz » que le trio nous propose. Et s’ils ne paraissent toujours pas sages, ils sont encore capables d’enflammer un auditoire qui aime le jazz. On est donc content de réentendre ces compositions superbes réarrangées, assez fidèlement cependant pour que la mélodie soit reconnaissable. Il est bon de revenir aux compositions de Dizzy Gillespie ....sans oublier Lee Morgan dont il n’existe pas encore de biographie en français. Et si vous ne vous mettez pas à danser sur la compo « Minor’s holiday » de Kenny Dorham magnifiée par la contrebasse de Sébastien Beliah, consultez...
En lisant la présentation de l’album, on apprend que Fidel Fourneyron, membre des très dynamiques et contemporains collectifs Radiation X, ou Coax (avec Geoffroy Gesserd’ailleurs) est un amoureux des orchestres swing, soliste chez Laurent Mignard (relecteur passionné de Duke Ellington) et de l’Umlaut big band spécialisé dans la musique de danse...Il y aurait donc des jeunes musiciens qui ne s’affranchissent pas du passé et remontent le temps musical au delà des années 60 ?
L’un des atouts de cette démarche est de reprendre ces thèmes gravés dans les mémoires des plus anciens, avec une autre instrumentation. On oublie donc les trompettistes, on écoute une autre «orchestration», des arrangements enlevés car le trio parvient à retranscrire le jus, à garder la sève de cette musique enthousiasmante. Le démarrage nous met dans l’ambiance, tout en payant respect à la mélodie : ça éructe, vrombit, s’interrompt pour mieux rebondir, klaxonne presque...vrille comme un bourdon. C’est rapide et enlevé. Et ça continue avec «Tin Tin Deo » très métallique, chaloupé et lancinant ...quand il le faut. Nos compères arrivent à ajouter encore de la chair à des compositions qui n’en manquaient pas , ainsi du moelleux fondant du trombone sur le moins connu « Rondolet ». C’est souvent humoristique avec changements et variations de tons à la klezmer ou à la Goodman. Dès l’exposition de certains thèmes, on sent une volonté d’en faire autre chose, de casser les attentes, de broder d’autres variations, de déstructurer le morceau. Et cela ne peut se faire que si l’on connaît bien le répertoire et ses chausses trappes (« A Night in Tunisia »). D’autres thèmes donnent naissance à des pépites comme ce « Ca-Lee-So » de Lee Morgan, aux rythmes latins et aux motivations plus commerciales alors, au tournant des années soixante. La version revisitée de ce calypso donne une composition moins heureuse, plus compliquée, inquiétante et hypnotique par endroits. Quant au thème émouvant de «Poor Butterfly», il est attaqué de façon étrangement lente, étirée pour rendre un peu de la langueur de la mélodie originale... « And then she stopped » de Dizzy Gillespie devient du jazz de chambre...à la Giuffre quand il ne jouait pas encore free. Ecoutez encore “Back for Berksdale” de Gerry Mulligan, où ça marmonne, “moane and groane”, jouant sur les citations, allitérations, contrepoints : cela fourmille d’idées, et c’est intelligemment rendu.
On se régale d’un bout à l’autre de l’album qui n’est pas trop long, on aimerait bien les entendre en live, ils vont passer à Nevers et on espère qu’ils feront date...
Sophie Chambon